Carcajou et le péril blanc – Arthur Lamothe (1973-1976)

Arthur Lamothe – Films extraits de la série documentaire Carcajou et le péril blanc – 1974/1975 – Canada – DES EXTRAITS SONT PUBLIÉS PLUS BAS DANS L’ARTICLE

« Carcajou était vraiment capable de faire du mal à l’Indien. Carcajou détruisait pour le plaisir de détruire. Pour les animaux c’était vraiment l’incarnation du diable. »

Propos d’un vieil Innu ouvrant chacun des films de la série

Cela fut déjà évoqué dans la présentation de La conquête de l’Amérique I (ICI sur le blog), l’oeuvre indépendante d’Arthur Lamothe fut assez méconnue de son vivant et demeure modestement diffusée. Ainsi en est-il de sa filmographie amérindienne monumentale, à l’image de la série documentaire Carcajou et le péril blanc qui concentre plus de 12 heures de film mais n’a fait l’objet que d’une édition DVD partielle sous le titre « Images d’un doux ethnocide » (titre évocateur qui peut faire penser au documentaire de Paul Leduc Etnocidio, notas sobre el Mezquital où il est question de l’ethnocide des Otomis au Mexique et relayé ICI sur le blog). « Image d’un doux ethnocide » se compose de quatre films tirés de Carcajou pour une durée totale d’environ 4 heures. C’est déjà ça et la découverte vaut le détour. On y retrouve notamment plusieurs parti pris et thèmes déclinés dans La conquête de l’Amérique I et II, diptyque documentaire produit par l’ONF et visible en intégralité sur son site internet.

POUR VOIR « IMAGES D’UN DOUX ETHNOCIDE » (dont des extraits sont relayés plus bas) :

Le double DVD est accessible sur la toile soit par streaming payant sur le site Universciné (cliquer ICI et ICI) soit gratuitement via La Médiathèque Numérique généralement accessible aux abonnés de médiathèque.

«La contestation qu’il y a dans mes films, je la sors de la réalité. En la fouillant à fond et non superficiellement. Bien entendu, si je faisais des films folkloriques, tout le monde serait content, mais ce serait fausser la réalité. La réalite, c’est la vente des forêts à l’I.T.T., c’est les énormes trous que les Indiens retrouvent sur leurs terres là ou il y avait du minerai, c’est les réserves qui sont de véritables camps de réfugiés, c’est la clochardisation d’un peuple, c’est le mépris pour les Indiens. En fouillant l’homme indien dans son environnement spécifique, j’ai retrouvé l’homme universel, ce qui est de plus étymologiquement vrai, l’lndien s’appelant INNU, I’homme.»

Arthur Lamothe

PRODUCTION ET DIFFUSION

Après avoir fait ses débuts à l’ONF où il essuya un refus face à un projet de film consacré à des Indiens, Lamothe quittait cette institution canadienne pour se lancer dans la production indépendante en créant la Société Générale Cinématographique (SGC, 1965) puis Les Ateliers audiovisuels du Québec (1970). Outre des films et séries à vocation pédagogique commandités par le Ministère de l’Education du Québec, ces organismes ont donc produit des films socio-politiques qui parfois ont été commandités par les syndicats québécois CEQ (éducation) et CSN (Confédération des Syndicats Nationaux). Ainsi par exemple Le mépris n’aura qu’un temps (1970) qui traite des conditions de travail dans la construction et que je souhaite découvrir à l’avenir.

Originellement, la série Carcajou et le péril blanc est une coproduction entre Les Ateliers audiovisuels du Québec et Radio-Canada dont une des finalités était une diffusion à la télévision. C’est pourquoi Lamothe avait dû faire une concession sur la durée des films qui furent bridés à 55 mn chacun afin d’être adaptés au régime télévisuel. Cette contrainte l’a amené à monter d’autres versions pour la diffusion des films parmi les Innus et en salles de cinéma. Ces versions ont été reprises, je pense, pour la présente édition DVD. Cependant Radio Canada n’a pas voulu diffuser les films destinés à la télévision et quand le blocus d’Etat a finalement été levé, les réalisations furent diffusées à des heures tardives de la nuit… En témoigne en 1976 un article de Relations (revue chrétienne du Québec spécialisée en analyses sociales et aux perspectives proches de la théologie de la libération) :

« Mais si, devant la caméra, les Indiens refusent de fabriquer des raquettes ou des chapeaux de plumes, et invitent plutôt les cinéastes à venir constater avec eux de visu comment la Wabush Mines ou la I.T.T. Rayonnier massacrent leurs territoires de chasse ou veulent les empêcher d’y pénétrer; s’ils révèlent que de bonnes rivières de pêche sont «clubbées» au profit des riches Américains par les bons soins de leurs amis au gouvernement du Québec; s’ils disent leur conscience de la discrimination dans l’emploi dont ils sont victimes de la part de la Iron Ore ou autres grandes compagnies de Sept-lles; s’ils crient leur mécontentement parce que la municipalité de Sept-Iles a construit son usine de traitement des eaux usées (égouts) sur leur réserve et que là où ces eaux sont rejetées à la mer, il ne vient plus ni poissons ni canards; s’ils dénoncent les tracasseries administratives et policières dont ils font continuellement l’objet; s’ils accusent les Québécois, et en particulier leur gouvernement, de pratiquer à leur endroit le même racisme et le même impérialisme culturel dont eux-mêmes se disent victimes de la part des Américains ou des Canadians; etc.etc… Si tous ces thèmes mis en images et articulés les uns aux autres pour une compréhension large deviennent une vaste «chronique d’un génocide» et de «notre racisme ordinaire», chronique qui dépasse le simple constat pour amorcer une contestation radicale, on peut comprendre pourquoi les pouvoirs décisionnels de la télévision d’Etat bloquent sa diffusion. »

Relations, mai 1976

 

QUELQUES MOTS SUR TROIS FILMS DU DVD « IMAGES D’UN ETHNOCIDE »

1 – Mistashipu (La grande rivière, 1974)

Synospsis : « A l’embouchure de la Moisie, Mistapichu, les trois soeurs de Michel évoquent leur jeunesse, quand, avec leurs parents, elles partaient, à pied et en canot, pour leur territoire de chasse situé à 500 km au nord. Et les hivers où elles manquaient de nourriture. Et où leur père mourait. Le sage Innu, Mathieu André, à côté de Shefferville, indique les pistes indiennes qui se croisaient dans ces lieux. Puis dans le campement indien, installé l’été sur la rive de la Mistashipu, nous participons à la pêche au saumon, surveillés par les gardes-pêche et leurs acolytes. Cérémonies traditionnelles., religieuses, baptême, rêves chantés avec le teiukan, etc » (Universciné)

C’est lors de l’édition 1974 des Rencontres Internationales pour un Nouveau Cinéma (RINC) déroulées au Québec que ce film a connu sa première diffusion, soit dans un contexte marqué par le Troisième Cinéma et le cinéma militant avec la présence de cinéastes comme Fernando Solanas, Lamine Merbah, Julio Garcia Espinoza, Gille Groulx ou encore Med Hondo. Un travail de mémoire a été mené sur l’édition 1974 de ces rencontres internationales, favorisé par la redécouverte à la cinémathèque québécoise de bandes videos et désormais numérisées grâce à un doctorant québécois et un chercheur argentin. J’invite notamment à regarder et écouter une prise de parole de Gilles Groux en cliquant ICI (c’est l’avant-dernière video publiée mais il y a d’autres extraits videos à la fois intéressants et témoins des problématiques qui se posaient). Groulx y évoque notamment la censure de l’ONF et les limites de son fameux programme Société Nouvelle, programme que j’ai par ailleurs évoqué dans l’article de présentation du documentaire militant Vous êtes en terre indienne réalisé en 1969 par le cinéaste mohawk Michael Kanentakeron (ICI sur le blog).

Images de Mistashipu :

Trois images composant le panoramique d’ouverture : l’arrivée du train, les méandres de la rivière Moisie, un panneau qui légifère le lieu. Le colonialisme s’accapare le territoire

Le panoramique qui ouvre La grande rivière exprime en quelques secondes le colonialisme : la caméra passe du train de la conquête coloniale qui suit les méandres de la rivière de la Moisie (désignée Mistashipu en langue innue) au panneau d’interdiction auquel font face deux Indiens dont le territoire est ainsi approprié par le pouvoir blanc. C’est ainsi que bien avant La Conquête de l’Amérique, Lamothe témoigne d’un traitement visuel qui n’est pas anodin, ne relevant pas de la simple illustration. Il décline en particulier une approche géographique du territoire qui relaie avec force la vision indienne. Cela est frappant dans la séquence avec l’Innu Mathieu André qui témoigne de sa perception du territoire. La caméra alterne entre d’une part le témoignage de sa connaissance du vaste milieu naturel qu’il parcourt du regard et de la main en employant la toponymie indienne et d’autre part des cartes qui permettent au spectateur de se repérer dans ce territoire décrit, comme pour secourir le spectateur étranger à cette perception en appliquant une traduction cartographique en quelque sorte. Aussi Mahtieu André ne témoigne pas seulement d’une connaissance du milieu mais aussi d’une activité innue ancrée et articulée à ce territoire, à l’image de la toponymie indienne qui désigne la spécificité de lieux en leur attribuant soit un trait naturel distinctif soit une activité humaine associée. Aussi, le film exprime combien cette perception du territoire doit être préservée parmi les Indiens mais l’héritage est fragile, en voie de disparition tant les activités traditionnelles liées à ces grands espaces sont affaiblies et menacées par le pouvoir blanc.

D’où une séquence de fin particulièrement sombre marqué par le cantonnement des Innus aux réserves et à la misère associée. Sur une musique de Jean Sauvageau, un associé majeur des films de Lamothe, un long travelling superposé des propos d’une des sœurs de Michel Grégoire sonne le glas de la liberté, de la culture indienne et des moyens de subsistance des Innus sur leur propre territoire :

 « Nos pères étaient des hommes libres. Ils habitaient un immense pays sans frontières. Nos pères ont laissé l’Homme Blanc y pénétrer. Ils en ont même montré les chemins à l’Homme Blanc. Nos pères ont partagé avec lui la nourriture. Mais l’Homme Blanc a trouvé des richesses. Il a volé à l’Indien ses rivières, ses forêts, ses animaux, ses poissons. L’homme blanc nous a enfermé dans les réserves. L’Homme Blanc nous enlève nos rêves, notre langue, nos enfants. »

Séquence finale de Mistashipu

De manière générale, le cinéaste et le dispositif sont dans une position « relai », il n’y a pas ou peu de commentaires d’une voix off de spécialiste et il ne s’agit pas de parler à la place des Innus ou d’en faire des objets du regard blanc. Comme les autres de la série, ce documentaire porte la vision indienne, à l’image du langage qui donne à être entendu tel quel avant la venue de la traduction.

