Il s’agit donc également lors de cette rétrospective de formuler et de rendre connue cette mauvaise conservation des copies de Karpo Godina.
Louise du Filmkollectiv Frankfurt
Sont parfois relayés sur le blog quelques films du nouveau cinéma Yougoslave des années 60/début 70, surnommé « Vague noire » à partir de 1969. Figure importante de ce cinéma parmi les Makavejev, Pavlovic, Petrovic et Zilnik, l’oeuvre d’un certain Karpo Godina reste méconnue. Or le Filmkollectiv de Francfort met en place une excellente initiative de rétrospective qui se déroule du 30 novembre au 2 décembre 2013 : voir ICI le programme sur leur site internet.
Etant donnée l’importance de l’initiative, à la fois pour l’oeuvre filmique de Godina et pour le cinéma Yougoslave, quelques questions ont été posées à l’une des initiatrices de l’événement, membre du Filmkollectiv de Francfort. En remerciant beaucoup Louise Burkart d’avoir bien voulu répondre à mes quelques questions à distance, j’invite donc à prendre connaissance de cette rétrospective via cette « interview » qui fait également le point sur la diffusion du cinéma de Godina et yougoslave. De quoi dépasser un peu la filmographie yougoslave limitée au cinéma de Kusturica dans nos réceptions de ce côté de l’Europe… notamment en France.
INTERVIEW de Louise du Filmkollectiv Frankfurt
– Pouvez vous présenter le Filmkollektiv de Francfort ?
Louise : Le Filmkollektiv Frankfurt est composé de trois cinéphiles, Louise Burkart, Felix Fischl et Gary Vanisian, et existe depuis maintenant trois mois. Nous souhaitons avec ce Filmkollektiv enrichir la scène culturelle et en particulier cinématographique de Francfort en proposant des programmes thématiques, des rétrospectives et des hommages sur des films et réalisateurs qui, ici, n’ont sinon que peu de chances d’être montrés.
– Pourquoi cette rétrospective des films de Karpo Godina ?
Suite à notre première manifestation sur le réalisateur expérimental Wilhelm Hein en septembre, nous avons choisi de présenter les travaux de Karpo Godina à l’occasion de son 70ème anniversaire. Quelques uns de ses court-métrages (les quatre “classiques”) ont été projeté récemment, mais une vue d’ensemble de son travail n’a pas encore été offerte en Allemagne et nous sommes très heureux de pouvoir réaliser ce projet qui nous était cher.
– Comment se situe Karpo Godina dans le cinéma Yougoslave du passé ? Se considère t il lui-même comme un cinéaste de la Vague Noire ?
Il fait effectivement partie du mouvement de la “Vague Noire”, ou plutôt du “Nouveau cinéma yougoslave” comme il préfère l’appeler. Ses caractéristiques principales sont une combinaison entre une réflexion ouverte et inhabituelle sur des thèmes provocants — pour le régime politique en place — et un langage cinématographique libre et osé. La participation du réalisateur s’est cristallisée autour de quatre court-métrages réalisés entre 1970 et 1972 [ICI sur le blog], mais également (et ceci est moins connu) avec deux court-métrages de 1968: SONCE VSESPOLSNO SONCE et PIKNIK V NEDELJO. À cause de ces deux films, il eu l’interdiction de réaliser d’autres travaux, c’est pourquoi les quatre court-métrages ont été produits par Neoplanta à Novi Sad.
En tant que chef-opérateur, il tourna RANI RADOVI de Zilnik [ICI sur le blog] et SLIKE IZ ZIVOTA UDARNIKA de Bato Cengics, œuvres représentantes du mouvement de la “Vague Noire”.
Extraits – Godina chef opérateur de Rani Radovi :
Godina réalisateur du court métrage Litanie des gens heureux :
– Que devient de nos jours le cinéaste ? Réalise t il encore des films ?
Son dernier long-métrage de fiction reste UMETNI RAJ (1990), le dernier “film Yougoslave”. Il a travaillé plusieurs années à un grand projet qui a malheureusement du être annulé peu avant le tournage à cause d’un producteur frauduleux. Il s’est donc attaché depuis à d’autres formes, le documentaire mais également au cinéma expérimental à travers un moyen-métrage, OKTOLOG (2012), qui ne peut malheureusement pas être montré en public à cause d’un conflit de droits d’auteurs avec l’écrivaine de l’oeuvre originale. Encore aujourd’hui, il réalise des films. Lorsqu’il y avait de l’argent en Yougoslavie, tous ses projets étaient rejetés tandis que maintenant c’est obtenir le soutien d’une maison de production qui est la réelle difficulté.
