Oscar Micheaux, un pionnier du cinéma noir américain (1910’s-1951)

Oscar Micheaux (1884-1951), cinéma indépendant noir américain 

« Micheaux est également l’un des premiers cinéastes noirs à discuter ouvertement à travers ses films des problèmes du « passing » et du colorisme, de l’hypocrisie de la bourgeoisie noire, et d’autres sujets tabous comme le lynchage, le viol et la rencontre interraciale. J’ai été étonnée après avoir enseigné un cours sur lui et plus tard avoir gagné le Pitching du Sundance Film Festival qu’aucun biopic n’a jamais été fait au sujet de sa vie; à savoir, comment il a été élevé par d’anciens esclaves dans l’Illinois et plus tard émigré au Dakota du Sud, où il a vécu dans une ferme et a été en mesure de soutenir à la fois sa carrière d’écrivain et de cinéaste en faisant du porte à porte chez des voisins et des propriétaires de salles de cinéma dans le sud, les encourageant à investir dans sa société de livres et de films »

Jamie Walker, productrice et réalisatrice africaine américaine (interview pour BayView)

Fils d’esclaves affranchis, Oscar Micheaux a été un pionnier du cinéma noir indépendant aux USA et le cinéaste le plus prolifique des race movies (films à casting noir pour public noir, des années 1910 à 1948). Comme cela a été vu avec le documentaire A l’ombre d’Hollywood (relayé ICI sur le blog), l’émergence de race movies dans une industrie du cinéma américaine où la population noire était soit absente, soit représentée comme subalterne et de manière très négative (archétypes de personnages idiots, paresseux, soumis, sauvages…), a pu constituer une riposte à cette imagerie raciste répandue non seulement dans le cinéma mainstream et hollywoodien mais aussi partout dans la société que ce soit au théâtre (à part quelques résistances telles au théâtre Lafayette d’Harlem), dans les médias, les publicités etc. L’origine et le poids de cette iconographie stéréotypée raciste présente dans le cinéma sont par exemple évoqués avec force dans Bamboozled (2000) de Spike Lee (film présenté et relayé ICI sur le blog). Dans l’article consacré à Within our gates (1919) (ICI sur le blog) on a pu voir combien ce deuxième long métrage produit et réalisé par Oscar Micheaux se présente comme une réponse à Naissance d’une Nation (1915) de Griffith, ce premier « blockbuster » hollywoodien qui portait la vision de l’Amérique suprématiste blanche. Plus généralement, avec des films pour la plupart relevant du divertissement à travers des genres déjà très prisés dans le premier Hollywood (mélodrame, western, gangster…), Micheaux et d’autres producteurs-réalisateurs de race movies (dont certains étaient blancs) ont dégagé des personnages noirs qui par leur humanité et caractères positifs étaient inédits à l’écran, tout en témoignant de la communauté africaine américaine, non sans soulever parfois quelques problématiques socio-politiques internes (en particulier chez Micheaux). Dotés de moyens de production très limités et à la qualité esthétique parfois médiocre, les race movies ont pour la plupart disparu. C’est notamment le cas pour Micheaux dont seulement une douzaine de réalisations ont survécu au temps, parfois à partir de copies uniques retrouvées en Europe (par exemple sur les 26 films muets réalisés seuls trois nous sont parvenus !). Il avait fondé sa propre compagnie de production, allant lui-même démarché les salles en sillonnant le pays avec ses bobines. D’ici un relais prochain sur le blog de sa filmographie encore visible, je propose ci-dessous des reportage, documentaires et fictions sur Oscar Micheaux, un cinéaste dont l’oeuvre est généralement absente des enseignements consacrés à l’histoire du cinéma (notamment en France).

1) Introduction au cinéma de Oscar Micheaux, avec David Schwartz – France

(entretien réalisé dans le cadre d’une rétrospective organisée au FID de Marseille 2014)

Au-delà de ce petit reportage, je conseille vivement le long entretien de ce spécialiste d’Oscar Micheaux avec Laura Vermeersch, publié ICI sur Cairn. Dans un registre plus sommaire il y a aussi l’émission de Radio Grenouille intitulée « Oscar Micheaux, pionnier du cinéma noir américain », toujours avec la contribution de Schwartz et écoutable ICI.

