Cameroun, autopsie d’une indépendance – Gaëlle Le Roy, Valérie Osouf (2007)

« En 2005, la loi sur les « aspects positifs de la colonisation » dans les programmes scolaires, la mort de deux adolescents poursuivis par la police à Clichy-sous-bois, enfin l’attaque d’une mosquée à la bombe lacrymogène ont déclenché trois semaines de contestations dans de nombreux quartiers français et ont libéré dans le même temps des paroles ouvertement racistes tant chez des politiques que chez des intellectuels français. (…) C’est ce contexte de révisionnisme colonial qui m’a décidée à lancer ce travail. L’histoire du Cameroun étant à la fois emblématique de l’histoire coloniale, puis post-coloniale française, à travers ce qu’on a désigné comme la « Françafrique », et singulière avec un mouvement politique tel que l’UPC de Ruben Um Nyobé, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Ossende Afana… Ces derniers initiant la lutte pour leur indépendance autour du statut particulier du Cameroun, qui a été un mandat confié à la France à la sortie de la première guerre mondiale, et non celui d’une colonie. »

Galle Le Roy, co-réalisatrice du documentaire Cameroun, autopsie d’une indépendance (interview)

 

EN ENTIER – Gaëlle Le Roy, Valérie Osouf – Cameroun, autopsie d’une indépendance – 2007 – 55 mn

« Entre 1955 et 1971, une guerre secret d’Etat s’est déroulée au Cameroun. Une guerre qui devait assurer à la France son indépendance énergétique. Cette guerre coûtera la vie à 1/10ème de la population camerounaise – des centaines de milliers de victimes pour la plupart civile dans le sud et l’ouest du pays. L’UPC – « Union des populations du Cameroun“, parti créé par Ruben Um Nyobé, qui lutte pour une réelle indépendance sera éradiqué, ses leaders assassinés, empoisonnés et exécutés publiquement. (…). Historiens, militants, politiques et survivants livrent leur version sur cette guerre de libération perdue. »

 

Voilà un documentaire qui a le mérite d’aborder la décolonisation en Afrique noire à travers cette histoire méconnue du Cameroun. Quasiment aucunes archives videos et photographiques n’existent sur la lutte de libération camerounaise à travers l’UPC, les massacres engendrés par le pouvoir colonial (puis néocolonial) et la politique de concentration des populations en camps (issue d’un « savoir-faire » acquis en Indochine). Par cette absence, il y a écho au documentaire plus récent et terriblement pertinent à l’égard de notre présent, intitulé Pays barbare (2013, relayé et présenté ICI sur le blog). Réalisé par Gianikian et Lucchi, Pays barbare évoque les massacres restés sans images du colonialisme de l’Italie fasciste et notamment les bombardements au gaz moutarde intervenus en Ethiopie.

Extrait de Pays barbare (2013) – Bombardement au gaz moutarde de l’Ethiopie (discours de Hailé Selassié interprété par Giovana Marini)

 

Ici, font également défaut les images et autres archives qui témoignent directement d’une part de la lutte d’indépendance camerounaise (la voix off précise par exemple qu’au niveau audiovisuel Ruben Um Nyobé n’a laissé pour traces qu’une video et trois photographies …), d’autre part de la terrible répression ayant engendré des milliers de morts (en écho à des chiffres qui restent encore très vagues de nos jours …). Mais le documentaire se livre au recueil de témoignages d’anciens militants et militantes de l’UPC. En parallèle témoignent également Pierre Messmer, ancien représentant du pouvoir colonial en tant que haut-commissaire de la France et directement impliqué dans les massacres perpétrés par l’armée française, ainsi qu’un ancien ministre de la Coopération qui donne une idée de la teneur néo-coloniale du régime camerounais une fois l’indépendance obtenue en 1960.

Les témoignages comblent donc partiellement le silence des archives et en révèlent la signification : à la volonté d’écraser la lutte d’indépendance menée par l’UPC qui une fois interdit gagne le maquis, répond l’effacement de toutes traces. Les morts de l’indépendance devenue une fausse libération correspondent à un trou dans l’Histoire, ou une « anecdote », pour ne pas dire un « détail » de la décolonisation; à l’instar du « c’est pas important » prononcés par Pierre Messmer à l’égard des éventuels bombardements au napalm (autre fait énigmatiquement flou ou absent de l’Histoire officielle). Le propos qui conclut le documentaire est sans appel : le sans importance du cadavre noir et la chape de plomb sur la guerre coloniale secrète en disent beaucoup quant à la « mission civilisatrice » de la France et les droits de l’Homme : pour « quels hommes ? » .

Ce documentaire interpelle sur le vide historique d’une facette essentielle de la décolonisation et l’effacement des luttes de libération dont dispose le pouvoir (néo)colonial. Et il indique clairement une des genèses de la Françafrique qui perdure de nos jours. Le titre du documentaire y prend tout son sens …

La co-réalisatrice Gaelle Le Roy a donné lieu à une riche interview autour du film, accessible en lecture ICI.

« Une des tragédies de cette histoire, c’est qu’Um Nyobé, assassiné dans son maquis en septembre 1958, est une figure majeure de l’histoire de l’émancipation africaine, un combat qu’il a amorcé avant Nkrumah, Cabral, Lumumba ou Mandela, mais au bout du compte, personne ne le connaît.
Il a été effacé de l’histoire, comme si en le faisant disparaître de leurs récits officiels, les pouvoirs français et camerounais réussissaient à endiguer les effets insurrectionnels de cette mémoire.
Si plusieurs ouvrages relataient donc déjà différentes séquences de ce conflit, la force du témoignage filmé, la densité des 52 minutes couvrant toute la période, a suscité d’abord beaucoup d’émotions chez de nombreux Camerounais qui connaissaient peu ou pas cette histoire. Comme chez certains français, qui se demandent comment les journalistes, chercheurs, cinéastes de l’époque ont pu passer à côté. »

Gaelle Le Roy, interview

 

Par ailleurs, découvrant cette histoire, j’ai cherché des compléments à ce documentaire qui a le mérite de présenter des témoignages filmés de militants de l’UPC ayant survécu ainsi que de révéler et questionner le vide orchestré (historique, mémoriel, audiovisuel etc) tant en France que, vraisemblablement, au Cameroun. Mais les 52 minutes ne permettent pas de plonger plus précisément dans l’aspect historique de la lutte d’indépendance camerounaise. C’est ainsi que je renvoie à des compléments audiovisuels pour approfondir l’aspect historique :

  • Un des volets audiovisuels du cours « Penseurs de la libération africaine » du Front Uni des Immigrations et Quartiers Populaires (FUIQP), donné par le sociologue Saïd Bouamama. Il y est question de Ruben Um Nyobé, fondateur de l’UPC et assassiné en 1958.

 

  • Un autre retour sur le parcours de Ruben Um Nyobé et ses apports par le biais d’un extrait de l’émission « Sans rancune » sur la Chaîne TV Voxafrica

 

  • Un documentaire qui revient sur l’assassinat en Suisse en 1960 d’un autre leader de l’UPC, Félix Moumié. A noter que là encore on retrouve Pierre Messmer parmi les témoignages. Le documentaire a été publié en plusieurs parties sur dailymotion.

EN ENTIER – Franck Garbely – L’empoisonnement de Félix Moumié – 2008 – 52 mn

« Le 3 novembre 1960, le leader de l’opposition camerounaise,le Docteur Félix Roland Moumié, est empoisonné à Genève et meurt quelques jours plus tard. Activiste politique, cadre de l’UPC, il s’oppose depuis les années 1950 à la puissance coloniale française et à son influence en Afrique.Une période marquée par une répression féroce des mouvements indépendantistes, dans un contexte de lutte anti-communiste. La répression du parti UPC, l’Union des Populations du Cameroun, est sans doute une des plaies les plus honteuses dans la mémoire de la Françafrique. Entre le génocide dont parle François Xavier Vershave dans son livre « La Françafrique » , et les quelques centaines de victimes reconnues du bout des lèvres par Mesmer et Delauney, comment savoir ? Comme toujours quand il s’agit de l’Afrique, la désinformation et le silence, institutionnalisés, permettent au temps d’effacer les traces, de brouiller les pistes. » (Blog Prisma Canal International)

Entrée des artistes – Marc Allégret (1938)

« Tu ferais un excellent critique. Tu parles fort bien de ce que tu connais mal. » 

 

EXTRAITS – Entrée des artistes – Marc Allégret – 1938 

D’emblée je le dis: c’est pas la mise en scène de Marc Allégret qui fait de ce film un petit bijou à voir et revoir (en tout cas elle me laisse assez indifférent). C’est incontestablement la présence du fameux scénariste – dialoguiste Henri Jeanson alliée à celle d’un de mes acteurs fétiches dans tout le cinéma mondial, j’ai nommé Louis Jouvet, qui était avant tout porté sur le théâtre ! Comme à son habitude, Henri Jeanson nous offre ici des dialogues d’anthologie et Louis Jouvet, ainsi que d’autres très bons acteurs de ce film (dont Bernard Blier à ses débuts), les servent admirablement.

