Guerras e imagenes : greaser – Gregorio Rocha (1997)

Gregorio Rocha – Guerras e imagenes : Greaser – Mexique – 1997 – 27 mn

« J’étais à la bibliothèque Benjamin Franklin et j’ai trouvé un livre avec des dessins faits par des soldats américains lors de la guerre [mexico-américaine] de 1846-48; c’était de nouveau pour trouver des sources primaires, cette fois-ci des dessins, j’ai aussi trouvé les écrits des soldats, et j’ai décidé de faire un travail sur ce sujet. J’ai commencé à enquêter et j’ai réalisé qu’ils allaient célébrer les 150 ans de la guerre d’annexion et j’ai commencé à en savoir plus sur cette histoire de l’apparence. J’ai réalisé que je pourrais prolonger ce projet pour faire une histoire des images, pas des relations entre les deux pays, mais une histoire des images qui ont émergé dans les guerres entre les deux pays. Ce que j’ai fait n’était plus d’utiliser l’image comme une addition pour illustrer le texte, mais essayer de trouver l’importance de cette image comme un document, alors j’ai choisi de raconter l’histoire des images, plutôt que l’histoire des événements. Dans cette série, j’ai décidé de donner tout le poids que les images devraient avoir comme documents, pas seulement des images fixes, j’ai déjà inclus le cinéma depuis ses débuts, alors comment la télévision et la vidéo indépendante entrent-elles ?  »

Gregorio Rocha, interview en 2000 (traduction approximative)

Guerras e imagenes est une série documentaire de 108 mn abordant plusieurs aspects des représentations visuelles entre les États-Unis et le Mexique, en particulier dans le contexte des guerres (1846-48, Révolution mexicaine, seconde guerre mondiale…). Je propose ici le deuxième volet intitulé Greaser, la Révolution mexicaine et l’industrie des images dont le montage est composé de cartes postales, photographies et extraits de films (du cameraman indépendant Charles Pryor, des studios américains Kalem Film, Mutual Film…) qui se situent globalement entre 1910 et 1920. Ces images sont articulées à des récits d’époque (politiques, journalistes, écrivains etc). Bien que ce soit le hasard qui m’ait mené à découvrir Greyser, ce volet documentaire s’avère être complémentaire de Reed, Mexico Insurgente (1973), long métrage de Paul Leduc que j’ai relayé ICI sur le blog et où il est notamment question du rapport aux représentations iconographiques de la Révolution. A noter aussi la présence d’un passage qui associe des archives filmiques à la lecture d’extraits des écrits de John Reed.

Gregorio Rocha a d’abord étudié le cinéma à l’UNAM à Mexico avant d’initier une oeuvre documentaire fortement marquée par une articulation à une histoire des représentations iconographiques (cartes postales, cinéma etc). Dès son premier documentaire Tijuana entre deux mondes (1986, production du Colegio de la Frontera Norte) il a « appris à apprécier l’importance des documents graphiques. Surtout dans ce cas j’ai utilisé des cartes postales; J’ai étudié comment Tijuana avait été représentée sur des cartes postales à différents moments et j’ai commencé à essayer de démêler l’histoire qui était à l’intérieur d’une photographie, comment l’image elle-même présentait l’histoire. Cela nécessite sans doute une approche interdisciplinaire, ce que je n’ai pas, j’ai commencé à m’appuyer sur les historiens de la photographie et commencé à enquêter davantage dans l’histoire des façons de voir. Il est devenu important pour moi, primordial, d’utiliser les sources graphiques. » (interview avec Clara Guadalupe García, excellente interview parue en 2000 dans le magazine Our History, La Gaceta CEHIPO). Il a aussi consacré une émission radio de plusieurs volets sur l’histoire de la photographie au Mexique, précisant ainsi une orientation de plus en plus tournée sur un travail de recherche iconographique. C’est ainsi que dans ses documentaires il ne soumet pas l’image à un récit (voix off, intervenants…) et la creuse en profondeur pour ce qu’elle peut révéler ou refléter en soi. D’une certaine manière, sa démarche n’est pas très éloignée des orientations prises par des cinéastes comme le couple Gianikian-Lucchi (voir ICI sur le blog par exemple) ou encore Bill Morrison.

Greaser, la Révolution mexicaine et l’industrie des images (27 mn, VO) :

« Contrairement à ce qui est fait dans les documentaires d’histoire, qui sont basés sur un récit oral que les images tentent d’illustrer, je l’ai fait dans l’autre sens; ici les images sont le scénario et le son tente de justifier ces images: qui les a faites, comment les a-t-on faites, à quoi elles ont servi, comment cette photographie a été utilisée. Alors cet autre projet est sorti: Guerres et images, une histoire des regards entre le Mexique et les États-Unis. »(Gregorio Rocha)

Reed, Mexico Insurgente – Paul Leduc (1973)

Paul Leduc – Reed, Mexico Insurgente – 1973 – Mexique 

« J’ai voulu d’abord montrer l’aspect journalier, humain, de ce qu’on a trop coutume de considérer comme une glorieuse épopée, éviter le folklore, dénoncer l’antagonisme entre dirigeants politiques et militaires, faire ressortir enfin la crise et la prise de conscience du journaliste, témoin d’une réalité qui le dépasse, son attitude d’observateur, puis de participant engagé dans le combat. »

Paul Leduc ( http://www.quinzaine-realisateurs.com/qz_film/reed-mexico-insurgente/ )

C’est le premier long métrage de Paul Leduc dont l’excellent documentaire Etnocidio, notas sobre el Mezquital  (1976) qui porte sur l’ethnocide des Indiens Otomis du Mexique a été relayé ICI sur le blog. Reed, Mexico Insurgente est une adaptation partielle des écrits du journaliste américain John Reed qui avait suivi la Révolution mexicaine en 1913-1914, obtenant notamment une interview avec Pancho Villa. Ce journaliste avait également suivi des luttes ouvrières aux USA et quelques années après le Mexique il a voyagé jusqu’en Russie où son témoignage écrit de la Révolution russe a donné lieu au livre Dix jours qui ébranlèrent le monde. Ici le film se concentre sur la fin 1913 et premiers mois de 1914, jusqu’à la fameuse victoire militaire des troupes de Pancho Villa en avril 1914 avec la prise de Gomez Palacio (secteur de Torréon), une ville à l’extrême sud de l’Etat de Chihuahua et qui représentait un lieu stratégique important par sa situation ferroviaire (voir plus bas dans l’article sur l’importance du train dans la Révolution mexicaine et qui est brillamment traduite dans le film). Production à budget modeste, Reed, Mexico Insurgente a été tourné sur trois mois en décors naturels et fut un premier cas d’utilisation caméra 16 mm et de son en synchrone au Mexique. Cette pratique associée au cinéma dit « cinéma-direct » ou « cinéma-vérité », notamment liée à l’émergence d’un cinéma militant à l’échelle mondiale, est apparue dans les années 60. Mais Paul Leduc a témoigné que le procédé n’était pas pleinement maîtrisé lors du tournage de Reed, Mexico Insurgente, d’où une qualité sonore médiocre en guise de défaut majeur de cette oeuvre. Il serait intéressant de contextualiser ce film au regard du cinéma mexicain consacré à la Révolution et puisque cela n’est pas à ma portée j’encourage à lire le texte « Revolucion y extension reticular » de A. Yillah et R. Alvarado.

A ce jour il existe plusieurs versions du film mais je ne suis pas parvenu à identifier la version la plus souhaitée par Leduc : une version de 124 mn (vraisemblablement celle éditée en DVD), une version de 104 mn et une autre de 90 mn dite « restaurée » sur You Tube (il est vrai que la qualité image y est supérieure aux autres mais je doute que l’auteur soit en phase avec cette version réduite, par exemple ôtée de passages avec Pancho Villa).

