La ville (Grad) – Pavlovic, Rakonjac et Babac (1963)

Zivojin Pavlovic, Kokan Rakonjac, Marko Babac – La ville (Grad) – Yougoslavie – 1963 – 80 mn

« [Cette censure] est le résultat d’un manque de connaissance et d’incompréhension, un des meilleurs films que la Yougoslavie ait produit a été jeté à la poubelle » (Aleksandar Petrovic, Festival de Pula 1963)

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La ville est souvent considéré comme la première réalisation de la Vague Noire yougoslave. Ce film collectif n’était pas la première collaboration des trois cinéastes et d’Aleksandar Petkovic (opérateur). Tous alors étaient membres du Ciné-club Belgrade (courts métrages de Pavlovic et Rakonjac relayés ICI sur le blog) et en 1962 ils avaient déjà réalisé Gouttes, eaux, guerriers (relayé ICI sur le blog). Ce dernier était un premier film professionnel qui fit une très bonne impression au Festival de Pula 1962 au point d’y être récompensé par un prix spécial pour le travail de l’opérateur Aleksandar Petkovic.

Produit par la Sutjeska Film, La ville fut jugé au tribunal du district de Sarajevo et fut censuré dès l’année de sa réalisation. C’est le cas unique d’une interdiction officielle dans l’histoire du cinéma yougoslave au cours de laquelle il y a eu plusieurs censures mais elles étaient officieuses, pas menées à travers un jugement judiciaire. Ce film fut considéré comme « morbide … pessimiste … une vision négative de la société de la Yougoslavie socialiste » (Bogdan Tirnanic, Black wave). C’est ainsi qu’il fut mit au placard et n’obtint une levée d’interdiction qu’en 1990, à l’initiative Radoslav Zelenovic le président du Yugoslav Film Archive de l’époque. Le film fut retrouvé dans les services de police de l’Etat. Outre la censure, il y eut des conséquences pour les réalisateurs. D’ailleurs Kokan Rakonjac – décédé prématurément en 1969, il avait épousé l’excellente actrice serbe Milena Dravic, une incontournable du cinéma yougoslave – fut déjà censuré pour Larmes, un court métrage amateur réalisé en 1958 au Ciné-club Belgrade. Tous trois durent faire un pas de côté :

« As authors we had a big problem back then. (…) We were put in the « bunker » (…) we were not allowed to continue working. Zivojin Pavlovic started to work in Slovenia. Kokan started to work an amateur again and to sell his ideas to producers, but it was very complicated for him to continue to work. And i started to work as an editor » (Marko Babac)

 

Film intégral en VO non sous titrée :

(pour le voir avec sous-titres anglais : télécharger les videos ICI, les sous-titres ICI, les synchroniser ICI)

http://www.dailymotion.com/video/x2h10it

http://www.dailymotion.com/video/x2h10nh

Grad est situé dans une grande ville, le film est découpé en trois histoires :

  • « Relation » (Rakonjac) – Un couple se délite.
  • « Cœur » (Babac) – Un directeur de société fragile du cœur rend visite à un ami docteur. Il mène une vie qui le désespère.
  • « L’encerclement » (Pavlovic) – Un vétéran de guerre solitaire arpente des bistrots. Atmosphère de tristesse, en contraste avec les photos de la libération accrochées au mur d’un bistrot. Le vétéran sur le déclin a une vie devenue insignifiant et déprimant. Il se fait tabasser par une bande. Après la libération révolutionnaire qui lui a jadis coûté une main, errant sans but et se dirigeant vers la mort, il laisse derrière lui une rue morbide.

Politiquement, Grad ne constitue pas une critique subversive directe (il y a eu plus offensif au cours des années 60). Nous avons là un portrait sombre de la vie urbaine (solitude, etc) et cette manière nouvelle de traiter de la réalité a été mal perçu, surtout à l’orée des années 60 où le Novi Cinema et sa tendance « vague noire » émergent à peine (pour rappel : la dénomination « vague noire » est venue en 1969 de la part d’un journaliste et membre du parti communiste serbe qui avait rédigé un article incendiaire intitulé « La vague noire dans notre cinema »). A noter tout de même que le film de Bostan Hladnik Danse sous la pluie (1961, relayé ICI sur le blog) développait également un fond désespérant sur le quotidien de la vie urbaine (en opposition aux rêveries des personnages) et à certains égards le couple du segment réalisé par Rakonjac n’est pas très éloigné de celui de la réalisation de Hladnik.

Pour ce qui est de la censure ayant mené à la confiscation du négatif et des copies du film, le livre Liberated Cinema : The yugoslav experience de Daniel J. Goulding relève les raisons officielles du verdict du tribunal. Le tribunal statut que le court-métrage de Rakonjac « dépeint une vision de la vie insignifiante, et l’amour est réduit au physique, à un désir absurde« . De même pour la seconde histoire, « la vie est aussi dépeinte comme insignifiante et le personnage du directeur, Slavko, une personne dans une position très responsable, est montré comme un type très blasé, représentant un capitaliste yougoslave, qui travaille pour les communistes mais dont le cœur malade résulte du service aux communistes« . Enfin, la partie réalisée par Pavlovic « présente une ville yougoslave sous une lumière négative ce qui soulève la question en quoi il vaille la peine d’y vivre (…) si négative que les cafés [« kafanas »] sont pleins d’individus antisociaux où la vie se déroule sous le signe de la sexualité morbide et de la délinquance, à travers laquelle le héros de l’histoire, un invalide d’humeur morne, passe perdu, mélancolique et isolé au bord d’un précipice pessimiste, maladif qui est évidemment le contraire de notre société réelle et qui est associée à une tendance à montrer négativement le développement social de la Yougoslavie, retournant ainsi à l’envers notre réalité sociale et répandant des idées qui sont opposées à notre mouvement social« .

Pour ce qui de la référence au milieu criminel urbain dans la partie de Pavlovic, à noter qu’en 1971 un certain Jovan Jovanovic réalise Jeune et frais comme une rose où cette thématique est abordée de front et présente un milieu criminel qui cette fois-ci développe des accointances avec la police secrète. Ce film fut censuré dès l’année de sa réalisation (censure officieuse) et ne fut redécouvert qu’en 2006 … relayé ICI sur le blog.

4 réflexions sur “La ville (Grad) – Pavlovic, Rakonjac et Babac (1963)

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