Censurés sans censure – Milan Nikodijevic, Dinko Tucakovic (2007)

Milan Nikodijevic, Dinko Tucakovic – Censurés sans censure (Zabranjeni bez zabranie) – Serbie – 2007

« Jusque 1973 la Yougoslavie socialiste a produit 431 longs métrages. Officiellement, seul l’un d’eux a été interdit sur jugement de tribunal, le film collectif Grad [La ville] réalisé par Kokan Rakonjac, Marko Babac et Zivojin Pavlovic. Mais environ 30 films ont été interdits sans document écrit, mystérieusement perdus entre producteurs, distributeurs et salles de cinéma. Ils n’ont jamais atteint le public. »

Introduction de Censurés sans censure

Ce documentaire traite de la Vague Noire yougoslave en se focalisant sur la censure, principalement officieuse, qui a frappé ce mouvement cinématographique des années 60-70 à la fois nouveau voire radical dans sa forme (en écho à d’autres « vagues » en Europe) et critique dans ses aspects socio-politiques. L’introduction du documentaire le stipule bien, à part un film il n’y a pas eu de censure officielle et il est donc précieux de revenir sur cette censure qui a pourtant bel et bien existé, s’accompagnant d’une atmosphère hostile au point de fortifier, paradoxalement, la genèse de grands films yougoslaves malheureusement encore trop peu accessibles et méconnus. Outre l’interdiction officieuse de films,  des cinéastes ont été mis sous pression voire empêchés d’exercer. Par exemple le documentaire ne le cite pas mais dès 1965 le serbe Zivojin Pavlovic dut aller en Slovénie pour faire produire son deuxième long métrage L’ennemi à la suite d’un premier long métrage jugé trop sombre et diffusé qu’en 1966, trois ans après sa réalisation. Dans les années 70 l’exil s’imposa pour des figures importantes de la Vague Noire, tels Petrovic (en France) ou Zilnik (en Allemagne) tandis que Lozar Stojanovic a même été arrêté jusqu’à son procès suite à la réalisation de Plastic Jesus (1971).

Bato Cengic sur son film Le rôle de ma famille dans la révolution mondiale (1971):
(Archive télévisuelle apparaissant dans le documentaire)

Censurés sans censure évoque donc certaines contradictions de la société yougoslave de cette période, certes la censure elle-même mais aussi celles épinglées par des films qui se distinguaient des films de partisans « blockbusters » produits dans les années 70 et plus prompts à renforcer certains mythes et illusions du socialisme yougoslave.  Pour cela le documentaire, tout en listant des films censurés, procède par quelques extraits (insuffisants et trop peu mis en relief je trouve) et par plusieurs témoignages sur la période qui vont de cinéastes (Makavejev, Stojanovic, Zilnik, Godina, Dordevic…) à des scénaristes (Gordan Mihiic et Branko Vucicevic qui a collaboré sur des films majeurs de Makavejev, Zilnik, Cengic et Godina), en passant par des critiques de l’époque, un historien du cinéma ou encore l’ancien directeur de la cinémathèque yougoslave Radoslav Zelenovic (à l’origine de la levée d’interdiction du film Grad/La Ville). Si le documentaire vaut donc le détour, quitte à y « piocher » le nom de quelques films dont glaner le visionnage sur internet, néanmoins il serait dommage de réduire la Vague Noire au seul registre socio-politique. A l’instar des nouvelles vagues tchèque, française, hongroise, italienne ou encore polonaise, sans avoir été ouvertement critique de façon systématique ce mouvement a également été marqué de radicalité et d’expérimentations dans les formes d’expression elles-même (éclatement de la narration classique etc). Les films de Makavejev, décédé en 2019, demeurent les « plus connus » en France mais la Vague Noire mérite un net élargissement et heureusement qu’internet permette la découverte d’une quantité non négligeable de films malgré la qualité médiocre du visionnage en ligne et l’absence de sous titres français (sous titres anglais dans les meilleurs des cas, sauf rares exceptions).

Extraits du documentaire en VO sous-titrée anglais (7′) :

Le rôle de ma famille dans la révolution mondiale – Bahrudin Cengic (1971)

Bahrudin « Bato » Cengic – Le rôle de ma famille dans la révolution mondiale (Uloga moje porodice u svjetskoj revoluciji) – 1971 – 85 mn – Bosnie/Yougoslavie

Il s’agit du deuxième long métrage de « Bato » Cengic, sorti trois ans après Les enfants d’après (1968) qui est relayé et présenté ICI sur le blog. Déjà dans ce premier opus le cinéaste avait témoigné d’une démystification à travers un scénario qui traite de la contamination guerrière et idéologique sur des enfants orphelins d’après guerre. Ici il se focalise davantage sur la portée révolutionnaire de la guerre de libération en adaptant le roman Le rôle de ma famille dans la révolution mondiale publié par l’écrivain serbe Bora Cosic en 1969 et récompensé par le prix littéraire yougoslave NIN.

FILM INTÉGRAL EN VO SOUS-TITRÉE ANGLAIS :

(c’est la seule version en circulation sur internet, de qualité image médiocre)

Synopsis : Après la Seconde Guerre mondiale, un groupe de partisans vient dans une famille bourgeoise pour leur apprendre à chanter et à déclamer de nouvelles chansons. La famille oublie bientôt ses coutumes et principes pour rejoindre le chemin du socialisme.

