Fast food nation – Richard Linklater (2006)

EN ENTIER – Fast food nation – Richard Linklater – 2006 – 110 mn – USA

Avec Avril Lavigne, Paul Dano, Kris Kristofferson, Patricia Arquette, Ethan Hawke, Bruce Willis

Bande-annonce :

 

Film entier en VO sous titrée espagnol :

 

Il y a des films comme cela qui sous une facture plutôt sobre marquent et secouent les consciences, accrochent dès la première vision, regards sans concession et ouvertement contestataires tout en étant réflexifs. Fast food nation est un bon exemple de ce que peut décliner comme films à « contre-courant » le cinéma indépendant américain (mais sans pour autant être aussi « franc-tireur » que ce Fast food nation). Richard Linklater est un cinéaste discret mais dont la carrière est quasi irréprochable. Ce film est un véritable brûlot face à la nation américaine: la malbouffe et le milieu de la restauration rapide en terme d’exploitation des salariés, le terrible sort des immigrés mexicains, le cynisme des industriels, le massacre écologique au service de l’hamburger, la léthargie en terme de révolte sociale et le laisser faire général contribuant à la soumission collective. Film noir et très dur dont la séquence finale est une conclusion des plus terribles, insupportable non seulement par les images quasi documentaires de la boucherie de la grande restauration mais aussi tragique dans la métaphore utilisée pour y associer le massacre humain. Bouleversant et on ressort de ce film très remontés. Il y a eu Morgan Spurlock et son Supersize me pour s’attaquer à la malbouffe, mais ici Fast food nation va beaucoup plus loin car s’attaquant à tout un système d’exploitation sociale, et où l’exploitation de l’immigration mexicaine est particulièrement évoquée dans toute son horreur. Ce film à ce sujet fait écho à l’excellent Los Bastardos de Escalante bien qu’encore plus virulent dans le tableau car indiquant une violence sociale sans point de retour possible, chaos social total soulignant le gouffre dans lequel tombe une certaine Amérique.

Un responsable marketing de la société « fast food Mickey’s » découvre que la viande de l’hamburger star de l’entreprise contient de la merde (sic!) et mène ainsi une enquête sur la production sur le terrain. Cela nous amène à entrer dans le monde de la restauration rapide: ses salariés, ses abattoirs, ses dirigeants, ses consommateurs, ses jeunes contestataires…

Plutôt que de m’attarder sur le côté malbouffe (oui c’est de la merde, et Linklater n’innove pas là-dessus), je suis surtout apostrophé sur l’exploitation sociale montrée dans le film. Tout d’abord les salariés précaires, notamment les jeunes qui y effectuent leur premier petit boulot en guise d’entrée en matière dans le monde du travail: mal payés, lobotomisés par l’image de la société à faire avaler aux clients, fliqués sur leur rendement,…Il y a un dégoût de ces jeunes, j’ai notamment en image le jeune qui crache dans l’hamburger servi au directeur de marketing (assez drôle!). Ils sont lucides de leur situation précaire et du malsain de leur maison « Mickey’s », mais néanmoins résignés à la faire vivre car pas le choix pour gagner de l’argent. Véritable prostitution de sa conscience pour survivre. La jeune fille américaine rejoint cependant un petit groupe contestataire à tendance bobo/fleur bleue et finit par proposer un peu plus de radicalisme en terme d’action contestataire. Linklater point du doigt ici la nécessité d’une révolte plus axée sur le terrain, dépassant les petites opérations médiatiques sans conséquences directes sur le monde industriel de la malbouffe qui continue de massacrer l’animal, de polluer et d’exploiter l’être humain. Intéressant la séquence de tentative de libération des vaches: clôture coupée, mais l’héroïne s’étonne que celles-ci ne prennent pas leur liberté. Parallèle peut être ici avec le « troupeau » citoyen ? A force de vivre dans l’acceptation et avec les chaînes sociales, la liberté n’est plus envisageable et devient une notion perdant de son sens? L’oncle de la jeune fille (formidable acteur Ethan Hawke !!) est un partisan de la contestation et l’inspire dans ses élans activistes, remettant en cause la normalité et le renoncement à combattre.

Les autres exploités, ce sont les immigrés clandestins mexicains. Ce sont véritablement les victimes les plus ignoblement exploitées par la société de restauration. Le rêve américain et sa réussite sociale ne sont que des leurres pour ces êtres humains réduits à des corps objets que la société exploite jusqu’à les écraser et leur faire perdre toute dignité humaine. Ce sont eux qu’on sacrifie pour la « merde » et le travail de massacre dans les abattoirs, véritables travailleurs à la marge et inégaux des bas fonds nauséeux et glauques, coulisses du rêve américain, fosse cachée de la réalité sociale d’une nation aux valeurs destructrices dans les faits, construite sur l’asservissement, bien loin de l’image officielle. Le film s’attaque aussi au harcèlement sexuel mis à profit par les petits chefs jouissant de leurs petits pouvoirs au sein de la hiérarchie entre salariés; là encore une certaine catégorie de population est réduite à un objet, corps exploité au maximum. La séquence finale, sous une musique contribuant à la teneur tragique du passage, est un résumé très brut du film; une mexicaine parvient à se faire engagée et découvre les coulisses, les abattoirs: tragédie et violence du massacre animal mais aussi du massacre humain. Elle pleure sur son sort, inéluctable, comme fatalement son lot pour survivre. On passe dans la foulée à l’arrivée de nouveaux mexicains en terre USA, toujours avec la même musique qui fait le lien et établit définitivement le parallèle; nouvelle arrivée d’exploités qu’on va sucer jusqu’à la moelle et qui pour certains signifie la mort (énorme « litote » imagée du cinéaste: la chaussure retrouvée dans le désert…pour signifier le sort mortifère d’un des nombreux immigrés anonymes), physique mais aussi éthique; population qui pour survivre doit accepter l’inacceptable et entretient sa propre exploitation au service de l’affreux hamburger. Le « bienvenu en Amérique » dit avec 2 sachets d’hamburger de Mickey’s aux petits mexicains nouvellement arrivés est d’une ironie très violente, qui en dit beaucoup.  Et toujours, à travers le générique de fin, cette machine industrielle qui déroule ses dernières trouvailles dans ses bureaux, son nouvel hamburger offert à grandes envolées publicitaires à venir aux consommateurs. L’exploitation, le massacre humain et écologique continuent, la machine industrielle n’est pas prête de s’arrêter. Le générique ne peut dès lors que se conclure sur cette image de steaks produits à la chaîne en guise de conclusion très amère…

Quant à l’immigration mexicaine dite clandestine et le clivage entre populations, un terrible film a été réalisé à ce propos par le cinéaste mexicain Amat Escalant,  Los bastardos :