 

On disait que c’était notre terre / 1ère partie

Synopsis : « Auprès de son camp de chasse, Marcel Jourdain et son beau-frère, Jean-Marie McKenzie, discutent du sens de la vie et de la mort dans la cosmologie algonquienne. Auparavant, sur la route menant à son camp, Marcel Jourdain, accompagné de ses filles, de sa femme et de sa parenté, se voit interdire l’accès par une barrière. Sa femme et ses fille créent un incident quand, par rétorsion, elles organisent un Sit In, bloquant ainsi la route aux camions » (La médiathèque numérique)

Le DVD comprend les première et troisième partie des quatre qui composent On disait que c’était notre terre.

Le thème de l’exploitation des terres indiennes au profit des blancs revient avec force, aspect encore une fois bien repris dans La conquête de l’Amérique. En faitavec le recul, je me suis rendu compte combien le diptyque documentaire de 1990-1992 contient de nombreux échos aux réalisations précédentes de Lamothe. Ainsi par exemple lorsqu’il est fait mention de l’exploitation des minerais du Labrador qui parviennent à la gare ferroviaire de Shefferville : « ils transportent nos montagnes » comme les forêts sont emportées en Europe tel le souligne des plans de La Conquête de l’Amérique I. L’exploitation des ressources emportées ailleurs est un thème récurrent dans la filmographie amérindienne de Lamothe et cela occasionne parfois des plans très proches d’un film à l’autre qui expriment ce pillage économique occidental. En plus de l’exploitation territoriale qui ne passe pas sans négociations avec les Innus, ces derniers sont amenés à croupir dans les réserves tandis que les blancs s’enrichissent. Le documentaire relaie la discrimination vécue par les Innus qui sont des humains de seconde zone, vivant dans l’inégalité vis-à-vis du Blanc et dans la dépendance de ses lois. A cet égard, la mention de la station d’épuration installée dans leur réserve et les saletés qui découle sur le lieu de vie des Indiens en dit long sur leur place dans la société canadienne.

Fait rare dans les films du cinéaste, une voix off s’immisçant dans un passage consacré à la représentation de la mort dénote un caractère spécialiste par l’utilisation de schémas.

Image de On disait que c’était notre terre 1 :

Schématisation d’une conception indienne

Mais rapidement la voix off postule le schéma animé comme une aide découlant de la conception rationnelle occidentale, relativisant ainsi cet effort de « traduction » de la conception indienne (un peu comme plus haut la cartographie permettait de traduire la perception géographique du territoire formulée par Mathieu André).

La dernière partie du film est la plus ouvertement politique car elle oppose les Innus à la colonisation dans son expression quotidienne, à savoir ici la confrontation à la multinationale ITT qui s’est accaparée du territoire ancestral sans négociation avec les premiers concernés mais ayant eu le droit d’exploitation avec l’aide des gouvernements Canadien et Québécois. La séquence ci-dessous met en scène le rapport colonial.

Extrait de On disait que c’était notre terre 1

A noter que la présence de barrières interdisant la liberté de circulation des Innus sur leur propre territoire revient de nouveau dans La conquête de l’Amérique I.

Cette longue séquence de confrontation fait place à une terrible conclusion autour de la toponymie occidentale, de l’Homme Blanc. Déjà l’entame du film révélait des noms de personnes indiennes supplantés par des noms francisés. Ici la francisation concerne les lieux renommés, souvent à connotation individuelle : ce sont des noms propres de personnes passées par là, signalant une privatisation de l’espace, symbolisant la propriété. Par contraste éloquent, la toponymie innue renvoie en général à une configuration naturelle, au contexte environnemental ou à une activité humaine telle que la pêche. Ici, la perception du milieu et le rapport qui en découle avec l’espace sont différents d’une société à l’autre et cela se reflète avec éloquence dans la toponymie.

Extrait de On disait que c’était notre terre 1

Une toponymie coloniale qui en dit long

Cette toponymie occidentale qui supplante la toponymie indienne en parallèle à la disparition de la culture indigène et à la discrimination des Indiens voire leur éradication m’a re-fait pensé à une manifestation du colonialisme israélien souligné avec force dans un passage du documentaire Route 181 (2004) de Eyal Sivan et Michel Khleifi.

Extrait de Route 181

Une toponymie coloniale qui efface celle des colonisés, parallèlement à une population qui « s’évapore »

 

On disait que c’était notre terre / 3ème partie

Synopsis : « Au mois de janvier, Mathieu André, accompagné de deux de ses gendres, dans la taïga aux environs de Schefferville, est allé tuer un ours. Mathieu nous montre les traces qu’à laissées l’ours sur l’épinette située à proximité. On déblaie la neige et Mathieu se glisse dans la tanière. Mais l’ours ou l’ourse n’est pas là. Dans sa tente, près de chez lui, accompagné d’une de ses filles, à l’aide d’une peau dont il se couvre en mimant la bête, et avec des branches d’épinettes, d’un tambour, d’anciennes photos, il tient un grand discours fort imagé qui reflète la structure fondamentale de la pensée amérindienne. » (La médiathèque numérique)

Dans cette troisième partie de On disait que c’était notre terre Lamothe déroule plusieurs plans séquences où en présence d’une de ses filles Marcel Jourdain évoque principalement l’ours (témoignant d’ailleurs d’une approche respectueuse de l’environnement, soit un autre fil thématique régulièrement présent dans la filmographie de Lamothe). Il faut souligner ici combien la traduction du doublage n’efface pas la langue innue et que sa place ne casse pas la dynamique de la parole de Marcel Jourdain. Outre qu’on l’écoute souvent de manière très audible avant que ne survienne la traduction, le flot de paroles est préservé jusque dans ses répétitions. Il y a un vrai respect de la personne qui n’est pas sacrifiée d’une part à une traduction qui s’exercerait en effaçant la parole originelle (le doublage-traduction de Rollande Rock se révèle au fil des films comme mené de manière très proche de l’interlocuteur) et d’autre part aux cuts incessants d’un montage qui serait soumis aux critères du pragmatisme de la communication.  Je propose ci-dessous les dernières minutes du film où Marcel Jourdain évoque le passé à partir d’une vieille photographie familiale, suivi d’une sombre conclusion sur ce qu’apporte la société occidentale, en tout cas dans son pendant capitaliste.

Extrait de On disait que c’était notre terre 3

 

La conquête de l’Amérique I – Arthur Lamothe (1992)

Arthur Lamothe – La conquête de l’Amérique I – 1992 – Canada – 95 mn

« Toutes les terres qui n’ont pas été cédées à la Couronne [anglaise] par les indiens continuent à être entachées d’une servitude foncière. Ça veut dire que l’ONF est construit sur un territoire autochtone (…) Un jour on va cesser de rire. Le titre autochtone subsiste dans le vieux Québec de 1763 ! »

Rémi Savard in La conquête de l’Amérique I

Synopsis de La conquête de l’Amérique I (ONF) : Récit du pillage des ressources tel que vécu par les Amérindiens Montagnais de la Côte-Nord. Ils réclament la reconnaissance de leur droit inhérent à l’autonomie politique et administrative, soutenus par l’anthropologue Rémi Savard qui expose ses thèses historiques et juridiques.

DOCUMENTAIRE VISIBLE EN INTÉGRALITÉ

EN CLIQUANT ICI

Né en France, Arthur Lamothe a démarré sa carrière cinéaste à l’ONF qu’il a quitté en 1965 et dont seule une poignée de films sera de nouveau produite par cette institution fédérale canadienne puisqu’il fonde sa propre compagnie de production. Son oeuvre documentaire (ainsi que deux fictions) a donné lieu à une filmographie très axée sur les peuples indiens Innus (« Montagnais » dans le langage des premiers colons) principalement établis sur la péninsule du Québec-Labrador.

« À l’époque, les films faits sur les Indiens laissaient à désirer, jamais tournés dans leur propre langue, collés au regard des Blancs »

Arthur Lamothe dans une interview pour Le Devoir.

Un temps cultivateur en France puis bûcheron  peu après son arrivée au Québec dans les années 50, Lamothe a aussi réalisé des films focalisés sur le travail et la classe ouvrière, avec notamment Le mépris n’aura qu’un temps (1969) dont le caractère militant dénonce les conditions de travail dans les chantiers de construction à Montréal, avec la participation de syndiqués du CSN Construction en grève en 1969-70 (Confédération des Syndicats Nationaux). Ainsi, bien que méconnue au sein de la cinématographie québécoise et très peu diffusée, la production indépendante de Lamothe a favorisé une orientation politiquement engagée qui est également présente dans sa filmographie amérindienne.

Le mépris n’aura qu’un temps, extrait (1969)

Un volet ouvrier de l’oeuvre de Lamothe : « C’était vraiment pour moi une prise de conscience du milieu ouvrier, une structuration des émotivités, un regard en dedans. » (Lamothe, 1970)

Déjà en 1962 son premier documentaire Bûcherons de la Manouane (1962, « Manawan » en langue Atikamekw) se consacre au travail en filmant des bûcherons en plein hiver québécois, alors établis dans un camp situé en Mauricie. Outre le sujet qui dépeint notamment leur solitude et la dureté des conditions de travail dans le contexte d’une survie économique, ce film a une importance esthétique en s’inscrivant parmi le premier cinéma direct canadien qui se développe à l’ONF (parfois dit « cinéma-vérité » en France) tandis que le traitement audiovisuel se démarque par instants du réalisme descriptif par un travail sur le ressenti (ainsi de saisissants abattages d’arbres ou encore le montage articulant jet répétitif des bois à la rivière et fond sonore aliénant de la coupe par ailleurs très présent tout au long du documentaire). Or, déjà dans ce premier film, Lamothe évoque les Indiens à travers un groupe d’une vingtaine de bûcherons de la Nation Atikamekw qui travaillent sur le chantier exploitant leur propre territoire et établis à part sous des tentes avec leurs familles. D’ailleurs ici je me suis souvenu du long métrage de fiction hongrois La pierre lancée réalisé en 1969 par Sara Sandor où des Tsiganes associés à un chantier de bûcheronnage et établis dans un camp à part sont considérés comme des « sauvages » et relégués à des travaux mal payés de seconde zone.