https://www.dailymotion.com/video/x4a7hgs

https://www.dailymotion.com/video/x2kfjey

Cette adaptation produite par la Bosna Film adopte un ton parodique et proche de la farce, à la narration peu conventionnelle sans doute dans un esprit assez proche du surréalisme du roman où « par le truchement d’une voix d’enfant, et sa puissance comique, Bora Cosic fait passer une féroce critique du pouvoir en marche et un portrait humain de la peur » (J.B Harang, Libération). Outre l’écrivain Bora Cosic c’est un certain Branko Vučićević qui a également travaillé sur le scénario du film, soit un contributeur important de la Vague Noire yougoslave qui a par exemple collaboré avec Dusan Makavejev (Une affaire de coeur, 1967), Zelimir Zilnik (Rani Radovi, 1969) ou encore le cinéaste slovène Karpo Godina. Ce dernier a également participé au Rôle de ma famille dans la révolution mondiale en tant que directeur de la photographie et l’aspect « surréaliste » du film n’est pas éloigné du Radeau de la méduse (ICI sur le blog) que Godina a réalisé en 1980, film auquel Branko Vučićević a aussi été associé comme scénariste. Par ailleurs la présence de chants révolutionnaires n’est pas sans rappeler La litanie des gens heureux réalisé la même année par ce même Karpo Godina (ICI sur le blog) où des chants ironisent sur la fraternité et l’unité supposées au sein de la fédération yougoslave. Dans les deux cas l’emploi des chants révèle les illusions portées par l’optimisme de l’idéologie officielle et dont le cinéma national a le plus souvent entretenu les mythes, tel que cela a été évoqué par la cinéaste serbe Mila Turajlic à travers son excellent documentaire Cinema Komunisto (2011, ICI sur le blog) qui ramène à cette Yougoslavie « mise en scène » par le titisme et désormais elle-même en voie d’oubli. A noter que l’équipe du Rôle de ma famille dans la révolution mondiale se compose également de Dragan Nikolic et Milena Dravic, deux acteurs majeurs du cinéma yougoslave.

Image du Rôle de ma famille dans la révolution mondiale :

Le film met aussi en scène des aspects sombres sans passer par le registre comique, tel ici un pouvoir à l’accent totalitaire qui surgit dans l’intimité du couple formé par le partisan Vaculic (D. Nikolic) et Devojka (M. Dravic)

Tandis que Le Mystère de l’organisme de Makavejev fut interdit lors du Festival de Pula 1971, Le rôle de ma famille dans la révolution mondiale y fut récompensé par un Arena d’argent. Néanmoins le film suscita de fortes critiques communistes pour la représentation critique du socialisme et l’image véhiculée des partisans. C’est principalement la scène où un gâteau formé d’une réplique de Staline est mangé par les personnages qui a semble-t-il été à la source d’une censure officieuse (mais je ne suis pas parvenu à obtenir des informations précises sur cette censure).

Image du Rôle de ma famille dans la révolution mondiale :

Une des scènes les plus célèbres du film où est servi et mangé un gâteau décoré d’une tête de Staline (l’immédiat après guerre n’est pas encore consommé par la rupture Tito-Staline).

L’année suivante Cengic poursuit son oeuvre de démystification de la Yougoslavie socialiste en réalisant Scenes form the life of shock workers (1972), de nouveau avec la contribution de Branko Vučićević au scénario. Cette fois-ci Cengic tourne en dérision l’enthousiasme de l’industrialisation d’après guerre à travers un bosnien mineur de charbon comme personnage principal. Là encore le film a vraisemblablement fait l’objet d’une censure officieuse et surtout Cengic ne fut plus autorisé à la réalisation pendant dix ans : « J’étais un réalisateur proscrit, j’étais un exemple pour toute la Yougoslavie » (Cengic). Son oeuvre semble avoir des résonances thématiques avec la filmographie de Pavlovic dont plusieurs opus ont également ébranlé des mythes du titisme : la collectivisation, les partisans etc (se rapporter par exemple aux quelques films de Pavlovic présentés et relayés sur le blog).

« Je pense que les fanatiques communistes sont morts avec le développement du mouvement de libération nationale, et ceux qui sont restés en vie se transformaient en quelque chose d’autre. (…) Vous savez une génération de la révolution disparaît. Elle ne parle pas des vérités que nous ne connaissons pas (…). Si la génération qui a participé à la guerre de libération du peuple disparaît simplement, je pense que c’est leur obligation de dire la vérité et même sur ce qui est désagréable. C’est une dette envers l’histoire, et c’est leur obligation morale. (…) Jusqu’ici notre histoire a toujours été romancée. »

« Bato » Cengic (une interview de 1990)

 

Le traître – Kokan Rakonjac (1964)

Kokan Rakonjac – Izdajnik (Le traître) – 1964 – Yougoslavie/Serbie – 70 mn

Synopsis : Un résistant communiste arrêté et tabassé par la Gestapo devient un mouchard et cruel tueur de ses camarades et amis.

Comme cela fut présenté ICI sur le blog dans un article consacré au Ciné-club de Belgrade, Kokan Rakonjac fut un des artisans de ce lieu où des « cinéastes expérimentaux (et professionnels par la suite) de la Serbie des années 1950 et du début des années 1960 – dont Dušan Makavejev, Živolin Pavlović, Vojislav Kokan Rakonjac et Želimir Žilnik – créent des films faisant usage d’expérimentations narratives afin d’interroger l’essence du système socialiste » (Cinémathèque du Québec). Après la réalisation du court-métrage amateur Le mur en 1960, Rakonjac passait à deux premiers films professionnels produits par la Sutjeska Film. Il s’agissait de deux œuvres collectives composées chacune de trois court-métrages associant notamment Pavlovic en tant que réalisateur et Aleksandar Petkovic comme directeur de la photographie, soit deux autres membres dynamiques du Ciné-club de Belgrade qui retrouvent Rakonjac sur Le traître (Petkovic chef opérateur, Pavlovic au dialogue). Après la réalisation de Gouttes, eaux, guerriers (présenté ICI sur le blog), leur second film collectif La ville (relayé ICI sur le blog) fut interdit sur jugement de tribunal, vraisemblablement la seule censure prononcée de manière officielle dans le cinéma Yougoslave. Dans la foulée les réalisateurs furent confrontés à des difficultés pour obtenir une production professionnelle et durent s’adapter : Marko Babac (le troisième réalisateur des films collectifs, aussi formé au Ciné-club de Belgrade) se réorienta vers le montage; après son premier long métrage Le retour (1963) censuré officieusement et sorti qu’en 1966, Pavlovic allait devoir s’appuyer sur un financement du studio slovène Viba Film pour réaliser L’ennemi (1965, relayé ICI sur le blog); enfin Rakonjac dut revenir au cinéma amateur et c’est le Ciné-Club de Belgrade qui produisit Le traître, ce qui en fait non seulement le premier long métrage du cinéaste mais aussi du ciné-club.

