Quand les habitants ont des idées tout peut changer – SCOP/Hubert Knapp (1979)

EN ENTIER – Quand les habitants ont des idées tout peut changer – Hubert Knapp, avec la participation de la SCOP ACET – 1979 – 53 mn 

« Ce reportage retrace l’expérience de participation des habitants à la réhabilitation et la rénovation de leur quartier, l’Alma-Gare à Roubaix.
Dans les courées de l’Alma-Gare, les habitants luttent depuis quinze ans pour prendre une part directe au projet de rénovation de leur quartier. Une nouvelle architecture est née. Sur place est crée un atelier populaire d’urbanisme (APU) en 1974. En 1976, aidés par des techniciens, les habitants proposent un schéma d’urbanisme qui sera présenté à la mairie. Ce schéma s’étend au social et à l’économie. L’Alma-Gare se présente ainsi comme un laboratoire original d’expérimentation sociale. »

Hubert Knapp est un réalisateur de télévision et de documentaires d’après guerre jusque dans les années 90 et son travail se revendique d’une télévision exigeante. Il a notamment réalisé un épisode de la fameuse émission Cinéastes de notre temps, sur Jean Luc Godard. La filmographie du réalisateur est composée de multiples séries où la proximité avec les personnes filmées et leurs paroles tiennent une place importante.

Quand les habitants ont des idées tout peut changer est le premier volet d’une émission réalisée par Knapp, diffusée sur TF1 en 1979 et intitulée Mon quartier c’est ma vie,  3 chroniques des maisons et des rues. Alors que le documentaire porte sur les habitants de l’Alma-Gare, le générique précise que le titre de ce premier volet provient de ces derniers. Ainsi les habitants ne sont pas annoncés comme des sujets passifs, réduits à de la figuration. Ils sont d’emblée signalés comme acteurs, en écho à leur articulation au quartier, prenant les choses en main. Quand les habitants prennent l’initiative (1981) – relayé ICI sur le blog – sera réalisé dans le même quartier deux ans plus tard et cette fois-ci… Quant à Hubert Knapp ses deux prochains volets portent sur un quartier (l’Arlequin) de la Villeneuve dans la ville de Grenoble, intitulé L’Arlequin ou l’auberge espagnole, et sur les conceptions architecturales de Renaudie, intitulé Les étoiles de Renaudie. Il est important de signaler que ce premier volet est associé à la SCOP ACET (1977) qui découle d’un collectif de vidéastes appelé « Video 00 », créé en  1971 sur la base d’un autofinancement. Ce collectif était inscrit dans une période d’émergence des groupes de vidéo militants dont le premier fut alors créé par Carole et Paul Roussopoulos en 1970 et appelé « Video out ».

Ce premier volet est toujours d’actualité sur les questions qui se posent dans les « rénovations » de quartier (un sous titre du documentaire emploi lui-même les guillemets pour  » quartier « rénové«  « ). A travers les témoignages d’habitants et de membres de l’APU, le documentaire est un coup de poing en ce qu’il évoque bien les effets pervers d’une « rénovation » quand elle implique un quartier rasé, des départs d’habitants, des solutions de rechange biaisées (les « cellules » des HLM, des loyers plus chers …). Surtout il est question d’une vie sociale à sauvegarder, à retrouver ou à pérenniser. Cela revient souvent dans les propos, et le logement en soi n’est pas si important que cela. C’est l’histoire sociale, la mémoire qu’il draine et le lien social entre habitants qui semble vouloir être sauvée. Des éléments concrets comme des loyers pas chers, des applications de droits, des particularités telles que les célibataires immigrés etc sont également revendiqués par l’APU. Le processus d’abandon et de dégradation d’un ensemble de logements au passé lié à l’industrie est formidablement montré, tel le superbe travelling dans une rue accompagnant le témoignage sur « l’effet boule de neige » des départs des habitants. On y retrouve des constantes toujours à l’oeuvre de nos jours. Ainsi par exemple en témoigne le documentaire de Mehmet Arikan et Nadia Bouferkas Chez Salah, Café ouvert même pendant les travaux (2011) également tourné à Roubaix, cette fois-ci en lien avec le gros projet d’urbanisme sur la zone de l’Union (aménagement d’un « éco-quartier », terme qu’on retrouve aussi du côté du bassin minier dans la région). L’Union est également un ancien quartier industriel lié au textile et dont le territoire est à cheval sur Roubaix, Tourcoing et Wattrelos; le projet y donne lieu à des démolitions et départs d’habitants. Le café de Salah y résiste et ne cède pas à l’expropriation pour le terrain. Cela n’est pas nouveau processus et par exemple un couple d’habitants de l’Alma Gare de 1979 témoigne d’une expropriation imminente, malgré une maison habitée par la famille de l’époux depuis cinq générations.