Bûcherons de la Manouane (1962), extraits avec les Indiens du chantier 

(LE FILM EST VISIBLE EN INTÉGRALITÉ EN CLIQUANT ICI)

« Il me restait beaucoup d’images après avoir tourné Bûcherons de la Manouane, et j’ai donc proposé à l’ONF de faire un film sur ces Indiens. Pierre Juneau [un administrateur de l’ONF] m’a répliqué : « Ce n’est pas commercial ». Comme si l’ONF faisait des choses commerciales ! Après, j’ai soumis un autre projet sur la mort des Indiens des plaines, mais on m’a dit la même chose, que ce n’était pas intéressant, que ce n’était pas commercial. Pourtant, Bûcherons de la Manouane avait très bien marché, il avait été vendu à toutes les télévisions européennes, en Australie, en Inde ! J’étais décidé à faire des films sur les Indiens. »

Arthur Lamothe, entretien avec Janine Halbreich-Euvrard (2007)

Outre divers courts et long métrages plus ou moins importants réalisés dès les années 60, sa filmographie amérindienne se compose notamment d’une vaste série documentaire intitulée « Chronique des Indiens du Nord-Est du Québec », avec la collaboration de l’anthropologue Rémi Savard et qui a été partiellement éditée en France dans un coffret DVD intitulé « Images d’un doux ethnocide » (une formule qui d’ailleurs s’applique à la vision de La conquête de l’Amérique I). Cette chronique monumentale de 19 heures est constituée de deux séries documentaires : d’une part Carcajou et le péril blanc (1973-1976) dont huit films approchent la culture montagnaise et la dépossession entreprise par les Blancs, alors parmi les premiers films du cinéma canadien à adopter le point de vue indien (le cinéaste refusant par ailleurs l’étiquette d’un cinéma ethnologue, reprochant par exemple aux anthropologues « en immersion » d’intégrer les Indiens aux schémas enseignés à l’université) ; d’autre part La terre de l’homme (Innu Asi, 1979-80) avec quatre films qui seraient plus politiques.

Extrait de Ntesi Nana Shepen (On disait que c’était notre terre, 1974), de la série documentaire « Carcajou et le péril blanc »

Une multinationale ayant obtenu du Canada le droit de coupe en forêt boréale empêche l’accès des Indiens à leur propre terre et à la subsistance qui en découle. Une thématique au centre de La conquête de l’Amérique I

En 1983, Lamothe entreprend Mémoire battante qui se constitue de trois épisodes se focalisant sur la spiritualité et la dépossession des Indiens. En 2004, il lance une nouvelle série documentaire intitulée Mémoire antérieure qui se compose de 13 films dont les tournages – comme pour La conquête de l’Amérique I et II – ont été entrepris dans les années 70. Par cette simple énumération, on peut voir que la filmographie amérindienne de Lamothe résulte d’un travail d’ensemble qui cumule des dizaines d’heures et qui nécessite un visionnage global pour mieux en appréhender la portée articulée aux Autochtones. Une somme documentaire qui finalement ne semble pas avoir été faite SUR les Indiens mais avec AVEC les Indiens :

« Il faudrait voir tous [les films], parce que c’est en les voyant tous qu’on comprend mon travail. Chaque film est différent. Les Indiens m’ont suggéré le sujet de plusieurs des films que j’ai faits. Par exemple, avec Mathieu André, je voulais filmer la chasse à l’ours. Il m’avait dit non. C’était plus important de filmer la pêche au filet sous la glace. La pêche sous la glace permet aux Indiens de survivre, de se nourrir. Alors, il m’a organisé cette pêche sous la glace et je l’ai filmée. Et puis, avec Marcel Jourdain, je voulais filmer la construction de pièges à martres et on en a fait quatre films ! Forcément, j’étais un outil entre leurs mains. J’avais une caméra et ils savaient qu’avec ça, ils allaient parler au monde. Et ils tenaient beaucoup, beaucoup à être filmés. Parce que au fond, je filmais ce qu’eux voulaient faire passer. »

Arthur Lamothe (id, 2007)

Lamothe a également réalisé des fictions développant des histoires liées aux Amérindiens (Equinoxe, Le silence des fusils) mais ces films sont généralement moins estimés que ses documentaires. Lamothe a souvent motivé ce passage à la fiction comme un moyen plus adéquat pour tenter d’exprimer l’imaginaire indien.

« Certains anthropologues ont une vision surtout matérialiste des Indiens et ne voient que les problèmes qui peuvent se quantifier, comme celui de la descendance. Mais presque personne n’écrit de textes sur des phénomènes religieux et mystiques, sur la « tente tremblante », sur l’imaginaire, les songes. L’imaginaire est une source d’inspiration pour le cinéma. C’est important. Il faut aller à la rencontre de l’imaginaire des Indiens. Moi, c’était ça qui m’importait, leur vie onirique. »

Arthur Lamothe (id, 2007)

D’après lui, en tant que véhicule potentiel de l’onirisme indien la fiction peut exprimer la spiritualité Autochtone et représente un cinéma autochtone en devenir (à cet égard il faudrait s’intéresser au cinéma autochtone ayant émergé au Canada ces dernières années tant il semble y avoir plusieurs pôles de création cinématographique indiens). Aussi en 1993 Lamothe a réalisé le documentaire L’écho des songes qui a pour trame les Arts indiens au Canada.

L’écho des songes, extrait (1993)

« Tout art provient des songes. Intimement liés à la vie spirituelle des indiens, les songes constituent l’essence même de toutes leurs croyances. » (Lamothe)

Je n’ai vu quasiment aucun des documentaires énumérés ci-dessus et il faut dire qu’ils sont totalement inaccessibles sur internet à moins d’y mettre le prix, notamment sur Universciné qui propose la location streaming de « Images d’un doux ethnocide » (les personnes inscrites en médiathèque peuvent y accéder gratuitement via la « médiathèque numérique »). En revanche La conquête de l’Amérique I (tout comme La conquête de l’Amérique II) a été produit par l’ONF et fait partie du vaste corpus documentaire canadien en accès libre sur le site internet de l’agence (au risque de me répéter sur le blog, j’invite vraiment à y faire un saut pour mieux mesurer les nombreuses découvertes filmiques à y faire !).

Image de La conquête de l’Amérique I

La Conquête de l’Amérique I et II (1990 – 1992) reprend le principe de la série documentaire du cinéaste et semble s’inscrire dans l’oeuvre globale énumérée plus haut, ici dans son volet territoire. Comme c’est précisé dans le générique, le tournage initial remonte à 1977 et s’articule aux revendications des Innus (Montagnais) quant à la terre et les droits associés, incluant la collaboration active de Montagnais dont l’ancien Chef de bande Antoine Malek.

« Je demandais à mon équipe de ne pas loger à l’hôtel. Je leur disais : «On va dans les maisons indiennes ! C’est le seul moyen de filmer ces gens-là, en étant à leur niveau. Pierre Perrault [célèbre documentariste québécois] m’a dit un jour : « C’est drôle, avec moi les Indiens ne parlent pas et avec toi, ils n’arrêtent pas de parler ». C’est sûr qu’en présence de Blancs, ils ne parlaient pas; les Indiens ne disaient pas un mot. »

Arthur Lamothe (id, 2007)

La conquête de l’Amérique I révèle la perception d’un territoire indien soumis aux exploitations des multinationales (et autres installations étrangères) avec l’accord du Québec et de l’Etat fédéral canadien ayant pour corollaires le pillage des ressources et une interdiction des moyens de subsistance des Indiens qui mène à leur extinction.

« Bucherons 2 [la suite de Bûcherons de la Manouane] ne pouvant s’entreprendre, je soumettais à Pierre Juneau un projet de film intitulé Le péril blanc, sur l’élimination des Indiens d’Amérique, un film de montage réalisé à partir de photos des cadavres d’Indiens massacrés durant la Conquête de l’Ouest par Custer et d’autres nettoyeurs, dont on charge sans ménagement les corps déjà raidis aux yeux grands ouverts dans des charrettes. Et d’autres photos prises au 19ème siècle, celles-ci célébrant la dignité de cette race qui a occupé des millénaires durant ce continent, objet d’un génocide oublié par les actuels Euro-Américains que nous sommes. Je voulais inscrire cette méditation dans la  suite de l’admirable film Mourir à Madrid de Frédéric Rossif. Hélas, Pierre qui voyait autrement l’avenir de l’ONF, me dit :

–         Ce n’est pas rentable. »

Arthur Lamothe, témoignage publié sur le site Arthur Lamotte 

Les plans de survol aérien du territoire indien au début du film sont particulièrement éloquents. L’énumération des parcelles forestières cédées par l’Etat au droit de coupe des multinationales se superpose à l’étendue forestière de plus en plus soumise au pillage (en cela ce film annonce le terrible documentaire L’erreur boréale réalisé en 1999 par Desjardins et Monderie, visible ICI). L’exploitation du territoire indien qui cerne les autochtones (pillage des forêts mais aussi hydro-électricité, pêche industrielle et de loisirs…) y résonne comme une guerre, à la manière du survol aérien intégré dans le montage du documentaire Pays Barbare (2013) de Gianikian et Lucchi où la guerre coloniale menée en Ethiopie par l’Italie fasciste se traduit par un discours d’Hailé Selassié évoquant les bombardements au gaz moutarde sur son peuple (pour voir cette séquence de Pays Barbare, cliquer ICI). Mais ici l’extermination se fait « sans effusion de sang » bien que les plans réguliers survolant le territoire pourraient évoquer la conquête territoriale d’un champ de bataille.

Images de La conquête de l’Amérique I  

Ci-dessous un plan où la caméra s’attarde sur un stock de bois coupés alors qu’un témoignage nous apprend qu’aucune négociation de coupe n’a eu lieu avec les indiens.

Ci-dessous une cargaison de bois issus de la terre indienne en partance pour les usines européennes d’une multinationale téléphonique. Ces images font écho à certains plans de Bûcherons de la Manouane (le bateau remplaçant le camion qui pillait la forêt de la terre Atikamekw). Le colonialisme dans son expression économique quotidienne

Dans la foulée de ces exploitations de la terre indienne sans concertation ni négociation, obtenue par aucun traité, ni capitulation sur les terres concernées, le documentaire enchaîne avec un long passage intégrant un explicatif juridique de l’anthropologue Rémi Savard. Alors que les pillages des ressources poussent les indiens au bord de la mer à l’écart des bois, Savard revient sur la proclamation royale anglaise de 1763 survenue lors du Traité de Paris (fin de la colonie Nouvelle France, cédée aux anglais).