FILM INTÉGRAL EN VO :

https://www.dailymotion.com/video/x2f5iym

https://www.dailymotion.com/video/x2f5lnt

Par son héros négatif, Le traître est souvent présenté comme le premier film de la Vague noire yougoslave. C’est une considération que partage aussi La ville, évoqué plus haut, voire deux-trois films antérieurs d’autres cinéastes (notamment Dani de Aleksandar Petrovic en 1962, à contre courant et refoulé du Festival de Pula suite à une campagne hostile). Le traître est aussi perçu comme un film majeur de la brève filmographie de Rakonjak, décédé en 1969. Il faut dire qu’ici la participation de Petkovic à la photographie apporte un intérêt important.

La narration traditionnelle est chamboulée de manière similaire à ce qui est fait la même année dans Prométhée de l’île de Visevica (1964) de Mimica (relayé ICI sur le blog), avec des ruptures chronologiques et la confusion du registre réalité/souvenir-rêve. Par une structure expressive plutôt complexe Le traître témoigne de la tendance moderniste du cinéma yougoslave de ce début des années 60, aux élans formels dans la dynamique des nouvelles vagues émergentes mais parfois déclinés avec gratuité (ici comme dans d’autres films des années 60, notamment chez Mimica ou encore Peterlic en Yougoslavie). Il y a en tout cas une certaine confusion y compris dans les choix de mise en scène dont la signification à dégager est difficile, même sous forme d’hypothèses. Reste que le film exerce une certaine fascination dans cette descente aux enfers du « héros » principal reconverti en « serial killer ». On y retrouve avec plus de force l’angoisse déjà développée dans le court-métrage Le mur et la mort apparaît presque comme un salut.

Je n’ai pas pu voir le film avec des sous-titres (pas même anglais), cela a donc renforcé le caractère à la fois hermétique et fascinant de l’atmosphère du film. Il faut dire que la filmographie de Rakonjac est très difficile d’accès. Aucun de ses films n’a semble-t-il fait l’objet de restauration et ce sont des copies domestiques qui permettent le plus souvent de (re)découvrir son oeuvre. Marié à la superbe actrice Milena Dravic, une incontournable du cinéma yougoslave ayant tourné à la fois dans des œuvres commerciales « canoniques » et des films de la Vague Noire, Rakonjac est décédé à 35 ans. Une présentation croate de sa filmographie mentionne qu’il a souvent eu des obstacles à la diffusion de ses films sans pour autant proposer des films ouvertement politiques mais davantage dans la sphère privée (à l’image de son segment pour La ville), tel un tableau des relations civiles de l’ère socialiste yougoslave. La source étant en croate je n’ai pas pu bien saisir ce que voulait amener comme problématique le texte. Mais c’est une piste à garder en tête pour (re)voir et travailler la réception des quelques autres films du jeune cinéaste dont la plupart circulent en VO sur la toile (certes, à la qualité d’image et sonore médiocre).

Les enfants d’après – Bahrudin Bato Cengic (1968)

Bato Cengic – Les enfants d’après (Mali vojnici / Playing soldiers) – 1968 – Yougoslavie – 82 mn

« A cette époque c’était un film très dur (…) dans son vérisme. C’était un film difficile à propos d’orphelins qui ne savaient quoi que ce soit à propos d’eux-mêmes. Nous l’avons fait au bon moment. C’était le meilleur moment de le comprendre, parce que l’Europe avait beaucoup d’orphelins qui sont à nouveau manipulés, amenés dans une situation à jouer le rôle de Bosko Buha. J’ai l’impression que leur malheur a été utilisé »

(Bato Cengic, interviewé par Zdenka Aćin = traduction approximative à partir du serbo-croate). 

Formidable initiative de Bretagne et Diversité (BED) qui avait permis de découvrir ce film en ayant mis en ligne une version sous-titrée français mais malheureusement la video est soudainement passée à une accessibilité « privée » C’est pourquoi plus bas j’ai finalement relayé la VO non sous-titrée qu’ont mis en ligne des internautes de l’Ex-Yougoslavie (on peut choper des fichiers sous titres anglais en parallèle au téléchargement de la video). Pour rappel BED est lié au Festival de cinéma de Douarnenez qui se déroule en Bretagne chaque année et dont l’édition 2006 fut intitulée « Peuples des Balkans ». La programmation y fut très riche d’après l’énumération partielle ICI des films projetés. L’émission radio « L’écho du kezako » a récolté des retours de festivaliers en leur posant la même question :  « une image du cinéma des Balkans vous a-t-elle particulièrement marqué ? » (écoutable ICI). Quel dommage que le BED ait finalement confisqué un accès public à la VOSTFR de ce film alors que le cinéma yougoslave, si peu restauré, est si difficile d’accès et qu’internet certes en permet la découverte mais via des VO dépourvues de sous-titres ou au mieux des VO sous-titrées anglais.

Les enfants d’après est le premier long métrage du cinéaste bosniaque Bahrudin « Bato » Cengic. Auparavant il avait réalisé des courts métrages documentaires et a aussi été assistant de réalisation de Zivojin Pavlovic (pour Le retour en 1963). Sa filmographie a été récompensée par plusieurs prix, avec des films comme Le rôle de ma famille dans la révolution (1971) ou La poudre du canon (1990). Durant le siège de Sarajevo, il a tourné plus de 1000 minutes et en a fait un documentaire-essai intitulé Sarajevo. Il est décédé en 2007.