FILM INTÉGRAL EN VO (version 104′, qualité correcte) :

UNE VERSION RESTAURÉE EN VO (90′, très bonne qualité image) :

Le style « cinéma-direct » donne au film un aspect documentaire et dégage même une proximité avec le néoréalisme, voire avec le cinéma latino-américain des années 60-70 issu en partie de ce même néoréalisme (cf le documentaire social de l’argentin Fernando Birri, manifeste publié ICI sur le blog). L’intrigue est sommaire avec quelques transitions abruptes et ce qui m’a particulièrement marqué c’est l’atmosphère révolutionnaire diffuse sans héroïsme individuel marqué. D’ailleurs la misère, le danger et la mort, la violence crue du contexte sont présents sans que cela ne soit exprimé par des élans romantiques déplacés. Par ailleurs des personnages historiques comme Pancho Villa et Carranza y apparaissent mais il n’y a pas de focalisation de type hollywoodienne.  Aussi cette prégnance de l’atmosphère exprime bien « la réalité qui dépasse » le journaliste Reed, cet étranger au pays qui peu à peu se fait contaminer par l’environnement révolutionnaire et change d’attitude. En adoptant son point de vue, d’où un certain hermétisme du cadre de l’histoire, le film traduit une perception à échelle humaine et évoque les prise de conscience et implication progressives de Reed pour mener à un geste final puissant dans ce qu’il suggère à la fois aux niveaux individuel et collectif. Ce basculement n’a pas pour autant nécessité un traitement visuel spectaculaire (il y a quelques mouvements de caméra remarquables mais en phase avec l’esthétique et les parti-pris du récit), ni un emploi de musique (idéal pour souligner ou suggérer le lyrisme et le romantisme de situations). C’est ainsi que le cheminement intérieur de Reed est le fruit d’une rencontre avec la réalité, de la même manière que le regard du spectateur est censé s’affranchir d’une représentation artificielle.

 « [Nous nous éloignons des] stéréotypes sur la Révolution mexicaine, à l’opposé de toute mythification, et si le son n’est pas toujours parfait, le sépia de l’image (tournée en 16 mm, gonflée en 35 mm) nous rapproche des images originelles tournées ces années-là. »

Monique Blaquière-Roumette et Bernard Gille, Films des Amériques latines

Images tournées en 1914 : la bataille d’Ojinaga

Sur ce montage de séquences tournées en 1914 par la Mutual Film Company, notons quelques similitudes qui peuvent apparaître dans Reed, Mexico Insurgente (bien que j’ignore si Leduc avait pu voir ces archives)

Plusieurs images de la Révolution mexicaine ont été tournées, notamment par l’indépendant Charles Pryor ou encore par la compagnie hollywoodienne Mutual Film. Vers 1914, cette société américaine signa en effet un gros contrat avec Pancho Villa pour suivre la bataille d’Ojinaga (celle-là même dont il est question à la fin de Reed, Mexico Insurgente), et fait notoire cela apporta un gros soutien financier à la Révolution. Il s’agissait de tourner des images de terrain dans le cadre d’une espèce de docu-fiction avant l’heure intitulé La vie du Général Villa. Un certain Raoul Walsh fut ainsi envoyé au Mexique avec un autre cameraman tandis que Griffith était le réalisateur. Mais non seulement une majorité de scènes en studio furent finalement incorporées au film (avec Walsh dans le rôle de Villa) mais il semblerait aussi que les images in situ relevèrent fréquemment de la mise en scène avec la complicité de Villa en personne, tel un cinéaste cherchant à faire part de sa vision de la Révolution. Le film sorti aux USA en 1914 a longtemps été perdu, puis les bobines ont été retrouvées et ont fait l’objet d’un documentaire en 2004. Pour plus de détails sur ce film et notamment le rôle de Villa, je renvoie au long texte publié ICI sur un site consacré au cinéma mexicain.

Outre le procédé du cinéma direct et la teinte sépia de l’image à l’allure archives d’époque, le registre iconographique fait écho à des images clés de la Révolution telles qu’elles ont été fournies par les photos de l’époque et érigées en symboles nationaux dans les décennies qui ont suivi, contribuant à la germe de mythes fondateurs par ailleurs instrumentalisés par le pouvoir post-Révolution. A cet égard, je rappelle l’excellentissime documentaire Mexico, la Révolution congelée (1970) réalisé par le cinéaste militant argentin Raymundo Gleyzer deux ans à peine avant Reed, Mexico Insurgente (film présenté et relayé ICI sur le blog).

Photo de la Révolution mexicaine : les révolutionnaires à l’assaut des trains

Une formidable séquence du film est similaire à ces photos récurrentes de la Révolution

Parmi les images fortes issues de la mémoire de la Révolution qui ont été reprises dans Reed, Mexico Insurgente, il y a notamment la relation stratégique des révolutionnaires avec le chemin de fer qui fut en effet un élément clé dans l’avancée des troupes et les approvisionnements. A cet égard il y a une séquence particulièrement réussie où le train incarne en quelque sorte le mouvement révolutionnaire. En quelques plans, le cinéaste esquisse un portrait du peuple qui au départ de Chihuahua prend d’assaut le train en direction du secteur de Torréon et exprime métaphoriquement le mouvement révolutionnaire qui gagne le pays. La scène est aussi brève que puissante par l’impression qu’elle transmet. Comme Reed nous sommes témoin de ce mouvement et à l’image des enfants qui courent après le train il y a comme une envie de l’accompagner. De la même manière que Reed est au départ étranger à une réalité qu’il découvre et dans laquelle il s’engage peu à peu (lien fraternel avec un soldat etc), nous nous rapprochons d’une époque par le biais du cinéma sans que celui-ci doive en rester à une position de spectacle nostalgique, esthétique ou narratif. Il s’agit donc de prendre le train en marche et c’est à bord de ce même train que Reed se voit proposé un taco par une Soldadera, autre icône de la Révolution.

Photos de la Révolution mexicaine : les Soldaderas

Présentes à quelques reprises dans le film mais pas au travers d’une glorification romantique de la femme soldat

« La Soldadera était le rôle le plus typique joué par les femmes dans la contribution à la révolution mexicaine. C’était typique dans la mesure où elle impliquait un grand nombre de femmes et qu’elles suivaient les rôles les plus reconnus des femmes en tant que dispensatrices de soins. Bien qu’elles se battent occasionnellement au combat, ces femmes voyageaient généralement avec les armées révolutionnaires pour chercher de la nourriture, préparer des repas, soigner les blessés, laver les vêtements et d’autres services non fournis par l’armée. Bien que certains auteurs ne fassent pas la distinction entre les Soldaderas et les femmes combattantes, Andrés Reséndez Fuentes établit une distinction claire entre les femmes qui ont servi de support vital aux combattants et celles qui ont réellement participé aux combats. Les Soldaderas ont enduré des conditions de vie misérables, la malnutrition, et même la maternité dans un environnement inhospitalier. Les Soldaderas dont les maris sont morts au combat continuaient souvent dans leurs rôles de Soldadera d’un autre soldat. Alors que «aucune armée de la révolution ne s’est battue sans les femmes, mais que chacune a organisé la participation féminine d’une manière distincte», les Soldaderas restaient généralement anonymes et n’étaient jamais reconnues pour leur contribution indispensable à la révolution. »

Extrait d’un article mexicain relayé sur le site Mexfiles (traduction approximative !)