Image de La conquête de l’Amérique I

Une visualisation indienne mémorisant la proclamation royale anglaise de 1763 : « deux bateaux côte-à-côte« . Le film questionne aussi les différences de conception et de la langue pour exprimer les aspects juridiques d’un territoire

Cet excellent passage pose la problématique juridique dans le rapport entre les Blancs et les Amérindiens (par exemple la notion de propriété existait-elle et avait-elle une codification juridique précise parmi les Indiens d’Amérique du Nord ?) et présente le cheminement pris par l’illégalité toujours actuelle de l’Etat fédéral et du Québéc ayant brisé l’autonomie des Autochtones. L’exposé de Savard est particulièrement frappant par la subtilité d’approche qu’impliquent les termes juridiques « servitude foncière » et « fiduciaire ». L’ensemble aide à mieux comprendre pourquoi la proclamation royale de 1763 est un texte de référence pour les Montagnais et qu’en effet aucun traité de dépossession n’existe. C’est une guerre qui ne dit pas son nom qui s’exprime par la spoliation des terres et le non respect des droits des Indiens de la Côte-Nord (et d’ailleurs), causant précarisation et extermination :

« Il est important de dire que ce processus de disparition [des Montagnais] n’allant pas assez vite, en 1857 les parlementaires canadiens ont voté une loi (…) qui déclarait explicitement qu’à partir de maintenant les Autochtones n’avaient plus les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres sujets de sa majesté. Non seulement ils n’étaient plus des Nations, mais ils devenaient des gens frappés d’incapacité juridique, comme à l’époque les femmes, les enfants âgés de moins de 21 ans et les malades mentaux. (…). Quand vous avez un pupille, il faut un tuteur. Alors le tuteur c’était le gouvernement qui par ce fait prenait entre ses mains toute l’administration des biens des Indiens, supposément pour les protéger, supposément pour s’occuper de son obligation fiduciaire qui était implicite dans la doctrine impériale britannique, mais en fait pour faire disparaître le plus vite possible cette réalité embarrassante sans effusion de sang, proprement. »

Rémi Savard dans La conquête de l’Amérique I

Aussi, à ce point de vue juridique le film articule la réalité du terrain telle que vécue par les Montagnais, à savoir comment cette dépossession coloniale se traduit concrètement dans la vie quotidienne des Indiens. Et c’est ainsi que parmi les pillages des ressources déjà évoquées auparavant le cinéaste s’attarde sur la pêche. Ici la dévastation des Blancs (épuisement du poisson etc) va de pair avec l’écrasement des moyens de subsistance des Indiens. Le documentaire renvoie aussi à d’autres communautés indiennes confrontées à l’interdiction de pêcher au profit des Blancs, et à ce sujet je conseille, entre autres, le documentaire Les événements de Restigouche (1984, à voir ICI ) réalisé par Alanis Obomsawin qui porte sur la lutte des Micmacs interdits de pêcher le saumon sur leurs terres et réprimés par le pouvoir québécois (soit un colonialisme québécois particulièrement souligné par la cinéaste qui apparaît également dans La conquête de l’Amérique I). Ici la violence du fait colonial s’exprime en particulier dans les témoignages des pêcheurs Montagnais en conflit avec un club de pêche américain (installé par bail d’Etat) et avec les garde pêche. Alors que le consumérisme touristique jouit de la rivière, les possesseurs indiens de la terre sont condamnés à « la pêche en cachette » parce que leurs droits à la subsistance n’y ont plus cours.

« On avait peur de pêcher le jour, on ne voulait pas le déranger. Lui il pêche le jour et nous on pêche la nuit. N’importe qui trouve à vivre ici, l’italien, le japonais… tous ceux qui viennent de loin. C’était à nous de vivre confortablement mais c’est vous qui vivez bien. Laissez-nous tranquille, vous devriez être à genoux devant nous maintenant. C’était à nous d’être là-bas au club, mais c’est vous qui êtes très bien installés. Aujourd’hui vous voulez tout dicter à l’Indien, combien il prendra de saumon. On saura bien combien on doit tuer de poissons. C’est notre terre à nous.(…) On ne cherche pas à savoir comment vous vivez, vous les Blancs. Tandis que vous vous voulez tout savoir, comment on tue le gibier, ou comment on parle, même comment on vit, même comment quelqu’un dort. Vous voulez tout posséder, on nous insulte trop. On fait toujours  ça à l’indien. Lui poser des interdictions quand il chasse. Il serait bientôt temps qu’on n’ait plus peur. Moi je n’ai plus peur. Ça ne fait rien si on me tue, de toute façon je vais mourir si je n’ai rien à manger. »

Antoine Malek dans La conquête de l’Amérique I

Le récit final qui s’ensuit à propos de la mort des deux pêcheurs Montagnais paraît à la fois comme un « fait divers » et un « accident » dans la presse du pouvoir Blanc mais ici le particulier, en plus de révéler une tragédie humaine, découle clairement de l’exposé du processus colonial qui a précédé. En 1996 Lamothe a entrepris le long métrage de (docu-)fiction Le silence des fusils qui traite de cet « accident » où il met en avant la thèse amérindienne, pas celle retenue par les conclusions d’une enquête bâclée.

Le silence des fusils, extrait (1996)

Un docu-fiction qui revient sur « l’accident » des deux jeunes Innus et l’injustice qui s’en ai suivie, tel un écho à la guerre qui ne dit pas son nom. Le film n’eut aucun succès en salle.

Si la filmographie amérindienne de Lamothe semble à l’évidence avoir décliné une approche culturelle (langue, spiritualité etc confrontées au colonialisme), à travers le traitement du territoire considéré aussi dans sa dimension  humaine c’est l’aspect économique du colonialisme qui ressort le plus dans La conquête de l’Amérique I et il y aurait sans doute à mettre en parallèle bien des situations non seulement ailleurs en Amérique mais aussi dans le monde.

Arthur Lamothe a réalisé une « suite » intitulée La conquête de l’Amérique II mais en fait sortie avant en 1990. Ce deuxième opus est visible en intégralité sur le site de l’ONF. « Profitons-en » pour les plus modestes, ce diptyque est à peu près la seule réalisation du cinéaste accessible gratuitement sur la toile.

La conquête de l’Amérique II (1990, 67′)

Synopsis (ONF) : Ce documentaire suit un groupe d’Amérindiens dans la reconquête juridique de leurs rivières à saumon face aux clubs privés et pourvoiries. Nous les suivons, de portage en portage, sur la magnifique rivière Natashquan, jusqu’à un endroit sacré au pied d’une chute, où il reconstituent des moments importants de la vie d’antan à l’intérieur des terres.

VISIBLE EN INTÉGRALITÉ EN CLIQUANT ICI

On y retrouve par exemple une caméra qui scrute le territoire par des travellings et survols aériens auxquels ici sont superposés des propos indiens témoignant du processus de spoliation des terres, de sédentarisation forcée par la formation des réserves sous la tutelle de l’Etat (tel que Savard l’a exposé dans La conquête de l’Amérique I), de scolarisation et de contrôle visant une assimilation « pour faire de nous, Indiens, de véritables canadiens et ainsi assurer notre bonheur » et « pour faciliter l’exploitation de nos territoires« .

Images de La conquête de l’Amérique II 

L’approche du territoire occupe de nouveau une grande place y compris dans le traitement visuel (ci-dessous, travelling sur la réserve Innu de Natashquan et survol aérien d’un autre réserve Innu)

La conquête de l’Amérique II s’articule également à l’autre volet en incorporant un contenu juridique, cette fois-ci au regard d’une situation particulière : les revendications des Montagnais-Innus vis à vis de la rivière Natashquan. Là encore, quelques « subtilités » d’Etat mènent à une dépossession illégale. Aussi la dernière partie de cette suite documentaire matérialise brillamment le lien entre les Innus et le territoire par le cheminement menant à un lieu de traditionnel de la pêche aux flambeaux et au camp provisoire qui en découle. L’occupation millénaire du territoire surgit à l’image, l’histoire de la communauté in situ est palpable. Dans ce contexte, les quelques pêcheurs touristiques filmés par Lamothe apparaissent dissonants vis à vis de la perception indienne du territoire. Une des forces de ce diptyque est de signifier l’appartenance et l’attachement territoriaux indiens, que ce soit en termes juridique, économique ou culturel.

Mouton 2.0. La puce à l’oreille – Antoine Costa, Florian Pourchi

EN ENTIER – Mouton 2.0 – La puce à l’oreille – Antoine Costa, Florian Pourchi – 2012 – 77mn 

« La modernisation de l’agriculture d’après guerre portée au nom de la science et du progrès ne s’est pas imposée sans résistances. L’élevage ovin, jusque là épargné commence à ressentir les premiers soubresauts d’une volonté d’industrialisation. Depuis peu une nouvelle obligation oblige les éleveurs ovins à puçer électroniquement leurs bêtes. Ils doivent désormais mettre une puce RFID, véritable petit mouchard électronique, pour identifier leurs animaux à la place de l’habituel boucle d’oreille ou du tatouage. Derrière la puce RFID, ses ordinateurs et ses machines il y a tout un monde qui se meurt, celui de la paysannerie. Dans le monde machine, l’animal n’est plus qu’une usine à viande et l’éleveur un simple exécutant au service de l’industrie. Pourtant certains d’entre eux s’opposent à tout cela … »

 

Qui n’a pas été séduit, au détour d’une randonnée traversant un alpage, sous la vigilance de patous alertes, par la présence d’un troupeau de vaches ou de moutons ? Voici un documentaire qui amène un regard dépassant notre simple plaisir de randonneur de passage pour aborder le monde de l’élevage depuis les obligations de puçage des troupeaux.  Auto-produit et diffusé sous licence libre, à vocation  de circulation indépendamment des circuits de diffusion classiques du cinéma, un tel documentaire appelle donc sans doute à la prise en main de l’objet pour gagner l’espace public sans contraintes d’auteur et au service d’échanges collectifs. Comme l’indique son titre emblématique, il porte surtout sur le fichage des moutons, amené conjointement par l’industrialisation, la technologie déshumanisante, le business et une société de contrôle et surveillance appelée à s’élargir bien au-delà du secteur agricole.

Le film démarre sur le plaisir de l’élevage, depuis le terrain, et les avantages qu’il procure de manière contrastée, par exemple, à la vie urbaine. C’est ainsi qu’un des principaux intervenants du documentaire explique comment il a quitté Marseille pour cette nouvelle vie. Ça n’est pas pour autant une idéalisation du métier, qui comporte des aspects difficiles en soi, mais voilà un juste prologue qui fait le point sur un certain élevage… euh avant sa disparition imminente ! Et on ne peut aussi qu’apprécier les nombreux plans tournés dans la nature en compagnie des bêtes et des hommes et femmes y travaillant : on y envierait presque leur place !

C’est à coups d’archives audiovisuelles hallucinantes (mais vraiment hallucinantes !) que le film avance par étapes. C’est une progression dans un certain enfer annoncé. Le combat des éleveurs et éleveuses opposés au puçage des moutons, et effectivement en résistance par le refus d’obéir, s’avère ainsi bien plus qu’une petite lutte de « paysans arriérés » et attirant la seule sympathie de bobos écolos. Chaque archive fait état d’une « avancée » technologique en lien avec l’élevage, où le contrôle de la reproduction (en lien avec le contrôle génétique) n’est pas la moindre. Nous mesurons les motivations de ces « avancées » dans un présent où des éleveurs et éleveuses expriment leur opposition à un certaine industrialisation ravageuse, face à un nouveau « progrès » annoncé : le puçage.