Henri Jeanson était également un polémiste et journaliste réputé. Figure marquante du cinéma français des années 30, il le sera tout autant jusque dans les années 50 où, malgré des films loin d’être des chefs d’œuvre, ses dialogues relèveront leur intérêt.

Entrée des artistes porte sur le monde du théâtre et constitue une très bonne mise en abîme de ce dernier. L’intrigue se déroule en effet au conservatoire où viennent d’être reçus de nouveaux élèves, dont Isabelle qui contre l’avis de son oncle laisse de côté son métier de blanchisseuse pour le théâtre. Elle y rencontre François et deviennent tous deux amants, à la grande jalousie de Cécilia, une ex de François qui avait fini par le repousser l’année précédente. L’intrigue amoureuse n’est cependant pas le sujet principal du film, c’est avant tout le théâtre et son apprentissage (mais coupé de sa dimension académique et routinière). Certains vont jusqu’à accorder à Entrée des artistes un regard quasi documentaire sur le conservatoire et son ambiance.

Extrait :

Louis Jouvet, figure marquante du théâtre, est dans un rôle ici qui lui sied donc à merveille (professeur au conservatoire). Ses quelques leçons de théâtre sont étincelantes, son personnage ne se prive pas de chambouler le confort avec lequel les acteurs et actrices semblent commencer le métier. Il n’a de cesse en effet d’impliquer l’acteur ou l’actrice dans son rôle, de le fondre totalement dans le personnage joué et de croire à ce qui est joué; le film est d’ailleurs proche des écrits de Jouvet sur le théâtre (se procurer à cet égard le livre Le comédien désincarné qui regroupe ses textes). Le monologue final est un véritable morceau d’anthologie qui me donne la chair de poule à chaque fois que je le revois, – avec une petite pointe d’ironie très Jeanson en conclusion (« mais il est vrai que l’amour n’est pas photogénique« ).

Les dialogues de Jeanson multiplient les formules assassines et donnent un grand intérêt au film. Ainsi la séquence de la visite de Jouvet chez l’oncle d’Isabelle qui s’amorce sur un très joli « vous ressemblez furieusement à votre écriture« . Le mépris du personnage de Jouvet à l’égard de la médiocrité de l’oncle est jouissif à entendre et à voir. Un des meilleurs passages du film. On ne peut s’empêcher de savourer la rudesse du dialogue et la méchanceté qu’il contient à l’égard du boutiquier ingrat voulant priver Isabelle de sa carrière de théâtre dont « les 17 ans ne sont pas à voler« .

 

On retrouvera une telle rudesse méprisante dans nombre de films contenant des dialogues de Jeanson, dont le formidable Un revenant (avec de nouveau Louis Jouvet !) où cette fois ci c’est la bourgeoisie lyonnaise qui en prend son grade et fait les frais du ton acerbe du scénariste.

Extrait d’Un revenant (1946 – Christian-Jacques) :

L’importance de la contribution de Jeanson se juge aussi au clin d’œil à un film de Pierre Chenal, rarement dans les rayons de médiathèque, Crime et châtiment (1935), à propos duquel il s’exprime en ces termes dans le Canard enchaîné : « Ce succès artistique et commercial classe Pierre Chenal parmi les meilleurs metteurs en scène du monde. Par son exemple, il nous prouve que le cinéma français à des techniciens et des artistes de premier ordre. » Or, la séquence d’une scène de théâtre jouée par les comédiens apprentis donne à Jouvet l’occasion d’une leçon de théâtre quant à la manière d’interpréter sur scène un « vous, c’est vous !« . On en peut saisir ici – certes c’est ma simple hypothèse – le souvenir du « Vous, c’est vous » de Pierre Blanchar (Raskelnikov) lors de l’irruption dans une scène de Madeleine Ozeray (Sonia), dans l’adaptation de Dostoïevski.

Extrait de Crime et châtiment (Pierre Chenal) :

Extrait d’Entrée des artistes :

Dans le premier extrait, si le « vous, c’est vous » est prononcé avec un Blanchar hors champ, nous remarquerons son terrible regard dans la foulée, sous l’emprise de Madeleine. Bref, sans doute que Pierre Blanchar a marqué Jeanson, dans un de ses meilleurs films comme acteur, à ranger aux côtés de L’homme de nulle part (1937), toujours de Chenal, adapté d’une pièce de Théâtre de Pirandello.

Extrait de L’homme de nulle part (Pierre Chenal) – avec par exemple un visage si fantomatique de Blanchar (Mathias Pascal) de retour au village :

 

Quant à l’amour, il est une thématique bien présente également dans le film d’Allégret. Henri Jeanson nous donne là encore quelques répliques qui marquent les esprits, en particulier en début de film à travers la relation Cécilia –  François où ce dernier, « guéri de la maladie« , fait part d’une ironie distancée à l’égard du sentiment amoureux qu’il éprouva jadis. Cécilia joue le jeu mais y perdra vite pied. Le côté tragique que peut revêtir l’amour conclue le film. D’ailleurs une scène annonce quelque part le déroulement final de l’intrigue amoureuse: celle où le voisin violoniste de François tente d’exprimer son désespoir en musique, sans réussite – exception faite de l’avis de Cécilia qui y ressent le tragique (« il joue comme on se tue, c’est beau« ). A noter également que le générique de fin est le même air que celui joué par le violoniste… Annonce d’un destin tragique ?    

Extrait :

                                                                                                                                                           

Le monologue final établit la jonction entre vie et théâtre où « tout est vrai« ; vie et théâtre ne font plus qu’un, la comédie théâtrale n’est pas un divertissement mais une réelle transposition des souffrances humaines telles qu’elles peuvent être vécues dans la vraie vie. L’art du comédien n’est pas de simuler des sentiments mais de les ressentir réellement…tout comme dans la vraie vie. La frontière entre théâtre et vie s’efface au profit d’une interaction réciproque: « mettre un peu d’art dans sa vie et un peu de vie dans son art« … C’est aussi un monologue qui se situe aux antipodes du théâtre de Bertolt Brecht qui lui, au contraire, privilégie la distanciation.

Monologue final :

 

Je termine cette note en renvoyant à trois films pour approfondir Jouvet et théâtre :

le très bon film de Benoît Jacquot Elvire 40 (1986) (présentation du film)

Louis Jouvet ou l’amour du théâtre, documentaire (pas fameux) de Jean-Noël Roy, en collaboration avec Jean-Claude Lallias (2002) (film en entier) et le dossier accompagnant la présentation du film. 

Louis Jouvet ou la noblesse du comédien (nombreux extraits de films) :

The inheritance – Harold Mayer (1964)

EN ENTIER – The inheritance – Harold Mayer – VO – 1964 – 59 mn – USA

« Ce documentaire, patronné par The Amalgamated Clothing Workers of America, fait la chronique de l’histoire des travailleurs du textile de 1900 à 1964. S’ouvrant sur le flot des immigrants qui sont arrivés par Ellis Island au début des années 1900, le film poursuit  en évoquant les ateliers clandestins du Lower East Side, les mines de charbon et les usines textiles remplies d’enfants, les champs de bataille de la Première Guerre mondiale puis les années incertaines de la Dépression. Avec cette structuration, nous voyons la lutte des immigrants pour devenir une partie de leur nouveau pays et la lutte brutale de la main-d’œuvre pour s’organiser dans un mouvement uni pendant les années 1930. 

La séquence réelle du Massacre du Memorial Day à Republic Steel apporte la puissance d’authenticité à ces événements. Puis le film évoque la Deuxième Guerre mondiale et la lutte pour les droits civiques des années 1960, comme  le combat de chaque génération pour préserver et étendre sa liberté. » Harold Meyer

Extrait de L’émigrant, de Charles Chaplin (1917) :

Inheritance :

Le documentaire est commandé par un grand syndicat du textile des USA, The Amalgamated Clothing Workers of America (ACWA), créé en 1914 contre la tendance conservatrice de l’United Garment Workers (UGW), affilié alors à l’AFL (American Federation of Labour) qui domine le paysage syndical américain. L’ACWA célèbre en 1964 ses 50 ans de création, d’où cette commande. Que ce soit dans « l’enquête » menée ICI autour d’images de répression et de défense des grévistes en 1937, ou ICI avec Matewan de John Sayles, ou encore LA avec The wobblies, il a déjà été question sur le blog de films abordant des tendances syndicales industrielles aux USA se démarquant du majoritaire AFL, aux élans grossomodo corporatistes et réformistes  (des nuances sont de mises), se revendiquant d’un apolitisme certain. Il y a d’une part l’IWW (syndicat INTERNATIONAL !) dès 1905, soit un anarcho-syndicalisme aux tendances nettement révolutionnaires tandis que noirs et immigrés y sont organisés dans de nombreux syndicats; d’autre par le CIO (Congress of Industrial Organizations) , découlant d’une scission avec l’AFL en 1935. Tandis que les noirs sont rarement impliqués dans les syndicats de l’AFL, dont nombreux syndicats comportent des clauses raciales, le CIO  est davantage ouvert et animé par des syndicats composés de noirs. Après guerre, une loi interdit aux dirigeants syndicaux l’adhésion au PC, ce qui touche beaucoup le CIO et le rapproche de l’apolitique AFL. Une réunification est opérée en 1955 entre AFL et CIO, devenus l’AFL-CIO…