Les Soldaderas sont devenues une représentation majeure de la Révolution et d’ailleurs un film intitulé La Soldadera fut réalisé en 1966 par le mexicain Jose Bolanos. Je ne l’ai pas regardé mais je glisse un lien de visionnage ci-dessous pour qui s’y intéresse.

La Soldadera, Jose Bolanos (1966, VO)

Il semblerait que La Soldadera partage quelques parti pris formels avec Reed, Mexico Insurgente et soit aussi (partiellement) adapté des écrits de John Reed qui donnent une version moins romantique des Soldaderas que l’icône des femmes-soldats vraisemblablement la plus répandue de nos jours (mais je me trompe peut-être). Bien sûr les femmes soldats révolutionnaires ont existé, ont contribué aux batailles (ce qui est montré dans le film de Leduc à travers le personnage d’une Soldadera armée) et comme d’autres révolutions cela n’apparaît pas forcément de manière positive dans la mémoire des luttes, mais comme le précise la citation ci-dessus la participation active des Soldaderas ne peut se réduire à la dimension « romantique » des femmes armées et à cette fonction. La réalité des Soldaderas fut plus complexe et plus sombre que ne le laisse suggérer certaines réductions iconiques (dans un sens « femme épouse » comme dans un sens « femme soldat »). De ce point de vue Reed, Mexico Insurgente déroge à la mythification et au folklore comme pour d’autres composantes de la Révolution présentes dans le film. Sur la formation d’icônes de la Révolution et leur instrumentalisation politique, j’encourage à la lecture du texte intitulé « la photographie au service d’un mythe fondateur de la révolution » (rédigé en français) qui propose une analyse synthétique sur l’utilisation de la photographie dans les décennies de post-révolution, comment par exemples certaines icônes se sont imposées au gré des contextes politiques (telle la Soldadera qui fut longtemps perçue avant tout comme la femme du soldat, et non comme un soldat). Ce texte est complémentaire de celui plus haut consacré au cinéma mexicain dans son rapport à la Révolution.

Photo de la Révolution mexicaine (1915) : des partisanes de Zapata prisonnières

Si ce film m’a donc fait forte impression, de nombreux aspects m’échappent ne serait-ce que par ma méconnaissance du Mexique et de la Révolution mexicaine. A mon humble avis (et c’est logique), ce film doit davantage parler aux mexicains et mexicaines. Je pense notamment qu’il y a un propos sur la mémoire et l’approche de la période révolutionnaire mexicaine parallèlement à un dispositif cinématographique qui se refuse à une forme commerciale et purement nostalgique de la Révolution. Mais peut être que plus qu’un film sur la Révolution, il s’agit d’un film sur le rapport à la lutte révolutionnaire et notre propre engagement. J’ai commencé à songer à quelques mises en abîme ici et là mais il me faudrait revoir le film pour davantage creuser cette sensation.

Yolanda Cruz – 2501 migrants (2009) et courts métrages

Yolanda Cruz – Mexique

« Dans mes films , je ne veux pas que les gens viennent juste s’asseoir et observer. Je veux qu’ils se demandent comment ils font partie du film, comment ils font aussi partie de la culture en train d’être présentée. Ça a été très important pour moi de représenter les communautés indigènes de manière non stéréotypée et c’est ce que je tente de façon répétée dans mon travail. » 

Yolanda Cruz est une cinéaste de Oaxaca au Mexique, née dans une communauté Chatino. Diplômée de l’école de cinéma de l’UCLA (USA) et du Native Lab Sundance Institute (Sundance est célèbre pour son fameux Festival du Film Indépendant, et ce programme vise à soutenir les cinéastes indigènes américains; plusieurs ont contribué à la fondation de Sundance). Cruz habite désormais aux USA. Elle a réalisé sept documentaires sur les populations indigènes de Oaxaca, pas seulement in situ puisqu’elle s’intéresse aussi aux dynamiques migratoires, tant internes au Mexique que les émigrations aux USA. En 2003 elle a d’ailleurs créé la société Petate production dont la démarche est d’utiliser le film et la video comme réflexion sur le déplacement de la culture indigène de Oaxaca. Récemment, Cruz s’est également mise au long métrage de fiction.

C’est en surfant sur le formidable site Bretagne et diversité que j’ai découvert un premier documentaire de la cinéaste et dont on peut regarder en intégralité plusieurs films ICI sur sa chaîne Vimeo. Par son travail qui porte essentiellement sur les communautés indigènes de l’état de Oaxaca au Mexique, elle vise aussi à créer un lien important avec celles-ci et influer sur le présent. Il ne s’agit pas d’une démarche passive et elle implique une association étroite avec les filmés ainsi qu’une prise en compte du public en partie visé.

« Pour moi, le cinéma était un moyen beaucoup plus actif que la photographie. Je voulais quelque chose d’interactif qui pourrait être utilisé comme un outil pour organiser et donner une voix à la communauté à laquelle j’appartiens. » (Yolanda Cruz, interview)

C’est ainsi que son approche se démarque des représentations clichés ou figées des indigènes. Ses films véhiculent plusieurs questionnements tels que l’identité et sa préservation, l’organisation indigène (au Mexique et aux USA) ou encore l’émigration.

« Je pense aussi que mes films dissipent le mythe que les populations indigènes ne contribuent pas à la société mondiale. Ils font plus que simplement maintenir les traditions et histoire. Je ne vais pas juste leur demander de me parler à propos de leurs vieilles histoires. Les peuples indigènes sont préoccupés par ce qui se passe dans le monde et je veux leur donner une chance d’exprimer leur opinion. » (Yolanda Cruz, interview)

 

Ainsi je relaie ci-dessous quelques uns de ses films, avec une petite présentation pour chacun. Sauf précision, toutes les citations sont de Yolanda Cruz. Elles sont tirées de sources anglophones ou hispaniques sur lesquelles s’appuie cet article du blog. Pour qui veut se rendre directement aux sources, les liens sont précisés en toute fin d’article.

 

Entre suenos – 2000 – 6 mn

Ce court métrage a été réalisé dans le cadre de ses études à l’UCLA et indique déjà la thématique de son travail. Une jeune femme y est en quête de son identité. J’ai trouvé très intéressant la confrontation avec les représentations, notamment celles du cinéma. Ce film a été sélectionné pour le Festival de Sundance 2000.

 

Suenos binationales – 2006 – 30 mn

(meilleure qualité d’image ICI)

« Je pense [que Avatar] est un beau film. C’est une formule typique d’Hollywood, dans le sens où il doit y avoir la guerre et beaucoup d’explosions, mais c’est une histoire classique de la colonisation. Il y a le problème que le film dépeint l’idée typique que nous allons tous être sauvé par un mec blanc. Je ne vois pas ça comme mon combat pour agir. C’est le fantasme de quelqu’un d’autre, pas le mien. Je peux apprécier les beaux éléments dans le film, mais dans le squelette de l’histoire il y a des choses qui sont assez prévisibles. »

Ce film porte sur l’émigration aux USA de populations indigènes de Oaxaca, à partir de témoignages issus de deux communautés fortement concernées : mixtèque (migration en Californie) et chatino (migration en Caroline du nord). Le documentaire articule témoignages filmés aux USA et au Mexique, abordant non seulement les expériences engendrées dans le nouveau lieu de vie  mais aussi les perceptions, conséquences et adaptations dans les lieux d’origine. Par exemple, dans la première partie consacrée aux mixtèques, il est question de l’auto-organisation indigène à Los Angeles à travers le Frente Indigena Oaxaqueno Binacional (FIAB) ainsi que celle de la communauté restée à Oaxaca où les femmes se sont organisées pour combler le départ massif des hommes. Une articulation régulière entre « ici » et « là-bas » qui est très intéressant, amenant aussi le questionnement sur la préservation de l’identité, du rapport à sa culture. D’ailleurs, le ton est plus pessimiste dans la partie consacrée à la migration plus récente des chatinos. Il y a comme une perte.