Les arguments du bien fondé du puçage sont tout d’abord énumérés dans un pôle de traçabilité (pôle en liquidation judiciaire, nous apprend le générique de fin) : raisons sanitaires, facilitation du métier etc. Nous apprécierons au passage les autres fichages en cours, via du matos très diversifié (et ingénieux, nous précise son publicitaire); ça concerne les transports en commun, les fréquentations de service (de stations de ski par exemple), les marchandises … Et la liberté, dans tout ça ? Ces mêmes arguments sont démontés par les personnes engagées contre le fichage, tout en rappelant les intentions mercantiles et de contrôle en amont. Surtout ça répond à de pseudos risques qui découleraient du travail de l’éleveur : les graves crises sanitaires ne viendraient -elles pas, justement, de cette même industrialisation qu’on impose partout dans le secteur agricole et notamment par le puçage ? Un certain cercle vicieux est de mise. D’autant plus que cette soi-disant « facilitation » du métier est imposée… dans l’intérêt des personnes, bien sûr. Un éleveur résume bien la situation :  « C’est une volonté de contrôle total (…) Mentalement, c’est contrôler tout« .

Le documentaire n’est pas qu’un exposé du rejet légitime du puçage suscité chez des éleveurs et éleveuses qui refusent de plier, c’est aussi quelques aspects « pédagogiques » : ainsi le rapport à l’animal (non dénué d’affection) et le milieu naturel dans lequel évolue le métier. Ainsi par exemple un superbe retour quant aux pâturages : soit un équilibre entre sauvage et main de l’homme, qui a gagné la bio diversité. Cet aspect – important – permet aussi de mieux mesurer le désastreux rapport au milieu et à l’animal qu’entraîne la technologie et tout ce qui sous-tend la volonté de « progrès ». Ce qui est appris autrement par la technologie, désapprend toute une tradition et une manière de faire ne découlant pas de la science et ses avatars technologiques. C’est d’une véritable mutation qu’il s’agit, et bientôt il n’y aura plus possibilité de composer autrement que par le prisme industriel qui avale toute une dimension héritée de pratiques traditionnelles, non chiffrables et théoriques. Le rapport de l’homme à la nature prend un tournant terrible, et c’est un ensemble de possibles rapports intimes à la nature, divers et empiriques, qui est aussi menacé de disparaître dans les plus brefs délais.

La résistance a sa part dans le film, et nous prenons un malin plaisir à écouter la discussion téléphonique avec un « responsable » lors d’une action collective d’occupation. C’est toute une séquence autour de la « démocratie » et la riposte citoyenne et collective, dite « illégale » et « non représentative », qui est en jeu. Comment ne pas penser à d’autres secteurs de la société, où on nous renvoie toujours à des leaders, partis, syndicats censés nous représenter, alors même, qu’ils co-gèrent les décisions qu’on nous impose, que nous subissons et que nous voulons combattre. Et la résistance nous concerne toutes et tous, voilà ce à quoi nous amène progressivement le film. A la fois pour le monde qu’on nous prépare, mais aussi pour l’urgence de créer des liens entre différents secteurs de la société.

En conclusion, le documentaire, sans s’inscrire dans une démarche des plus originales (si ce n’est celle, importante, de donner la parole aux éleveurs et éleveuses rebelles !), a le mérite d’interpeller sur ce qu’induit le puçage en terme de surveillance et contrôle de nos sociétés, tout en accélérant le processus de destruction de la nature via industrialisation et changement de nature dans notre rapport à l’environnement. De puçage, nous passons à fichage généralisé et aux nanotechnologies. Je ne peux néanmoins finir cette note sans penser à un très grand film des années 70, édité en DVD que depuis quelques années, et qui va bien plus loin que le présent, en guise de véritable boulet de canon face à une société-porcherie : Cochon qui s’en dédit (1979), de Jean Le Tacon. Je renvoie à la chronique du film ICI sur Kinok, et à l’édition DVD Montparnasse ICI (avec rapide bande annonce). Ce documentaire, un temps censuré donc, dégage déjà tout le processus industriel déshumanisant, la logique de contrôle d’un système capitaliste ravageur, la place de l’individu qui s’y trouve dévoré et assommé par un système économique qu’on lui impose et qu’il applique lui même, le corps-porc qu’on nous promet… A propos de ce film, réalisé quelques années après l’impitoyable Salo de Pasolini dont Porcherie n’était finalement pas le plus terrible, le cinéphile belge Patrick Leboutte écrit : « Quarante minutes au sein d’un élevage industriel de porcs. Il y a Maxime, emmuré seul avec mille bêtes assourdissantes. Il y a des tombereaux de merde, il y a ses rêves inavouables. Il n’y a rien d’autre à voir, il y a seulement à éprouver. (…). On ignorait alors à quel point il préfigurait les temps que nous vivons, telle une métaphore implacable. Semblable réquisitoire, en effet, appelle l’émeute. » Quasi 25 ans plus tard, c’est un documentaire comme Puce 2.0 qui voit le jour, où il est question de changement fondamental dans le rapport au vivant, et d’une société déshumanisante et de contrôle imposé à toutes et tous.

Site internet du film ICI : où sont notamment relayées de nombreuses actualités en lien avec les thématiques du documentaire. 

Exemple d’initiative :

pucage et transhumance

 

Pour se faire une idée de ce qu’implique plus largement le puçage des moutons, voici un spot publicitaire diffusé aux USA depuis 2012. Si la propagande y est effrayante, la France n’échappe pas au conditionnement; ainsi par exemple dans le cas du suivi biométrique des identités, les relais médiatiques appuient sur les mesures de sécurité que ça comporterait pour l’individu (fraude d’identité), ou les moyens d’identification en cas d’accident… Toute une propagande se généralise quant aux pseudos-avantages des différents fichages en cours, qui se mettent en place ici et là dans différents aspects de nos vies, et c’est tout un argumentaire de bien fondé du fichage qui est à démolir. C’est un peu  ce qu’entreprennent fort lucidement les éleveurs refusant le puçage des moutons, et les solidarités/accompagnements/réseaux de résistance qui s’expriment (collectifs etc), y compris dans la sphère publique via projections-débats de films comme Moutons 2.0.

 

Enfin, ci-dessous RFID la police totale, avec un petit retour sur les nanotechnologies (au marché mondial très fructueux dans les années à venir) et aux processus donc de surveillance et contrôle généralisés.

Trou story – Richard Desjardins, Robert Monderie (2011)

Trou story – Richard Desjardins, Robert Monderie – 2011 – 76 mn – EN ENTIER

« «Vous ne connaissez rien des mines? Normal. Les mines ne parlent pas beaucoup. Surtout pas de leur histoire…» Cette histoire, Richard Desjardins et Robert Monderie nous la racontent dans Trou Story, leur plus récent documentaire, produit par l’Office national du film du Canada, dans lequel ils renouent avec la veine pamphlétaire de L’erreur boréale.

L’histoire minière au Canada, c’est une histoire de profits fara- mineux au mépris de l’environnement et de la santé des travailleurs. Une histoire obscure où en pleine Première Guerre mondiale, le nickel de Sudbury est vendu à l’armée allemande qui en fabrique des balles qui serviront, à la bataille de Vimy, à tuer des soldats de Sudbury. Les affaires sont les affaires…

Une sale histoire où la population de Cobalt crève de la typhoïde dans une ville où on ne ramasse pas les déchets, tandis que les premiers magnats canadiens de l’industrie minière s’enrichissent en vendant à l’Angleterre la production d’argent de la quarantaine de mines qui ceinturent la ville. »

Le chanteur québécois et par ailleurs réalisateur de documentaires, s’est de nouveau associé à Robert Monderie, dans la foulée de l’excellent Le peuple invisible de 2007 (relayé ICI sur le blog).  Trou story a beaucoup été comparé à L’erreur boréale, le documentaire des deux compagnons le plus diffusé et aux répercussions les plus concrètes. L’angle d’attaque est en effet similaire, puisqu’il vise de nouveau de grandes compagnies, dont l’un des pires fléaux est à la fois de piller les ressources canadiennes et de causer des dégâts environnementaux irréversibles dans notre présent d’humanité. Il est fort dommage que Le peuple invisible, pour ma part le plus percutant du duo, n’ait pas suscité autant de réactions concrètes; le parti pris y est très éclairant sur les populations indiennes massacrées, parquées dans des réserves et dont on a dépouillé droits et terres, au profit, justement, d’intérêts privés. Mais pas seulement, puisque l’Etat (et ses provinces) y trouvent leur compte vraisemblablement. Cet écrasement des droits des populations autochtones est peu traité au Canada, qui se prévaut plus généralement, dans ses élans contestataires, de porter critique sur les multinationales et colonialismes (notamment anglais) venus piller la nation. Le paradoxe est que ces critiques ne tiennent que rarement compte – en tout cas dans ce qui est le plus diffusé et connu du grand public – de la place des populations amérindiennes qui sont également particulièrement positionnés sur les désastres environnementaux, en plus d’exiger des droits sociaux qui y sont articulés. Il est important aussi de rappeler que cette brave nation canadienne, pillée par les multinationales, fait partie de la poignée de pays ayant voté CONTRE la présence de l’Etat Palestinien à l’ONU.

Comme pour Le peuple invisible, les réalisateurs s’appuient ici sur un gros travail d’archives et la narration comporte un volet historique très important. Il est intéressant aussi que les ambivalences des revendications soient suggérées : la mine comme à la fois présence souhaitée (emploi etc) et nocive (exploitation des hommes et des ressources, désastre environnemental…). L’un des aspects qui m’a le plus saisi est l’effort de guerre soutenu par des mines du Canada (la production de Nickel) à la 1ère guerre mondiale (en forunissant des ennemis !) et la deuxième guerre mondiale; dans les faits elles contribuèrent donc à deux fronts de tués : d’une part la guerre en elle-même (les canadiens massacrés à la célèbre bataille de Vimy de la 1ère guerre mondiale, dans le Nord pas de Calais en France, l’ont été par une armée allemande fournie en nickel des mines du Canada !!), d’autre part les mineurs tombés non seulement dans les « accidents » mais aussi par maladies (beaucoup plus nombreux ceux-là et mis à l’écart des « comptes » officiels). L’approche du syndicalisme dans les mines et des immigrations européennes est également fort pertinente, et rarement abordée à ma connaissance pour les Amériques.