 

2) Bayer Mack – Oscar Micheaux : the czar of Black Hollywood – 2014 – USA

(entame du documentaire – 8 mn – VO)

S’appuyant sur des archives et des extraits de films de Micheaux, ce documentaire revient surtout sur les débuts du cinéaste et sur sa première réalisation sonore The exile (1931). Il a été réalisé par le fondateur du label de musique indépendant Block Starz Music, devenu ensuite Block Starz Music Television. Parmi les motivations à faire ce documentaire, Mack constatait qu’en dépit de la signification historique de Micheaux il n’y a «pratiquement rien sur sa vie». Ainsi l’extrait ci-dessus témoigne de cette approche biographique, évoquant notamment son job comme porteur de bagages dans les trains pour la société Pullman Porter. C’est d’ailleurs au sein de cette société qu’a vu le jour en 1925 le premier syndicat noir reconnu par l’AFL (Fédération Américaine du Travail). Je n’ai pas vu ce film dans son intégralité mais l’extrait proposé annonce un ton assez monotone et un usage des archives purement illustratif. Néanmoins cela permet une introduction complémentaire au cinéaste et à son oeuvre.

 

3) Jamie Walker – The young Oscar Micheaux – 2013 – 17 mn – USA

Dans la lignée du documentaire ci-dessus à portée biographique, voici un court-métrage de fiction réalisé par une productrice, réalisatrice et scénariste issue de l’enseignement et du journalisme, Jamie Walker. Réalisé pour promouvoir un projet de long métrage de fiction sur Oscar Micheaux, il a remporté le Pictching Contest du Sundance Festival 2013.  Le film part de la jeunesse de Micheaux témoin du lynchage qui s’abattait sur les noirs dans le sud des USA (à noter que si les lois Jim Crow officialisaient la ségrégation raciale dans les Etats du sud, la ségrégation et le lynchage existaient aussi dans le nord).

LE FILM EST VISIBLE EN INTÉGRALITÉ EN CLIQUANT SUR LE LIEN ICI  (VO non sous-titrée) 

BANDE ANNONCE (scène de lynchage extraite de Within our gates) :

https://vimeo.com/96289473

The young Oscar Micheaux a été sélectionné pour plusieurs festivals dont le San Francisco Black Film Festival en 2014. Je relaie ci-dessous l’interview donnée par la réalisatrice durant ce festival, elle y parle de Micheaux, du court-métrage associé et du projet de biopic dépassant sa seule jeunesse, ainsi que de son enseignement de cinéma. Etant particulièrement soucieuse de la représentation des femmes noires à l’écran, la cinéaste évoque aussi son premier court-métrage Postwoman (2010) qui porte sur la relation entre deux africaines-américaines.

Interview avec Jamie Walker (San Francisco Black Film, 2014, 36 mn)

(l’option sous-titrage anglais de YT est fiable)

 

4) Pearl Bowser, Bestor Cram – Midnight ramble (Micheaux et l’histoire des race movies) – 1994

Ce documentaire ne porte pas que sur Micheaux mais aussi sur les race movies (1910’s – 1950) contemporains du cinéaste. Je l’ai donc relayé car il est bon de considérer Micheaux dans le contexte de l’ensemble des race movies avec ici une présentation assez élargie des compagnies/réalisateurs ayant contribué à ce cinéma. Nous y retrouvons notamment les compagnies Ebony Film Corporation (présentée ICI sur le blog) et Colored Players (ICI sur le blog). Dans la même thématique, ne pas oublier le documentaire A l’ombre d’Hollywood réalisé plus récemment par le français Régis Dubois et dont la contextualisation socio-politique est plutôt bien introduite (film également relayé sur le blog, plus facile d’accès pour les francophones avec sa voix off en français).

