The Black Power mixtape 1967-1975 – Göran Hugo Olsson (2011)

EN ENTIER Göran Hugo Olsson – The Black Power mixtape 1967-1975 – 2011 – Suède

« Ce documentaire retrace l’évolution du mouvement Black Power de 1967 à 1975 au sein de la communauté noire. Le film associe musique et reportages (des rushs en 16mm restés au fond d’un placard de la télévision suédoise pendant trente ans), ainsi que des interviews de différents artistes, activistes ou musiciens qui sont des piliers de la culture afro-américaine. »

Version courte, VF/VOSTFR – 58 mn :

Version cinéma, VO sous titrée espagnole – 92 mn :

 

Le producteur, réalisateur pour la TV et cinéaste suédois Göran Hugo Olsson vient de réaliser l’intrigant documentaire Concerning violence (2014) qui effectue un retour sur la décolonisation en Afrique à partir d’archives télévisuelles suédoises et d’extraits des Damnés de la terre de Frantz Fanon lus par Lauryn Hill.

Bande annonce Concerning violence (2014)

Je n’ai pas (encore) pu découvrir cet opus récent du suédois mais je me suis rattrapé en visionnant son précédent documentaire The Black Power mixtape 1967-1975 dont j’avais eu écho au moment de sa sortie. Certes je n’ai pas vu, malheureusement, la version cinéma et ses 90 mn faute de version sous titrée français à ma portée, et je me suis donc contenté de la version courte (et sans doute biaisée donc) qui a été diffusée sur Arte.

Cette réalisation de 2011 témoigne déjà d’un gros travail d’archives télévisuelles suédoises puisque le cinéaste est allé pioché des extraits de reportages de la TV suédoise tournés aux USA et contemporains du mouvement révolutionnaire des Black Panthers. On y dénote un regard critique étonnant – reflétant d’une certaine manière les tensions diplomatiques officielles entre USA et Suède durant la guerre du Vietnam – et surtout des interventions filmées d’acteurs du mouvement sont particulièrement percutantes. Telle la séquence où le militant Stokely Carmichael, qui a notamment mis en évidence le racisme institutionnel, prend le micro des journalistes suédois et interviewe sa propre mère; son témoignage se conclut en reflétant le racisme structurel, soit son mari licencié le premier « parce qu’il était nègre« . Ou encore la séquence qui est souvent évoquée dans les commentaires sur le film, à savoir l’interview d’Angela Davis en prison où elle interpelle le journaliste la questionnant sur son approbation de l’usage de la violence.  Ce n’est alors pas seulement le journaliste qui fait l’objet des terribles paroles d’Angela Davis mais aussi nous, du moins le spectateur blanc, qui depuis notre extériorité et nos privilèges interrogeons sur cette violence en ignorance du vécu du dominé. C’est une question de point de vue alors, et ce passage incarne incroyablement le fossé, ou la barrière, entre la personne située dans la zone de non droit et d’oppression et la personne dans sa position d’observation.

Séquence d’interview d’Angela Davis en prison (1972)

 

Un peu avant dans le documentaire, un extrait de reportage nous montre un bus touristique rempli de blancs en train de traverser Harlem. La vitre « spectacle » et le commentaire du guide font de cette réalité un lieu quasi exotique et surtout la vitre y tient sa fonction : chacun à sa place, en quelque sorte. Plus récemment nous retrouvons cette question du regard et de où on se positionne, à travers l’exposition Exibit B et le mouvement d’opposition qui s’est exprimé ici et là notamment en France. Or nous avons pu y attester comme c’est notamment cette position d’observateur/observé, la question du regard et la passivité accordée aux personnes noires (nous y retrouvons un certain exotisme dans cette exposition, malgré les bonnes intentions officielles de son auteur) qui ont fait l’objet de nombreuses critiques. Parmi les intéressantes videos circulant sur la toile qui comportent des témoignages, des paroles de manifestants (dont Casey par exemple), il y en a une qui m’a particulièrement interpellé. La femme interviewée y évoque la problématique du regard comme nœud du problème. De la même manière que le bus qui passe dans Harlem ne mesure pas l’oppression blanche, et que la question du journaliste ignore la violence du racisme blanc et sa quotidienneté, l’exposition Exhibit B invisibilise la domination blanche. Le bus, le questionnement sur la violence depuis la position du blanc et l’exposition sont situés du même côté de la barrière de la domination, même quand il y a bonne intention.