Bien entendu, le gros objet est surtout d’ordre environnemental dans la deuxième partie du documentaire. Le TROU qui figure dans le titre… Mais ce TROU c’est aussi, sans doute, le trou de la mémoire collective et d’une certaine histoire de la mine, soit l’officieuse, évitée dans les relais médiatiques, audiovisuels, gouvernementaux… TROU comblé ici par the TRUE story. A ce sujet, Desjardins (voix off) avertit le spectateur avec la formule : « Vous ne connaissez rien des mines? Normal. Les mines ne parlent pas beaucoup. Surtout pas de leur histoire… ». Elles laissent juste un TROU, pas seulement physique et lié à la nature de l’industrie, mais également social et mémoriel. Elle passe et repart. Quelque soit le pays, la région, c’est un aspect récurrent de la mine (argent, charbon, or…). Elle laisse des mutilés et des morts, des villes fantômes, une mémoire falsifiée. La réception du documentaire en dit long : de très nombreux représentants des compagnies minières établies au Canada se sont manifestés contre ce film; il est désigné comme caricatural, ne s’intéressant qu’aux aspects négatifs de la mine, que le passé est le passé et que le présent serait doté d’un bien meilleur fonctionnement minier, autant pour les travailleurs que pour l’environnement. On peut comprendre ici l’importance de Trou story : remplissez ce trou de mémoire et d’histoire cachée, et on vous le retire. Pourquoi ? Pour bien entendu justifier les mines actuelles. Et son éternelle répétition en terme d’exploitations environnementales et humaines, et son lot de désastres « naturels » et de morts, et son pillage économique. Récemment il était question sur le blog (ICI) des mines à ciel ouvert en Amérique Centrale (et du Sud) : les exploitations y semblent beaucoup plus dénuées de principes environnementaux et de prise en compte des volonté de la population civile et surtout des peuples indiens. Ces derniers, après tout, ne sont-ils pas les invisibles ? Leurs discours revendicatifs sont par ailleurs, le plus souvent, beaucoup plus tranchants que l’hypothèse de résistance développée ici dans le documentaire : il ne s’agit pas d’une meilleure mine avec de meilleurs règlement respectueux des travailleurs et de l’environnement, et plus collaborateur aux finances nationales; les peuples indiens ont tendance à exiger LE DEPART pur et simple des industries minières. Ni pillage, ni exploitation humaine, ni assassinats, ni massacres naturels et pollutions contaminant les personnes. Quant aux « enrichissements » affichés dans les propagandes d’Etat, ces derniers sont d’une part minimes et retombent encore plus rarement dans les poches des populations autochtones. L’Etat, après tout, ce n’est pas les indiens.

En tout cas, encore un excellent documentaire de Desjardins, surtout dans sa première partie je trouve, contenant ce volet d’archives et historique très peu approché à ma connaissance. Je connaissais l’oeuvre musicale de Desjardins, et bien maintenant j’ai découvert son oeuvre documentaire, et ça vaut le détour ! le plus réjouissant ? Ses documentaires sont souvent suivis, par leurs projections publiques, de quelques élans collectifs après un ébranlement général lors des diffusions. Des discussions qui ont tendance à amener du concret dans les luttes. Le documentaire n’est bien sûr pas tout, mais il est une contribution non négligeable.

Amériques : exploitations minières contemporaines et résistances

Il est question ici de quelques implantations minières aux Amériques (centrale et du sud), à travers quelques documentaires. Il serait intéressant de voir s’il y a eu des productions audiovisuelles quant au passé minier de ces pays à travers les siècles, connoté de colonialismes. Car s’il est aujourd’hui question, ici et là aux Amériques (notamment au Mexique) de candidatures et reconnaissances UNESCO dans certaines zones marquées par le passage minier, il semblerait que le plus souvent la mémoire et le passé sont davantage structurés par les instances institutionnelles autour de l’art colonial. Le chapitre « Héritages de l’époque coloniale » d’une page consacrée au patrimoine UNESCO au Mexique, 6ème au monde en nombre de lieux/monuments classés, est en tout cas, à cet égard, assez symptomatique (Lire ICI).

Peu de choses, vraisemblablement, autour des populations minières exploitées et de leur quotidien, exceptés quelques musées, qu’elles soient indigènes – notamment des temps de l’esclavage – ou issues des immigrations (européennes surtout). Si certains lieux miniers sont aujourd’hui abandonnés aux Amériques – laissant place à un tourisme conséquent autour de villages fantômes quasi désertés -, d’autres reprennent leurs activités par la venue de multinationales minières (en particulier canadiennes), dans le cadre d’accords obtenus avec les gouvernements locaux. La suite de documentaires ci-dessous révèle les conséquences de ces reprises minières, l’absence de considération du choix des populations indigènes ancestrales par les gouvernements nationaux (bien que leurs droits, là-dessus, sont en principes inscrits dans les constitutions) et, parfois, les mécanismes d’implantation et de division des populations locales. Tout cela arrive alors que la mémoire des exploitations passées ne semble pas constituer une place majeure dans les opérations de patrimonialisation (UNESCO etc), plus axées autour des marques coloniales du paysage (notamment artistiques et d’habitat) qu’à propos des mémoires indigènes; la place de ces derniers (bien que le tourisme autour de certains sites indiens explose… parfois au détriment des premiers concernés !) dans les opérations mémorielles se pose sérieusement. Elles ne peuvent en effet se figer dans l’immobilisme muséographique et se réclament souvent d’une vivacité toujours présente ou à reprendre, malgré les génocides (au Guatemala par exemple). J’essaierai donc de consacrer un prochain volet quant à d’éventuels films revenant sur les histoires des exploitations minières, et de la place des mémoires à ce titre aujourd’hui, notamment au regard des opérations touristiques en vogue et d’autres lieux, eux, strictement abandonnés. En attendant, peu de travaux universitaires ont eu l’air de se décliner là dessus, mais il est vrai que mon non espagnol m’a sans doute pas permis de trouver la piste de travaux. En Europe, il semblerait que la Belgique, par des études transversales liées à la mine, a occasionné quelques travaux concernant les histoires minières aux Amériques, y compris du point de vue patrimonial/mémoire . A suivre…

 

GUATEMALA

El oro o la vida – ReColonización y Resistencia en Centro América 
- Caracol Producciones – 2011 (Guatemala) – 57 mn – EN ENTIER – VO sous titrée anglais

Ce documentaire a été récompensé dans plusieurs festivals, notamment au XIème Festival de Cine y Video de los Pueblos Indígenas de Bogota, Medellin 2012 (meilleur doucumentaire dans la catégrie “Défense du territoire et des sites sacrés”) et au  VIIème Festival Latinoamericano Contra el Silencio todas las Voces de México (2012). Il est produit par Caracolproducciones (avec le soutien des Amis de la Terre International), soit un organisme alternatif du Guatemala de vidéo indépendante et de documentaire social, tentant de concilier défense des droits du peuple, expression artistique et communication populaire.

Ici, El oro o la vida examine les conséquences de la vague d’implantations récentes de mines à ciel ouvert en Amérique Centrale : non seulement au Guatemala, mais aussi au Salvador et au Honduras. Il choisit de s’attarder notamment sur Goldcorp, compagnie canadienne la plus importante dans cette partie des Amériques. Outre le constat terrible et les mensonges des multinationales (pollutions, exploitation, puis abandon des lieux), le film aborde les résistances locales qui refusent les présences minières. Un mode de résistance qu’incarne régulièrement la chanson « pas à vendre » : malgré le chômage, les conditions de vie précaires etc, les populations refusent de payer de leur vie et de la dégradation environnementale les propositions d’embauche et le soi-disant enrichissement qui leur est profitable – ces derniers arguments, qui plus est, sont souvent faussés par les réalités de cet enrichissement (à sens unique) bien qu’ils participent parfois à la division, et à la légitimation du point de vue gouvernementale. Les résistances des populations indigènes, accompagnées parfois d’activistes, sont réprimées et le générique de fin rappelle tous les noms connus de personnes assassinées dans les trois pays. Leur autonomie n’est pas non plus respectée, malgré l’inscription dans la constitution de leurs droits à s’opposer à toute emprise sur leur territoire le mettant en péril. Des consultations populaires sont ainsi organisées au Guatemala, mais ignorées par le gouvernement qui n’y voit pas une décision mais un avis à « prendre en considération », tandis qu’il est envisagé, dès lors, de leur faire changer d’avis, mieux leur faire comprendre leur bien être possible en lien avec les compagnies minières. Je renvoie ICI au post consacré aux documentaires sur les anciens Mayas, où il est question de la place des peuples Mayas du présent dans la société guatémaltèque. Bien que le documentaire manque d’approche, je trouve, dans les mécanismes de mise en place des compagnies minières, il reste un témoignage important de ces désastres humains et environnementaux, tout en mettant en lumière les principes d’auto-organisation des peuples indigènes. Il est bel et bien question de néo-colonialisme, dans la foulée de plusieurs siècles d’esclavage, de génocide, de pillage des richesses…

 

MEXIQUE 

Le Mexique est lui aussi concerné par des activités minières, qui ont tendance à reprendre… sur d’anciens lieux miniers ! L’une des zones les plus célèbres concernée dans ce pays est sans doute le Chiapas, tant cet état suscite nombreux écrits altermondialistes et solidarités internationales. Nous y retrouvons des compagnies canadiennes (notamment la Goldcorp articulée au précédent documentaire), dont l’implantation est fortement permise par l’ALENA et ses tournures néo-libérales.

A partir de trois vidéos, il est question ci-dessous de la région de la Sierra Catorce, dans l’Etat San Luis Potosi du Mexique. Voilà une région marquée par la colonisation et l’exploitation minière (coloniale et post-coloniale), en particulier à Real Catorce, désormais haut lieu touristique, et autrefois l’un des plus importants centres d’exploitation d’argent. Real Catorce, qui doit être un endroit tout particulier à découvrir (ville abandonnée à plus de 2700 m d’altitude), est passé à 2 000 habitants.  Sa réputation « mystique » en a fait un centre touristique important, tandis que des tournages de films internationaux s’y sont déroulés (tel Le trésor de la sierra madre).

Or la Sierra de Catorce est également le lieu ancestral de la communauté amérindienne Huichol (ou Wixarica, Huirikita), territoire sacré, lieu de naissance du Soleil, et où elle effectue notamment un pèlerinage annuel où il s’agit de recueillir les peyotl (champignons hallucinogènes dont la récolte est interdit pour les non Huichol). Tandis que Real de Catorce, marqué par la culture Huichol, voit son présent quelque peu modifié par des opérations de promoteurs privés (hôtels etc), tout autour ce sont les concessions minières qui menacent à la fois la communauté et l’environnement. Une région qui constitue « la seule réserve historico-culturelle et naturelle du Mexique » précise un guide touristique francophone…

– In defense of wirikuta and Sierra de Catorce – Edurado Ustarroz – 2011 – 13 mn – EN ENTIER – Version anglaise

Documentaire de sensibilisation quant à la menace pesant sur la communauté Wirikuta face aux exploitations minières d’argent.

 

– Message du peuple Wixarika – Octobre 2012 (Wirikuta) – 3 mn – VOSTFR

 

– Huicholes: los últimos guardianes del peyote – Hernan Vilchez (Mexique, Argentine) – 2013 – 75 mn – Bande annonce

Le documentaire aborde le conflit entre le peuple wixarika, le gouvernement mexicain et l’emprise des multinationales minières autour de la préservation de Wirikuta, territoire sacré d’une culture millénaire.

