Harlan county USA – Barbara Kopple (1976)

USA – EN ENTIER – VO (anglais) sous titrée espagnol – 104 mn

Ont été postés récemment sur le blog le documentaire sur IWW, puis Which side are you on de Ken Loach. Avec Harlan County USA nous effectuons là encore un grand pas dans le documentaire social lié aux luttes sociales, dans le monde de la mine ici, mais allant bien au-delà au final. Chef d’oeuvre, ce film vaut plus que le coup d’oeil. Forme et fond coïncident dans ce premier film de Barbara Kopple. La présence des femmes, à l’instar du fameux Le sel de la terre de Biberman, y est très importante et non reléguée à de la figuration. Le film n’hésite pas à aborder aussi les noirceurs du combat, notamment les trahisons syndicales etc. Un indispensable ! Ci-dessous, une critique concise que je partage en guise de présentation. Je précise juste qu’un gros mouvement de mineurs eut lieu aussi dans le même secteur dans les années 1930. Massacré, il a donné lieu à des écrits et une mémoire, notamment en chansons; ainsi le chant « Which side are you on » écrit par Florence Reece en 1931 et qui apparaît dans une séquence de Harlan county USA. Ce chant a donné le titre à l’excellent documentaire de Ken Loach de 1984  (Voir ICI sur le blog). Ces documentaires de Kopple et Loach s’inscrivent dans une filiation et ont cette incroyable force consistant à la fois de « relayer » une lutte, une vision, tout en allant au-delà et rendant ces films toujours aussi pertinents, dépassant les seuls faits d’un combat situé dans le temps. 

« Ce film superbe, d’une facture formelle inédite, rend compte de la longue grève des mineurs du Kentucky qui dura 13 mois (1973/74). Il n’a pas du tout le côté généralement un peu brouillon des films militants, où l’imperfection technique était presque de mise, retournée en sceau d’authenticité apposé à la cause. Il est d’ailleurs difficile de classer le film dans un genre : film politique ? documentaire ? – encore bien moins reportage, le film étant l’envers absolu du journalisme. Barbara Kopple a mené une enquête à tous les niveaux, le film résultant du tressage subtil de ce matériau impur : le travail des mineurs, des interviews, des films d’archives sur les grèves passées, reportages télévisés sur les élections des leaders de l’UMWA* ; et le filmage de séquences de la grève, en situation, dont elle rend compte directement, avec un effet d’instantané, de présence, très proche du suspens des films policiers. Le montage de tous ces éléments ne suit pas les règles d’une temporalité classique, chronologique. Sa modernité est lisible dans un va-et-vient constant entre passé et présent…

Harlan County USA n’est pas un film sur la « mémoire ouvrière » : les grévistes, leurs épouses, pour la plupart enfants et petits-enfants de mineurs, portent en eux davantage qu’une mémoire : un enseignement...

La musique country (les chants des mineurs) ponctue tout le film… Le plus beau de tous les chants est celui inventé par les femmes du piquet de grève, bâton à la main (pour certaines, armes à feu dissimulées), alors que l’ensemble des grévistes armés d’une façon ou d’une autre se préparent à affronter la bande des porte-flingues. Le chant des femmes s’amplifie-le country devient cœur antique : nous ne bougerons pas/comme l’arbre attenant à la rivière/nous ne bougerons pas…, leitmotiv inlassablement tenu, tandis qu’ont lieu les discussions avec un shérif, jusqu’à ce que les briseurs de grève lâchent prise, sans qu’aucun coup de feu ne retentisse. Le country est devenu déclaration politique -poème de surcroît… » Elisabeth Boyer L’art du cinéma no32/33/34

Le chant des femmes dont il est question ci-dessus dans la critique est en effet un moment fort du film, et il s’intitule parfois « No nos moveran ». Il s’agit d’après mes sources d’une reprise datée des années 1930 (anonyme), soit un chant de grève d’ouvriers hispano-américains. L’air est à la base un negro spiritual chanté par les esclaves noirs américains du 19ème siècle, appelé « I shall not be moved « . No nos moveran a également été chanté en 36 en Espagne (« no nos moveran ») mais aussi par l’Unité Populaire au Chili lors d’Allende président (1970-73). Que ce chant puisse être approprié à la fois par les noirs, les ouvriers et les femmes, dans sa construction et sa transmission, est tout simplement énorme. Ce chant a été fortement repris aussi par le mouvement des Indignados espagnols en 2011. Ci dessous, une version audio de Joan Baez à l’occasion d’un excellent live – le public démarre de lui même ce chant (ici paroles en espagnoles, en anglais dans le film de Kopple), puis repris par la superbe voix de Joan Baez… et c’est très fort :

Harlan County USA :