« Au départ c’était quoi ? C’était le regard du blanc.(…). Le problème n’a jamais été nous, c’était eux. Une exposition antiraciste où je ne vois pas ce regard du blanc ne sera jamais antiraciste. Parce que le nœud du problème, le départ, c’était eux. C’était le regard. »

 

D’un point de vue formel les archives télévisuelles n’ont pas une vocation illustrative, telle une soumission à une voix off historique. Ce qui est en général la norme dans le domaine, en bon formatage du reportage télévisuel par exemple. Elles sont en revanche contextualisées et aussi mises en lien avec le présent par le biais d’interventions off d’artistes noirs contemporains et d’acteurs du mouvement de l’époque (dont Angela Davis). Ces intervenants ont été interviewés par le cinéaste en réaction aux archives qui leur ont été montrées. Certes ce ne sont pas toujours les plus radicaux, mais le processus est intéressant. Il y a rencontre entre présent et passé, chacun se lisant au gré de l’autre en quelque sorte. Deux époques se parlent au regard de la lutte des noirs, avec toujours une résonance dans le présent. Le récent mouvement aux USA s’insurgeant contre la suite d’assassinats policiers de noirs et non punis par la loi témoigne d’une réalité et de nécessités révolutionnaires toujours à l’ordre du jour (exemple d’une manifestation en décembre). On pourrait également songer à la France et à ses multiples assassinats policiers d’arabes et de noirs laissés sans suite par la « justice » française, encore récemment avec la confirmation d’un non lieu pour les policiers ayant tué le chibani Ali Ziri (âgé alors de 69 ans).

 

Je conclus cette note en proposant ci-dessous des extraits d’une interview avec Goran Olsson faite en 2012 et portant sur The Black Power mixtape 1967-1975. Tandis que je la survolais, j’y remarquais que la séquence du bus touristique de blancs traversant Harlem y était abordée, celle-là même qui m’avait interpellé par un questionnement plus général qu’il y avait à en tirer, notamment sur le point de vue et de là où on parle. Les propos du cinéaste à cet égard éclaircissent ses intentions sur ce film, resituant justement le point de vue – en l’occurrence suédois, à travers une approche de la télévision. Cette interview c’est l’occasion aussi d’en savoir un peu plus sur la genèse du film. L’interview originale en intégralité et en anglais est accessible ICI. Je m’excuse d’avance pour ma traduction approximative des extraits choisis pour le blog.

Extraits (traduits) de l’interview publiée sur Film Quaterly :

Rob White : Quel a été votre point de départ pour The Black Power Mixtape ?

Göran Hugo Olsson : Je faisais des recherches pour un film sur la musique soul en Philadelphie dans les années 1970 et j’avais décidé que le film serait fait que de séquences de nuit. A cette période il n’y avait pas de répertoire des séquences de nuit dans la Swedish National Broadcast Company, donc j’ai du cherché à travers tout ce qui a été tourné aux États-Unis de 1965 à 1980.

Puis, en une seule journée, je suis tombé sur les deux discours de Stokely Carmichael faits à Stockholm (où il parle de Dr King et de la non-violence) et aussi l’interview d’Angela Davis en prison. Je fus époustouflé. J’ai réalisé que ce matériel était vraiment un trésor et aussi que ce n’était pas seulement pour moi un privilège de le sortir en public, c’était aussi mon devoir – à la manière d’un bibliothécaire. Ce matériau ne pouvait pas être enfermé pour toujours; il devait sortir, et sortir d’une manière qui soit accessible pour un public à l’école secondaire ou à l’université.

J’ai donc trouvé ces deux pierres angulaires du film et en même temps j’ai déterminé l’histoire. Vous avez 1967 en noir et blanc: beau costume, beau garçon, Stokely est si charmant et brillant. Puis 1972 en couleurs vives: Angela Davis est dans le sous-sol de cette prison, passible de la peine de mort pour quelque chose que personne ne croyait qu’elle avait fait.

RW : Que pouvez-vous dire sur l’assemblage et le montage du film ?

GHO : Je respecte profondément les personnes à l’écran, mais je respecte et admire aussi les réalisateurs. Je voulais préserver une partie de l’aspect et des sentiments de cette époque, même si nous avons souvent changé le découpage original car par rapport aux normes d’aujourd’hui le rythme est très lent. Outre les principales sources (documentaires isolés, segments de Sixty Minutes – un type courant de séries d’actualités-, des infos télévisées), il y a aussi trois ou quatre images que nous avons acheté ailleurs, notamment la séquence de la mort de Robert Kennedy.

Je savais que nous avions à contextualiser les sources. Nous avons donc utilisé des voix contemporaines pour réagir aux images d’archives, mais nous avons travaillé aussi avec ces images qui nous mènent d’une année à l’autre. Ce qui contextuellement est si important c’est la guerre du Vietnam, mais je ne voulais pas avoir les images habituelles. Il y a une scène du Vietnam – un soldat américain frappant un garçon Vietnamien – mais c’est l’extrait d’un film de Emile de Antonio parmi une source de films. Ensuite, il y a la scène d’un énorme bombardier au décollage : une longue scène qui est différent des images habituelles de champs en train d’être bombardés et ainsi de suite. Je voulais faire des points sur le contexte historique, mais je ne voulais pas être trop clair à ce sujet. Je voulais aussi une certaine rugosité. Je voulais que le public ait le même type de sensation que j’ai eu quand j’ai cherché dans les archives la première fois – ainsi je n’y étais pas préparé.