les-enfants

Réalisé en 1968 et sorti en salles en janvier 1969, Les enfants d’après est produit par Bosna Film établie à Sarajevo, un des principaux studios répartis dans chacune des républiques de la Yougoslavie (tel la Viba Film à Ljubljana mais moins important que les structures Avala Film à Belgrade et Jadran Film à Zagreb). Le tournage eut lieu dans le secteur de Dubrovnik en Croatie, en bord de rivière Ombla qui se jette directement dans l’Adriatique. Le film fut  sélectionné au Festival de Cannes 1968 mais ce dernier fut interrompu puis annulé par le mouvement étudiant et la solidarité de cinéastes (pour rappel, voir l’archive video ICI). Mirko Kovac est l’auteur du scénario et entre autres films il a aussi scénarisé le formidable Lisice (1969) de Krsto Papic (relayé ICI sur le blog) ou encore L’occupation en 26 images (1978) de Lordan Zafranovic. Parmi les acteurs, à signaler Stojan « Stole » Arandjelovic dans le rôle de l’homme adulte, soit un acteur prolifique du cinéma yougoslave qu’on retrouve aussi bien dans plusieurs films de la Vague Noire (notamment de Pavlovic, Djordjevic, Rakonjac ou encore Makavejev) que dans des films commerciaux plus en phase avec l’idéologie officielle (tels les films de partisans glorificateurs genre La bataille de Neretva).

« Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, un groupe d’orphelins de guerre se réunit dans un vieux monastère qui devient leur foyer. Leur seul amusement est de  » jouer à la guerre « . Un nouveau pensionnaire, un jeune garçon blond, refuse de participer à ce jeu. La sentence de ses camarades sera impitoyable… » (Synopsis du Festival de Douarnenez où le film fut projeté lors de l’édition 2006).

Film intégral en VO sous-titrée français :

(VOSTFR passée en mode privé ICI sur le BED, soit un des rares films relayés sur ce site qui fut directement mis en ligne par le BED, la plupart des autres films visibles en intégralité étant issus d’autres sites ou plateformes)

FILM INTÉGRAL EN VO non sous-titrée :

https://www.dailymotion.com/video/x2fb1y1

https://www.dailymotion.com/video/x2fb227

Sans être un film de guerre puisque se déroulant dans l’immédiat après guerre, ce film se détache des valeurs prodiguées dans les films de partisans car ici il est question d’une violence idéologique et guerrière contaminant les enfants. Il y a des ravages et des séquelles qui se poursuivent au-delà de la guerre. Le film n’installe pas non plus un traitement manichéen, et les enfants de partisans et le fils d’officier nazi apparaissent aussi comme des victimes du monde adulte. La cruauté dépeinte dans certaines séquences est parfois stupéfiante tandis que d’autres scènes surprennent par un traitement à la limite du surréalisme. Pour ma part, je suis resté un bon moment scotché dans mon fauteuil une fois la séquence finale passée. La musique tirée de chants révolutionnaires parcourt le film, notamment dès l’ouverture du film et dans la dernière scène, mais elle n’a pas la connotation habituelle. A cet égard nous ne sommes pas très éloignés de L’embuscade (1969) de Zivojin Pavlovic même si les films demeurent différents. Là aussi l’entame se fait avec un chant révolutionnaire, sur le train de la révolution en marche :

Courts métrages documentaires à la Neoplanta Film – Zelimir Zilnik (1967-71)

Zelimir Zilnik – 5 courts métrages documentaires produits par Neoplanta Film : 1967-1971 – Yougoslavie

« Les films des néoréalistes italiens faisaient partie des choses les plus puissantes que j’avais jamais vu. J‘étais aussi impressionné par le mouvement underground américain qui était un adversaire des clichés d’Hollywood (…) Quand je voyais les films de [Vittorio] De Sica, puis ceux qui venaient de la Tchécoslovaquie, de Pologne et de Hongrie, je décidai de devenir cinéaste. Je ne voulais pas regarder les films qui étaient pleins de violence, parce qu’ils détruisent leurs propres idées. Puis quelques autres films m’ont influencé aussi, comme Le Bonheur réalisé par Agnès Varda [1964] – pour moi ce film est une source inépuisable d’inspiration. » (Zelimir Zilnik, interview publiée sur Kinoeye

« Plus engagé que le cinéma tchécoslovaque, plus agressif que le cinéma hongrois, le cinéma yougoslave est probablement du point de vue politique le plus affirmé et limpide de toutes les cinématographies socialistes » (Le critique français Marcel Martin, 1969)

Né dans un camp de concentration, Zelimir Zilnik  est un cinéaste serbe dont le premier long métrage de fiction Rani Radovi (Travaux précoces, 1969) a été relayé ICI sur le blog, une évocation féroce qui « tente de démystifier les mythes religieux du socialisme » (Zilnik)C’est un cinéaste qui a contribué à la « Vague Noire » du cinéma yougoslave, soit à la base une désignation de la nouvelle vague yougoslave (le Novi film) qui fut formulée en 1969 par Vladimir Jovicic, un membre du parti communiste yougoslave. Ce terme accusait notamment la tendance de ce cinéma yougoslave à être « pessimiste« , « nihiliste » et relevant d’une « hérésie anti-socialiste« . A partir du début des années 70, la Vague Noire explose; la censure monte d’un cran, les pressions s’intensifient et il y a des obstacles pour les cinéastes les plus véhéments de cette tendance du nouveau cinéma yougoslave, parmi lesquels Zilnik :

« La destruction de la Nouvelle Vague et le changement de son nom en Vague Noire est l’exemple évident d’un procédé vaste, efficace et auto-destructeur de [cette] opération. La phase la plus créative de notre cinéma national a été mise à l’arrêt. Des réalisateurs comme Makavejev, Petrović, Pavlović et beaucoup d’autres n’ont pas mené de nouveaux projets. En raison de son film Plastic Jesus, Lazar Stojanović a été condamné à deux ans de prison. Ils ont interdit tous mes films qui avaient été faits jusque-là : cinq documentaires et Rani Radovi. » (Zelimir Zilnik, interview avec Dominika Prejdova)

Plus que la seule critique du contenu pessimiste en tant que tel, la condamnation initiale visait aussi le fait de diffuser une image négative de la société yougoslave, ne correspondant pas aux mythes fondateurs de la Yougoslavie de Tito (fraternité et unité, etc). Or la filmographie socialement engagée de Zelnik a bousculé cette image.