L’Amalgamated Clothing Workers of America (ACWA) a également contribué activement aux luttes de 1937 qui s’éloignent des corporatisme et apolitisme de l’AFL et de sa relative passivité y compris dans ses formes de mobilisations; ainsi les grèves à la General Motors et la reconnaissance du syndicat United Auto Workers (UAW) qui met en place des occupations d’usine (les fameuses grèves sit-down); ou encore la grande grève des métallurgistes de la Republic Steel. Ces grèves apparaissent notamment dans des images dont il est question dans la note consacrée à Ambridge, Pensylvannia. Si le « vigilante man » y apparaît comme très imposant dans les dynamiques de répression des grèves, la riposte des ouvriers n’est pas exempte d’unité et de solidarité (mais pour laquelle le montage du documentaire Can you spare a dime brother ?  peut prêter à confusion – euh…volontaire ?!); plutôt que de s’arrêter à la violence des ouvriers en lutte, comme le ferait n’importe quel média dominant aujourd’hui, un film comme Matewan de John Sayles a ce grand mérite de resituer la violence des mineurs par rapport à celle, initiale et permanente, des compagnies minières, s’exerçant tant dans la vie quotidienne et le travail, que par la répression des rebellions. A ce propos, sur cette question de violence des ouvriers quand ils se défendent et mettent en place des moyens pour changer la donne, je relaie ci-dessous l’appel à souscription de Gilles Balbastre pour son dernier documentaire en projet : « Nous avons des armes« . La video de présentation du projet donne à mesurer le conditionnement médiatique sur « la violence des ouvriers » qui luttent (de PSA notamment), tandis que des syndicalistes le critiquent depuis leur vécu. Le principe est de remonter aux exégèses médiatiques de la violence du début de ce siècle – la barbare d’en bas, et la noble d’en haut (ainsi par exemple le retour sur la répression de Fourmies, que le socialaud Harlem Desir est venu commémorer en 2013 !). Ça rappelle que le principe n’est pas nouveau, et que d’anciennes luttes syndicales, ouvrières, d’émancipation, etc ont eu ce traitement médiatique, ses propres chiens de garde.

Nous avons des armes Appel à souscription pour le nouveau film de Gilles Balbastre :

On pourrait tout autant songer, bien sûr, aux conditionnements médiatiques vis à vis des précaires et des chômeurs, des immigrés, des personnes des quartiers populaires, des musulmans, des Rroms etc quand ils et elles s’osent s’organiser : les médias dominants (et parfois de gauche, voire certains « alternatifs » sur certaines dimensions de ces résistances populaires) les criminalisent tout aussi fortement dans le prisme opposé à leurs revendications, en ignorant (ou en fermant les yeux sur) la violence, réelle et non « fantasmée » ou « instrumentalisée », qui s’abat sur ces personnes. Ainsi l’exemple des Rroms qui osent survivre en faisant la manche ou récupérant de la ferraille, et par ailleurs voleurs et agresseurs. Ou comment retourner la violence et également « essentialiser » les personnes. On peut penser également aux musulmans par nature terroristes, intolérants et contrôlant les femmes (à moins de les éduquer et les civiliser par la « laïcité » à la française, générant il est vrai quelques résistances des barbares, si caractéristiques d’une violence intolérante et communautariste et envahissante). Les pauvres sont souvent sales, fainéants et des « cas sociaux ». Dans divers secteurs et pour diverses populations, les oppressions sont justifiées par les médias qui traitent les résistances comme les manifestations d’un comportement  anti-social et, ontologiquement, la marque d’une décadence barbare qu’il convient de maîtriser par l’ordre, la loi… et la matraque si besoin. Cet ordre peut être capitaliste, mais aussi (post)colonial etc. C’est là aussi que la répression basique (celle qui fait l’événementiel) est à considérer depuis ses sources et d’un certain existant qui prolifère de violences, celles si peu relayées par les médias, entre autres larbins (coucou le cinéma !).

Je poste ci-dessous, pour conclure cette longue parenthèse, Les barbares de Jean-Gabriel Periot (5 mn) :

Bon, revenons-en à The inheritance.

Ce dernier a été autorisé par son auteur à circuler librement sur le net (et ailleurs) notamment parce que « We are making it available in its entirety to the public now because we are concerned about the current attacks on Unions and workers. (…) We retain the copyright to the film, but give permission for the film to be used for educational purposes, in support of the right to collective bargaining. » (texte de Harold Mayer disponible sous les vidéos You Tube). Il est donc question du droit et de la nécessité de se défendre collectivement pour obtenir des droits et de meilleures conditions de vie. Un principe qui par ailleurs ne déplairait peut-être pas à un Guédiguian qui dans son récent Les neiges du Kilimandjaro pose un regard critique sur les jeunes générations peu soucieuses des luttes passées (de leurs parents, grands-parents), et ignorant par exemple ce qui a généré leurs acquis du présent, et dont une certaine forme de « privilège » les tiennent éloignées d’autres réalités, tout en méprisant les valeurs ayant généré leurs propres acquis… telle que la solidarité.

Le film a le parti pris de rappeler la réelle syndicalisation des immigrations (surtout européennes) ayant eu cours parmi l’ACWA. L’aspect des droits civiques, en revanche, reste discutable, du moins pour l’ensemble de l’AFL-CIO : en 1964 c’est la loi des droits civiques qui est votée, et  parmi l’AFL-CIO ça ne fait pas l’unanimité. On peut donc aussi voir dans cette commande documentaire une espèce de sollicitation de l’ACWA à cet égard (?). Bref, là-dessus sans doute que des films approchent plus profondément le syndicalisme du point de vue des afro-américains ? Toujours est-il que dans le présent film, la lutte pour les droits civiques est mise en filiation des précédentes, et qu’elle fait partie de ces luttes à mener « pour chaque génération« . La répression des noirs et leurs soutiens défilant dans la rue y fait écho à celle du Memorial day Massacre de 1937 à Chicago.

Le film de Mayer privilégie un certain syndicalisme , et l’angle général reste très patriote, et finalement complètement dépourvu d’angles internationalistes et émancipateurs larges qui ont pu exister ailleurs dans l’histoire syndicale des USA (impasse par exemple sur IWW). En contraste avec les passages de guerres mondiales d’Inhéritance, IWW s’est par exemple distinguée en refusant le chantage lors de la 1ère guerre mondiale qui voulait faire renoncer au droit de grève durant tout le conflit, par patriotisme (ce qui favorisa une grande répression, amoindrissant ses effectifs – Peut-être que lorsqu’un personnage de Matewan dit « C’était un grand syndicat » en 1920, il se réfère à cette répression-représailles… ). Le film reste au moins instructif par rapport aux immigrations génératrices de luttes syndicales et d’acquis, qui est l’idée forte. C’est globalement une réalisation intéressante aussi par rapport à l’ACWA et la vision qui en est donnée par le message véhiculé.

Le montage associe photos, brefs témoignages off, et extraits de films divers; certaines images sont assez rares et il est certain que le passage de la répression des métallos de la Republic Steel en 1937 à Chicago (Massacre du Memorial Day) – issu d’un film initial de 20 mn – est très percutant et donne une idée de la violence répressive. La bande originale est  soignée, avec par exemple la contribution du chanteur-compositeur folk Pete Seeger.  Premier documentaire important de Mayer pour la télévision, ça marque le lancement de sa carrière dans le domaine.

Post scriptum : un article très intéressant de Mathieu Bonzom intitulé « Syndicats et immigrés aux Etats-Unis » a été publié ICI sur le site du GISTI.

Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles (1987)

« À la fin des années soixante, j’ai fait beaucoup d’auto-stop. J’ai traversé les régions minières de la Virginie occidentale et du Kentucky. C’était l’époque où deux dirigeants se disputaient le contrôle du syndicat des mineurs : un vieux bonhomme corrompu, Tony Boyle, et un nouveau venu, Jock Lablonsky. Boyle finit par faire assassiner Lablonsky, sa femme et sa fille. Les mineurs qui me prenaient en stop me parlaient de leur syndicat et se référaient invariablement à une période encore plus sombre, celle du massacre de Matewan. Quand j’ai commencé à faire des recherches pour mon second roman, Union Dues, je suis retombé sur cet épisode, qui m’est apparu révélateur de toute une époque. Les « guerres du charbon », furent vécues à un niveau si personnel que cela m’a donné l’idée de faire un film sur les événements de Matewan, qui puisse enfin décrire de manière accessible et émouvante les éléments et principes à la base de ce que l’Amérique est devenue et de ce qu’elle aurait dû être : l’individualisme contre le collectivisme, l’héritage personnel et politique du racisme, l’utopie de l’immigrant se heurtant à une dure réalité, le capitalisme de monopole confronté au prolétariat le plus violent, un homme de loi sanglé de deux revolvers, affrontant une poignée de briseurs de grève armés. Que pouvait-on demander de plus à une histoire ? Je me suis dit que ce ferait un bon film : plusieurs protagonistes, leurs antagonistes, et leur confrontation armée, comme dans le western. De la même façon que les éléments de science-fiction [dans Brother] permettaient de révéler un monde où le public ne mettrait jamais les pieds, les similarités avec un western classique permettraient de présenter une page de notre histoire syndicale qui autrement le rebuterait. »  » John Sayles

EXTRAITS – Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles – 133 mn – USA

« Le récit des grèves minières de 1920 dans la petite ville de Mingo County, en Virginie. Un chapitre méconnu de l’histoire sociale américaine. »

Bande – annonce :

 

J’ai entamé ces derniers temps un cycle John Sayles dont Lone star (1996) a été évoqué ICI sur le blog. Je précise par ailleurs que la diffusion de la filmographie de Sayles est un peu moins craignos que je ne le pensais puisque par exemple le Festival International du Film d’Amiens 2003 lui a consacré une rétrospective : EN CLIQUANT ICI on a la présentation de tous les films alors projetés ET SURTOUT une introduction du cinéaste pas mal du tout !