Je ne l’ai pas encore vu, et je me suis contenté de la bande annonce… intrigante.

 

ARGENTINE 

A ciel ouvert – Ines Compan – 2010 – 94 mn 

« Sur les hauts plateaux du Nord-Ouest argentin, les populations indigènes Kollas sont en lutte. La communauté de Cerro Negro cherche à attirer l’attention du gouvernement argentin pour que la construction de son école, débutée il y a quinze ans, soit enfin achevée. Dans un village proche, la population est confrontée à la réactivation de son ancienne mine par une multinationale canadienne, avec pour objectif de devenir l’une des plus grosses mines d’argent à ciel ouvert du monde !
Deux histoires parallèles qui nous plongent dans un territoire grandiose et malmené, théâtre de conflits faisant résonner de nombreux mythes... »

Je n’ai pas encore pu découvrir ce documentaire, mais comme pour les précédents pays il s’agit d’une implantation de mines à ciel ouvert. La cinéaste, qui vit régulièrement dans des contrées d’Argentine, souvent en contact avec des communautés indigènes, semble aussi avoir privilégié le rapport filmant-filmé. Par ailleurs, d’après les retours critiques et quelques interviews (notamment ICI ), elle ne se limite pas à un credo ONG qui, de fait, contribue souvent au statu-quo : d’une part en se suppléant parfois aux communautés (dans son rôle d’intermédiaire) et d’autre part en maintenant le principe du discours bienfaiteur, humaniste, au détriment des résistances concrètes mises en oeuvre dans certaines résistances indigènes. Les ONG participent au jeu communicatif et aux langues de bois, si l’on se confronte à certaines réalités vécues sur le terrain. Et, à l’instar de certains comportement de Greenpeace (notamment au Canada, qui valut un gros coup de gueule du cinéaste-chanteur Richard Desjardins), elles peuvent décliner des intérêts qui plantent dans le dos les revendications et l’autonomie des populations en lutte (indigènes, mouvements sociaux plus larges). A chacun sa part du gâteau, mine de rien, dans les luttes de pouvoir autour de l’environnement, dirait-on… Il est donc intéressant de voir à quel point A ciel ouvert développe (ou non) cet aspect des choses.

Extraits d’une discussion avec la réalisatrice, après projection à la cinémathèque suisse (il y a juste à passer l’introduction de l’organisateur) :


ET POUR FINIR EN MUSIQUE 

Nos cousins les singes (suite et FIN).

Parmi les quelques documentaires/reportages consacrés à nos cousins les singes, relayés dans une première partie ICI sur le blog, l’un d’eux mentionnait un aspect essentiel de leur extermination en cours : la déforestation et la mondialisation. De quoi rappeler que pleurnicher sur nos braves singes est indissociable du monde dans lequel nous vivons. Je re-poste le reportage Champions de la nature – L’Orang-Outang tant il m’apparaît comme le plus réussi des épisodes consacrés aux singes (et quelles images !); il va nous lancer dans cette deuxième partie, cette fois-ci plus axée sur la mise à mort de nos cousins  :

Biruté Galdikas est sans doute la plus importante primatologue actuelle vis à vis des Orangs-Outangs – Petite interview ICI, très intéressante. Dans le présent reportage, elle fait bien le lien entre système économique mondial et la déforestation, premier facteur de disparition programmée des grands singes. En Asie, la déforestation est la plus importante au monde, et l’orang-outang est le prochain grand singe qui disparaîtra de la vie sauvage. D’après le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), en 2030 l’habitat actuel des gorilles et chimpanzés (Afrique) sera sauvegardé entre 8 et 10%, celui du bonobo (Afrique) à 4%, et celui de l’orang-outang à moins de 1% !  Il s’agira alors de rassembler progressivement tous ces grands singes dans des sanctuaires de protection (mais quel devenir, puisqu’ils sont censés permettre l’intégration des individus à la vie sauvage ?!), et d’en exposer quelques vestiges dans les zoos, tandis que des labos continueront d’ expérimenter sur quelques spécimens. Pour nous rendre compte à quel point ce qui se passe en Indonésie (comme en Afrique) est clairement lié à la mondialisation et à des formes de colonialisme, j’encourage à lire ICI cet article évoquant le rôle, par exemple, du FMI dans le pillage des ressources naturelles Indonésiennes, et notamment la forêt tropicale, soit l »habitat des grands singes… La mise à mort des grands singes est une horreur ô combien significative qui va de pair avec notre propre autodestruction, celle-là même qui est alimentée par un système économique imposé partout, par la dépossession de leurs droits et de leur autonomie des populations locales, par le culte de la consommation etc. Nous trouvons un dossier des différents facteurs d’extermination ICI sur le site Universcience.

Ci-dessous, petit cheminement en documentaires sur le désastre… et les quelques résistances de terrain.

 

1) Isabelle Roumeguere – 20 ans avec les chimpanzés – 1999 – France – 50 mn

« Ce film traite des chimpanzés en Guinée et en Gambie et plus particulièrement de leur sauvegarde, grand combat mené par Janis Carter depuis une vingtaine d’années. A travers Janis, nous vivrons une aventure extraordinaire en la suivant jour après jour dans sa passion et nous tenterons de comprendre sa stratégie de protection des chimpanzés. Janis Carter a décidé de quitter la Gambie pour s’établir en Guinée où elle mettra en place un programme de recensement des chimpanzés. Elle veut mobiliser la population locale afin de sensibiliser les guinéens à la sauvegarde des chimpanzés en voie d’extinction. »

Un documentaire très bien construit, par une cinéaste qui met en avant le travail accompli par Janis Carter, et en nette collaboration avec les populations locales. Le point de vue adopté est celui d’une voix off représentant la primatologue. C’est ainsi qu’il ne s’agit plus d’une question occidentale et de soulagement des consciences, avec imposition aménagée permettant l’exploitation des personnes et la continuité du saccage (j’y reviens plus tard). Nous dépassons la condamnation verbale et morale extérieure avec ici un travail de terrain prenant en compte la contribution des locaux, notamment de chasseurs traditionnels. Malheureusement, les fonds de la commission européenne que Janis Carter nous apprend être stoppés dans le film, ont amené son départ : un article ICI faisant le point.  Quelques années plus tard, en 2004, la cinéaste est revenue en Guinée et a réalisé un petit film intitulé Nos frères de la forêt; VISIBLE ICI sur Universcience.tv. Nous y apprécierons la mention de l’articulation traditionnelle de peuples locaux avec les chimpanzés, considérés comme des « frères », d’où le titre du documentaire, ainsi que l’explication d’une gouvernance guinéenne associant ses habitants au maintien de ressources agricoles, sans ruiner la forêt, avec le concours d’ONG. Une façon aussi, nous démontre le film, de ne pas oublier qu’il y a aussi des personnes qui doivent vivre en Afrique, et que la sauvegarde des grands singes ne peut se concevoir sans elles. Nous rejoignons un tout, plus complexe que les seuls slogans « sauvons les grands singes » venus d’occident, alors que nous consommons les produits acheminés par les exploitations destructrices des ressources africaines. Enfin, Isabelle Roumeguere, qui a vécu parmi les Maasai, livre ICI sur TV5 une interview intéressante.

Un documentaire, plus proche du domaine « film de recherche », a été réalisé en 1980 par Alain Devez. Bien que la voix off aborde la déforestation, le début ne met en images que le braconnage à travers le portrait d’un lieu, dans un climat très malsain. Il s’attaque également aux préjugés entretenus vis à vis des grands singes. Comparativement aux réalisations d’Isabelle Roumeguere, le documentaire est limité et privilégie un regard nettement occidental, sans vouloir en retirer l’importance des témoignages d’établissement de sanctuaires et des images en milieu sauvage. Pour le voir, c’est ICI sur le site du CERIMES (37 mn).

 

2) Sam Roberts – Chimpanzés dans le couloir de la mort – Royaume Uni – 1999 – 49 mn

« Depuis des décennies l’homme utilise et martyrise des animaux pour ses expériences en laboratoire. Ce film s’intéresse plus particulièrement aux recherches dans le domaine de l’aéronautique. Dans les années 50, la Nasa a énormément utilisé les chimpanzés pour étudier leur résistance à l’apesanteur, la vitesse, la pression notamment au moment du décollage des fusées. Les images d’archives nous montrent les tortutes et souffrances infligés aux chimpanzés et dans quel état d’esprit ces recherches étaient effectuées. Du fait de leur proximité avec l’homme les chimpanzés étaient vraiment les « candidats » idéaux. Mais au fur et à mesure des découvertes biologiques et paléontologique établissant un cousinage de plus en plus patent entre cette espèce et l’espèce humaine, les scientifiques concernés par ces recherches ont commencés à avoir des scrupules mais n’en continuaient pas moins a envoyer ces animaux en enfer. Dans ce film certains d’entre eux reconnaissent qu’ils ne pourraient plus soumettre les chimpanzés aux expériences traumatisantes qu’ils ont subies. Prise de conscience éthique certes mais trop tardive. Mais surtout témoignage de l’évolution de notre rapport aux animaux, particulièrement avec ceux qui nous sont le plus procheLa France et et l’URSS n’ont pas fait mieux, mais dans ces pays, à la différence des Etats-Unis, il y a peu d’investigations officielles donc moins de documents ouvert au public. »

En 6 parties :

20 ans avec les chimpanzés est constitué d’un passage horrible, soit lorsque nous sommes confrontés aux ruines d’un ancien labo d’expérience sur les chimpanzés. Nous apprenons alors que l’Institut Pasteur de France effectuait en Guinée des expérimentations sur les singes emprisonnés dans les cages, ces dernières témoignant encore de cette apport « positif » de la colonisation française. Des vaccins ont été créés à partir de ce sombre passé. J’ai ainsi cherché des documents audiovisuels témoignant de cela, mais je n’ai trouvé que le présent film… très renversant. En s’attaquant aux expériences américaines de la NASA, le documentaire donne à voir les conséquences de telles pratiques : emprisonnements dans des cellules et morts, d’où ce titre symptomatique. Des questions se posent ici sur l’usage des êtres vivants à des fins humaines (santé etc). Tandis que les raccourcis ont des échos très réceptifs quand il s’agit de condamner le terrible braconnage et les mangeurs africains de viande de brousse (ne pas y éclipser le trafic international qui dépasse largement la pratique individuelle et aux conséquences plus lourdes !), n’oublions pas que les recherches ayant abouti aux vaccins et à la conquête de l’espace, entre autres victoires du progrès, ont été obtenues par des massacres de singes… qui se perpétuent. Assassinés, mais aussi emprisonnés, sans retour accompagné à la vie sauvage. A noter les interventions de la célèbre primatologue Jane Goodall.