« Quand je suis arrivé à la ville de Oaxaca, j’étais indigène. Puis quand je suis arrivé aux États-Unis, j’étais Latine, une Mexicaine. Et, maintenant, quand je retourne au Mexique je suis Chatino, et quand je vais en Europe, je suis une immigrante. J’embrasse toutes les étiquettes. Je pense qu’il est très important de reconnaître que les gens se sont battus très dur pour leurs identités. Mais plus que tout, je me considère comme une cinéaste indigène »

https://vimeo.com/32907773

 

2501 migrants – 2009 – 53 mn

« J’ai été très chanceuse avec ce film. Son axe principal était l’art et tout le monde aime l’ art, donc il a été très bien financé. Le film est très bien, je suis contente parce que j’ai acquis beaucoup d’expérience et j’ai fais mes preuves comme cinéaste mature. Parfois, les gens peuvent poser des questions comme « qui veut voir ce documentaire sur ces populations autochtones ? » mais il y a un public là-bas qui est très intéressé. J’ai eu une très bonne réception et je pense de plus en plus que le monde change. »

C’est le premier long métrage documentaire de Yolanda Cruz, réalisé pour sa thèse à l’UCLA. Sélectionné au Festival de Sundance 2009 et Festival International du film de Santa Barbara, il a été récompensé meilleur documentaire au Festival International du Film de Guanajuato. 2501 migrants part d’une réalisation d’Alejandro Santiago (décédé en 2013), un artiste oaxacan qui a associé la communauté en faisant une oeuvre monumentale composée de 2501 statues d’argile. Elles représentent les migrants qui ont quitté son village natal devenu « une ville fantôme« . J’avais été marqué par le film indépendant américain de Linklater intitulé Fast food nation. Il y est notamment question de l’immigration mexicaine exploitée dans l’industrie alimentaire, avec une dernière séquence magistrale et des références aux morts dans le désert californien. Ici, c’est l’occasion de se pencher sur cette immigration depuis un point de vue situé de l’autre côté de la frontière, depuis une communauté Oaxacan :

« La plupart de mes films sont sur l’organisation communauté Oaxacan au Mexique et aux États-Unis. J’ai appris l’histoire de Santiago quelques années auparavant. Je trouvais que son projet de créer des  centaines de statues d’argile représentant les migrants qui avaient quitté la région était un peu fou. Mais alors je compris qu’en tant qu’artiste son rêve était de peupler son village parce qu’il le sentait vide. Santiago avait lui-même quitté Oaxaca et revint plus tard. Lui et moi avons beaucoup en commun. Nous avons tous deux immigré quand nous étions très jeunes et maintenant nous sommes tous deux à essayer de faire quelque chose pour notre communauté même si la communauté n’a jamais rien demandé. Nous voulons tous être la voix de nos communautés, [avoir à dire] sur la façon dont les choses devraient être, mais ensuite nous partons. Contrairement à la population locale, nous sommes des immigrants qui ont le privilège d’aller et revenir des États-Unis. Dans le film, j’ai commencé à explorer cette idée et je pense que ça lui donne une perspective très honnête. Le film n’est pas sur comment il était une fois Santiago a créé une statue et tout monde est heureux. »

 

El reloj (La montre) – Fiction – 6 mn – 2013

Plus récemment, Yolanda Cruz a aussi réaliser des courts métrages de fictions dont celui-ci. Un zapothèque rend visite à sa petite fille à Oaxaca. Après un passage à l’église, dans une rue de Oaxaca survient un incident à un stand de montres.  La cinéaste avait à peine six ans quand avec la famille elle a quitté son village pour la ville. Elle a témoigné dans une interview :

« Au Mexique, il y a beaucoup de discrimination à l’égard des populations indigènes, en particulier contre ceux qui conservent leur langue et les coutumes. Plus que tout je pense que cette discrimination a à voir avec l’ ignorance. Quand je suis arrivé à la ville, je devais créer mon propre espace et laisser les autres savoir qu’ils ne pouvaient pas jouer avec moi. Je devais briser des stéréotypes négatifs que les autres avaient de moi et prouver qu’ils ont tort. »

VO sous-titrée anglais :

https://vimeo.com/74639951

 

Aux dernières nouvelles que j’ai pu glané sur internet, Yolanda Cruz travaille sur une série consacrée à des portraits de migrants (Migrants heroes) et portait aussi un projet de long métrage de fiction intitulé La raya. Il a semble-t-il été réalisé vers 2015 (?). En tout cas, voilà comment elle présentait ce projet :

« C’est un garçon qui vit dans une ville [où] tous les hommes adultes sont partis, et il veut faire la même chose. Mais il attend de grandir un peu, car il a onze ans. Puis un jour il trouve un réfrigérateur et il décide de le vendre, pensant que c’est son billet pour les Etats-Unis. Pourtant le réfrigérateur tombe en panne, lui donne beaucoup de maux de tête et il ne peut pas le vendre. C’est essentiellement une comédie sur la survie. »

Sources internet à propos du travail de Yolanda Cruz :

Hermogenes Cayo, el imaginero – Jorge Preloran (1969)

Le style de ma seconde étape cinématographique peut se définir ainsi : « se mettre au service des autres ».  (…)

D’abord mes films étaient simplement des récits de voyage, des documents à distance de lieux et d’événements sans réelle implication de moi. Puis, lentement, il me semble avoir perdu ma timidité à être plus près des gens … Mais un des éléments de changement profond dans mon cinéma devait être dans la bande son. Petit à petit les gens ont commencé à parler, à partager leurs pensées avec nous, nous expliquant comment ils ont fait des choses que nous avons vu et pourquoi. Finalement, j’ai essayé de quasiment supprimer le narrateur, cet étranger qui avec un scénario prudent et une voix antiseptique explique froidement ce que nous voyons, ou ce que nous sommes censés rechercher dans le film.

Jorge Preloran

 

EN ENTIER – Cayo Hermones – El Imaginero – VO – 70 mn – 1969 – Argentine

Hermógenes Cayo est un sculpteur et peintre autodidacte qui vit sur ​​le haut plateau andin de l’Argentine (dans la Puna, à Cochinaca). Le film dépeint Hermógenes, sa femme Aurelia Kilpe, et leurs enfants dans leur mode de vie andine, ainsi que la passion pour la peinture d’Hermogène, la sculpture, la construction, et sa dévotion à la Vierge Marie.

 

Dernièrement, je quittais la note (ICI) introduisant la filmographie de Jorge Preloran avec trois courts-métrages de sa période de collaboration avec l’Université de Tucuman et Fonds des Arts autour du folklore argentin (1965-69), en collaboration avec le spécialiste Augusto Raul Cortazar. La caméra d’Iruya (1968) donnait lieu à de premiers élans de complicité avec les personnes filmées, malgré une narration encore externe à ceux-ci (voix off d’un-e collaborateur-trice du cinéaste).

Cayo Hermones  entérine cette période de quatre ans et constitue un tournant de la filmographie de Preloran, y amorçant son fameux cinéma « ethno-biographique« , ainsi nommé par l’auteur lui-même. Ce film a été considéré parmi les dix meilleurs films argentins de toute l’histoire du cinéma par un ensemble de critiques argentins des années 2000.