En tout cas, dans la présente note, c’est l’occasion à travers Matewan de non seulement poursuivre la petite plongée dans l’oeuvre de Sayles, mais aussi de continuer, dans la foulée de l’actualité Pathé « retrouvée » Ambridge, Pensylvannie (ICI sur blog), sur la thématique du syndicalisme et ses luttes dans les industries aux USA, d’avant seconde guerre mondiale.

Nous retrouvons dans le film Chris Cooper, déjà personnage principal du plus récent Lone Star, et c’est une très agréable surprise que d’y rencontrer également Will Oldham (dit Bonnie Prince Billy), le grand chanteur-compositeur, ici à l’âge de 17 ans et vraiment excellent dans son interprétation de Dany – et j’écris cela sans aucun favoritisme ou aveuglement lié à sa carrière musicale !

Le film, comme le précise la longue citation en intro et tirée d’une interview dont je n’ai pas réellement retrouvée la source exacte, constitue un retour sur un moment important de l’histoire américaine : le départ d’un cycle de « batailles du charbon » opposant syndicats et milices/police dans une grande violence – ainsi la Bataille de Blair Mountain (nom de la Compagnie minière) suivant les événements du présent film… qui n’est QUE le prélude à un chapitre de l’histoire sociale américaine.

Les années 20 et 30 ont bon nombre de luttes, avec quelques victoires et acquis, et beaucoup de répression, tandis que c’est également le visage du syndicalisme qui prend d’autres formes. Et pas que dans les mines, si on songe également aux industries telles que l’automobile et la sidérurgie, où bien qu’encore majoritaire, la fameuse AFL (American Federation of Labor) est concurrencée par des syndicats fédérés à l’IWW créé au début du 20ème siècle (voir le documentaire The Wobblies ICI sur le blog) et au CIO créé en 1935. Un certain corporatisme tend donc à s’effacer dans ces nouvelles expressions du syndicalisme, avec également une forme plus révolutionnaire, tant dans les revendications que dans ses valeurs et fonctionnements par exemple, telle par exemple qu’une ouverture aux noirs proclamée par l’IWW. Il ne faudrait non plus que je caricature ici l’histoire syndicale des USA et sans doute y a t il à nuancer et approfondir, notamment du point de vue des nombreuses grèves des années 30 touchant de nombreux lieux de travail industriel. Bref, pour cette contextualisation, je renvoie donc à un récit de grève de 1927 (soit une décennie où se déroule Matewan !) qui a été traduit ICI par un collectif anarchiste de Caen; un récit qui permet de bien situer la période en  plus de rendre compte de la violence sociale alors présente, notamment par la répression s’abattant sur les grévistes.

Au demeurant, Matewan ne laisse rien au hasard, et Sayles ne trahit pas l’époque de l’histoire (euh, pas inventée dans ses grandes lignes !). Ainsi par exemple l’allusion à l’IWW où on apprend que des mineurs y ont été syndiqués;  affirmant qu’ « [il]était un grand syndicat« , on peut en déduire du caractère passé qu’il y a alors une certaine forme de répression en amont (et c’était effectivement le cas). Mieux, on pourrait supposer que la volonté constante de Joe de rassembler tous les travailleurs par delà les critères de nationalité et de couleur soit due, en partie, à son expérience IWW où l’unité prévalait à toute exclusion basée sur de tels critères, afin de favoriser un syndicalisme unitaire de masse tout en privilégiant une forme de démocratie directe et égalitaire. La place des femmes n’est pas abordée ici, mais cet aspect est évoqué dans Le sel de la terre de Herbert Biberman (1953) ou encore dans le décidément indispensable Harlan County (1976) de Barbara Kopple.

L’aspect documenté du film est également du, bien entendu, à des faits avérés et notamment cette séquence finale de fusillade entreprise par les mineurs locaux, soit « le massacre de Matewan » : un fameux instant « western » du film, mais qui n’est pas tourné en mode très spectaculaire, gardant une ligne relativement sobre, même si bon, ça démarre quand même très fort !

Les intentions de Sayles sont homogènes dans le film, avec un bon équilibre quant à l’éclairage historique, sans traitement spectacle ou pathos, et sans non plus des personnages caricaturaux ! Comme pour Lone star, j’ai trouvé les personnages bien travaillés dans leur rapport à la problématique historique et sociale. Cela contraste aussi, pour le milieu syndical et mineur en lutte, y compris dans ses dimensions humaines, d’une vision que peut en donner un livre comme Germinal de Zola (par ailleurs adapté en film-succès avec ses « stars » du cinéma français) où « Les grévistes en marche évoquent pour lui « la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour mordre (…), la même cohue effroyable de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes ». Le comble est atteint quand il montre les femmes « toutes sanglantes dans le reflet d’incendie, suantes et échevelées de cette cuisine de sabbat » ou encore « agitées d’une fureur meurtrière, les dents et les ongles dehors, aboyant comme des chiennes ». Ces images sont celles de l’opposant farouche à la « Commune » quinze ans plus tôt ; de celui pour qui les barbares furent ceux qui détruisirent la colonne Vendôme et les Tuileries, et non ceux qui massacrèrent plus de 30 000 communards. Pour celui que les Alpes séparaient de Maurice Barrès (ce qui nous le rendrait plutôt sympathique), le bon ouvrier reste le Versaillais qu’il nous décrit dans « La Débâcle » : « La calme figure de paysan illettré, son respect de la propriété et son besoin d’ordre, le paysan sage désireux de paix pour que l’on recommençât à travailler, à gagner, l’âme même de la France, la vieille raison française, l’épargne, le travail ». (…) Par contre, il y eut un Broutchoux et d’autres qui luttèrent pour un syndicalisme réellement révolutionnaire.. » (Joao-Manuel Gama, pour la BD Broutchoux dans une « note insérée par les éditeurs dans la ré-edition de 1993 à l’occasion de la sortie du film Germinal », ICI en bas de la page )

Matewan ne joue pas ici sur une violence-spectacle, ni sur un certain registre barbare qui posséderaient – intrinsèquement – les mineurs en lutte et le peuple « d’en bas ». La question de la violence est posée à multiples reprises, en prise avec la réflexion syndicale émergente (l’unité, la grève générale…), en réaction à une violence qui découle de  la compagnie minière (conditions de travail, contrôle, expulsions…) et ses bras armés (milice privée). Pour la milice privée, d’ailleurs, il s’agit d’une milice avérée historiquement : les Baldwin felts, qui s’est distinguée notamment en 1913-1914 lors d’une grande grève menée par l’UNWA contre les trois principales compagnies minières du Colorado, durant laquelle la dite milice a tué une vingtaine de personnes dont onze enfants. Ce fut le massacre de Ludlow, en 1914. Cette milice reste très active, notamment en Virginie de l’Ouest, et c’est elle qu’on retrouve enrôlée dans la ville de Matewan. C’est donc la figure du « Vigilante man » qui est également traitée dans le film, chantée par Guthrie et abordée ICI sur le blog.

Ludlow massacre – Woody Guthrie

Petit retour de 1O mn sur le massacre de Ludlow :

 

Je glisse ci-dessous un extrait de 5mn d’une interview (en VO) avec John Sayles où il parle de Matewan. Il y évoque la nouvelle Bataille de Black Mountain qui se déroule de nos jours (voir ICI un article du Monde), ainsi que la milice Baldwin-Felts   :

Pour ce qui est de la Bataille de Blair Mountain de 1921, et qui suit donc le Massacre de Matewan, voici des extraits d’un documentaire  :

 

Je pourrai évoquer également la figure du traître dans Matewan, qui n’est pas (seulement) de l’ordre de la distraction et du rebondissement narratif; c’est quelque chose qui touche effectivement les syndicats, de plus en plus, dans les années 20-30, et ça n’est pas sans conséquence, vraisemblablement, sur la manière dont vont se lancer certaines grèves et sit-in en 1937 dans l’industrie automobile (General Motors plus précisément), soit en relative indépendance vis à vis des grands syndicats, de plus en plus surveillés et espionnés de l’intérieur, tandis que des accointances avec les (supposés) ennemis ne sont pas rares.

