Boys don’t cry – Kimberly Peirce – USA (1999)

 

Avec Hilary Swank, Chloë Sevigny, Peter Sarsgaard, Brendan Sexton, Alicia Goranson

Film indépendant américain de la réalisatrice Kimberly Peirce, Boys don’t cry, inspiré d’une histoire vraie, donne une vision pessimiste des es moyennes au sein d’une Amérique profonde (mais aussi peut être au-delà?), sans manifester un regard méprisant pour autant. Le film est une réflexion quant à la pression sociale exercée sur ce qui constituerait l’identité sexuelle.

Teena est une jeune femme se faisant passer pour un garçon au nom de Brandon. Décidant de tourner le dos à un passé récent, elle fait la connaissance d’une bande d’amis et noue une relation amoureuse avec Lana. Brandon-Teena sème progressivement le trouble dans la bande par sa manière d’être différente de la norme et l’histoire vire au cauchemar lorsque les amis de Lana découvrent que Brandon est en réalité une femme.

Réduire le film à une relation homosexuelle serait passer à côté d’une problématique essentielle, dépassant le simple cas d’une marginalité: qu’est ce qu’une identité sexuelle, semble mettre en question Kimberly Peirce ?

Boys don’t cry démarre rapidement sur une séquence de « séduction » entre Teena-Brandon et une fille dans un bar, lieu de drague par excellence où chaque sexe est dans son « rôle », femme-objet réduite à être draguée par un homme bien viril, convoitée en permanence (aspect qui revient à plusieurs reprises dans le film, plus ou moins violemment). D’emblée on peut comprendre que Teena n’est pas attirée par une autre fille mais plutôt qu’elle éprouve satisfaction à se faire passer pour un garçon qui plaît. Elle utilise pour cela différents codes sociaux en vigueur à travers son apparence et son comportement, ce qui la rend « beau » pour certaines filles. Première séquence clé où Peirce indique que beauté et sexualité sont socialement déterminées et où Teena dénote une sensibilité ne la collant pas exactement à son rôle « masculin ». D’ores et déjà le film sème aussi le trouble sur ce qui établit le rapport entre genres…

Les personnages principaux, évoluant dans la e moyenne américaine, sont ancrés dans un monde social où chacun joue son rôle. La masculinité est ainsi développée sous le mode viril (muscles, etc) et insensible (ou presque). Les hommes dans le film veulent constamment prouver leur identité sexuelle masculine; c’est ainsi que John et Tom frôlent l’hystérie à certains moments, fondée sur une anxiété concernant l’identité sexuelle. Il y a comme un besoin pathologique de montrer qu’ils sont des hommes, et ce à travers par exemple la drague ou des actes particulièrement virils. L’attitude « protectrice » de John à l’égard de Lana est par ailleurs assez parlante, tant cette soi disante protection s’assimile davantage à un moyen de garder sa propriété qu’à une réelle intention bienfaitrice. Attitude que Lana ne remet pas en cause jusqu’à ce que « Brandon » la séduise, sans doute parce qu’elle y trouve un confort dont la remise en cause serait une atteinte à une certaine forme d’équilibre socialement reconnu et entériné, à la norme. Quant à la féminité, Peirce semble indiquer que la sensibilité est une qualité plus spécifiquement féminine, l’homme risquant d’y perdre sa virilité. C’est ainsi que l’on peut saisir la marginalité de « Brandon » de par sa sensibilité qui ne colle pas tout à fait à « l’homme » qu’elle essaie pourtant d’imiter, comme si sa qualité de femme ne pouvait faire l’impasse là-dessus. D’ailleurs le film pourrait presque laisser penser qu’un réel rapport affectif (c’est à dire à 2 sens) pour une femme, dans un tel déterminisme social des genres, n’est possible qu’avec une autre femme.

Boys don’t cry ne réduit pas l’identité sexuelle à une question anatomique mais la relie aux codes sociaux: la femme sensible, efféminée (les look et comportement pas très virils de « Brandon » lui vaut des mots tels que « pédé », « tapette ») et  l’homme bien viril. Ces codes sociaux aliènent les personnages qui ont la pression de se forger une identité sexuelle fidèle à ces derniers, sans quoi ils se retrouvent totalement paumés. Et c’est là que le lien fort unissant Brandon-Teena et Lana est fort intéressant, bien plus qu’une banale histoire amoureuse lesbienne à laquelle on ne peut réduire leur relation. Toutes deux échappent en effet aux codes sociaux dans lesquels on les enferme. Lana trouve en « Brandon » un compagnon cassant la routine socialement déterminée régulant les rapports homme-femme et se trouve plus libre car agissant selon ses désirs et non selon une vision figée de ce qui fait un homme et une femme; tout comme Teena n’est pas coincée exactement dans son rôle avec Lana qui peu à peu fait également figure de protectrice à son égard, sans notion de propriété. Il est significatif d’ailleurs que Lana veut ignorer (ou refoulement?) l’anatomie sexuelle de « Brandon » (des plans suggestifs laissent à penser que Lana peut savoir…), jusqu’à l’appeler par Teena à la fin du film, tant elle se sent émancipée dans la relation.

La séquence de sortie de prison est très belle: la sortie de « Brandon » et Lana (sur « boys don’t cry » de Cure) sonne comme une ballade de liberté, une fuite vers un ailleurs les émancipant de la prison sociale. Ici le film, sous le prisme de l’identité sexuelle émancipée de ses codes sociaux, peut être pris comme une ode à la libération des chaînes sociales enfermant les individus dans des schémas établis leur empêchant de se construire selon leurs envies réelles. D’où également la vision pessimiste car Boys don’t cry insinue que la e moyenne américaine est vouée à la norme sociale, soit par peur de s’en émanciper, soit par masochisme. Il ne semble y avoir aucun espoir. Les personnages du film incarnant une certaine e moyenne américaine ne sont pas particulièrement heureux et plutôt marqués du sceau de l’anxiété à paraître conformes tel que l’exige les critères sociaux; aucune marginalité propre à ces personnages, ils sont emblématiques d’une certaine Amérique majoritaire. Il y a comme une souffrance (à l’image de la mère alcoolique casanière de Lana) sans qu’il y ait pauvreté matérielle ou pécuniaire. La tristesse de ce petit monde est d’ordre psychologique, prisonnier d’un système social exigeant une normalité aliénante en guise d’équilibre et de repères. Peur de mettre en péril cet équilibre ou victimisation en guise de renoncement à exister en se confrontant à soi-même, aucune voie de sortie à l’horizon, aucune révolte chez les personnages.  « Brandon-Teena » et Lana sont une exception qui finira par se buter à la normalité de leurs amis et de la manière la plus violente qui soit. Leur amour aura échappé aux paramètres considérés comme socialement normaux. Le morceau du karaoké de début de film interprété par Lana et ses deux copines clos également le film, une fois que tout est revenu à la normal, que le trouble semé par Teena a été éradiqué et refoulé: il est question de fuite et de quelque chose de fugitif relevant du rêve éphémère… »Another town, another hotel room, Another dream that ended way too soon, Left me lonely way before the dawn, Searching for the strength to carry on« …

Extrait de la scène du karaoké :