Ses premiers courts métrages documentaires relayés ci-dessous ont été produits par la Neoplanta Film, une petite société de cinéma créée en 1966 à Novi Sad en Voïvodine (Serbie) et qui a stoppé son activité en 1986. Avec ces films Zilnik aborde des problématiques sociales de la Yougoslavie où il privilégie le quotidien d’une humanité marginalisée tout en évitant le pathos. Bien qu’originaire du cinéma vérité, dès ces débuts professionnels il insère des éléments narratifs et maintient une distance avec le réalisme par un recul critique, donnant lieu à des éléments qui approfondissent le contenu :

« L’essence d’un documentaire est de ne pas trahir les personnalités des personnes qui y figurent. Cela signifie que ça serait une mauvaise chose de représenter un enfant bien élevé comme un délinquant juvénile. Mais lorsque nous montrons une personne sans-abri ou un oisif comme il ou elle est, alors je pense que nous pouvons incorporer quelques éléments narratifs afin d’exprimer leurs situations d’une manière plus efficace. D’une certaine façon, dès que nous commençons le tournage d’un film nous trahissons toujours la réalité. » (Zilnik, 1968)

« Zilnik maintient une certaine distance avec ses sujets et protagonistes et évite le pathos et la sentimentalité, choisissant plutôt une structure en mosaïque qui incorpore des éléments de provocation, de débat et d’humour, qui à première vue semblent même contredire les questions et les impressions qu’il veut exprimer. Il interroge les choses d’une manière détachée, et dans leur forme finale ces éléments renforcent la véracité du film et l’aide en exposant une multitude de niveaux, offrant de nouvelles perspectives sur les réalités complexes des protagonistes. » (Dominika Prejdova, « Le cinéma socialement engagé selon Zelimir Zilnik », 2005) 

Plus tard il a donné lieu à une forme de docu-fiction, à une dramatisation du documentaire (notamment pour la télé yougoslave après un exil de quelques années en Allemagne) tout en gardant une veine sociale et politique jusqu’à ces dernières années puisque ses longs métrages documentaires se focalisent par exemple sur les immigrants au sein de la forteresse Europe, en particulier sa trilogie Kenedi (2003-2007) basée sur le parcours d’un Rom.

 

1) Journal de jeunes villageois en hiver – 1967 – 15 mn   

Originaire de Novi sad, Zilnik a tourné ce premier film professionnel dans des villages alentours (Bukovac, Krcedin et Futog). Focus sur une population rurale à travers festivités locales (bal, bar, célébration religieuse etc) où il est question du temps libre de la jeunesse des villages, sur lesquels des anciens donnent leur sentiment. Pas d’approche ouvertement politique ici, si ce n’est un tableau plutôt sombre (la place de l’alcool par exemple) et le témoignage d’une envie d’ailleurs. Outre le réalisme documentaire, l’approche de Zilnik flirte avec des aspects fictionnalisants.  

Film intégral en VO sous-titrée anglais :

Un passage m’a fait pensé à une séquence forte de Quand je serai mort et livide de Pavlovic (présenté ICI sur le blog), fiction réalisée la même année et où le personnage principal Jimmy Barka tente sa chance à un concours de chant. Il se fait rabrouer par un jeune public acquis à une musique moderne en vogue à la ville et notamment influencée du rock occidental; le répertoire provincial ne plaît plus. Or ce court métrage de Zilnik porte aussi un passage (début de film) avec une jeune chanteuse dans un bar dont la performance rappelle le style de Jimmy Barka. Soit un chant bien ancré dans le folklore provincial serbe, distinct de la culture urbaine de la jeunesse.

Image tirée de Journal de jeunes villageois en hiver ;

(une chanteuse sur scène d’un bar de village)

court

Extrait de Quand je serai mort et livide (1967) :

(le jeune public est hostile à ce folklore, « assez de ces trucs ! » crie une femme. Jimmy Barka est à la marge du développement industriel et urbain, sillonnant davantage la province serbe)

Une autre séquence de Journal de jeunes villageois en hiver montre cette fois-ci un groupe rock sur scène lors d’un bal de village, une culture semble se glisser en province.

Extrait de Journal de jeunes villageois en hiver :

(rock au bal du village)

A noter que le cinéaste croate Krsto Papic a réalisé en 1971 un petit documentaire sur un festival de musique dans un village, associé à un concours de miss beauté (se côtoient folklore musical provincial et culture urbaine, en plus de la tenue d’un événement d’origine urbaine) : Un petit spectacle de village (1971).

 

2) Petits pionniers – 1968 – 12 mn

Une approche socio-politique apparaît plus clairement dans ce deuxième film. Les pionniers en Yougoslavie était une organisation à laquelle adhéraient les enfants et qui promouvait le sentiment national yougoslave, véhiculant une image de l’enfant heureux. Placée sous la tutelle du parti communiste yougoslave, l’organisation des pionniers était intégrée à l’Etat. Ici, le titre du film vient d’une chanson de pionniers de 1968 mais les enfants sont autres. Il s’agit d’enfants de la rue et qui enfreignent la loi (vols etc). Ils et elles témoignent de leurs vécus (misère, confrontations aux autorités, abus sexuels) tandis que les images établissent parfois un rapport contrastant avec la noirceur des propos tenus, ainsi ces moments où les enfants s’amusent dans des lieux délabrés. Deux mères apparaissent également dans le film, dont une qui affirme l’impuissance à canaliser les enfants.