Le « tournage » a en fait démarré en 1966. Preloran connaissait depuis longtemps Hermogenes, et a enregistré des entretiens audio avant même de songer à réaliser un film. Puis en 1966 il a commencé à tourner des séquences en lien avec les histoires et pensées du peintre. Tourné pendant deux ans, le documentaire a nécessité deux années supplémentaires de modifications (d’où la confusion des dates parfois entre 1967 fin de tournage et 1969 film achevé). Hermogenes décède avant la finalisation du film, mais Preloran le montre à sa famille dont il obtient alors l’approbation. Cette genèse du film illustre le tournant dans la démarche du cinéaste : prise de sons sans images et leur utilisation, contact intime réel au-delà de la présence de la caméra et voire indépendamment du film, rapprochement concret d’une réalité, travail sur la durée, engagement personnel vis à vis d’un lieu et de personnes …

« La seule façon que j’ai de connaître quelqu’un est qu’il me parle pendant des heures. Quand il le fait, il me révèle son âme et me fait voir sa vision du monde. Après des mois, ces monologues deviennent chaleureux et intimes, et l’intimité est directement transmise au spectateur par la bande son. Ce sont des révélations faites à un ami attentif et ils ont une valeur, une vérité, une magie qui est difficile d’obtenir par d’autres moyens. »

Jorge Preloran

Le récit relève d’Hermogenes en personne, bien que le montage relève de la construction synthétique de Preloran. Le montage associe images et parole, enregistrées séparément et interagissant. Sans incarner de fonction bêtement illustrative, les deux registres gardent une complémentarité ; l’autonomie de chacun en donne beaucoup de force, notamment les images qui ne répondent plus vraiment à de la curiosité ethnographique et remplaçant le principe de l’étude d’une personne par la connivence, la proximité intime en quelque sorte. D’où une intériorité transmise par la voix qui accompagne les images du cinéaste, plutôt que le langage descriptif d’un cameraman-ethnologue encore palpable dans les courts métrages précédant Hermogenes Cayo.

 « Parce que je documentais sa vie quotidienne, il a fait quelques suggestions à propos de ce qu’il voulait que je filme. Peu à peu, le film est devenu un voyage de découverte autant sur ​​Hermogène que sur sa façon de penser et de regarder le monde. Beaucoup de chercheurs critiquent l’ethnographie classique pour avoir l’air de se dérouler en dehors du passage du temps, comme si les sujets existent dans une sorte de primitif « jamais-jamais », en terre sans histoire, comme s’ils vivent de génération en génération dans un état ​​de développement suspendu. »

Jorge Preloran

Ce dernier propos du cinéaste amène également à un point fort du film, et de sa filmographie : le métissage (en plus d’une focalisation sur l’engagement artistique). Le cinéaste s’intéresse beaucoup aux manifestations culturelles du métissage (ou à son absence, aux résistances culturelles indigènes etc sans y rechercher l’exotisme et la dés-historisation.) Ici la religion manifeste des traits imposés initialement par la colonisation, ayant pris totalement le pas alors sur la religion indigène. Certains reprochent au film le caractère marginal d’Hermogène, faisant donc de ce dernier un individu à part, non symptomatique d’une réalité collective locale. Une intéressant retour à ce sujet est consultable ICI, issu d’un texte publié en 1970 dans American anthropologist, ce qui par la même occasion situe un peu l’accueil critique du film à l’époque de sa sortie.

Il est à noter qu’une version anglaise a été faite en 1970 avec la collaboration de l’anthropologue américain Robert Gardner. Intitulée Imaginero, en voici le début ci-dessous. Je crois comprendre que cette version est plus accessible en DVD que la version espagnole initiale. Espérons en tout cas que des sous titres français existent en édition DVD, pour un documentaire latino-américain, une fois de plus, relativement introuvable :

Garrincha, alegria do povo (Garrincha, la joie du peuple) – Joaquim Pedro de Andrade (1963)

[mise à jour du 03 février 2014]

EXTRAITS/ENTIER – Brésil – VO non sous titrée – 57 mn

Voici un film important autour de Garrincha, immense joueur d’origine amérindienne du football brésilien, et évoqué aussi dans un documentaire de Jean-Christophe Rosé (ICI sur le blog). C’est aussi l’un des premiers films abordant directement la pratique du football tout en le traitant dans ses dimensions sociales, notamment populaire. Le film d’Andrade est un versant documentaire du Cinema Novo du Brésil, contemporain des Glauber Rocha et autres Pereira Dos Santos dont les films alors se déroulent plutôt dans le Nordeste Brésilien, en milieu rural, soit la région la plus pauvre du pays.

Bande annonce, sous titrée français :

 

Séquence d’ouverture du film (dans la foulée du générique) 

Cette séquence, quasi muette, est particulièrement frappante. Elle cible d’une part sur le style de jeu si particulier de Garrincha;  d’autre part sur le public et notamment l’expression des visages. Le joueur « boiteux » avait une jambe plus courte que l’autre et c’est un pied de nez à la science médicale et sportive que d’avoir pu jouer non seulement au foot, mais aussi à un niveau professionnel et international. Andrade focalise sur ses jambes, qui se mettent à « voler » et font de Garrincha un « poète« ; collées au sol, les vues alternent progressivement avec la sensation de « décollage », dépassant le seul terrain de foot comme si quelque chose d’autre – peut être immatériel – survenait (bien que les images ne quittent pas une seule fois le terrain et le stade), tout en filmant des personnes des tribunes, notamment au niveau des moins chères du stade (les « gerais ») où la visibilité du match est la plus médiocre, compensée par la proximité du terrain et des joueurs. Andrade filme le foot comme un art, souligné par les différents registres d’images et  la dynamique de montage. Au niveau du travail sonore, il y a comme la volonté de privilégier une intériorité du footballeur, dont on perçoit la préparation aux vestiaires, avant le brouhaha des tribunes qui survient comme un son de fond. Cette ouverture établit aussi visuellement le lien entre le « bas peuple » en tribunes, et notamment de Noirs saisis en gros plan dans leurs réactions (parmi d’autres), avec l' »oiseaupoète » du terrain (ainsi le nomme la voix off), l’être « anormal« . Andrade a fait le choix de traiter du football comme culture populaire urbaine et la première séquence n’en dément pas l’intention. Le générique est à cet égard sans ambiguité sur une pratique populaire aussi du foot, au-delà des grands terrains professionnels : les gamins jouant dans la rue ou à la plage, ainsi un qui manque de se faire écraser par un bus en allant récupérer le ballon de l’autre côté de la route… avec le pied. Le sujet du film, au-delà de Garrincha lui-même, porte poésie et réflexion (parfois très critique) sur les liens entre football et peuple, ce dernier étant un des éléments récurrents du cinéma latino américain révolutionnaire des années 60-70 : cinema nuovo au Brésil, mais aussi le groupe Ukuamau en Bolivie, le Cine Liberacion ou Cine de la Base en Argentine etc. Pour ce qui nous concerne ici, quelle est cette joie du peuple ? Une forme de libération par la joie… jusqu’à quel point ?

Je suis tombé par hasard sur un texte d’une vingtaine de pages portant sur Garrincha, écrit en 1989 (6 ans après son décès), et j’en encourage vivement la lecture. Certes il y est (rapidement) question de ce documentaire (des précisions alors sur les tribunes), mais surtout parce qu’il contextualise bien le football tout en étant précis sur la pratique même du football. Un retour conséquent sur le parcours de Garrincha est là aussi présent, y compris après 1963 (date du film), tout en le reliant à la société et ses discours/représentations autour du joueur, d’où une fertilité conséquente de citations d’époque (presse etc). Intitulé « La disparition de la joie du peuple« , cliquer ICI pour y accéder.

