Les Sioux du Dakota – Alain Bourrillon (1997)

Alain Bourrillon – Les Sioux du Dakota : sur les traces de Big Foot – 1997 – 52 mn – France

Synopsis : « Le peuple Sioux était noble. Aujourd’hui, il est traité en paria. Notre peuple a été un grand peuple. Pourtant, les valeurs qui faisaient de nous un peuple digne et fort sont bien plus belles que les valeurs d’argent et de cupidité des Blancs. Nous avons voulu pactiser avec eux : ils nous ont toujours roulé. » Sur les Traces de Big Foot est l’histoire de Josh, 14 ans. A l’âge de 8 ans, il a suivi ses aînés sur son poney, en plein mois de décembre, pour commémorer le centenaire de Wounded Knee, la bataille qui sonna le déclin de son peuple. Six ans plus tard, avec l’un des dignitaires de la nation Lakota Josh se rend à la commémoration au terme de la même chevauchée mémorielle… »

DOCUMENTAIRE INTÉGRAL

« Nous sommes le peuple du bison. Sans lui nous ne serions pas ici. Comme lui nous sommes un peuple fier. Mais il ne nous reste pas grand chose. C’est difficile pour moi de comprendre, je suis un peu perdu, je suis encore dans le monde de la confusion. J’ai un savoir de Blanc dans la tête et un Lakota qui parle dans mon cœur. La balance est folle, vous savez. J’essaie d’être un Lakota mais je parle comme un Blanc. »

Sam Tall,  jeune homme Lakota in Les Sioux du Dakota

Ce documentaire télévisuel évoque la résistance mémorielle du peuple Lakota (tribu Sioux) malgré le génocide, l’acculturation qui en découle et la précarité dans laquelle survivent les descendants au sein de réserves. Malgré un ton distancé et une voix off de « spécialiste », tout en rappelant quelques faits historiques (la tuerie de 1890, les traîtrises des Blancs à la suite des traités, le massacre des bisons etc) Les Sioux du Dakota a le mérite de pointer l’importance de la mémoire sans la réduire à un vague folklore exotique pour le spectateur occidental. Au contraire, il interroge aussi la difficulté du travail de mémoire à travers la figure de Josh, représentant de la plus jeune génération depuis le meurtre de Big Foot. Bien que Josh soit finalement très effacé dans le documentaire (est-ce voulu par le réalisateur ?), des images témoignant de sa participation passée à la chevauchée qui commémorait le centenaire du massacre de Wounded Knee (1890) et qui portait en elle l’espoir de la jeunesse Lakota sont contredites par la relative apathie de Josh quelques années plus tard, comme rattrapé par un contexte socio-culturel hostile qui a pris le dessus sur le sursaut Lakota face à la domination blanche. C’est là qu’intervient une autre figure, celle de l’ancien Eagle Hunter dont le travail de mémoire incite à faire revenir Josh sur le parcours des ancêtres. Cet attachement à la mémoire est une forme de résistance au génocide dont l’impact est aussi culturel et social. Eagle Hunter rappelle aussi combien la mémoire coloniale supplante celle des opprimés, à l’image du Mont Rushmore où les énormes têtes sculptées de quatre présidents des USA dominent un territoire appartenant en principe au peuple Lakota (les Black Hills, terres finalement expropriées et exploitées pour leur or par les blancs). Cette insistance sur la mémoire indigène apparaît également à travers un animateur radio Lakota dont une émission accueille Karen Duchenaux, jeune femme qui a pris la tête de la chevauchée commémorative de 1996.

 Wounded Knee, 1890 : les soldats américains et la fosse commune 

Bien que ce documentaire soit anodin dans sa forme, il introduit la pertinence de la mémoire dans la résistance au pouvoir colonisateur. Ce dernier s’exprime toujours, pas seulement par son acculturation mais aussi économiquement. En témoigne par exemple le récent projet de pipeline pétrolier dont le tracé passait proche de la réserve Lakota Standing rock située dans le Dakota Nord, menaçant eau potable et cimetières sacrés amérindiens. Parti d’un campement de résistance initié par des Lakotas, puis associant d’autres Sioux et nations indiennes ainsi que des écologistes, un vaste mouvement d’opposition avait dans un premier temps obtenu gain de cause avec un gel du projet sous la présidence Obama. Mais Trump a reconduit le projet et les occupants et occupantes du camp ont été expulsés, avec plusieurs arrestations de Lakotas.

Face à la répression (canons à eau, passages à tabac, tirs à balles de caoutchouc, attaques avec taser et chiens …), la résistance Sioux avait tenu bon mais finalement la pipeline a été construite sur leurs terres et fonctionne depuis juin 2017. 

