Ken Russell – Valentino – 1977 – Royaume Uni – EXTRAITS
« Terrassé par le stress, le célèbre Rudolph Valentino meurt à l’âge de trente et un ans. Acteur, danseur et chanteur, le charmant jeune homme était une étoile née au sein du show-business. Pourtant, ce latino d’Hollywood ne rêvait que de devenir propriétaire d’une orangeraie en Californie. »
Durant les années 60 Ken Russell a réalisé de nombreux films sur des artistes pour la BBC, d’abord documentaires puis s’affirmant progressivement comme davantage expérimentaux et fictionnels. C’était dans le cadre des séries télévisées Monitor, puis Omnibus. Ces réalisations pour la télévision témoignaient le plus souvent, déjà, d’un parti pris s’attardant sur un passage de la vie de l’artiste et non en retraçant une biographie entière, sur le modèle d’événements chronologiques jalonnant le film. Comme si l’important était de cibler un aspect et où la mise en scène a son rôle, sans tomber dans le simple postulat narratif d’une vie.
A partir des années 70, tandis qu’il est passé à la réalisation cinématographique, Ken Russell revient occasionnellement aux biopics, et en particulier musicaux. Nous y retrouvons une certaine continuité avec ce qu’il a fait dans les années 60, notamment par ce choix de s’attarder sur un moment de la vie de l’artiste. Ainsi par exemple avec The music lovers (1970), présenté ICI sur le blog. Tchaïkovsky est y saisi dans une période de sa vie, où l’homosexualité du compositeur est le fait de vie majeur du film mais qui développe principalement une mise en scène débridée donnant à percevoir l’intériorité de l’artiste, en lien avec la création musicale. C’est là une des forces de Russell : prendre un fait biographique comme base narrative (avec plus ou moins de liberté d’adaptation), parfois tabou ou provocateur, et le dépasser par un travail formel qui approfondit le sens et l’univers de l’artiste (voire son époque) au-delà de l’événementiel. Comme s’il s’agissait de re-créer quelque chose pour traiter d’un univers artistique, d’une époque etc.
Cela m’amène à ce Valentino, réalisé en 1977. Le film n’est pas accessible en entier sur la toile, mais l’ouverture que j’ai mis en ligne sur la chaîne YT de citylightscinema, et postée ci-dessous, est très éloquente je trouve. D’emblée on est confronté à un postulat de « vérité » historique, d’un événementiel établi, d’une biographie qui a ses sources avérées. Par son noir et blanc donnant l’impression de voir des archives audiovisuelles le film s’annonce comme ancré dans une rigidité historique, « inspiré d’une histoire vraie ». Mais la « supercherie » est révélée par le passage à la couleur, et nous comprenons alors qu’il s’agissait d’images tournées par le cinéaste, que nous étions déjà dans la fiction malgré l’apparence. Le film peut renouer avec ses images de foule en furie dans la rue, elles sont désormais en couleur et ancrées dans la représentation.
C’est là d’ailleurs une composante qui est appliquée durant le reste du film lors des scènes de films jouées par Valentino : à aucun moment Russell n’emploie les scènes originales, elles sont toutes re-jouées (même quand elles ont le noir et blanc des anciens films). Je parlais de « re-créer » plus haut, or c’est exactement cela ici. Russell re-crée et donne sens par sa mise en scène.
L’ouverture peut également être comprise comme un éclairage sur la supercherie, sur la composante superficielle de l’image, du mythe. En l’occurrence ici le mythe de la star, tandis que l’idolâtrie y est le pendant du business. A travers Valentino, Russell semble s’attaquer à un certain cinema. Nous avons une représentation d’Hollywood en quelque sorte. Le faux semblant est représenté. Nombreux et nombreuses commentent le film en rappelant les liens entre Rudolf Valentino et son acteur Rudolf Noureev : mêmes prénoms, tous deux ont émigré de leurs pays (le premier d’Italie, le second d’URSS en 1961), ont été danseurs (certes pas au même niveau de pratique !) et stars mondiales (Noureev ayant été un très grand danseur). Mais Noureev n’est pas Valentino, et rien que l’accent italien les sépare. C’est comme si le film créait l’illusion du vrai (les scènes de film de Valentino en noir et blanc, la proximité de trajectoire entre personnage et acteur …) tout en en représentant l’artifice. Soit une merveilleuse mise en abyme, telle une constante du film. Et ça ne saurait être la première du cinéaste à l’occasion d’un de ses biopics.
Outre cet aspect du film qui m’a marqué, Russell y reste fidèle à une mise en scène qui peut susciter fascination, ne serait-ce que par le beauté intrinsèque qui s’en dégage par moments. Certes, j’avoue avoir trouvé quelques longueurs à ce deuxième biopic que je vois du cinéaste, mais il y a toujours eu une scène pour me ressaisir et garder mon attention sur l’ensemble du film. Ainsi par exemple les passages ironisant avec maestria sur l’égocentrisme, mégalomanie et autres pédantisme occupant le monde artistique à Hollywood tandis que le business en constitue les coulisses et la réalité. Il est d’ailleurs à remarquer que les mécènes, producteurs sont aussi régulièrement égratignés.
Le cinéaste met en scène un certain univers Hollywoodien, qui n’est pas sans contamination sur l’artiste qui change au fil du film. Et ce que le système draine ou suscite chez les foules n’est pas non plus très éloigné du fascisme, en quelque sorte. L’ironie veut qu’une garde d’honneur fasciste autour de la dépouille de Valentino fut envoyée par Mussolini lui-même, mais en fait ça n’aurait été qu’un coup publicitaire de l’époque … publicité et fascisme …
En tout cas, avec ce film, Russell assume complètement son art de la représentation, quand bien même il s’inspire de faits plus ou moins avérés. Et c’est pour mieux atteindre quelque chose de plus profond que la surface des choses, au-delà du simple récit des épisodes d’une vie. Ça vaut bien une petite danse … [Pour une note plus conséquente sur le film, je renvoie au lien ICI]