J’en glisse ci-dessous un extrait de cet texte, à propos du racisme dans le foot des années 50 et 60 au Brésil. Ce passage m’a fait pensé – toute proportion gardée – aux récentes déclarations ayant trait à l’équipe de France de football et ses « cancres » arabes particulièrement visés par quelques journalistes français. De quoi ici, en effet, ne pas détacher les discours footballistique de certaines représentations sociales et réalités politiques dans le pays :

« La finale perdue en 1950 contre la médiocre équipe d’Uruguay, alors que les brésiliens étaient favoris après une compétition brillante, souleva des récriminations sournoisement racistes contre l’arrière gauche Bigode et le gardien Barbose, deux Noirs qui servirent de bouc émissaires parce qu’ils avaient eu la malchance de contribuer aux deux buts de l’équipe adverse.Cette défaite (…) fonctionna comme la métaphore des autres défaites de la société brésilienne et réactiva du même coup les vieilles théories racistes sur les causes du retard de cette société. Elle servit même de point de départ et de base empirique à la rédaction d’ouvrages qui considéraient le football comme un « laboratoire »où l’on aurait vu immédiatement à l’oeuvre les principales caractéristiques du peuple brésilien. Le meilleur exemple en est donné par les deux livres de Joao Lyra Filho qui se qualifie lui même de « scientifique social ». (…) Dans le parallèle avec ces joueurs qu’il considérait comme les Européens par excellence, l’auteur faisait ressortir que les Brésiliens étaient toujours du côté des instincts par opposition à la raison, du côté de l’immaturité par opposition à la maturité et au self-control, et que, finalement, ces défauts étaient le produit du métissage et l’héritage de la race noire ».

Jose Sergio Leite Lopes, Sylvain Maresca, La disparition de la joie du peuple (1989)

 

Le film en entier (qualité médiocre) et sans sous titres :

Jorge Preloran : films pour l’Université Nationale de Tucuman (1965-69)

En cuanto a si el cine que hago puede catalogarse como etnográfico, debo advertir que no. No soy etnólogo, ni sociólogo, ni antropólogo. Realizo mis trabajos a la inversa de un científico. Entro en contacto con uno, dos o tres individuos y trato de sumergirme en sus problemas, y con estos problemas se forma el universo de estas personas, de vidas similares y diferentes a las nuestras. En general, los trabajos antropológicos son racistas, por dos razones: 1) porque la antropología empezó siendo una ciencia racista, para tratar de controlar a los dominados; y 2) porque los antropólogos son gente sofisticada, muy culta, en el sentido urbano de civilización.

Jorge Preloran

 

Jorge Prelorán est relativement inconnu en France, me semble-t-il. Pour ma part ce n’est que récemment que j’ai découvert une (très) petite partie de sa filmographie , euh, conséquente (une soixantaine de films !).  Je propose ici un retour introductif à son travail, puis le relais de quelques films de la période durant laquelle il réalisait encore pour l’Université Nationale de Tucuman en Argentine.

Considéré comme un des pionniers du cinéma documentaire en Argentine, il avait été évoqué dans une précédente note consacrée à une période documentaire du cinéaste Raymundo Gleyzer (ICI sur le blog). Les deux argentins avaient en effet co-réalisé deux films, dont Sucedio en el Hualfin (1965). Le cinéma de Preloran porte en général sur les communautés paysannes andines. Les métissages, les marginaux, les communautés  moins pénétrées par la société « moderne »,  jusqu’à témoigner de l’ethnocide, y tiennent une place très importante. Il a développé un cinéma documentaire singulier, et est désigné par le terme « ethno-biographie », soulignant bien là un genre très personnel et qui aura interpellé Jean Rouch dans la rupture occasionnée avec le formatage du cinéma ethnologique/anthropologique classique. Preloran ne revendiquait d’ailleurs pas (plus ?) du tout son cinéma comme ethnologique ou anthropologique, sans non plus le considérer comme de l’art. Quelques procédés-prémisses ont pu être décelés dans les collaborations avec R. Gleyzer, perdurant même dans quelques documentaires solos de ce dernier avant sa période militante (très) accentuée du début des années 70. Ainsi le son aynchrone par exemple : Preloran privilégiait l’enregistrement séparé du son et des images, bien que le son synchrone arrive dans la période des années 60 (éclosion du cinéma direct etc), ce qu’il rappelle aussi en terme d’économie de rushes (quand le numérique n’existait pas encore) tandis qu’il a toujours tourné à petit budget. Les paroles, ainsi, sont enregistrées dans un contexte et contact humain autres qu’un face caméra, et associées, par le montage, à des images ne correspondant pas au même moment.

Ce dispositif de tournage décline un autre rapport aux personnes et favorise un autre regard,  différent de la traditionnelle observation distanciée (de rigueur en anthropologie) qui privilégie un film tourné à la 3ème personne à l’égard d’une personne « objet »; or cette dernière tend à contaminer le film par le « je », même si une part d’observation demeure, cela va sans dire. En fait, en rupture avec l' »objectivité » dominante et maîtresse du dispositif cinématographique, la narration est en partie entreprise par la(les) personne(s) filmée(s), parvenant à une certaine fabulation (ce qui fit précisément l’admiration de Jean Rouch). C’est sans doute l’aspect le plus souvent rappelé parmi les particularités du cinéma de Preloran, et qui fut décliné à un moment où cela était peu pratiqué dans le cinéma documentaire, du moins c’était complètement absent du cinéma anthropologique /ethnologique de l’époque où régnaient la distance, l’objectivité et le descriptif. Il y a clairement initié la voix (et voie) subjective.

Il serait dommage néanmoins de réduire la filmographie de l’argentin à cette « asynchronisation », où il faudrait voir une simple distinction technique permettant de jaser (inutilement) un peu « en spécialiste » sur un cinéaste dont, dans le fond, les films nous indifféreraient. En plus du fait que le son asynchrone n’était pas systématique au sein de ses réalisations et du caractère vraisemblablement hétérogène de sa filmographie (qui m’échappe beaucoup puisque je n’ai pas vu grand chose), ce sont les quelques implications fort intéressantes du procédé qui sont à prendre en compte ici (notamment en implications poétiques, voire politiques, bien que son cinéma soit le plus souvent décrit, y compris par lui-même, comme « humaniste »). Voici ce que précisait Preloran en revenant sur l’arrivée du son synchrone dans les années 60, et dont par exemple des théories de tournage – dans la capture de la réalité – découlaient lors de son enseignement anthropologie/cinéma à l’UCLA (Los Angeles) :

[c’est ma traduction française du propos, d’où des approximations !]