Je termine cette note par la bande originale du film : comme pour d’autres films axés sur la thématique des mines et luttes ouvrières, le chant et ses appropriations collectives, tout comme ses résonances avec la mémoire et les luttes ouvrières, a sa grande importance. Ici, Sayles a privilégié nettement l’artiste folk Hazel Dickens (et déjà vue dans le documentaire Harlan County de Barabara Kopple !). Née dans une famille de mineurs de l’Ouest de la Virginie (où se déroule le film), elle a développé, entre autres, un répertoire en lien avec les mines et les luttes, tout comme féministe. Les morceaux ainsi insérés dans Matewan sont particulièrement en phase avec le film. Ils relèvent également d’un certain genre musical traditionnellement associé à des thématiques générées par le film et, bien sûr, la voix de Dickens très particulière en ajoute une dimension frissonnante. Mais attention, les chants ne sont pas une simple superposition à l’image, car ils sont parfois diégétisés, ainsi la superbe séquence des funérailles par exemple (Hills of Galilee) :

 

L’ouverture du film, après le générique, reprend un grand morceau d’Hazel Dickens écrit dans les années 50, et intitulé « Fire in the hole » : « le feu dans le trou ». Soit une expression du monde de la mine (qu’elle a connu depuis petite en vivant avec des mineurs), et dont un petit historique est retracé ICI.

« Fire in the hole » – Hazel Dickens

« You can tell them in the country, tell them in the town
Miners down in Mingo laid their shovels down
we won’t pull another pillar, load another ton 
or lift another finger until the union we have won

Stand up boys, let the bosses know
Turn your buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

Daddy died a miner and grandpa he did too,
I’ll bet this coal will kill me before my working days is through
And a hole this dark and dirty an early grave I find
And I plan to make a union for the ones I leave behind

Stand up boys, let the bosses know
Turn you buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

There ain’t gonna be no fire in the hole »

 

« Noi vogliamo l’uguaglianza »

Chant de lutte italien, qui dans le film a sa fonction internationaliste tout en mettant en valeur la rencontre des immigrations. Il est d’ailleurs une scène où la musique marque le point de rencontre des trois populations, tandis que les afro-américains et les italiens sont au départ exclus de la démarche syndicale et ne sont perçus que comme des brise-grève : celle où la musique rassemble deux musiciens blancs et un italien, puis un noir. L’idée, ici, est de composer ensemble. Sayles a repris cette thématique dans Lone star.

 

Et de nouveau Hills of Galilee, en meilleure qualité sonore :

Mouton 2.0. La puce à l’oreille – Antoine Costa, Florian Pourchi

EN ENTIER – Mouton 2.0 – La puce à l’oreille – Antoine Costa, Florian Pourchi – 2012 – 77mn 

« La modernisation de l’agriculture d’après guerre portée au nom de la science et du progrès ne s’est pas imposée sans résistances. L’élevage ovin, jusque là épargné commence à ressentir les premiers soubresauts d’une volonté d’industrialisation. Depuis peu une nouvelle obligation oblige les éleveurs ovins à puçer électroniquement leurs bêtes. Ils doivent désormais mettre une puce RFID, véritable petit mouchard électronique, pour identifier leurs animaux à la place de l’habituel boucle d’oreille ou du tatouage. Derrière la puce RFID, ses ordinateurs et ses machines il y a tout un monde qui se meurt, celui de la paysannerie. Dans le monde machine, l’animal n’est plus qu’une usine à viande et l’éleveur un simple exécutant au service de l’industrie. Pourtant certains d’entre eux s’opposent à tout cela … »

 

Qui n’a pas été séduit, au détour d’une randonnée traversant un alpage, sous la vigilance de patous alertes, par la présence d’un troupeau de vaches ou de moutons ? Voici un documentaire qui amène un regard dépassant notre simple plaisir de randonneur de passage pour aborder le monde de l’élevage depuis les obligations de puçage des troupeaux.  Auto-produit et diffusé sous licence libre, à vocation  de circulation indépendamment des circuits de diffusion classiques du cinéma, un tel documentaire appelle donc sans doute à la prise en main de l’objet pour gagner l’espace public sans contraintes d’auteur et au service d’échanges collectifs. Comme l’indique son titre emblématique, il porte surtout sur le fichage des moutons, amené conjointement par l’industrialisation, la technologie déshumanisante, le business et une société de contrôle et surveillance appelée à s’élargir bien au-delà du secteur agricole.

Le film démarre sur le plaisir de l’élevage, depuis le terrain, et les avantages qu’il procure de manière contrastée, par exemple, à la vie urbaine. C’est ainsi qu’un des principaux intervenants du documentaire explique comment il a quitté Marseille pour cette nouvelle vie. Ça n’est pas pour autant une idéalisation du métier, qui comporte des aspects difficiles en soi, mais voilà un juste prologue qui fait le point sur un certain élevage… euh avant sa disparition imminente ! Et on ne peut aussi qu’apprécier les nombreux plans tournés dans la nature en compagnie des bêtes et des hommes et femmes y travaillant : on y envierait presque leur place !

C’est à coups d’archives audiovisuelles hallucinantes (mais vraiment hallucinantes !) que le film avance par étapes. C’est une progression dans un certain enfer annoncé. Le combat des éleveurs et éleveuses opposés au puçage des moutons, et effectivement en résistance par le refus d’obéir, s’avère ainsi bien plus qu’une petite lutte de « paysans arriérés » et attirant la seule sympathie de bobos écolos. Chaque archive fait état d’une « avancée » technologique en lien avec l’élevage, où le contrôle de la reproduction (en lien avec le contrôle génétique) n’est pas la moindre. Nous mesurons les motivations de ces « avancées » dans un présent où des éleveurs et éleveuses expriment leur opposition à un certaine industrialisation ravageuse, face à un nouveau « progrès » annoncé : le puçage.

Les arguments du bien fondé du puçage sont tout d’abord énumérés dans un pôle de traçabilité (pôle en liquidation judiciaire, nous apprend le générique de fin) : raisons sanitaires, facilitation du métier etc. Nous apprécierons au passage les autres fichages en cours, via du matos très diversifié (et ingénieux, nous précise son publicitaire); ça concerne les transports en commun, les fréquentations de service (de stations de ski par exemple), les marchandises … Et la liberté, dans tout ça ? Ces mêmes arguments sont démontés par les personnes engagées contre le fichage, tout en rappelant les intentions mercantiles et de contrôle en amont. Surtout ça répond à de pseudos risques qui découleraient du travail de l’éleveur : les graves crises sanitaires ne viendraient -elles pas, justement, de cette même industrialisation qu’on impose partout dans le secteur agricole et notamment par le puçage ? Un certain cercle vicieux est de mise. D’autant plus que cette soi-disant « facilitation » du métier est imposée… dans l’intérêt des personnes, bien sûr. Un éleveur résume bien la situation :  « C’est une volonté de contrôle total (…) Mentalement, c’est contrôler tout« .

Le documentaire n’est pas qu’un exposé du rejet légitime du puçage suscité chez des éleveurs et éleveuses qui refusent de plier, c’est aussi quelques aspects « pédagogiques » : ainsi le rapport à l’animal (non dénué d’affection) et le milieu naturel dans lequel évolue le métier. Ainsi par exemple un superbe retour quant aux pâturages : soit un équilibre entre sauvage et main de l’homme, qui a gagné la bio diversité. Cet aspect – important – permet aussi de mieux mesurer le désastreux rapport au milieu et à l’animal qu’entraîne la technologie et tout ce qui sous-tend la volonté de « progrès ». Ce qui est appris autrement par la technologie, désapprend toute une tradition et une manière de faire ne découlant pas de la science et ses avatars technologiques. C’est d’une véritable mutation qu’il s’agit, et bientôt il n’y aura plus possibilité de composer autrement que par le prisme industriel qui avale toute une dimension héritée de pratiques traditionnelles, non chiffrables et théoriques. Le rapport de l’homme à la nature prend un tournant terrible, et c’est un ensemble de possibles rapports intimes à la nature, divers et empiriques, qui est aussi menacé de disparaître dans les plus brefs délais.

La résistance a sa part dans le film, et nous prenons un malin plaisir à écouter la discussion téléphonique avec un « responsable » lors d’une action collective d’occupation. C’est toute une séquence autour de la « démocratie » et la riposte citoyenne et collective, dite « illégale » et « non représentative », qui est en jeu. Comment ne pas penser à d’autres secteurs de la société, où on nous renvoie toujours à des leaders, partis, syndicats censés nous représenter, alors même, qu’ils co-gèrent les décisions qu’on nous impose, que nous subissons et que nous voulons combattre. Et la résistance nous concerne toutes et tous, voilà ce à quoi nous amène progressivement le film. A la fois pour le monde qu’on nous prépare, mais aussi pour l’urgence de créer des liens entre différents secteurs de la société.