Depuis 1989, il était professeur en classe de réalisation à l’université de Ljubljana, avant de partir à la retraite (un mot qui semble incompatible avec Godina) il y a quelques années.
– Comment se prépare cette rétrospective ? La venue de Godina est par exemple prévue. Avez vous dû travailler en réseau, et avec qui/quoi ?
La rétrospective s’est préparée en contact étroit avec Karpo Godina ainsi que Jurij Meden de la Slovenska kinoteka. Aux préparations a été lié un séjour de plusieurs jours à Ljubljana, premièrement à cause du long interview avec le réalisateur qui est publié dans un livre qui sort à l’occasion de la rétrospective et deuxièmement afin de pouvoir clarifier la situation de disponibilité des copies. Lors de l’organisation de cet événement, il est devenu clair que, en comparaison avec l’intégralité de son travail, le nombre de copies que l’on peut aujourd’hui montrer est relativement maigre, car beaucoup de ses films et en particulier les téléfilms ne peuvent plus être projetés car les copies sont en trop mauvais état ou parfois tout simplement inexistantes. Il s’agit donc également lors de cette rétrospective de formuler et de rendre connu cette mauvaise conservation des copies de Karpo Godina.
– Qu’en est-il aujourd’hui de la diffusion des films de Godina, en Allemagne mais aussi ailleurs en Europe, voire dans le monde ?
Les films de fiction de Karpo Godina peuvent rarement être vus, SPAV MEDUZE a par exemple été projeté la dernière fois en Allemagne il y a déjà plus de 25 ans [Spav Meduze/Le radeau de la méduse relayé ICI sur le blog]. Sur les quatre court-métrages “classiques”, trois (I MISS SONJA HENIE n’a été projeté que depuis deux décennies) sont souvent en tournée et présents dans des anthologies de court-métrages. Pourtant, on ne peut pas dire qu’ils soient aussi connus qu’ils le méritent. Le nom Karpo Godina est majoritairement associé à eux, un a priori que nous souhaitons changer avec la rétrospective.
Extrait Splav Meduze (Radeau de la méduse) :
– En France, l’accès aux films yougoslaves est très difficile. Les films ne semblent pas susciter d’édition DVD (ou rarement) et le sous titrage laisse à désirer. Hormis les « filons » via internet (mais sans sous titrage) et les quelques rares projections publiques (tel le ciné club de l’Université de Genève il y a quelques années). Plus généralement, avez vous une idée de la diffusion des films du patrimoine cinématographique yougoslave, dans les pays issus de l’ex-Yougoslavie, tout comme ailleurs Europe ? Je pense tout particulièrement aux films de la Vague Noire, période qui semble être privilégiée dans la réception occidentale par sa portée critique vis à vis des autorités politiques d’alors.
En 2010, la revue américaine The Believer a publié comme supplément un DVD des quatre court-métrages “classiques”, ces films étaient avant inaccessibles aux États-Unis.
Ceci est valable pour presque tous les films du Nouveau cinéma yougoslave. S’il y a des publications sur DVDs de ces films, elle sont faites majoritairement dans leur pays de production. Le public de l’Europe de l’ouest à, d’après nos connaissances, un accès que très restreint à ces films.
– Souvent, les films des pays en Europe associés au communisme par le passé sont souvent perçus à l' »ouest » par le seul critère politique de propagande ou de critique, mettant à part les autres particularités éventuelles tel que les thématiques et dimensions expressives propres, indépendantes de la seule position politique. Peut-t-on réduire la Vague Noire yougoslave, et plus précisément le cinéma de Godina, à un cinéma qui vaut surtout par sa (seule) critique politique ?
Ces films étaient à leur époque, d’après Karpo Godina, pas réalisés en tant que films politique mais par leur forme nouvelle, ils ont eu l’effet d’une critique du régime politique en place. Les réalisateurs voulaient exprimer avant tout leur vision du monde et comme celle-ci était, presque sans exception, liée à la liberté d’expression, il va sans surprise que la présence de ses films irritait le gouvernement. Aucun d’eux n’était pourtant “conçu” en tant que film subversif.
(Novembre 2013)