Si le titre évoque l’enfant pionnier de l’idéologie officielle, dès la séquence d’ouverture le film développe une autre image en contrepoint vis-à-vis de ces enfants marginaux : celle d’une émission télé où des gosses rient de bonheur devant le spectacle d’un acteur populaire (« Gula »). C’est sans doute un renvoi au décalage entre l’image véhiculée par l’idéologie d’une part et une réalité sociale de l’autre. Cette dernière est constituée d’une jeunesse qui n’est pas intégrée dans la vision officielle, tout comme elle ne l’est pas dans la société yougoslave. D’ailleurs, approchée sans misérabilisme, elle vit ses propres plaisirs à la marge (séquences de jeu filmées dans les environnements miséreux des enfants). Ainsi Zilnik s’intéresse à une marge, celle du milieu sous-prolétaire (ou Lumpenprolétariat), absente des films commerciaux yougoslaves de l’époque. C’est proche des choix d’autres cinéastes yougoslaves des années 60, tel Pavlovic dont les deux films de 1967 se déroulent également dans des bas fonds (Le réveil du rat – relayé ICI sur le blog – et Quand je serai mort et livide). Fait intéressant, les propos enregistrés d’une dispute entre enfants laissent apparaître que les conditions de ruraux profonds (en tout cas le sous titrage anglais mentionne « yokel » qui se traduit grossomodo comme « cul terreux », « fruste ») et de « tzigane » sont connotées négativement car employées comme insultes. Voilà qui témoigne d’inégalités et tensions d’un monde adulte ébranlant quelque peu le socle national de la fraternité et de l’unité.

Film intégral en VO sous-titrée anglais :

 

 

3) Chômeurs – 1968 – 8 mn :

« Le film représente une série de portraits et de situations où les gens se sont retrouvés après avoir été licenciés pendant le temps des réformes économiques qui devaient établir une économie de marché en Yougoslavie. Dans les interviews, les gens évoquent leurs doutes et confusion parce qu’ils avaient attendu du socialisme qu’il leur donne plus de sécurité sociale. Ils critiquent la bureaucratie parasitaire, ils signent pour partir en Allemagne et y travailler depuis que la Yougoslavie a signé un accord sur la prise en charge de la main d’oeuvre. » (synopsis sur le site internet Zelimir Zilnik).

Film intégral en VO non sous-titrée :

(pour voir le film avec sous-titrage anglais, télécharger la video YT sur le lien ICI, les sous-titres ICI)

 

 

4) La tourmente de juin – 1969 – 10 mn :

« Le film documente les manifestations étudiantes à Belgrade en Juin 1968. Il a été tourné en grande partie dans la cour du Kapetan Misino Zdanje (bâtiment de la Faculté de Philosophie) où les étudiants se sont rassemblés et où des artistes ont participé, montrant ainsi leur solidarité avec les étudiants. » (site internet Zelimir Zilnik)

En mai-juin 1968 la Faculté de philosophie fut le secteur étudiant le plus radical de Belgrade. Si le film aborde la répression (sans doute celle qui s’est abattue le 3 juin sur le cortège reliant la cité universitaire et le centre ville), à l’image du discours final de Stevo Zigon (acteur de théâtre) ce qui ressort le plus de ce film c’est la critique de la « bourgeoisie rouge », la bureaucratie installée du régime en place. Le décalage entre d’une part l’idéologie de la révolution supposée ayant favorisé l’embourgeoisement d’une élite du parti et d’autre part la réalité sociale – le chômage par exemple, parmi les éléments les plus mis en avant dans les manifs de l’époque -, suscite des appels à la vraie révolution en retournant aux sources et c’est ainsi que Marx revient avec force dans les discours et les banderoles. Rani Radovi reprend ce contexte incriminant la « bourgeoisie rouge », tout en approfondissant le décalage entre préceptes révolutionnaires et réalité. Les personnages principaux y représentent une jeunesse se butant à la réalité et contredisant dans la pratique les principes révolutionnaires qu’elle est censée diffuser dans les monde ouvrier et rural, allant jusqu’à tuer l’élément anarchisant de leur groupe (en l’occurrence une étudiante nommée « Yugoslava »).

Film intégral en VO sous-titrée anglais :

En complément, découvrir aussi le court-métrage Studenski grad (1964) de Jovanovic (relayé ICI sur le blog), un film qui porte sur la précarité de la cité universitaire de Belgrade et annonce en quelque sorte le mouvement étudiant de 1968 qui portait notamment sur les inégalités sociales.

J’encourage également à lire le petit texte publié ICI par Radoslav Pavlovic, un étudiant de l’époque devenu syndicaliste à IWW et qui revient sur ce juin 68 à Belgrade. Des précisions sont données sur le contexte, le déroulement et la fin du mouvement avec notamment le rôle du beau-père de Slobodan Milosevic … La fin du texte fait même le point sur les dérives nationalistes de plusieurs figures engagées de l’époque et d’autres y ayant résisté (tel le cinéaste Lazar Stojanovic, emprisonné quelques années par le régime suite à un film qui sera prochainement relayé sur le blog). D’ailleurs on y apprend que l’acteur dramatique slovène Stevo Zigon qui conclue le film par un discours « récitait en 1968 Robespierre devant les étudiants. En 1989 il est devenu l’adepte le plus fougueux du “peuple céleste” [serbe] « . De quoi appuyer un peu plus la réflexion acide portée par Rani Radovi de Zilnik.

A noter que ce film est une deuxième collaboration avec Branko Vucicevic (ici crédité au son), précédée immédiatement par celle pour le long métrage Rani Radovi réalisé la même année. Scénariste et critique serbe n’ayant jamais intégré l’establishment académique, Vucicevic fut un acteur important de la scène culturelle de Belgrade des années 60 et a eu influence sur des films importants; il a notamment co-scénarisé Rani Radovi de Zilnik et Une affaire de coeur (1967) du cinéaste serbe Dusan Makavejev (présenté ICI sur le blog) ou encore scénarisé Le radeau de la méduse (1980) du slovène Karpo Godina (présenté ICI sur le blog). En parlant de Godina, on le retrouve dans le cinquième court métrage documentaire réalisé par Zilnik (ci-dessous).

 

5) Film noir – 1971 – 14 mn :

Une nuit, Zilnik ramasse un groupe d’hommes sans-abri dans les rues de Novi Sad et les ramène à la maison. Alors qu’ils se défoulent dans sa maison, le cinéaste tente de « résoudre le problème des sans-abri » en portant tout le long du film une caméra comme témoin. Il parle aux travailleurs sociaux, les gens ordinaires. Il s’adresse même à des policiers. Ils ferment tous les yeux devant le «problème». (site internet Zelimir Zilnik)

Un des axes principaux de ce film c’est l’absence de place pour les sans-abris, comme s’ils devaient disparaître de la société. La mise en scène de Zelnik qui héberge pour un nuit des sans-abris  les invite dans l’image. C’est comme une métaphore : dans le quotidien ces individus sont rejetés de la société et non admis dans l’image. Film Noir les amène aussi à exposer leur point de vue, ne se cantonnant pas à un récit de leurs conditions de misère. Ainsi Zilnik leur donne une expression politique, contraire à leur invisibilité, à leur disparition plus ou moins permise par le fonctionnement de la société et acceptée au sein de la population.