Un autre exemple d’éviter les clichés était l’utilisation de graphiques à l’écran. Je voulais avoir des informations très correctes, où il pourrait être statué: le nom, le lieu et l’année. Je ne voulais pas utiliser quelque chose comme les graphiques typiques de blaxploitation parce que c’est un film suédois cool, correct, de recueil. 

(…)

RW : [à propos de la séquence du bus touristique de blancs dans Harlem] Mais ce tour en bus est une métaphore pour le film, sûrement? La séquence déstabilise sa propre perspective: on ne peut pas regarder vertueusement ce matériau et être du côté des victimes de l’injustice sans tenir compte de la question de savoir si cela implique une solidarité réelle ou tout simplement un spectacle.

GHO : Oui. Et c’est une question délicate. Je pense que peut-être vous avez un peu des deux. En outre, il est très facile de sympathiser avec les personnes dans l’histoire- l’image d’eux à l’époque. Dans le même temps, j’ai essayé de faire comprendre que nous, les Suédois sommes en train de chercher dedans. Nous ne sommes pas une partie de ça. Nous n’avons pas l’expérience américaine. Je ne comprends pas cette situation à un niveau plus profond. Je le déclare au début du film. Je n’ai pas fait un film sur le mouvement du Black Power ou les personnes défavorisées en Amérique, j’ai fait un film sur le point de vue suédois sur ça. Parce que c’est ce que je pouvais faire; je ne pouvais pas aller au Bronx maintenant et y faire un film. Ce temps est révolu, mais c’était la chose à faire alors. La façon contemporaine de faire une telle chose est totalement différente maintenant que vous avez des gens dans chaque communauté pour faire de la vidéo et des blogs. La prise de conscience des médias est totalement différente. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus visiter, descendre et faire des films documentaires.

RW : Qu’est-il du concept de mixtape et des voix-off ?

GHO : Je ne voulais pas prendre des images d’archives incroyables, inspirer les gens et les remixer en quelque chose de nouveau. Je voulais garder le sentiment à la fois des personnes à l’écran et les intentions des réalisateurs. Aussi le film se décompose en onze chapitres équivalents à onze chansons. Une mixtape est quelque chose que vous faites pour quelqu’un que vous aimez, quelqu’un que vous voulez impressionner: voici cette chanson, mais attend le prochain est encore mieux, et il y a un arc, vous voulez dire quelque chose. Je ne voulais pas faire de ça un film percutant. Je voulais que ça soit plus ouvert, de sorte que vous pouvez faire votre propre calcul. Ou pensez à ça de cette façon: vous avez ce matériau et vous avez des options. Vous pourriez faire une archive en ligne de celui-ci ou quelque chose comme ça. Ou vous pourriez faire une déclaration documentaire audacieuse. Ou vous pourriez faire quelque chose entre les deux, ce qui était mon intention.

Nous avons travaillé dur pour obtenir les voix parlant par dessus les images, l’approfondissement de l’expérience, ce qui rend une autre couche de temps et de perspective et de contexte, et puis vous avez la musique aussi. Je pensais aussi à un DVD avec les pistes de voix off. C’est en fait facile pour le spectateur à manier (recevoir) ces deux sources d’information – images et commentaires – ça se fait sans difficultés, surtout avec les films les plus anciens.

(…)

RW : Pourquoi avez-vous décidé d’inclure l’interview de Harlem avec l’ancienne prostituée ?

GHO : 1972 est le début du déclin du mouvement, et de solidarité envers d’autres personnes. Nous aurions pu terminé le film en 1972, avec Angela Davis sortant de prison. Mais je pense que nous devions montrer le recul de la société- que les choses ne ont pas changé en mieux. A l’origine je voulais en avoir plus dans le film sur la situation du logement en milieu urbain, qui était une catastrophe totale, et nous n’avons pas vraiment couvert suffisamment ça dans le film. Mais nous avons traité de la question des drogues.

(…)

Je ne pouvais vraiment pas faire ce film sans poser le problème de la drogue à l’écran parce que c’était si important à l’époque. Et, de cette façon, bien que vous ne le voyez plus tellement, c’était presque devenu un cliché à l’époque (aussi bien en Suède) avec les gens parlant de leur toxicomanie à la télévision. Oui, bien sûr, c’est déprimant, mais c’est compensé par des choses comme Erykah Badu en train de dire qu’il y a une fin heureuse avec beaucoup de milieux malheureux, et que nous devons produire nos propres histoires et écrire nos propres livres. J’ai essayé dans le dernier chapitre – dans la dernière « chanson » de la dernière année – d’avoir une revue de personnes réfléchissant sur l’héritage.

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