La réalisation est intéressante par les nombreux plans occasionnés sur le lieu, notamment de courées qui depuis ont sans doute disparu (dont une vidée de sa trentaine de locataires, comme un écho à certains corons ou cités pavillonnaires du bassin minier de nos jours), ou encore par les personnes filmées dans leur habitat, leur quartier, quitte à laisser place au silence, donnant de la présence à celles-ci. Mais c’est surtout la place accordée à la parole qui en fait la force. Sont soulevés les problèmes autour de la rénovation d’un quartier, de sa mémoire, de sa richesse sociale, du quotidien d’un délabrement, du paradoxe à vouloir à la fois conserver et détruire le lieu puisque ce dernier est détérioré tandis que le manque de confort est également lié au contexte de sa construction. Pour qui mépriserait le quartier ouvrier et les images qu’il donnerait maintenant à travers son délabrement, propice parfois au misérabilisme (ce qu’évite ici le film, et pourtant à l’époque il est diffusé sur TF1…), les habitants témoignent unanimement de rejet et de dégoût des logements HLM dont l’inhumanité est clairement décriée. Sans oublier l’augmentation de loyer qui accompagne le plus souvent les relogements.

Bref, le film est un témoin incroyable sur un quartier et les rapport qu’entretiennent avec lui les habitants, loin du simple sauvetage d’un bâti. Il est une trace d’une grande richesse témoignant d’une mémoire vivante. Par ailleurs est exprimée la perte des comités de défense de quartiers ouvriers de Roubaix (nombreux concernés par les « rénovations ») qui ont disparu avec la démolition du lieu. Tel le souligne une membre de l’APU, « ce sont des trésors enfouis« , perdus à jamais, les personnes ayant été disséminées après démolition. On a là une révélation de l’importance de la mémoire d’un quartier autrement que sous son seul aspect nostalgique, bon pour les petits livrets commémoratifs quand tout est mort. La mémoire vivante est autre chose.

« On a tellement lutté ensemble qu’on est capable de mener d’autres luttes et de redonner vie à un quartier, la vie avec un grand V qui n’est pas seulement le logement, le logement n’étant qu’une partie de la vie (…) Vivre ensemble, conquérir une autre vie, posséder son quartier » (habitante et membre de l’APU)

Le film termine par une présentation plus conséquente de l’APU (son ancrage dans le quartier, ses combats, son organisation, ses buts). C’est initié par un autre superbe travelling suivant une membre de l’APU roulant à vélo dans les rues du quartier et rappelant que ça découle d’années de luttes et que l’APU ne s’est pas créé d’un claquement de doigts, qu’il a fallu des échanges entre habitants, des comités par courées … Il est question aussi d’une auto formation « on devient plus compétents » et des résultats ont été obtenus, ainsi l’application d’une  loi de 1948 (exemple pris de la défense d’un habitant immigré). Comme de nos jours, l’APU revendique une connaissance juridique à mesure de son expérience, coincidant avec un « concret qui est important pour les travailleurs » etc         Ici, à travers l’APU et son activisme dans le quartier, l’habitant-acteur prend le plus d’ampleur. Et du logement on passe à acteur plus large dans la société.

En complément, un long article d’Hélène Hatzfeld intitulé « Municipalités socialistes et associations – Roubaix : le conflit de l’Alma gare » (cliquer ICI) dont voici le résumé :  « L’étude du conflit qui a opposé pendant plus de dix ans la municipalité socialiste de Roubaix à l’association d’un quartier vétusté menacé de destruction analyse les différences dans les modalités de résolution du conflit adoptées par une municipalité SFIO puis Union de la gauche à forte dominante socialiste. Elle montre comment l’action de l’association, pragmatiste et fondée sur des liens communautaires, a permis une transformation du schéma décisionnel de la municipalité, mais est restée sans effet sur le système politique municipal. D’autre part, cette étude s’interroge sur la fonction du conflit dans la modification des attitudes de la municipalité et de l’association, et des relations entre le système politico-administratif municipal et son environnement associatif.«