« Donc le son synchrone a amené le besoin d’une équipe de réalisation à deux personnes dans laquelle le cameraman et le preneur de son devaient être dans un tel bon rythme – c’était vraiment une équipe – qu’ils sont arrivés à être très, très ingénieux à ça. Il amène aussi une réserve, peut-être; il en fait des techniciens faisant un film. Je ne sais pas si c’est mieux, parce que si vous filmez attentivement pour reproduire exactement ce qui se passe, vous êtes plus intéressés par la forme qu’au contenu … (…) la chose importante est la vérité, la vérité réelle, pas la vérité apparente qui se poursuit en continue à l’écran. Donc d’une part la synchronisation c’est bien comme approche scientifique parce que vous voyez exactement ce qui se passe dans le même continuum de temps. Mais, d’autre part, faire un film c’est différent. Filmer pour moi a une connotation différente. C’est une forme d’art. Vous devez essayer de synthétiser ce qui s’est passé. Et ainsi, vous créez un nouvel objet qui est le film … Je n’utiliserais pas le son synchro – car bien sûr vous l’utilisez – comme quelque chose que vous faites nécessairement, par possibilité technique. Mais plutôt pour enregistrer les bruits et la musique et les choses environnantes, mais alors utiliser ça avec, peut-être, le commentaire sonore pour vous apporter ce que j’évoquais auparavant, l’âme des personnes. »

Preloran, 1976

Un documentaire de Fermin Rivera a été réalisé en 2010 et intitulé Huallas y memoria [Traces et mémoire] de Jorge Preloran. Élève de ce dernier, Rivera tourne le film pendant cinq ans, accompagnant Preloran dans quelques pays et qui était alors toujours en travail malgré son âge et surtout sa maladie. Il est décédé pendant le tournage (en 2009). Je crains un p’tit poncif biographique du documentaire mais je n’en ai vu que quelques extraits et je ne m’avance donc pas davantage là-dessus, évidemment. Si Preloran et ses films sont méconnus, y compris en Argentine semble-t-il, et ce malgré une réputation de documentariste prestigieuse, le film de Rivera a été en revanche multi-primé en Amérique Latine (dans des Festivals tenus aux Mexique, Cuba, Argentine, Chili, Uruguay…). Bref, l’ouverture du film est un moment très intéressant, soit le cinéaste confronté à un dispositif qu’il ne pratique pas dans son travail documentaire, et c’est alors une entrée en matière dans une des composantes de son cinéma, évoquée donc plus haut :

EXTRAIT – Sous-titré anglais

 

Enfin, en plus d’avoir tourné des films à petit budget et équipe réduite au début des années 60, sur les gauchos, il est signaler que Preloran a inspiré en partie sa démarche documentaire du néoréalisme italien, passant notamment par un contact intime aux personnes filmées (se jouant hors caméra) et le caractère « hasardeux » du tournage (pas de calcul préétabli des scènes, improvisation, prise unique etc). Cela passe par une rupture avec le caractère superficiel de la reconstitution et la distance de l’observation scientifique. Il exprima ainsi que « rien ne doit être dramatisé ou fictionnalisé, mis en action ou reconstruit, et le réalisateur doit disparaître » (1976). Bien entendu les films de Preloran restent subjectifs (montage etc) et, comme il le précise par ailleurs, faire un film est un acte nécessairement esthétique quand bien même il se refuse à être considéré comme un artiste. Bref, cela n’est pas le premier rapprochement du cinéma argentin de la période avec ce cinéma italien d’après guerre; souvenons-nous de Fernando Birri par exemple, l’auteur du Manifeste de Santa Fe (ICI sur le blog) et pionnier du documentaire… social.

L’occasion ici de passer à une légère digression qui me permet de relayer un excellentissime passage consacré au cinéma italien (mais aussi au cinéma en général, en fait) et issu de la fin du chapitre 3A d’Histoire(s) du cinéma de Jean- Luc Godard; malheureusement disparu de la toile, je suis parvenu à re-trouver un lien conservé du dit passage (que je n’avais pu mettre sur la chaîne YT du blog, Gaumont bloquant la video). Bref, c’est un hommage au cinéma italien qui démarre par Rome ville ouverte, film désigné comme doublement résistant, soit face au fascisme et au cinéma américain (dans la foulée d’un passage consacré à l’occupation nazie et à la collaboration en France). Ce cinéma de résistance s’est décliné par l’invention d’un langage cinématographique (on appréciera dans l’extrait « Nostra lingua italiana » de Cocciante, à plusieurs niveaux de réception), et Godard pose alors cette question : « comment le cinéma italien a t il pu devenir si grand puisque tous (…) n’enregistraient pas le son avec les images ? » Un paradoxe que pourrait soulever un rapport qui se veut plus proche de la réalité (« néoréalisme ») en étant dominé par l’obsession de la reproduction mécanique de la réalité; mais il s’agit maintenant d’un regard sur le monde (ou image du monde) issu subjectivement de la réalité et dont on hérite ainsi une nouvelle manière de sentir, percevoir et penser le monde, contribuant peut-être à de nouveaux rapports sociaux. Soit aussi un langage cinématographique se développant progressivement comme « une pensée qui forme une forme qui pense« . Je ne m’attarde pas sur cette dernière formule qui peut être comprise dans de nombreux sens, et il est par ailleurs amusant de lire un peu les exégèses et citations de phrases écrites ou dites par Godard où ces mêmes termes se retrouvent à peu près, mais pas toujours dans la même articulation, engendrant (ou illustrant) diverses conceptions ou réflexions, parfois opposées. En tout cas elle met en jeu beaucoup de problématiques par lesquelles le cinéma se créé, au-delà de la simple reproduction mécanique d’une réalité même quand il s’y réfère, duquel le monde se pense… et se voit.

Histoire(s) du cinéma – Extrait Chapitre 3A :

 

« Je suis peut-être idiot mais je ne comprends pas : il y a un mythe de la caméra comme s’il s’agissait de la planète Mars… La caméra, c’est une plume à bille, c’est d’une stupidité quelconque, ça n’a de valeur que si on a quelque chose à dire. Votre curiosité envers la caméra est une curiosité maladive de faibles qui ne sert à rien ! »

Roberto Rossellini, 1963

Bref, tout cela pour dire que Preloran ait été influencé du cinéma italien non pas par une hypothétique obsession de l’enregistrement mécanique du réel, mais par un souci de subjectivité issue « au plus près » d’une réalité humaine particulière (la vérité de Preloran ?), passant par des moyens d’expression différents que ceux alors ayant cours, à un moment où le cinéma direct ou de vérité prend forme – à ce propos, en guise de réflexions, contextualisation et nuances autour des origines de ces termes, un texte fort judicieux de Séverine Graff est à lire ICI, dans un numéro de la revue Décadrages consacré au grand Mario Ruspoli, inventeur de l’expression « cinéma direct » qu’il différenciait de l’expression « cinéma vérité » (après l’avoir brièvement revendiquée sous l’impulsion d’un certain … Jean Rouch !). J’en reviens à Preloran. Bien plus que des apports éventuels de sa formation en anthropologie, l’impact du néoréalisme italien est une des bases peut être ayant amené ses narrations singulières, à la fois détachées de la scénarisation et de l' »objectivité » descriptive de l’ethnologie/anthropologie, comme pour mieux contaminer le film d’une expérience et pensée humaines particulières du monde (et de son regard à lui tout de même, quoiqu’il veuille) – je pensais un moment faire un petit rapprochement avec le cinéma indirect libre de Pasolini (période L’Evangile selon Saint Matthieu). La citation ci-dessous résume peut être au mieux son intention qu’il ne qualifie pas comme artistique (refus d’influencer les personnes filmées, de faire jouer le réel etc), ni comme scientifique (présence affirmée d’une subjectivité), où l’humain (et sa pensée du monde) est la préoccupation centrale :

« Por eso creo que mis películas no son antropológicas ni etnográficas, sino documentos humanos, en los que sólo importa la realidad humana que se va a trasmitir. Son vivencias intransferibles. Considero que el cine que hago no es absolutamente objetivo, sino más bien subjetivo, y por lo tanto no es científico. Tampoco creo ser un artista, porque no estoy creando. No me propongo hacer arte, aunque el filme sea parte de un fenómeno estético, sino transmitir vivencias, experiencias »

Jorge Preloran, « Preloran parle de Preloran« 

 

De 1965 à 1969, le cinéaste réalise des films coproduits par l’Université de Tucuman et  le Fond National des Arts dans le cadre d’un programme dit de « relevamiento cinematografico de expresiones folkloricas argentinas » et pour lequel il a donc été choisi; il y est associé à des spécialistes du folklore argentin. Comme dit en début de note, c’est durant cette période qu’il travaille à deux reprises avec Raymundo Gleyzer. Il y réalise pas loin d’une trentaine de films en quatre ans, dont quelques longs métrages et en voyageant beaucoup, une constante de son parcours ! Ils portent surtout sur des festivités, célébrations, rituels et arts populaires, et à propos desquels il dira donc plus tard que c’était une tentative « de documenter quelques aspects des réalités folkloriques de l’Argentine ». En voici donc trois courts métrages ci-dessous, où quelques particularités de traitement sont déclinées.

