Fiona – Amos Kollek – USA (1998)

Avec Anna Thomson, Félicia Maguire, Alyssa Mulhern

J’évoquais le cinéma indépendant américain récemment, et bien voici avec Kollek un de mes cinéastes favoris de cette production qui occasionne des films en marge de la norme hollywoodienne, tant dans l’esthétique que dans le propos. Amos Kollek est un réalisateur indépendant né en Israël, auteur de quelques romans également. Il a été révélé auprès du grand public lors de la sortie de son formidable Sue perdue dans Manhattan, qui marquera le début de sa collaboration avec l’actrice Anna Thomson. Je n’ai pas eu l’opportunité de me voir ses réalisations précédant ce premier succès public parmi lesquelles un Whore 2 consacré au portrait de prostituées de New-York.

Fiona est le 2ème acte d’une trilogie, composée également de Sue et Bridget, se déroulant à New-York, trilogie marquée par la présence d’Anna Thomson jouant l’héroïne de chacun de ces films.

Fiona est incontestablement le plus dur de la trilogie, dégageant une réalité brute de la misère sociale et humaine dans un New-York filmé caméra à l’épaule et avec très peu de moyens. Structuré en mini « chapitres » peignant un tableau réaliste d’une vie marquée de la dureté d’un quotidien glauque, le film porte sur une femme abandonnée à son sort dans une violence sociale qui crève l’écran, sans effets stylistiques et apitoyant. Fiona, abandonnée à l’âge de 6 mois par sa mère prostituée, grandit dans une famille d’adoption dont le beau père abuse d’elle sexuellement dès ses 9 ans. Plus tard Fiona devient elle aussi prostituée et est confrontée en permanence à des personnages, surtout féminins, tout aussi paumés et seuls. Seule, Fiona aimerait retrouver sa mère. Manquant d’écoute et de chaleur humaine, les hommes lui inspirent de la méfiance, comme beaucoup de ses compagnes de misère féminines chez qui elle trouve un semblant de tendresse, aussi précaire soit elle. Le film alterne souvent le quotidien de la mère avec celui de sa fille, et le constat est le même pour les 2: drogue comme échappatoire à la dure réalité, clients violents dont la misère sexuelle fait peur à voir, impossibilité de se sortir de l’impasse sociale et le sexe est le dernier recours pour survivre, relations éphémères imposées par la dureté du milieu, difficulté de l’indépendance féminine et le salut semble nécessiter de se mettre en couple avec un homme au prix de sa liberté (voir l’évolution de Patti, l’amie de Fiona qui finit par se marier; le film indépendant Claire Dolan de Lodge Kerrigan, portrait d’une prostituée, est beaucoup plus incisif sur le sujet). A noter que la sexualité est particulièrement moche et malsaine dans Fiona et partage des points communs avec le très glauque Import/Export d’ Ulrich Seidl, dont un aspect porte sur la misère sociale et sexuelle, sans taper dans le voyeurisme et la facilité documentaire malgré des (mauvaises) critiques que je ne rejoins du tout (extrait du film ci-dessous, et accessible en entier sur YT). Le destin funèbre de Fiona et sa mère est clos par le dernier chapitre du film: « la mort ».

Fiona a suscité éloges, mais aussi critiques véhémentes contre l’aspect brut du film, allant pour certains jusqu’à cataloguer Fiona de film voyeuriste à violence gratuite. Je ne suis pas du tout d’accord. La forme brute employée par Kollek ne rend que plus fortement la misère sociale du milieu dans lequel se déroule le film. La forme filmique employée n’est qu’une juste traduction d’une réalité violente.

Kollek, surtout apparemment dans ses premiers films, affectionne beaucoup un balançant entre fiction et documentaire. Ce qui est le cas dans Fiona : les plans filmés dans la rue ou dans les appartements s’apparentent à une présence documentaire de la caméra. Les personnages ne semblent pas « jouer », la mise en scène semble être absente, à tel point que la fiction disparaît à la faveur d’un rendu sans concession romanesque d’un microcosme humain anéanti auquel nous assistons impuissamment. La fatalité de la mort (overdose, suicide) impliquée par la déchéance humaine est brillamment mise en scène lorsque Fiona enfile les chaussures libres de sa mère qui a sauté du toit. La fille suit la même voie, subit la même vie. Il n’y rien à sauver…ou presque.

La violence crue du film est modérée par la fragilité et la sensibilité qui se ressentent chez quelques personnages, en particulier chez Fiona. Bien qu’évoluant dans un véritable enfer, blessés par la vie, les personnages arrivent encore à partager un besoin de chaleur humaine. Anna Thomson est touchante de naturel, sa recherche de solidarité et affection humaines crève l’écran tout aussi bien que son désarroi. Même au fond du gouffre social, sans espoir de sortie (ou presque) – ce qui conduit d’ailleurs Fiona à tenter de se suicider par pendaison – la sensibilité n’est pas atteinte. C’est ce qui permet au film de nous toucher, car ce ne sont pas des êtres humains devenus insensibles que nous voyons à l’écran. Ce sont des personnes fragilisées, extrêmement seules, vouées à leur terrible sort, inéluctablement, et l’ humanité de Fiona qui résiste cependant au plus profond d’elle-même ne rend que plus touchant en fin de compte la tragédie sociale dépeinte à l’écran. Fiona n’est pas qu’un regard froidement lucide sur une réalité par le biais d’un « documentaire » brut, mais aussi un regard tendre, nettement appuyé par la prestation très touchante d’Anna Thomson.