Les expériences (encore actuelles ici et là par des laboratoires) ont concerné et concernent de nombreux pays autres que les USA. Ainsi la France, par exemple, mais aussi la Russie, dont un certain Ilya Ivanov (biologiste) avait initié quelques expériences dans l’Institut Pasteur de Guinée, en vue d’obtenir un individu croisé du chimpanzé et de l’homme ! Il finira par poursuivre cela dans le centre de recherches sur les primates de Soukhoumi en Géorgie. L’aérospatial et sa bataille entre USA et URSS a d’ailleurs été matérialisée également par la mise à contribution des chimpanzés: j’invite à lire cet article, « La colonie perdue » d’ Abkhazie ! Nous y apprenons d’ailleurs la plus grande évasion de chimpanzés d’un centre d’emprisonnement scientifique ! Un film a été réalisé par la néerlandaise Astrid Bussink en 2008 sur ce centre scientifique passé, abordant aussi, vraisemblablement, l’histoire de la Géorgie à partir de ce lieu :

Astrid Bussink – La colonie perdue – 2008 – Bande annonce (VO sous titrée anglais) :

 

3) Thomas Wartmann – Le massacre des singes – 2004 – 30 mn

« Les multinationales du bois qui percent des saignées dans la forêt camerounaise parlent d' »extraction sélective » sous prétexte qu’elles ne coupent qu’un ou deux très grands arbres par hectare. Mais une fois que les bulldozers ont acheminé les troncs géants jusqu’à la piste la plus proche, la parcelle est dévastée à plus des deux tiers. Et à chaque fois, le territoire des Pygmées est amputé d’autant. De plus, ces saignées encouragent une autre forme d’exploitation, puisque les braconniers peuvent pénétrer toujours plus avant dans la forêt. Ils abattent sans discernement tout ce qui est susceptible d’être vendu sur les marchés, en particulier les gorilles, dont la viande est très prisée dans la brousse. Le photographe suisse Karl Amman vit en Afrique depuis vingt-cinq ans. Il consacre sa vie à la protection de la forêt vierge et des singes : « Les primates sont les plus proches parents de l’homme. Nous ne pouvons assister sans réagir à leur extermination. » Mais il n’est pas aisé de convaincre les populations locales, qui ne comprennent pas pourquoi il faudrait protéger les grands singes. Selon le chef d’une tribu camerounaise, « la viande de gorille a un goût sucré, surtout les doigts. Nous mangeons du singe depuis toujours. La viande de gorille donne des forces aux petits garçons. Nous refusons que les Blancs viennent se mêler de nos affaires. » De quel droit Karl Amman et les autres défenseurs de la forêt tropicale interviennent-ils ? Ont-ils des chances de mener à bien leur entreprise ? »

En 3 parties sur you tube :

Diffusé sur Arte, ce reportage qui se déroule au Cameroon est très moyen. Et nous allons voir, un peu plus bas, comment Arte a fait bien plus fort dans le domaine ! Le reportage a le mérite d’aborder de front, sur le terrain, le braconnage. Et une idée forte, ici, est de représenter à quel point la déforestation permet une intrusion facilitée du braconnage. Il y a également des nuances importantes : de petits usages braconniers (cellule familiale par exemple) et de plus grands usages destinés à trafic urbain… et international ! Karl Amman est plutôt clair là-dessus, et en veut à un système. Sans partager les assassinats par les braconniers, il ne donne pas dans la morale en guise de sauvetage des singes. Il s’associe à un ancien chasseur, à base de revenu garanti pour une collaboration au sauvetage des gorilles et autres chimpanzés (un aspect de collaboration avec les locaux, sans tutelle et paternalisme, au contraire à base d’échanges, qui est davantage mis en avant dans 20 ans avec les chimpanzés). La présence des Pygmées est elle aussi abordée, et c’est très important : leur expulsion de la forêt a des conséquences terribles sur leur vie et donne lieu à des maladies, pauvreté, alcoolisme etc (de quoi nous rappeler un réel du côté de l’Amérique du Nord avec les les peuples indigènes, dont l’extermination est également associée à l’écocide et à la disparition, par exemple, du loup – celui-là, on peut le chasser, c’est pour « la bonne cause » des éleveurs ! ). Le gros défaut du reportage est sans doute, je trouve, la teneur morale qui prend le dessus, au final. Il y a un acharnement à démontrer le côté barbare du braconnage à petite échelle (pour le côté international du trafic et des consommateurs : lire ICI), alors même qu’Ammann le relativise au regard du reste. Qui plus est, on expose ironiquement les réponses de locaux face à la « pédagogie » et au rappel des lois de protection des singes, sans aller plus loin. Ce sont donc des choix de mise en scène… Combiné aux autres documentaires, ce reportage peut néanmoins valoir le coup d’oeil. A propos des Pygmées, http://lewebpedagogique.com/environnement/2007/04/02/des-pygmees-chasses-par-les-bulldozers/.

 

4) Thomas Weidenbach – Gorilles du Congo : sauvetage à la tronçonneuse – Allemagne – 2011 – 52 mn

« A une journée de voyage de Brazzaville dans le nord du pays, Ngombéo et ses 8.000 habitants vivent grâce au groupe forestier germano-suisse Danzer et sa filiale IFO. Chaque arbre du domaine de ce groupe est inventorié sur une carte et on n’y « récolte » en moyenne que 0,6 arbre par an et par hectare soit l’équivalent d’un arbre sur une surface grande comme deux stades de foot. Les bûcherons sont formés pour réduire au minimum l’impact sur la zone autour de l’arbre coupé. Et les gorilles semblent s’être parfaitement adaptés à cette gestion durable instaurée par la législation congolaise. Un bémol toutefois: les voies d’accès pour récupérer le bois favorisent le braconnage au coeur de la forêt. Mais des écogardes d’IFO tentent d’y remédier. »

Nous avons là un parfait exemple de propagande où la destruction « raisonnée » de la forêt opérée par les compagnies (ici du groupe germanosuisse Danzer) est un leurre. Ce documentaire semble bien partir quand il évoque les réalités locales à travers les propos d’un congolais qui explique le chômage et la position tranquille de l’écolo occidental appelant à la fin des travaux etc. Mais ça part vite en vrille ! Une apologie est faite de la société IFO, et j’ai appris qu’elle a même obtenu un certificat très important. Ce que nous comprenons, c’est que la médiatisation des méfaits de déforestation nuit au marché et qu’acquérir des certificats de déforestation « durable » est très bon pour le marché ! C’est donc obtenir des labels internationaux qui fait aussi les belles affaires. L’autre volet assez dingue, c’est cette espèce de colonisation positive : apport de structures sociales etc. Or, il en a rien été au Congo, y compris avec cette société qui en gérait les 2/3 je crois de forêt tropicale ! Non seulement des populations locales ont été confrontées à la société, mais en plus il y a eu répression. J’invite à lire ces documentations de Greenpeace, sachant que c’est bel et bien de la société traitée dans le présent documentaire dont il s’agit… : ICI  et pour ce qui est de maintenant (hum, hum) ou comment Danzer s’en va et qu’une compagnie américaine va la remplacer, sans le label certification de déforestation « durable » : ICI

Et là je renvoie à un documentaire nettement plus engagé que la promotion du précédent documentaire allemand, consacré à un groupe germanosuisse, et diffusé en France et en Allemagne, sur LA chaîne culturelle pas vraiment pro-Union Européenne dans sa programmation :

 

5) Les Amis de la terre – Déforestation durable, une enquête sur la face cachée de l’exploitation forestière dans le bassin du Congo – 2011 – 38 mn

POUR VISIONNER LE DOCUMENTAIRE, C’EST ICI

Un documentaire qui est l’antithèse du précédent, en brisant ce mythe de la « déforestation durable » qui permet deux choses : le saccage continu (et donc l’extermination des grands singes) et l’exploitation des populations locales associée aux belles paroles d’émancipation et de développement.

6) Richard Desjardins et Robert Monderie – L’erreur boréale – Canada – 1999 – 78 mn

Je m’éloigne ici des grands singes, mais ce documentaire co-réalisé par l’excellent chanteur Richard Desjardins est une référence sur le sujet, notamment en terme d’expropriations des terres et des forêts par les compagnies. Ce qui enlève par ailleurs toute voie écologique et de sauvetage face à l’écocide, accompagné de ravages auprès des populations locales, y compris les indigènes. L’exclusion des populations vis à vis de leurs décisions en développement local et en matière de préservation écologique est une aberration totale. Les professionnels de l’écologisme ont ainsi signé avec des compagnies. Nul doute que les droits et paroles des indigènes y sont ignorés, et qu’ils n’ont pas de place dans le monde. Les spécialistes, financiers, compagnies, bien pensants de l’écologisme auront toujours droit aux chapitre de la vie, contre les autochtones. Desjardins le rappelle dans un coup de gueule, adressé notamment aux écolos de Greenpeace : LIRE ICI SUR RADIO CANADA« Cette entente a été faite au sujet d’une richesse collective, entre des groupes écologistes et des entreprises, alors qu’aucune de ces personnes n’est propriétaire de cette ressource » (…) « On a été gardés dans l’ignorance de ces tractations, qui ont été tenues par des groupes internationaux qui sont devenus des genres de Walmart écologiques ». Comme quoi l’écologie est un buisness comme un autre, et que les destructions sont une aubaine pour se donner une place, contre les indigènes.

Pour rappel, Desjardins n’a pas fait qu’un travail condamnant largement les compagnies multinationales; il a également contribué à réaliser un documentaire, Le peuple invisible (2007), traitant du peuple indigène les Algonquins, dont la colonisation a pillé territoires et massacré/assimilé les populations, quand ils ne sont pas parqués misérablement dans des réserves. Comme tant d’autres peuples indigènes d’Amérique du Nord (et si investis également dans la lutte environnementale, très liée à leur histoire et à leurs luttes d’indépendance et de conquête des droits), ils sont bouffés par les gouvernances nationales, y compris au Québec dont les revendications d’autonomie sont paradoxales quand on y apprend la situation scandaleuse des autochtones, dégagés de leurs droits et de leur autonomie :

En 10 parties sur you tube :

CONCLUSION :

Sombre parcours que ce dernier post consacré aux origines de l’humanité et à l’évolution de l’Homme, à travers documentaires et reportages, plus ou moins « réussis ». Comme j’abandonne temporairement ce cycle de visionnage, il est vrai renvoyant aussi à quelques lectures, je propose de donner le dernier mot à  Kurt Russell du film Los Angeles 2013 de John Carpenter. Le final est tout à fait saisissant; il est question d’un retour à l’obscurité, dans la foulée d’un « progrès » dévastateur au sein d’un monde totalitaire. Une manière de conclure notre cycle, où l’invention du feu ne fut pas de moindre conséquence pour le devenir de l’espèce humaine. La voilà la prédiction de fin d’un monde. Sur ce, bonne année 2013 :