En conclusion, le documentaire, sans s’inscrire dans une démarche des plus originales (si ce n’est celle, importante, de donner la parole aux éleveurs et éleveuses rebelles !), a le mérite d’interpeller sur ce qu’induit le puçage en terme de surveillance et contrôle de nos sociétés, tout en accélérant le processus de destruction de la nature via industrialisation et changement de nature dans notre rapport à l’environnement. De puçage, nous passons à fichage généralisé et aux nanotechnologies. Je ne peux néanmoins finir cette note sans penser à un très grand film des années 70, édité en DVD que depuis quelques années, et qui va bien plus loin que le présent, en guise de véritable boulet de canon face à une société-porcherie : Cochon qui s’en dédit (1979), de Jean Le Tacon. Je renvoie à la chronique du film ICI sur Kinok, et à l’édition DVD Montparnasse ICI (avec rapide bande annonce). Ce documentaire, un temps censuré donc, dégage déjà tout le processus industriel déshumanisant, la logique de contrôle d’un système capitaliste ravageur, la place de l’individu qui s’y trouve dévoré et assommé par un système économique qu’on lui impose et qu’il applique lui même, le corps-porc qu’on nous promet… A propos de ce film, réalisé quelques années après l’impitoyable Salo de Pasolini dont Porcherie n’était finalement pas le plus terrible, le cinéphile belge Patrick Leboutte écrit : « Quarante minutes au sein d’un élevage industriel de porcs. Il y a Maxime, emmuré seul avec mille bêtes assourdissantes. Il y a des tombereaux de merde, il y a ses rêves inavouables. Il n’y a rien d’autre à voir, il y a seulement à éprouver. (…). On ignorait alors à quel point il préfigurait les temps que nous vivons, telle une métaphore implacable. Semblable réquisitoire, en effet, appelle l’émeute. » Quasi 25 ans plus tard, c’est un documentaire comme Puce 2.0 qui voit le jour, où il est question de changement fondamental dans le rapport au vivant, et d’une société déshumanisante et de contrôle imposé à toutes et tous.

Site internet du film ICI : où sont notamment relayées de nombreuses actualités en lien avec les thématiques du documentaire. 

Exemple d’initiative :

pucage et transhumance

 

Pour se faire une idée de ce qu’implique plus largement le puçage des moutons, voici un spot publicitaire diffusé aux USA depuis 2012. Si la propagande y est effrayante, la France n’échappe pas au conditionnement; ainsi par exemple dans le cas du suivi biométrique des identités, les relais médiatiques appuient sur les mesures de sécurité que ça comporterait pour l’individu (fraude d’identité), ou les moyens d’identification en cas d’accident… Toute une propagande se généralise quant aux pseudos-avantages des différents fichages en cours, qui se mettent en place ici et là dans différents aspects de nos vies, et c’est tout un argumentaire de bien fondé du fichage qui est à démolir. C’est un peu  ce qu’entreprennent fort lucidement les éleveurs refusant le puçage des moutons, et les solidarités/accompagnements/réseaux de résistance qui s’expriment (collectifs etc), y compris dans la sphère publique via projections-débats de films comme Moutons 2.0.

 

Enfin, ci-dessous RFID la police totale, avec un petit retour sur les nanotechnologies (au marché mondial très fructueux dans les années à venir) et aux processus donc de surveillance et contrôle généralisés.

Festival Résistances de Foix : édition 2013

Du 5 au 13 juillet 2013 se déroulait le Festival Résistances de Foix, en Ariège, axé autour de quatre thématiques principales et d’un zoom sur le Chili. Bénévole, ce fut pour moi l’occasion de découvrir ce festival, fertile en projections, débats, invités, stands et autres activités associées à l’événement.

Je renvoie, en fin de note à un retour video complément (20mn) portant sur cette édition,à travers quelques paroles et images du lieu du Festival.

Bande annonce de L’été des poissons volants de Marcela Said, film-ouverture de Résistances 2013, en avant-première :

De manière générale, mes impressions ont été très positives, à la fois comme bénévole et comme spectateur. Il s’agit donc là de revenir, depuis mon vécu et mes quelques découvertes, sur cette édition 2013. Ça reste bien sûr très partiel, puisque d’une part je n’étais pas « partout » dans le festival et que beaucoup de choses m’échappent (notamment l’histoire du Festival par exemple, malgré des premiers éléments via des échanges avec des plus « anciens » et « anciennes », y compris du public); d’autre part j’ai raté de nombreux films et débats. Enfin, je ne prétend pas résumer de manière globale et « objective » ce festival et cette édition, mais plutôt de donner mes impressions générales (organisation, etc) en plus de parcourir les films / thématiques / cinéastes m’ayant marqué alors, en plus d’échos issus du public – bénévoles.  Je précise aussi qu’un laps de temps de plusieurs semaines s’est écoulé depuis cette édition 2013, agrémenté d’activité toute autre, (très) loin des écrans, et que la mémoire a quelque peu cédé au temps.

Le Festival Résistances occupe de nombreux bénévoles, de tout âge, et pas forcément dans la « profession » (mesurer ici l’ironie du terme). J’ai été agréablement surpris par la diversité des bénévoles et l’absence, en général, de prétentions hautaines et pédantes quant au cinéma, en phase avec ce festival à la fois « simple » et exigeant. Dès la réunion des bénévoles (plus de 80), à J-1 du lancement des thématiques, le ton est donné avec une insistance sur le côté horizontal de l’organisation et la volonté de couper avec l’existence d’une hiérarchie. Ce qui se passe toute l’année dans l’organisation même devrait ainsi également contaminer l’association des bénévoles à l’événement : pas de chefs, pas de relations de soumission, pas de catégorisation d’importance des personnes (« moi programmateur, toi bénévole, restes à ta place »). Cette même réunion permit aussi de mesurer une certaine mixité dans l’organisation où les femmes ne sont pas réduites à de la figuration ou à du faire valoir, comme pour faire dire « voyez comme nous dans le festival, nous sommes pour l’égalité des sexes » : nullement montrée du doigt comme « un exemple » et comme pour répondre à une espèce de cahier des charges, cette mixité semble comme découler de source d’une réalité organisationnelle, sans de moralisation pénible en amont et de religiosité anarchisante. Que cette mixité dépasse l’ordre du discours et du bien pensant pour se décliner concrètement, ça fait en tout cas plaisir. Les notes d’humour des personnes nous faisant la présentation lors de cette réunion ne manquaient pas non plus d’ajouter de la sérénité par rapport à cela.  Il est à noter que les organisateurs et organisatrices (semi) « permanents » ne disposent pas d’étiquette différentielle et se situent au même niveau que n’importe quel bénévole – je pense ici à une anecdote de fin de festival quand on remballait tout le dispositif : une « organisatrice » se chargeait de poubelles, et tandis qu’un gars faisait de l’humour quant à la situation, elle répondait (grossomodo) « mais oui, c’est ça aussi la polyvalence« ; soit une formule rappelant la mise à la pâte collective, sans spécialisations « nobles » et « déclassées ». Au-delà des discours de présentation, une certaine forme d’organisation horizontale contamine donc l’ensemble du dispositif du Festival et c’est très appréciable quand on est bénévole. Les « fonctions » et différents rôles des bénévoles ne sont pas non plus soumis à des catégorisations qualitatives : cuisine, bar, accueil du public ou encore cabine de projection, il n’y a pas de comportement (en général) élitiste entre bénévoles et sentiments de tâche plus « noble » que d’autres et plus intégrées à la « fonction cinéma ». C’est d’ailleurs depuis la cuisine que j’ai pu voir arriver au Festival un certain Marc Perrone et pu échangé avec ce grand monsieur, ravi alors de pouvoir déguster un bon repas ! Et oui,  « Aux petits oignons », on se régale (mais je promet de ne pas prendre la grosse tête quant à mon contribution cuisinière) !

Extrait de « Cinema mémoire », de Marc Perrone reprenant des musiques de films, dont des compositions de l’excellentissime et incontournable Maurice Jaubert :

 

Au niveau organisationnel, il est aussi à préciser que de nombreux stands occupent l’espace du Festival : Notre Dame des Landes, faucheurs d’OGM, solidarité avec la Palestine occupée, revues de cinéma, syndicats, associations d’handicaps… Un climat est installé et nombreux échanges/rencontres sont possibles en plus des films et livres occupant cet espace.

Un énorme dispositif associe également les personnes victimes d’handicap (sourdes, muettes, aveugles etc), que ce soit au niveau du public ou du bénévolat. Ca dépasse, là encore, le discours bien pensant et paternaliste, telle une vitrine publicitaire : bandes annonces en LSF (Langue des Signes Française), mini dicos de LSF sur quelques lieux du festival (notamment le bar), personnes sourdes et malentendantes participant à l’organisation du festival, traduction en LSF et en direct des débats/échanges avec les invités… Par ailleurs, des documentaires sonores sont sélectionnés pour le Festival, tel le fort intéressant Menuiserie autogérée d’Elodie Ratsimbazafy (A DÉCOUVRIR SUR ARTE RADIO EN CLIQUANT ICI). Bref, l’accessibilité est réelle et palpable durant le Festival, autant au niveau du public que de l’organisation, et se concrétise par des interactions réelles. Des barrières sont cassées, et l’engagement autour du cinéma très partagé.

