« I don’t recognize the right of this committee to ask me these kind of questions. And furthermore, you can all go fuck …«
EXTRAITS – The front (titre français : Le prête-nom) – Martin Ritt – 1976 – 94 mn – USA
« En plein maccarthysme, Alfred Miller, auteur de renom, demande à son ami d’enfance, Howard Prince, modeste plongeur dans un petit restaurant, de lui servir de prête-nom. Howard accepte et signe un feuilleton de télévision qui obtient un vif succès. Le héros du feuilleton, Hecky, est bientôt inquiété par la Commission qui lui demande de réunir des informations sur Howard.«
Générique de fin – liste des contributeurs blacklistés :
Martin Ritt, l’auteur de The Molly Maguires et Norma Rae (respectivement relayés ICI et LA sur le blog), a été blacklisté à partir de 1951 alors qu’il travaillait à la télévision, où il a connu Walter Bernstein, également blacklisté (en 1950) et scénariste de The front. Le film comporte également les contributions d’autres blacklistés des années 50 (comme le précise, donc, le générique de fin) à travers les acteurs Zero Mostel (rôle de Hecky Brown, à la fin tragique dans le film), Herschel Bernardi, Lloyd Gough et Joshua Shelley. Ritt et Bernstein ont eu ce projet de film durant quelques années et craignaient un drame sérieux trop moralisant, tandis qu’ils avaient des difficultés de financement. Bernstein proposa une approche plus légère contenant des éléments sérieux. Pour protéger leur investissement les studios exigeraient un grand nom, et après Dustin Hoffman, c’est le nom de Woody Allen qui fut mentionné. Ce dernier aurait hésité à un certain moment et aurait même sollicité Ritt pour être remplacé par Peter Falk. Cependant un article en anglais (ICI), dont est tiré la présente genèse de film, souligne de manière pertinente l’éventuel apport de Woody Allen dans quelques dialogues et touches d’humour noir (ainsi la séquence où il est exigé de modifier le scénario et de remplacer la mise à mort dans la chambre à gaz en camp de concentration parce que l’un des organismes financeurs est une entreprise de gaz). Nous remarquerons également que les producteurs de The front ne sont autres que Charles H. Joffe et Jack Rollins, soit les producteurs réguliers des films de Woody Allen cinéaste.
Comme pour Norma Rae et The Molly Maguires, Ritt réalise un film inspiré de faits réels, et qu’on peut imaginer tirés en partie de son vécu comme blacklisté. Si le film est globalement « léger » et est agréable à suivre dans son ton comique, il n’en perd pas pour autant une grosse charge critique à l’égard du Maccarthysme. Contrairement à un film comme Guilty by suspicion (1991) d’Irwin Winkler par exemple, qui s’apitoie beaucoup sur le sort des personnes du milieu du cinéma (soit un aspect justement assez lourd par moments, que redoutaient Ritt et Bernstein) et où la séquence finale en audition publique devant la commission demeure le moment fort du film, The Front affirme sans sourciller l’appartenance communiste de blacklistés.
Il ne s’agit donc pas tant d’une critique d’un soupçon injuste qui pèse, et qui est très prégnant dans le climat malsain d’alors, mais aussi du droit à être communiste et de s’assumer comme tel. Et puis pour ce qui est de l’entrevue finale avec la commission (HUAC), The Front brille par sa formule verbale conclusive et la sobriété de l’entrevue, se distinguant de la confrontation de Meyrill/De Niro de Guilty by suspicion, bien que les enjeux et éléments documentés soient les mêmes (utilisation de photos, demande d’un nom même d’une personne décédée…). Je me demande même si, finalement, la séquence finale du film de Winkler ne s’est pas inspirée en partie de celle de The front, du moins en connaissance de celui-ci, bien que ne se déroulant pas en huis clos. A la différence près qu’en plus d’évoluer dans le monde d’Hollywood (et non la télévision), le personnage de De Niro (fictif) se défend nettement d’une quelconque appartenance au PC, si ce n’est quelques sympathies antérieures aux années 50. [séquence finale ci-dessous en VOSTFR de Guilty by suspicion, mais vraisemblablement, et ce très rapidement, supprimée de la chaine YT « extraits cinoche » du présent blog par les droits d’auteur Warner bros. Se rapporter dans ce cas ICI à la maudite VF en streaming, dans le dernier quart d’heure du film).
Derrière ses airs de comédie, et la prestation de Woody Allen particulièrement savoureuse (comme toujours quand on apprécie également l’acteur, et pas seulement le cinéaste, ici dans son premier rôle important), The front amène bien le contexte du Maccarthysme dans le monde télévisé (et cinéma) d’alors : suicides, soupçons, surveillance, prêtes-nom… Alors que les responsables hiérarchiques de la télévision sont ou lâches ou volontiers collabos, tout en se pavoisant dans le milieu, les financeurs économiques n’ont pas non plus une place très glorieuse, ainsi ce chef de supermarché qui veut s’assurer qu’aucun « rouge » ne soit présent dans l’équipe du téléfilm du pseudo scénariste Howard Price. Une atmosphère profondément anti-communiste bien palpable durant quelques secondes.
The front évoque surtout les très nombreux « anonymes » touchés par l’HUAC, loin des 10 d’Hollywood par exemple. Sans être un incontournable et un film très marquant de la filmographie de Ritt et sur la thématique du Maccarthysme, le film est intéressant (et agréable) à découvrir, surtout si on ne se cantonne pas à sa seule apparente légèreté. Le personnage Hecky est à cet égard un des pendants tragiques du film, et très bien interprété au demeurant par l’anciennement blacklisté Zero Mostel. The Front peut même s’avérer plus acide que d’autres films ayant traité du Maccarthysme, tel Hollywood liste rouge de Karl Francis, pourtant articulé autour de la figure du cinéaste blacklisté Herbert Biberman (mais aussi son épouse actrice, Trumbo etc ) et de la réalisation du Sel de la terre (la VF m’a peut être aussi trop rapidement écœuré, cependant, pour apprendre à apprécier au moins en partie ce film pour lequel j’ai vite lâché prise).