Voici un extrait d’interview où Zilnik contextualise la réalisation de Film noir :

« Au cours des huit années entre 1964 et 1972 plus de dix films « nouveaux, libérés » ont été réalisés en Yougoslavie, tous exempts de didactique, de réalisme socialiste et de propagande du Parti. Ces films ont été faits à l’époque du «Titisme mature», un moment où le modèle yougoslave était plus ouvert, plus réussi et plus communicatif que les autres modèles de socialisme d’Etat. Même à cette époque, le « nouveau cinéma » [Novi film] était souvent une production marginale par rapport aux spectacles  partisans et méga-coproductions avec l’Occident filmées dans les studios Jadran Film à Zagreb et Avala Film à Belgrade [se rapporter au très bon documentaire Cinema Komunisto présenté ICI sur le blog]. En outre, Aleksandar Petrović, Pavlović, Makavejev, Hladnik, Krsto Papić, Purisa Đorđević et d’autres avaient du succès parmi les critiques, à la fois intérieures et extérieures, et avec le public aussi bien. Donc, quand aujourd’hui on pense à la scène du film des années soixante, on pense immédiatement à la vague noire . Et d’où vient mon Film Noir ? Il a été stimulé par la désapprobation idéologique du libéralisme anarchique à laquelle ces films ont été soumis après 68, dans l’offensive à l’ordre du jour de re-Stalinisation entreprise par le régime qui a été secoué dans ses fondements par les «tremblements de terre» déclenchés lors de l’agitation étudiante contre la «bourgeoisie rouge» en Juin 1968 et par l’occupation de la Tchécoslovaquie, en particulier par l’élimination du modèle de Dubček en Août 68. (…) J’ai réalisé Film Noir au début 1971, lorsque la campagne idéologique contre la Nouvelle Vague avait atteint son apogée. Avec ce documentaire, qui est peut-être plus un essai, je voulais exprimer ma vue sur la mystification hystérique du film et de la critique sociale. Dans les circonstances actuelles, il est presque impossible de comprendre la portée et la gravité de cette campagne idéologique. Le parti tout entier, l’Etat et la police, environ dix mille personnes, ont été occupés à exclure, persécuter, « critiquer » et bloquer ces personnes qui ont été stigmatisées comme «ennemis idéologiques». Sous le socialisme d’État, une telle forme d’exorcisme a été un outil très important de «discipline». Il est intéressant de noter, dans une Yougoslavie qui avait en tout cas un système plus ouvert, une politique définie de l’auto-gestion et la libre circulation à l’ étranger, que le Parti n’a pas exclu les campagnes et les programmes de «nettoyage» typiques des modèles staliniens. » (Zilnik, interview avec Dominika Prejdova)

Film intégral en VO sous-titrée anglais :

Avec ce film, Zilnik questionne également le travail documentaire. Cela n’est pas un hasard s’il se met en scène dans son travail et dans l’accueil des sans-abris chez lui, en présence de sa compagne et de sa fille. Nous comprenons que le cinéaste n’a pas de solution pour ces individus hébergés chez lui, soit une réplique du rejet sociétal, ce sont des rébus de la société. Et en fin de film il les met dehors car son tournage se finit, sa bande de film se termine et le sujet documentaire avec. Par ce commentaire auto-critique glissé dans le film, il y a un questionnement sur le pouvoir du documentaire quant à la situation des personnes filmées. S’agit-il d’un simple spectacle ? C’est en tout cas une lecture proposée par Petar Joncic dans un livre édité en 2002 :

« La question que Zilnik pose dans ce film est de savoir combien de ses précédentes tentatives pour changer le monde à travers ses films ont réussi à changer sa propre vie et l’attitude envers le monde. Il marque également l’émergence d’un cinéma humaniste abstrait qui a servi comme dispositif critique, incluant souvent la propre vie du cinéaste comme un objet potentiel de la critique. Le dernier plan du film – dans lequel Zilnik annonce qu’après avoir accepté six personnes sans-abri dans sa vie pendant une courte période, il est à court de bande pour le film et qu’il est temps pour eux de prendre congé les uns des autres – peut être interprété comme un spectacle libéral de la démagogie et l’ insensibilité de sa part envers ces personnes, mais il peut aussi être considéré comme un acte d’auto-réprimande en « laissant la dette impayée » pour soi-même et sa profession ». (Petar Joncic, cité dans « Le cinéma socialement engagé selon Zelimir Zilnik »)

 

Ainsi ces cinq premiers court métrages documentaires produits par la Neoplanta Film se distinguent notamment par la place accordée au lumpenprolétariat (ou sous-prolétariat), aspect qui se prolongera tout au long de la filmographie de Zelnik. A cet égard, et cela sert de conclusion à cet article du blog, je propose un large extrait du texte « Behind Scepticism Lies the Fire of a Revolutionary ! » de Branislav Dimitrijevic, publié sur le site officiel de Zelimir Zilnik. Le propos est plutôt intéressant par l’interprétation suggérée de cette focalisation filmique sur les bas fonds. Par ailleurs, à la lecture de ce texte j’ai eu en mémoire le film yougoslave Jeune et frais comme une rose du serbe Jovanovic (1971, relayé ICI sur le blog). Censuré pendant 35 ans, ce long métrage de fiction apparaît de nos jours comme annonciateur d’une histoire récente, avec une sphère criminalo-fascisante associée au pouvoir du régime Milosevic et aux massacres perpétrés :