EN ENTIER – Casabindo – VO – 13 mn – 1965 – Argentine

Casabindo, province de Jujuy, est le premier village fondé par les conquistadors espagnols sur l’actuel territoire argentin, à 3900 m d’altitude. Il dispose de l’unique arène aux taureaux du pays, et le film documente les festivités de la Vierge de l’Assomption (15 août) accompagnée du « toreo de la vincha ».

Comme l’ensemble des films de la série proposée ici, le court commence par la situation géographique du lieu sur une carte et est introduit par la voix off. Ces films de Preloran gardent une certaine banalité documentaire dans le traitement.

Mais un changement intervient rapidement dans la voix off : elle passe à un ton plus grave, et donnant l’impression qu’elle est issue d’un ancien de la communauté; il s’agit en fait, comme pour les autres films de la période, d’une narration entreprise par un collaborateur du cinéaste qui est ici le poète Jorge Calvetti, originaire de cette province de Jujuy (un documentaire intitulé El paisaje invisible a été tourné sur lui en 2003). C’est une manière de privilégier, par la représentation, la réduction de la distance induite par la voix off de départ. Il semblerait – ai-je appris – que la version anglaise dispose d’une voix off régulière, sans aucun changement de ton, exposant ainsi davantage un récit froid et distancié (« analyste »). La version espagnole créé un autre rapport à l’image bien que la narration conserve le même texte, soit un rapprochement avec la communauté. Une manière de procéder ici qui témoigne de la volonté d’aborder une réalité par cette dernière et à travers une individualité, une âme, bien qu’ici l’aspect extérieur (et superficiel) demeure; mais le récit n’est pas entrepris cliniquement par Calvetti et une certaine poésie demeure, plus que les autres courts de la période où la narration est plus anecdotique. Le glissement vers la narration subjective est ici amorcé, tandis que le principe de l’observation en est quelque peu atténué même s’il reste bien présent. J’aurais juste bien voulu saisir un peu mieux le contenu de la narration, le son n’étant pas fameux en plus de mon espagnol de bonnet d’âne.

Situé sur sentier maya antique conduisant vers l’actuel Pérou et de nombreux lieux habités de l’ancien empire, Casabindo ici est vue à travers un culte catholique métissé avec les culture et croyance incas (vêtements traditionnels en plume, musique etc). Le métissage est le sujet principal, en quelque sorte, de ce film qui s’ouvre sur une architecture renvoyant (sans doute) au passé local préhispanique, juxtaposé à la colonisation matérialisée ici par une église, marque d’une implantation d’un centre religieux important (si j’ai bien compris, mon espagnol étant, une fois de plus, ce qu’il est !). Il y a même une mention visuelle, partiellement, d’un ange arquebusier (peinture), c’est à dire ange-conquistador au fusil à la place de l’épée, caractéristique de la culture coloniale diffusée en Amérique Latine et dont Cuzco a été un foyer de production important.

Le métissage est particulièrement frappant dans l’adaptation locale de la « tauromachie »… euh qui n’en est pas une ! Elle a d’ailleurs été interdite au 19ème siècle en Argentine, tandis que l’arène a été amenée par les espagnols. Les taureaux ne sont pas tués. L’histoire/légende ayant donné lieu à cette manifestation taurine à Casabindo (la seule en Argentine !), née au 18ème siècle, laisse songeur puisque liée à un chef inca Quipildor, révolté contre les espagnols qui l’auraient alors fait tué par un taureau muni d’un bandeau entre les cornes; après avoir récupéré deux fois sa « vincha », il aurait succombé au pied de la vierge du village en y laissant son bandeau et… demandant pardon pour les bourreaux (j’ai appris ça ICI).

 

EN ENTIER – Feria simoca – 1965 – VO –  7 mn – Argentine

La qualité de la video publiée sur YT est médiocre, mais voilà un document qui vaut surtout le coup d’oeil par sa valeur de témoignage d’un marché populaire de produits alimentaires et d’artisanats basé traditionnellement sur l’échange. Situé dans la province de Tucuman, il a quelque peu muté sa forme de nos jours, et est notamment devenu lieu touristique important. L’insistance sur les chariot, roues et chevaux n’est pas arbitraire : ce n’est autre que le sulky, mode de transport typique du lieu. Réalisé avant Casabindo, je le relaie après dans la présente note car il comporte une narration plus classique, nettement moins touchée par la tentative subjective  de récit depuis l’intérieur que le précédent.

 

EN ENTIER – Iruya – VO – 19 mn – 1968 – Argentine

La fête de Notre-Dame du Rosaire à Iruya, dans la province de Salta, est l’une des nombreuses fêtes célébrées dans le Noreste argentin où est représentée la fusion d’éléments de cultures anciennes de la région avec des éléments d’influence hispanique.

Nous retrouvons un sujet où le métissage a son importance, à travers surtout les survivances culturelles incas dans un registre catholique, comme pour Casabindo. Comme si Preloran s’attachait à surtout déceler cette survivance culturelle, au sein du métissage. J’ai été largué par la voix off originale, mais les images sont assez évocatrices. Il y a une  tentative de complicité entre la caméra, la narration et les personnes filmées, ici et là, se détachant encore une fois de la convention analytique, et la caméra va même jusqu’à accompagner les personnes, comme pour être prise en main dans la narration bien que cette dernière est toujours extérieure aux personnes filmées, et qu’une distance demeure. Quelque chose qui se met en place est néanmoins palpable avec Iruya, et j’ai même pensé à Jean Rouch après coup.  A noter que le son est synchronisé à l’occasion des prises d’images des passages musicaux et des chants qui constituent une composante élémentaire de la procession.

Pour l’ensemble des courts de la période, pour ce qui est des personnes filmées il n’y a pas de parole face caméra et pas encore non plus de voix off issue de celles-ci. Quand elle émergera, elle se fera donc sous une forme particulière. En « attendant », comme le précise plus haut une citation de Preloran, il accompagnait les moments musicaux et autres sons environnants de commentaires , comme pour « apporter (…) l’âme des personnes« . Certes ces commentaires portent une charge fortement descriptive, et c’est quand ils seront supplantés par une autre forme de récit issu d’un rapport particulier aux personnes, hors caméra, que l’âme et le vécu d’une réalité seront davantage portés par les films de Preloran. Soit cette fameuse « vérité » que Preloran ne rattachait pas à l’enregistrement mécanique des choses (à matériel « haut » ou « bas » de gamme !) et ses films n’étant chacun qu’une synthèse d’un travail issu d’une réalité humaine, nécessitant un contact de proximité, et sur la durée; un véritable enjeu du rapport filmant/filmé va se mettre en oeuvre dans sa démarche, dans un sens de transmission. Un long métrage réalisé en 1969 (mais en fait amorcé en 1967 !), toujours dans le même cadre commanditaire, constitue un tournant et sera prochainement relayé sur le blog.