Synopsis en LSF Le ventre des femmes de Mathilde Damoisel :

 

Il est à souligner également un fait organisationnel qui m’a marqué car jamais vu ailleurs en ce qui me concerne : le dispositif d’une crèche pendant tout le Festival  et la mise en place d’animations pour les enfants qui lui est associée. Une ouverture très importante, à la fois pour enfant(s)… et parent(s) !

Niveau diffusion et son organisation, je précise l’existence d’un plein air qui permet au Festival de sortir de son petit coin à l’écart, je trouve, dans la ville, lui donnant un caractère moins isolé; plein air qui privilégie aussi, du coup, un partage plus convivial du cinéma, où le public manifeste plus ouvertement son vécu du film, tandis qu’à la fin de chaque projection c’est instinctivement que tout le monde se met à empiler les chaises. Je me souviens avec grande force des frissons généraux des personnes du public, tel devant un film d’horreur, lors de la projection du superbe La part des anges de Ken Loach et l’éclatement des bouteilles de whisky : un véritable effroi vécu et manifesté collectivement en plein centre ville de Foix ! N’oublions pas non plus les rétros et les projections pour jeune public (Yoyo de Pierre Etaix !!, Miel de Selih Kaplonoglu), ou encore le ciné-concert de Marc Perrone (que j’ai raté, argh !).

Extrait de Yoyo :

 

Au-delà de l’organisation, venons-en maintenant au vif de l’édition : les thématiques, films et invités qui m’ont marqué. Je précise que cette édition était orientée autour des thématiques que voici : « Roms, les parias », « Le cri des arbres », « L’exercice du pouvoir » et « 7 milliards et alors ? ». Cette déclinaison sous forme de thématiques est intéressante et dépasse l’éventuelle impression d’une diffusion soucieuse uniquement d’un contenu informatif et de sensibilisation militante. En fait, un équilibre est trouvé, du moins la tentative est là, entre une préoccupation militante et de sujet, et de la pluralité du regard et de la forme de traitement. Le cinéma n’est pas ici réduit à son aspect purement factuel (« dénoncer » par exemple) mais pas non plus porté excessivement sur la forme et tous les abus esthétiques que ça peut amener, y compris dans la réception. Je songe ici à une surprise de taille, intervenue durant le Festival : l’arrivée  sur un stand du Festival d’une pile de Père Projo – numéro 2, « gazette subjective et cinéphile à Marcillac-vallon, publication sans pub, sans subvention, sans compte en suisse« . Cette revue est initiée en parallèle au Festival Le cri de l’oeil  en Aveyron (et dans laquelle Citylightscinema a apporté une modeste contribution pour la deuxième année consécutive). Dans ce nouveau numéro, un article très intéressant est consacré au « film d’intervention » à travers une rencontre avec Louisette Faréniaux : il y est justement question de cet équilibre, et où Louisette Faréniaux précise, par exemple, tout en renvoyant au travail de Peter Watkins, à la fois engagé sur le sujet et la forme : « Dans les téléfilms on parle aussi du social, mais comment en parle – t -on ? Ce qui m’interroge c’est le décalage entre tout ce sur quoi les documentaristes ont réfléchi, quelle approche du monde… et comment une partie du mouvement social pense le documentaire. On a l’impression qu’ils prennent des films sur un sujet et puis ils débattent sur le sujet. Ce n’est pas le film qui amènerait la réflexion, c’est de l’information. Vu ce qui est coûteux en terme d’organisation d’un débat (…), est-ce nécessaire de diffuser le film ? D’où une confusion, pour moi, entre informer et réfléchir. (…) Au final c’est dommage de privilégier le truc complètement informatif au détriment d’un film intéressant pour sa démarche.  » (Père Projo, numéro 2, p.7). Les débats et venues d’invités permettent aussi d’approfondir les thématiques et d’échanger autour des films et problèmes qu’ils soulèvent.

La thématique « Roms, les parias », particulièrement actuelle en ces temps de répression et inégalité continues en période socialo, m’interpellait tout particulièrement. C’était ainsi l’occasion de mesurer les excellentes approches de Raphaël Pillosio à travers ses deux documentaires Des français sans histoire et Histoire du carnet anthropométrique. Sa venue a permis d’approfondir son regard et une certaine réalité totalement occultée par « l’Histoire » et les regards politiciens et médiatiques. Pillosio a en effet éclairci nombreux aspects qui restent confus, en général, dans nos esprits, et de préciser qu’il ne s’agit pas uniquement, ici, des tsiganes mais d’une fabrication étatique plus générale d’une catégorie d’individus, marginalisés dans la misère et soumis à l’inégalité, pointés du doigt avec une régularité effarante, jusque dans les récentes interventions politiciennes depuis les « instances démocratiques ». Ses deux documentaires sont à la fois pertinents quant à la condition des « gens du voyage » et à l’Etat qui fabrique ses catégories d’individus. Contrairement à Mémoires tziganes, l’autre génocide, documentaire sur lequel je reviens plus bas, ces deux films traitent d’une situation spécifiquement française, échappant à une histoire plus collective en Europe, même si des liens existent évidemment. Des français sans histoire reste pour moi son plus percutant. Il revient dans le présent sur les lieux d’enfermement des « nomades », et aborde presque, parfois, leur confrontation aux gens évoluant dans le même espace… aujourd’hui. En fait, la forme développée par Pillosio démontre une démarche tout à fait significative du sujet approché : les lieux manifestent un silence de l’Histoire, et sa manière d’approcher les personnes filmées, issues de cette Histoire, aménagent des silences et des hésitations, sans cut, manifestant là aussi, dans leur être et le rapport à leur Histoire, un indicible, un irracontable car tu et caché, occupant les marges de l’Etat, la société de seconde zone. Quelques personnes m’ont émis des réticences sur ce film à cause d’une hésitation entre film sur le lieu et l’histoire des gens, et par ricochet de l’absence émotionnelle étant donné des personnages peu creusés. La critique est intéressante : si je suis d’accord avec le manque d’affirmation dans le travail sur l’espace d’hier à aujourd’hui, je trouve la critique de l’absence de personnages très symptomatique de ce que décline le film dans sa forme même : une inaccessibilité à des individus de seconde zone. D’où l’importance de la démarche formelle du documentaire à cet égard, et je renvoie là aux propos développés dans la video consacré à cette édition 2013 (lien tout en bas de la note).

A défaut de bande annonce de ces deux documentaires, une présentation – générique de trois films de Pillosio, dont Des français sans histoire – on y remarque ainsi ce travelling sur une route, si caractéristique de ce retour sur des lieux « oubliés » qui n’ont jamais vraiment existé dans l’Histoire de France, tout comme les individus « nomades » relégués dans une catégorie de sous citoyens :

Mémoires tziganes, l’autre génocide est un documentaire plus « pédagogique » quant à la condition et l’histoire des tsiganes en Europe, dans le contexte de la seconde guerre mondiale. Une certaine logique européenne qui s’abat dans les pays, au-delà du seul nazisme. La fin est assez terrifiante, car en reprenant des images d’archives dans la foulée d’une histoire qui ne voudrait pas se répéter, il y a comme une impression de « déjà vu » : les folklores tsiganes et l’archétype auquel ils sont parfois réduits, dans une espèce d’insouciance du sort qui leur a été réservé dans l’Histoire européenne, semblent alerter sur l’éventuel retour du génocide, peut être sous d’autres formes. C’est un film qui s’adresse surtout au spectateur non tsigane, afin de susciter la prise de conscience. « L’actualité » ne peut que rendre nécessaire la diffusion de tels films.

A noter aussi Gipsy caravan de Jasmine Dellal, auquel je joins volontairement dans les videos ci-dessous (même si je n’ai pas vu Gipsy Caravan) le documentaire indépendant Japigia Gagi de Giovanni Princigalli, très intéressant dans sa démarche de remise en cause des acquis universitaires, de non réduction au folklore et confronté au terrain, avec un budget ridicule et ayant nécessité un vrai rapport aux personnes filmées, démontrant aussi l’absurdité et le cynisme des politiques, y compris à l’échelle locale (petite pensée ici aux p’tits maires de nos communes françaises repoussant « héroïquement » l’installation de camps de roms !).

Pour clore la thématique « Roms » du festival, je mentionne l’initiative géniale de diffuser J’ai même rencontré des tsiganes heureux, évoqué quelques semaines auparavant ICI sur le blog. Un film yougoslave de 1967 rarement projeté et ne disposant d’aucune édition DVD française/anglaise à ma connaissance (La vague noire yougoslave serait elle une grande oubliée des éditions DVD à part quelques films mis en avant ?).