« Le lumpenproletariat était un excédent non désiré du socialisme. Pourtant, comme cela a été démontré plus tard, c’était devenu une force politique très importante qui a été utilisée au cours des processus conduisant à la disparition de la Yougoslavie à la fin des années 1980, et surtout pendant les guerres des années 1990 (…). Au lieu de cacher les représentants de cette «sous – classe» dans le socialisme quand ils ne sont pas eu de rôle structurel, Zilnik leur a offert des rôles dans ses films. Il avait l’ intention de communiquer avec ces personnes, afin non seulement de les rendre visibles, mais aussi de confirmer leur rôle important dans la construction du sens de la réalité. En outre, il a voulu remettre en question ses propres attitudes ironiques. Cela a été fait d’ abord par l’observation de leurs «pratiques matérielles» (dans les premiers films), puis en contredisant leur statut à l’incapacité de l’idéologie officielle de les intégrer dans la société (comme dans un de ses films cruciaux, Film noir) et plus tard, dans ses films de télévision des années 1980, il les emploie littéralement comme ses acteurs. Zilnik a refusé d’utiliser des acteurs professionnels, et par ce refus , il en a fait le symbole de sa non-participation à la création culturelle qui a définitivement évolué vers des salles comme vitrines de la culture verbale de la « mild dissidence » dans le socialisme. (…) Si nous partons de l’observation de Marx, et d’un usage familier général du terme, le terme « lumpen » porte une connotation entièrement négative. Ici , nous avons une image de certains résidus sociaux qui sont seulement mis en mouvement dans le but de servir et de renforcer la politique régressive comme le fascisme ou toute forme contemporaine du populisme. (…) La mission de Zilnik était à venir avec une certaine re-définition ainsi qu’une ré-invention du rôle de cette sous – classe. Nous pouvons spéculer qu’il a été motivé par l’histoire de sa propre vie, comme orphelin né dans un camp de concentration et quelqu’un qui n’a donc appartenu à aucune identité de classe héritée. Pourtant, Zilnik ne limite pas son approche à une certaine empathie humaniste envers les plus démunis, mais a exploré l’imprévisibilité de la politique et le rôle social de ce groupe. Il n’y a pas de sentimentalisme dans son approche mais il y a une compréhension pour une certaine créativité par en bas (par opposition à modernisation-du-dessus qui était la tendance de la politique culturelle) que Zilnik observe et plus tard incorpore dans ses films, en particulier dans ceux qui sont faits pour la télévision dans les années 1980. » (Banislav Dimitijevic, « Behind scepticism lies the fire of a revolutionary »)

Jeune et frais comme une rose – Jovan Jovanovic (1971)

Jovan Jovanovic – Jeune et frais comme une rose – 1971 – Yougoslavie – 1971 – 71 mn

Projeté au festival de Pula 1971 et dans une poignée de cinémas, Jeune et frais comme une rose a rapidement disparu des écrans, subissant une censure officieuse de 35 ans puisqu’il ne sera redécouvert qu’en 2006.  Ce n’était pas la première censure subie par le cinéaste serbe Jovan Jovanovic.  Avant ce premier long métrage, il avait réalisé deux courts métrages censurés dans le cadre de ses études, dont Izrazito ja (1969) qui se présente tel un préquel de Jeune et frais comme une rose (courts métrages relayés ICI sur le blog).

Produit par Dunav Film (un studio de Belgrade), on retrouve un certain Dragan Nikolic. Devenu un acteur vedette du cinéma et de la télé yougoslaves, il fut révélé en 1967 dans Quand je serai mort et livide de Zivojin Pavlovic (relayé ICI sur le blog), un cinéaste de la vague noire yougoslave qui a également connu des censures officieuses.

mlad

« – What did you do after dinner?

– I was in cinema

– The fable of the film?

– It is Godard, there is no fable ! »

(dialogue de Jeune et frais comme une rose)

A travers une esthétique « punk » avant l’heure, une mise en scène chaotique (caméra secouée, zooms et dé-zooms incessants) et une influence partielle d’A bout de souffle de Godard (ce dernier est même cité), le film suit une petite frappe criminelle (Stiv) qui s’adresse régulièrement au spectateur. Tout en opérant des crimes, il déglingue avec ironie le monde qui l’entoure, à la manière du personnage de Izrazito ja auquel il reprend même des répliques. Lié  à la police secrète, Stiv monte en puissance et constitue une bande armée tentant de prendre le pouvoir. Le film met aussi en scène une icone médiatique, Stiv précédant même des personnages gangsters vedettes du cinéma (tel le Al Pacino de Scarface).

Extrait, en VO sous-tirée anglais

(Conférence de presse de Stiv, le show médiatique)

 

Jeune et frais comme une rose fait assister à un chaos démontant l’optimisme officiel orchestré idéologiquement à coups de démonstrations, slogans et discours, à l’image de l’ouverture du film où figure même un extrait de discours de Tito. On peut se figurer comme ce film a pu alors constituer un pavé, même si la réalisation technique est parfois trop insistante, une limite qui je trouve cause un peu de lassitude (bien qu’aujourd’hui cela soit justement présenté comme une originalité « punk » avant l’heure).

« J’espère que nous nous reverrons. Je suis votre avenir !« 

futur

 

Par les accointances du pouvoir avec la criminalité et la célèbre phrase finale de Stiv, nombreux ont donné à ce film un aspect « prophétique » étant donnée la (re)découverte tardive en 2006 et la période écoulée entre deux. Outre cet aspect « visionnaire » le film exerce une satire générale, tant sur les valeurs officielles du socialisme yougoslave que sur le consumérisme de masse, les médias ou encore l’esprit rebelle de la jeunesse (la scène avec les hippies assassinés).

Je n’ai pas eu l’occasion de voir ce film avec des sous-titres français, par conséquent j’ai parfois eu du mal à suivre étant données les nombreuses répliques accompagnant le rythme saccadé de l’image. Je glisse ci-dessous le film intégral avec les liens pour qui souhaite se lancer dans la découverte avec un sous-titrage anglais.

Film intégral en VO non sous-titrée

(pour le voir avec sous-titres anglais : télécharger la video ICI, les sous-titres ICI)