EN ENTIER – La vieille école du capitalisme – Zelimir Zilnik – VO sous titrée anglais – 120 mn – Serbie
« [La vieille école du capitalisme c’est] quand le capitalisme a commencé à être appliqué après que [Slobodan] Milošević ait perdu le pouvoir en 2000. J’ai pensé que l’économie serait récupérée. J’ai été curieux et patient pendant de nombreuses années. (…)
Alors j’ai pensé, « Attendons le capitalisme s’installer ici en Serbie. » Progressivement, j’ai commencé à lire sur la privatisation infructueuse. Au début, j’ai pensé que ce devaient être les anciens sentiments des travailleurs issus du temps socialiste quand l’Etat a prenait soin de leur vie. Nous sommes allés dans les usines où les travailleurs protestaient, tête basse. Étonnamment, nous avons découvert que la plupart des nouveaux propriétaires étaient des escrocs et des profiteurs de guerre. Ils utilisaient la force brutale contre les travailleurs pour arrêter la production et les expulser des usines.
J’ai découvert que la légalité de la nouvelle propriété est en question. C’est aussi la raison pour laquelle la Serbie est peut-être le seul pays à ne pas avoir rendu la propriété aux anciens capitalistes d’avant la Seconde Guerre mondiale. De nouvelles lois ont seulement reconnu la propriété de l’État au lieu de reconnaître la façon dont les travailleurs avaient été auto-investis dans le développement des usines. Tout a été privatisé et alors donné aux nouveaux acheteurs capitalistes et la plupart de ceux qui, comme nous pouvons le voir maintenant, avaient été des criminels ou qui ont acquis leur richesse dans le système de Milošević, quand les sanctions de l’état ont accordé des privilèges à certains fonctionnaires. Ces nouveaux propriétaires sont conscients que la légitimité de leur propriété est discutable. Ce qui se passe maintenant en Serbie est très proche d’une lutte de classe.
Nous avons commencé à faire des documentaires dans les usines de Zrenjanin [Serbie]. J’ai alors décidé de faire ce film, la vieille école du capitalisme, comme une œuvre semi-fictionnelle. »
Zelimir Zilnik, interview.
POUR ACCEDER AU FILM SOUS TITRE EN ANGLAIS,
Quelques films de Zelimir Zilnik ont été relayés sur le blog, que ce soit dans la période du Nouveau Cinéma Yougoslave (ou « Vague Noire ») à travers Les chômeurs (court métrage, 1968) et Rani Radovi (Travaux précoces, 1969), ou d’une plus récente à travers sa trilogie autour de Kenedi et la problématique des personnes Rroms en Europe (qui échappe au traitement folklorique, et à l’habituel vide socio-politique dans la représentation de la personne Rrom !).
Le cinéaste revient longuement sur La vieille école du capitalisme en interview audio ICI (50 mn), dans un anglais très accessible. Parallèlement (ou à la place), je propose une interview retranscrite, d’où a été tiré le propos cité plus haut – et accessible intégralement ICI (encore en anglais).
