Autre Italie, autre musique – Antoine Bordier (1982)

EN ENTIER – Antoine Bordier – Autre Italie, autre musique – 1982 – 53 mn

« En mars 1980, l’équipe de Dimanche soir rencontre Giovanna Marini, célèbre musicienne, chanteuse et chercheuse en ethnomusicologie italienne. Elle raconte son parcours, de ses études en guitare classique à sa découverte du folk, de la musique populaire et du chant social qui l’ont passionnée.

Giovanna Marini est née le 19 janvier 1937 à Rome dans une famille de musiciens. Elle étudie la guitare classique avec le plus grand guitariste d’alors, Andrès Segovia, puis découvre les musiques populaires et le chant social italien. Elle rompt alors avec la musique lisse diffusée à la télévision italienne, et fait scandale dans les années 60 en reprenant des chansons sociales, comme «Bella Ciao», chant de protestation né dans les rizières et devenu hymne des partisans.

Giovanna Marini se réclame de la tradition des Cantastorie, les chanteurs d’histoires d’avant l’alphabétisation des campagnes italiennes, qui diffusaient les nouvelles par l’intermédiaire des chansons. Elle répertorie aussi les chants traditionnels et folkloriques dans toute l’Italie pour contribuer à leur conservation à l’Institut Ernesto de Marino de Florence, tout en participant à des spectacles avec son quatuor de chanteuses. »

 

Réalisé pour une émission TV suisse intitulée « Dimanche soir », ce documentaire revient donc sur le parcours de la grande Giovana Marini et il est intéressant d’avoir ainsi des témoignages de son travail situés au début des années 80. Quelques passages (en couleur) sont extraits d’un même concert donné alors en Suisse, dans une maison de quartier qui existe toujours de nos jours et où a été projeté ce film à l’occasion des 40 ans du lieu.

En plus de la rapide biographie proposée plus haut dans le résumé, je précise que Giovanna Marini a aussi créé quelques bandes musicales de films, notamment du duo cinéaste Gianikian – Lucchi, ainsi par exemple pour la trilogie autour de la guerre et relayée ICI sur le blog.

Le titre du documentaire est symptomatique, à la fois du travail de Marini mais aussi d’une certaine évolution culturelle en Italie. Je renvoie là, pour « planter le décor », à un passage télévisé du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini à propos de la langue italienne et son uniformisation – aspect qui touche évidemment les expressions musicales populaires italiennes :

 

Dans cette autre Italie, il est aussi question d »engagement social et politique porté par le répertoire musical, et là encore Marini et ses compagnes de route n’y sont pas insensibles; en témoignent par exemple les nombreuses touches d’humour vis à vis de la bourgeoisie italienne, qu’il ne s’agit pas alors d’imiter dans un idéal d « ‘émancipation ». Le documentaire ne fait pas l’impasse dessus, et rappelle par exemple les contributions du « Nouveau chant italien » dans les années 60 qui redécouvre et reprend, entre autres, Bella ciao, soit avant sa « routine » ou plutôt sa « normalisation » d’aujourd’hui, à un moment où un tel répertoire ravive plus nettement de l’adversité au pouvoir, en pleine démocratie chrétienne.

Bella ciao, par Giovana Marini :

 

Giovana Marini c’est aussi de la chanson engagée, sous forme de reprise ou composée par soi-même, ce qui est donc un pendant développé largement dans le documentaire. Avec son groupe des années 60, elle réalise l’album « le canzoni di bella ciao » qui s’ouvre sur le magnifique Addio Amore, soi disant chant paysan populaire redécouvert mais en fait c’est un faux composé par elle-même… parmi d’autres !

Addio addio amore :

 

Récemment, elle poursuivait toujours ce versant, par exemple en compagnie du Quarteto urbano. Une ballade musicale et politique qu’elle a composé en 1973, intitulée I treni per Reggio Calabria, est devenu un de ses classiques :

 

Marini ne vend pas non plus le chant populaire et traditionnel au superficiel, avec le sauvetage des apparences (utiles au slogan commercial) au détriment du fond, procédé utilisé ici et là dans d’autres répertoires d’autres pays (et  son lot de titres aguicheurs tels « les voix de … », « l’âme de… »). Ce type de « sauvetage » d’un répertoire populaire et traditionnel a été évoqué de manière très intéressante à travers un exemple des Balkans, ICI sur l’excellent  blog musical « Noreille », où nous avons la balance entre d’une part un bon travail musical et de recherche sur la tradition, d’autre part l’usage commercial OU propagandiste de cette même tradition musicale. On peut être séduit par l’artifice; moi même j’ai succombé à un chant bulgare – à travers une fin d’épisode de la regrettée série inaboutie Carnivale – mais en fait quelque peu dévitalisé si on en croit la chronique musicale recommandée plus haut.

Mir stanke le (album Mystères des voix bulgares), associé à un épisode de la série Carnivale  :

 

« Je cherchais des sons, j’ai trouvé des personnes. Et j’ai compris que cette musique leur appartenait. »

Giovana Marini

La musicienne et chanteuse grecque Savina Yannatou – évoquée ICI sur le blog – s’inscrit en quelque sorte dans une démarche similaire à Marini et travaille énormément sur du répertoire traditionnel, notamment sicilien (mais aussi grec, balkan etc). Elle a également repris Addio amore, devenu pour de bon un chant populaire :

Addio amore, interprétation de Savina Yannatou :

Mais Marini semble encore plus soucieuse de travailler en fidélité au répertoire traditionnel, sans réinterprétation ou mixité avec des apports modernes. Et surtout elle se revendique d’un véritable travail de mémoire, également à dimension ethnologique, et mêlé à des déplacements sur le terrain.

« Mais c’est vrai que souvent notre intrusion, parfois brutale, dans les endroits les plus hors du monde réveille la mémoire. La dernière fois que c’est arrivé, c’était à Montadoro, un village de Sicile où ne vivent plus que quatre hommes et quatre chèvres. J’y étais allée dans les années 60 pour apprendre les chants. Et lorsque j’y suis retournée il y a deux ans, tout avait changé. Les habitants oubliaient. Ils s’oubliaient eux-mêmes. C’est terrible comme mouvement. Alors, on a demandé aux hommes de nous raconter leur vie, de chanter avec nous. Et là-bas, c’est reparti, je crois. »

Giovana Marini, interview pour Périphéries

Chant traditionnel sarde :

 

Autre Italie, autre musique ne relaie pas une folklorisation nostalgique, figée dans du patrimoine sans substance et sans portée sociale et politique. En cela le documentaire effectue donc un bon retour – avec des éclairages contextuels à l’aide d’archives – sur l’oeuvre de Marini et ses compagnes, et que je trouve en partie faire écho à un certain Pasolini. Elle lui a d’ailleurs consacré un album en plus d’en avoir été proche.  Bref, une bonne introduction, à nous d’aller approfondir en musique…

Lamento per la morte di Pasolini :

 

2 réflexions sur “Autre Italie, autre musique – Antoine Bordier (1982)

  1. Pingback: Prigionieri della guerra – Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi (1995) | citylightscinema

  2. Pingback: Pays barbare – Angela Ricci Lucchi et Yervant Gianikian (2013) | citylightscinema

Laisser un commentaire