F comme Fairbanks – Maurice Dugowson (1976)

France – Avec Patrick Dewaere, Miou-Miou, Michel Piccoli

Bande-annonce :

Patrick Dewaere est un de mes acteurs français fétiches, et sa seule présence suffit souvent à me faire apprécier un film, quand bien même celui-ci présente un intérêt mineur. Mais il faut reconnaître que Dewaere, à ma connaissance du moins, a eu une carrière des plus intéressantes; nullement compromise dans la facilité commerciale, il a tourné au cours des années 70 pour des réalisateurs qui ont souvent été dérangeants ou tout au moins qui ne se sont pas cantonnés à du cinéma de divertissement : Yves Boisset, Bertrand Blier, Claude Miller ou encore André Téchiné par exemple. Les rôles interprétés par Dewaere n’étaient pas toujours évidents à endosser, mais il s’en est tiré à merveille, hissant les films à la hauteur de leurs propos; je pense notamment au superbe Beau-père de Blier, La meilleure façon de marcher de Miller ou encore Série noire de Corneau où l’acteur donne une dimension profonde de complexité à ses personnages, jamais tout à fait saisissables, figés dans une psychologie particulière mais plutôt tiraillés et emprunts d’ambiguïté. A noter que l’acteur a suscité pas mal de controverses avec les médias qui finiront par ne plus en parler tandis que les producteurs se méfieront de plus en plus de lui…Dewaere se suicide en 1982 d’un coup de carabine, dans la foulée de gros problèmes personnels.

C’est tout récemment que j’ai vu F comme Fairbanks de Maurice Dugowson, réalisateur que je ne connaissais pas du tout jusqu’alors. Il a surtout travaillé pour la télévision et le documentaire et c’est ainsi  par exemple qu’il a collaboré à la fameuse émission télé « Droit de réponse » de Michel Polac. Ses débuts de cinéastes sont des plus intéressants puisque ses 2 premiers films ont tous 2 donné à notre cher Patrick Dewaere des rôles de premier plan: Lily aime-moi (1975) et F comme Fairbanks (1976).

André enfant est fan de Fairbanks, son futur surnom, personnage cinématographique de l’Amérique des années 20 incarnant un certain héroïsme devant les obstacles de la vie et donc une certaine réussite. Revenant du service militaire sanctionné d’un séjour en prison pour cause d’agitation contestataire verbale, André retrouve ses amis de fac et fais la connaissance de Marie avec qui il noue une relation sentimentale. Ne parvenant pas à trouver de travail dans une France Giscardienne très marquée par « la crise » et le chômage, André sombre dans la déprime et la folie…

Le film se situe dans une France morose, où le chômage et la précarité apparaissent comme un sort très partagé, en particulier pour la jeunesse. La contestation sociale post 68 semble aussi étouffée, à l’image de la troupe de théâtre des amis d’André, dont le foyer culturel MJC a été détruit par la Préfecture, en désaccord avec la portée sociale de leurs activités culturelles. L’espoir « utopiste » de 68 laisse place à un certain désarroi. Néanmoins, le personnage de Dewaere dégage aux premiers abords une espèce de folie, une insouciance qui dépassent le climat difficile de l’époque. Ses coups de folie s’enchaînent et tel Fairbanks, André multiplie les joutes acrobates dans sa manière d’être, nullement résigné à se laisser aller au sérieux requis pour se faire une place dans la société. Bien que non contestataire en terme d’engagement politique, la prestance d’André se décline sous forme d’une folie joyeuse faisant contraste avec la réalité ambiante (chômage, ordre social, mainmise patronale sur la classe ouvrière,…).