Le film a la particularité de se structurer autour de deux registres : une part fictionnelle jouée, mais dans leurs propres rôles pour les ouvriers jetés d’une usine et les jeunes anarcho-syndicalistes à leur rencontre. Une autre part plus documentaire, issue surtout d’images tournées en avril 2009 lors d’un grand rassemblement contre le chômage initié par l’ancien syndicat d’Etat. Le film opère un va et vient entre ces deux registres, et les renforce ainsi mutuellement. Les échanges filmés lors de la grande manifestation syndicale sont particulièrement saisissants, et c’est d’ailleurs à celle-ci que Zilnik rencontre les jeunes anarcho-syndicalistes; il en filme par exemple un dans un dialogue assez percutant avec un ancien communiste, où ils s’affrontent notamment autour du nationalisme et des massacres qui ont ravagé la Serbie (vers la 52ème mn du film). C’est à la suite de cette journée qu’ils intègrent la partie fictionnelle :
« J’ai prévu de filmer lors de la manifestation parce que je pensais qu’il y aurait beaucoup de gens dans les rues. Après une trentaine de minutes, j’ai vu que certains des anciens, des communistes sentimentaux sont sortis. Nous avons créé une scène entre eux et les héros de mon film, que j’avais apporté des usines de Zrenjanin. (…) Lors du tournage des manifestations, j’ai vu un groupe d’intellectuels du journal Republika – l’ancienne génération – analysant l’ensemble de l’événement. A côté d’eux était une jeune génération d’anarcho-syndicalistes qui imprimaient un mensuel appelé Direktna akcija – excellent travail, qui analyse la situation du capitalisme dans toute la région, et pas seulement dans les usines, mais aussi dans les établissements scolaires. Quand j’ai vu leur magazine, je suis entré en contact avec eux et proposé qu’ils soient dans le film. »
Il est à signaler que Zilnik a été arrêté par la police lors de la visite du vice-président américain Joseph Biden en 2009; comme le cinéaste le précise dans l’interview dont sont tirées les quelques citations de la présente note :
« Ratibor, l’un des anarchistes, m’a dit que quand Biden vient il manifestera en brûlant le drapeau américain. J’ai dit : «Regarde, ce n’est pas bon si je viens avec une équipe de tournage, car alors ton acte ne serait pas authentique. Il serait pour le film. » Donc en fait, je n’ai pas filmé la scène. Je lui ai dit d’avoir certains de ses amis pour le filmer. Ce que nous avons utilisé dans le film était leur vidéo amateur. Mais elle a travaillé. »
C’est néanmoins à l’occasion de cette manifestation devant le palais « Albanija », à initiative anarcho-syndicaliste, que Zilnik a été pris par la police avec son compagnon cameraman tandis… qu’un drapeau américain commençait à brûler.
Zilnik, comme on a pu le voir avec des films précédents, nous lance là à la gueule un film très en lien avec son présent, et sans lâcher prise avec des questionnements et des contradictions qui sont réguliers dans ses films. Ainsi par exemple le rapport entre intellectualisme et ouvriers, discours et changement révolutionnaire concret; dans ses interviews il revient souvent au mai 68 yougoslave et à la répression qui s’est abattue dans le milieu universitaire où vraisemblablement de très fortes articulations se sont établies avec les travailleurs. L’humour n’est pas non plus absent du film, comme souvent, bien que la fin soit pessimiste et rude, 40 ans après celle de Rani Radovi qui portait un échec révolutionnaire dans la foulée d’un lynchage mémorable dans la boue.
En parlant de présent plus haut, regardons du côté de la Bosnie où un mouvement de grande ampleur, opposé entre autres aux privatisations, se développe dans un contexte de chômage ravageur, avec des formes de démocratie directe dans ses expressions (voir ICI par exemple) … Dans La vieille école du capitalisme, un des militants oppose une « véritable organisation » aux processus qui ont amené et entretenu le nationalisme, et pour une « vraie révolution » (cette fois-ci) . Un article évoque ICI l’unité des Musulmans et Croates dans la ville Mostar en Bosnie. Les pouvoirs n’y seraient-ils pas sérieusement menacés ?
Enfin, je remercie YOUGOSONIC pour m’avoir signalé la présence sur le net du film de Zilnik ( euh… sous titré !), depuis le temps que je voulais le découvrir ! Nulle sortie en France à ma connaissance, et sans doute aucune édition DVD à venir comportant des sous titres français. J’encourage en tout cas à découvrir ICI le blog Yougosonic qui porte sur l’ex-Yougoslavie, notamment pour ses nombreux relais documentés, parfois depuis « là-bas », et à contre courant de ce qu’on lit le plus souvent dans les raccourcis médiatiques et autres représentations bancales qu’on peut avoir par chez nous.