 

Je n’ai vu qu’un film en lien avec la thématique des arbres, et malgré sa forme anecdotique, il était fort intéressant : Frans Krajcberg, portrait d’une révolte. Nous sommes immergés dans l’univers de l’artiste et sa véritable lutte artistique quant au sort réservé aux arbres par la déforestation. Le pessimisme est de mise, et l’artiste avoue régulièrement son impuissance. Son art est comme une nécessité personnelle, dans une interaction très palpable avec l’univers de la forêt, dans sa pratique même (tel l’usage des pigments : une connaissance ardue de la nature est requise), tout en permettant une certaine forme de prise de conscience du public. C’est un peu comme un art qui dans sa forme même résiste, certes de manière impuissante, aux mécanismes de déforestation. Le documentaire revient également sur un certain univers artistique fréquenté par le peintre, en plus de faire un parallèle entre sa tragédie familiale (et plus collective) – le génocide juif et le sort de la Pologne -, et le devenir des forêts. Une atmosphère de mort s’abat en fin de compte. Un cri désespéré de l’artiste se manifeste à travers son art qui se revendique de la forêt.

 

J’ai par ailleurs eu de très nombreux échos positifs du film Green de Patrick Rouxel. Il y est question de la disparition des orang-outan liée à la déforestation. De quoi approfondir une tentative passée, sur le blog, de retour en filmographie sur la thématique des grands singes (ICI et LA sur le BLOG). Il semblerait que malgré le côté désespérant et très noir du film, et sans concession, l’évitement de l’anthropomorphisme dans le rapport à l’Orang Outan permette un regard à la fois critique et dégagé de sentimentalisme boboisant.

Green EN ENTIER :

 

Une des très grandes découvertes du Festival fut, pour moi comme pour d’autres, la rétrospective Pierre Schoeller, l’auteur de L’exercice de l’Etat. Articulée dans le cadre de la thématique L’exercice du pouvoir, la rétro a permis en effet de sonder une certaine obsession du cinéaste.

Interview au Festival, à proximité du chapiteau-BAR-concert, avec Pierre Schoeller:

Le téléfilm Zéro défaut témoigne déjà, malgré des aspects repoussants, d’une volonté d’approcher les rapports de domination. Ici, dans le cadre du travail à l’usine mais aussi dans le sphère intime (et une scène de violence conjugale très surprenante et soudaine). La constitution du décor est également très particulière car il y a parfois comme une espèce de dimension Le Havre de Kaurismaki, à savoir un film qui pourrait aussi de contextualiser quelques décennies en arrière. Je ne sais si c’est volontaire ou pas, mais j’y ai vu comme une intention de faire, aussi, comme un état bilan de la classe ouvrière en lui conférant un décor à la fois « passé » et présent.  L’exercice de l’Etat, multi-commenté ici et là, a sollicité également un vif intérêt. La séquence d’ouverture est très intrigante et intéressante; elle a suscité une question d’un spectateur-bénévole – et compagnon de cuisine, éh éh, ici peut être entre deux sessions épluchage – : (sommairement) « n’y a t il pas un lien avec Kubrick et son film Eyes wide shut, auquel je pense quand vous faites apparaître des ombres au début et vers la fin du film ? » Question qui interrogeait donc les aspects oniriques et mystérieux du film, dont les ombres de début et de fin. Schoeller y a répondu qu’il avait été inspiré ici par les ombres du théâtre japonais (No) et que son intention était de donner forme à une existence du politique pré-existant à l’Etat moderne (j’espère ici ne pas caricaturer ses propos). Il a poussé la réflexion en accordant à son film une espèce considération plus générale sur le pouvoir, au-delà du contexte présent. Très intéressant, d’autant plus qu’au-delà d’éléments critiques factuels, dans une espèce de vue analytique de l’exercice du pouvoir dans la sphère d’Etat, par des pseudos experts de la chose publique s’appropriant le pouvoir de décider, il est question je dirais du pouvoir en tant que tel et de l’organisation sociétale. Schoeller amorce aussi une crise de la politique et témoigne d’un changement actuel, où le pouvoir se joue progressivement autrement, de par la mondialisation notamment. J’ai trouvé par ailleurs très humoristique le discours de De Gaulle, ne pensant pas que Schoeller fasse oeuvre de nostalgie vis à vis de l’Etat-nation souverrain, mais je garde cette impression pour moi. Toujours est-il que les films de Schoeller, à l’exemple de celui-ci, témoignent davantage d’une mise en réflexion, sans perdre le côté critique, et amènent donc le débat et la pensée. La place de la démocratie est nettement posée par L’exercice de l’Etat par exemple. Le fait que ses films vieillissent bien, pour le moment, dénote leur pertinence qui dépasse les contingences du présent, en le dépassant par une mise en abîme plus profonde.   Dommage que ma mémoire est défaillante depuis ce mois de juillet, car les interventions de Schoeller en post-projection sont très riches et il était nettement heureux de pouvoir échanger avec la salle, et de recueillir aussi les impressions et questions. C’est d’ailleurs tout à fait chaleureusement qu’il remercia plusieurs fois le festival pour la rétrospective et l’accueil excellent, tout en soulignant la découverte positive de Résistances et sa diversité, y compris dans sa teneur engagée.  Pour la rétro de Schoeller, je finis par l’étonnant Les anonymes. Téléfilm commandé par Canal Plus, il obéit à un cahier des charges précis, où le cinéaste n’a pas écrit le scénario et devant scrupuleusement respecté les données juridiques et policières. Mais nous retrouvons une manière de procéder propre à l’auteur. Ainsi l’appareil d’Etat dans ses interrogatoires des suspects : toute une tension est palpable et ça fait froid dans le dos. Le regard aussi sur cette affaire de l’assassinat du Préfet Erignac évite toute caricature et j’ai  été agréablement surpris par le regard quant au mouvement indépendantiste corse. Comme  le souligne le cinéaste, il s’agit de poser, aussi, la radicalité politique… comme une continuité à l’observation de l’exercice politique dans la sphère étatique, qui justifie toujours sa violence, pour le moins barbare et à tendance liberticide.  Dans la salle, après projection, il y avait de nombreuses interventions captivantes, y compris de témoignages, tel un ancien qui fut proche du FLNC, ou encore un ancien militant basque qui a connu des années d’emprisonnement pour son engagement indépendantiste. Un corse témoigne également de sa surprise de voir un traitement si équilibré de l’assassinat du préfet, loin de la caricature médiatique, bien qu’un tel sujet nécessiterait d’après lui des heures et des heures de film tant c’est complexe. Ah, et ne nous moquons pas trop des quelques ratés d’accent corse de l’acteur Mathieu Amalric… Le cinéaste, comme me le fit remarquer une bénévole du festival, a en revanche une tendance à finir bizarrement ses films et laissent un goût d’inachevé, voire de frustration, dans ce domaine. C’était en tout cas, en y repensant, l’impression ressentie à l’occasion des trois films que j’ai pu découvrir (ayant raté Versailles).

ICI, video de présentation des Anonymes avec intervention de Pierre Schoeller

Je pourrais poursuivre par la très grande découverte La part des anges de Loach (quelle jubilation d’avoir vu ce récent film du cinéaste, plusieurs années après son excellent Sweet sixteen !) et avec l’intéressant Les neiges du Kilimandjaro de Guédiguian, tous deux projetés en plein air. Mais les commentaires pleuvent sur ces deux films sur la toile, et je passe donc pour ce qui concerne la présente note de festival (et je pense consacrer une note entière au film de Guédiguian, dont certains aspects m’ont rebuté, et d’autres m’ont conquis, me rappelant un certain Le dernier été). De même pour Entre nos mains, de Mariana Otero, très grande claque documentaire auquel je songe réserver une note entière.

Niveau échos de bénévoles et public, l’un des films les plus commentés et incités à aller voir fut La misère bleue de Brigitte Lavégie, soit un retour sur la précarité à Cannes où une élimination des pauvres s’exerce, derrière la vitrine du Festival etc. Un témoignage apparemment incontournable, par une femme non réalisatrice, et avec les moyens du bord. Tourné comme une nécessité, de ce que j’ai cru comprendre des divers échos, et une certaine jubilation aussi de capter son regard.  Il y a encore Le ventre des femmes de Mathilde Damoisel, vraisemblablement très dur quant à la stérilisation forcée des femmes Quechuas au Pérou; comment ne pas penser, en attendant de le découvrir, à l’incontournable -et si peu diffusé- Le sang du condor de Jorge Sanjines tourné en Bolivie en 1969 (!) et relayé ICI sur le blog (à voir absolument !) ?

              Je conclue cette note par un clin d’oeil à la convivialité du festival, aux bénévoles rencontré-e-s ici et là, à la programmation engagée sans perte de vue de l’importance des démarches cinématographiques dans leur diversité, aux marches nocturnes Foix-campement des bénévoles, à la bouffe bio, à l’Ariège et les quelques coins parcourus en randonnée itinérante, et… et… au jeu KILLER, yeah  (comprenne qui pourra) et sa brillante tueuse si j’ai bien saisi le fin mot de l’édition 2013 du jeu  !!!! Et ça tombe bien, j’ai interviewé son concepteur, que je remercie pour avoir accepté de répondre à mes quelques questions, improvisées caméra à la main. Voici donc ci dessous un p’tit retour video sur cette édition 2013, avec des propos sans doute plus synthétiques que toute cette longue note. Nous y apprécierons notamment le retour sur une certaine horizontalité de l’organisation, l’impact du festival sur le public,  quelques films considérés comme marquants de cette édition …