Extrait :

Mais au fur et à mesure, la folle insouciance d’André se heurte à cette même réalité qui finit par le mettre au pied du mur et à le contaminer; la déprime prend vite le dessus. Sa recherche d’emploi donne un tableau noir de cette France des années 70, ainsi à l’image d’un chômeur qui pète un câble à l’ANPE, défini comme « non opérationnel » à chaque entretien. Peu de travail, concurrence ardue entre demandeurs d’emplois mise à profit par le patronat qui se choisit à loisir les « dossiers » les plus exploitables, stigmatisation des chômeurs (formidable scène dans un bistrot où André est confronté au regard méprisant d’un vieux constatant que des gens « n’ont rien à faire« , ce à quoi André répond par un formidable « vieux con, pays de cons« , aussitôt repris par le patron de bistrot « allez en Russie, vous m’en direz des nouvelles« …toute une ambiance !). André connaît également les petits boulots, mais son insouciance et son désir de liberté prennent le dessus, toujours chez ce personnage magnifiquement interprété par Dewaere cette volonté de transcender le réel, de ne pas lui laisser le dernier mot. Viré d’un chantier, sa désinvolture et son non laisser aller aux exigences nécessitées par la pénible réalité de sa situation fait contraste avec le délégué syndical qui devant une telle attitude « ne peut rien faire » pour lui. André est un portrait à travers sa situation de toute une génération confrontée au chômage qui menace et aux concessions à faire pour s’en sortir. Ça le déprime, et fout en l’air sa relation sentimentale avec Marie qui accepte elle la situation « sans empoisonner les autres« , « car c’est pareil pour tout le monde« .

André se bat avec ses rêves de vaincre la réalité, notamment par la place qu’il accorde à l’amour qu’il voit comme transcendant et plus important que le rationnel exigé par la société dans laquelle il ne trouve pas sa place. Le sentimental est plombé par le rationnel et une certaine conception consumériste de la chose amoureuse. Les vers de Verlaine cités par André n’ont aucun écho possible. Il y aurait un parallèle assez intéressant à faire dans ce domaine avec le cinéma de Garrel.  De folie joyeuse, il passe à la folie furieuse. Vaincu par la société, il s’enferme dans ses rêves. La séquence finale du film est superbe, on aperçoit André en Fairbanks, vainqueur face à la réalité, déjouant les obstacles pour survoler sur son tapis volant, avec sa bien aimée qu’il embarque dans son évasion, la France des vaincus et partir vers d’autres horizons plus prometteurs…là encore la réalité revient et conclue le film sur fond d’alarme ambulancière; Fairbanks est devenu le fou qu’on va enfermer à l’asile, et incarne plus que jamais une jeunesse vaincue qui n’a plus qu’à renoncer à ses utopies et à ses libertés, et s’adapter à cette morne France. Finis le rêve, l’Amour, l’insouciance, l’imaginaire cinématographique. Sur ce dernier point le film est également nostalgique d’un cinéma populaire, et il y aurait tout un aspect à développer ici tant ça prend une place importante : le déclin annoncé d’un certain cinéma, mais aussi d’autres arts vivants (théâtre, culture engagée…). Nous sommes à l’aube des années 80, où se perdront aussi les dernières grandes activités de diffusion et d’animation du cinéma, entre autres « militant ». L’ironie du sort veut que ce soit sous l’arrivée de Mitterrand et de la gauche au pouvoir que sont enterrées définitivement les énergies et pratiques des années 60 et 70. Ce film est un témoin également d’un tournant culturel.

FINAL DU FILM :

Ce film de Dugowson est un tableau noir de la France des années 70 et fait écho à beaucoup d’autres de la période. Mais ici moins directement (comparativement par exemple aux « films Z » de la décennie), davantage par la chute d’un personnage rattrapé par une réalité qui étouffe sa soif de liberté; à travers le prisme de l’imaginaire confronté au réel, Dugowson s’engage ici dans un constat pessimiste partagé par nombre de ses pairs cinéastes français. Comme chez quelques Mocky des années 70, je ne peux m’empêcher aussi de ressentir ici une France oppressante, un véritable mur contre lequel s’écrasent les élans de liberté. Un film intéressant, et une très grande prestation de Patrick Dewaere qui donne là encore une dimension profonde au personnage interprété.

A noter que la musique du film est composée par Patrick Dewaere, qui était AUSSI musicien, notamment pianiste. Extrait ici du morceau maître, réinterprété ici  :

En guise de clin d’oeil et pour le plaisir, cette magnifique ouverture du film génial de Blier Beau-père, où nous retrouvons Patrick Dewaere au piano, dans un monologue et une mise en scène excellente :