 

En ce mois de février 2018, un autre documentaire portant sur la mémoire Sioux en lien avec la chevauchée commémorative de Wounded Knee est en train de sortir sur le grand écran en France (plus d’un an après sa sortie américaine, notamment projeté au Festival Trebica de New-York, un festival de cinéma indépendant américain). Il s’agit de La Chevauchée de Stéphanie Gillard. Je ne l’ai pas encore vu mais sa bande annonce m’a intrigué et les quelques recherches qui en ont découlé m’ont justement amené au modeste documentaire de Bourrillon. Le cinéma semble régulièrement référencé dans le film de Gillard (comment en effet ne pas penser à la vision colonialiste exprimée dans le cinéma par le western ?!) et on peut imaginer que La Chevauchée puisse aussi réapproprier le cinéma par la vision amérindienne tout en jouant des grands espaces, cet univers généralement régi par la vision raciste triomphale des colonisateurs « civilisés ».

Bande annonce de La Chevauchée (The Ride) de Stéphanie Gillard (2016, VOSTFR)

Synopsis officiel : Chaque hiver, une troupe de cavaliers Sioux traverse les grandes plaines du Dakota pour commémorer le massacre de leurs ancêtres à Wounded Knee. Sur ces terres qui ne leurs appartiennent plus, les aînés tentent de transmettre aux plus jeunes leur culture, ou ce qu’il en reste. Un voyage dans le temps pour reconstruire une identité perdue qui confronte l’Amérique à sa propre histoire.

« Montrer le film aux Etats Unis était très important pour moi. Ce film traite du périple en lui-même, mais aussi des événements que les cavaliers commémorent : Wounded Knee est le dernier massacre qui a scellé la fin des guerres indiennes. De par son contexte historique, le film est donc très politique car ce n’est pas n’importe quel événement dans l’Histoire américaine. Le film permet de comprendre comment l’Histoire a façonné le présent. Pendant ce voyage, les cavaliers nous racontent leur vie et ce qui s’est passé sur cette même route il y a 125 ans. Ils racontent ce que les Etats-Unis ont fait à leur nation, ce qu’ils ont eux-mêmes vécu : évangélisation, acculturation, destruction de leur langue, vol des terres de façon constante et insidieuse. »

Stéphanie Gillard, interview 

Sans voix off, son documentaire semble aussi souligner l’urgence de la mémoire et les difficultés de la garder vivante, en articulant passé et présent. Il semblerait que la réalisatrice ait été amené à ce documentaire par la découverte du livre Sur la piste de Big Foot, avec un texte de l’écrivain américain Jim Harrison et des photographies de Guy Le Querrec qui ont été prises lors de la chevauchée commémorative de 1990. Déjà lectrice de Jim Harrison, les photos de Sioux chevauchant sur une colline enneigée dans le blizzard auraient particulièrement marqué la cinéaste. Une projection/rencontre autour de The Ride en présence de la réalisatrice a été filmée et relayée ICI sur le blog.

« La dernière chose à laquelle un américain doté de la moindre conscience morale désire penser, ce sont les Sioux. Autant oublier qu’on a des coudes, avant de s’en cogner un, douloureusement, contre une porte. Ca vous arrête net, et cette douleur bénigne vous rappelle des événements nettement plus pénibles, par exemple le jour où vous vous êtes fracturés le dos ou le cou. Les premiers habitants de l’Amérique formaient plus de cinq cents tribus ; nous n’en avons traîté aucune aussi mal que les Sioux. Jusqu’à une date récente, même des historient renommés avaient tendance à évoquer le massacre de Wounded Knee comme « la bataille de Wounded Knee » ce qui revient à parler de la bataille de Treblinka, de la bataille de Buchenwald ou de notre prpre bataille de Mi Laï. Après la fin des « Guerres Indiennes », qui se résument pour l’essentiel à une longue boucherie, il n’y a eu aucun Plan Marshall, mais simplement la création du Bureau des Affaires Indiennes, sans doute l’administration la plus insidieuse de toute l’histoire de notre république. Pour passer du général au particulier, je me rappelle avoir vu, il y a vingt ans, sur la réserve Navajo de Keams Canyon, des enfants infirmes jouer pieds nus dans la neige, une image incroyable. A peine une semaine plus tard, dans les locaux de la Société historique du Nebraska, je regardais des photos prises immédiatement après le massacre de Wounded Knee. Ma vision monoculaire s’est légèrement brouillée (je suis borgne) quand j’ai découvert la photo d’un ravin rempli d’enfants morts. Il avait fait un froid terrible et l’on aurait dit que les membres gelés de ces enfants s’étaient disposés d’eux mêmes pour adresser une supplique maladroite à un ciel muet. Des massacres comparables pour le nombre des victimes avaient déjà eu lieu à Sand Creek, dans l’est du Colorado, chez les Cheyennes, et à Bear Creek chez les Shoshones, quand l’un de nos soldats avait décrit la tuerie comme « une partie de plaisir ». Il est sans doute difficile de connaitre la véritable histoire de notre propre pays, mais la plupart de mes concitoyens ne semblent pas trop s’en inquiéter. Nos manuels scolaires ne reconnaissent jamais clairement que nous sommes descendus de nos bateaux pour anéantir une civilisation extrêmement variée, dont les cinq cents incarnations possédaient un art et une littérature orale d’un raffinement admirable. Nos armes ont inclus revolvers et carabines, famines et maladies »

Jim Harrison, préface à Sur la piste de Big Foot (2000)

Une réflexion sur “Les Sioux du Dakota – Alain Bourrillon (1997)

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