Documentaire INTÉGRAL en trois parties (45mn, VO non sous-titrée) 

 

5) Jamie Walker – Oscar Micheaux : negro pioneer – USA

Nous retrouvons Jamie Walker qui après The Young Oscar Micheaux a pu entériner son projet de long métrage biographique, intitulé Oscar Micheaux : Negro pioneer. Aux dernières nouvelles le film est toujours en cours de production et ce « biopic sur Oscar Micheaux, coproduit par Monica Cooper et Preston L. Holmes (Malcolm X, 1992), raconte comment Micheaux voyage du sud raciste jusqu’au nord à Chicago, et plus tard à Harlem, pour commencer à produire des « race movies » afin d’aider à élever son peuple. » Jamie Walker (interview pour BayView, journal noir de San Francisco). En attendant sa sortie prochaine (?), la réalisatrice a proposé un autre court-métrage qu’elle présente comme un teaser du biopic et qui a été projeté à l’Urbanworld Film Festival de New-York :

 Directing reel – 2017 – 4 mn (Teaser de Oscar Micheaux : negro pioneer)

https://vimeo.com/206533482

« Je pense que sa plus grande contribution a été très semblable à beaucoup de cinéastes noirs indépendants durant la période LA Rebellion [Los Angeles 1992] et qui a aidé à re-coder et recadrer nos propres images au cinéma. Il a offert de nouvelles façons de lire la féminité et la masculinité noires à l’écran, qui n’ont pas tourné autour de stéréotypes grossiers tels que les figures de la mamie, la matriarche, le saphir, l’oncle Tom ou la brute. Les hommes et les femmes noirs d’Oscar étaient des citoyens honnêtes qui étaient conscients de leur héritage de la lutte et de la culture de la résistance. Ses personnages étaient toujours engagés à « redonner » à la race et l’élever. (…) Beaucoup de ses films – même ceux qui traitent de la maladie du colorisme [hiérarchisation selon que les peaux noires soient foncées ou au teint plus clair, motif régulier dans ses films] – nous ont mis au défi de revenir à la source, aimer la peau dans laquelle nous sommes, pour connaître notre passé et ne pas avoir honte à ce sujet. Micheaux croyait que devenir « autodidacte » et connaître la vérité sur notre passé pouvait nous aider à nous donner du pouvoir. Pour lui, c’était l’un des premiers pas vers la «liberté» au XXe siècle. (…) S’il n’y avait pas eu les critiques de films africains-américains au cours de cette période, les chroniques de son travail dans The Chicago DefenderThe New York Amsterdam News ou même The Crisis, nous n’aurions peut-être jamais rien su à propos de son héritage. Tout comme Alice Walker l’a fait pour Zora Neale Hurston, je pense que c’est à nous en tant que écrivains et cinéastes de redécouvrir et de ressusciter nos propres icônes africaines-américaines des marges ou de l’obscurité. C’est à nous de faire en sorte que nos histoires ne soient pas oubliées. Les gens commencent lentement à redécouvrir le travail de Micheaux, en grande partie parce que ses films les plus anciens ont été trouvés et rendus accessibles au monde à travers les médias sociaux et des endroits comme YouTube. »

Jamie Walker, interview pour BayView

 

6) Lisa Collins et Mark Schwartzburt – Oscar’s comeback – 2015

Ce documentaire semble-t-il réalisé en 2014-2015 n’est pas trouvable sur la toile. Dommage car son approche à l’air originale, en tissant un lien fort avec le présent. Il se déroule à Grégory dans le Dakota du Sud, ville majoritairement habitée de blancs où Micheaux fut propriétaire d’une ferme au début du 20ème siècle : « Situé à Gregory, dans le Dakota du Sud, un conte épique se déroule sur douze ans autour d’un groupe de bénévoles dévoués, qui organisent chaque année un festival du film unique dans leur petite ville blanche pour défendre leur fils natif noir Oscar Micheaux, propriétaire devenu pionnier du cinéma au début des années 1900, connu sous le nom de « Godfather of Independent Cinema ». Cependant, alors que le Festival bien intentionné cherche à se développer, il se bat pour rester à flot contre les pressions de l’extérieur et de l’intérieur, toutes enracinées dans les problèmes de race et de classe. En cours de route, alors que les bénévoles de couleur entrent en contact avec leur héritage afro-américain, un mélodrame inhabituel éclate dans la Prairie, faisant écho à l’esprit controversé de l’œuvre méconnue d’Oscar Micheaux – et à son histoire énigmatique. » Synopsis publié sur le site du film.

Trois extraits du documentaire peuvent être vus sur le site du film en cliquant ICI

 

2 réflexions sur “Oscar Micheaux, un pionnier du cinéma noir américain (1910’s-1951)

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