Déjà s’envole la fleur maigre – Paul Meyer (1961)

EN ENTIER – Paul Meyer – Déjà s’envole la fleur maigre – 80 mn – 1961 – Belgique

« Ce film raconte la première journée d’une famille d’immigrants siciliens dans le Borinage belge, région charbonnière en déclin. Ce film tourné en 1960 fut au départ une commande de documentaire destinée à faire la propagande du bien-fondé de la politique belge en matière d’immigration. A l’arrivée Paul Meyer en avait fait un long métrage de fiction, libre et hautement poétique, tourné sans moyens, dans l’invention perpétuelle et l’incertitude du lendemain. »

 

ENFIN, cet incontournable du cinéaste belge Paul Meyer a été rendu accessible sur la toile ! Il n’y a plus d’excuses (temporairement) pour rater ce chef d’oeuvre même si une projection en salle obscure est bien sûr préférable. Paul Meyer a été évoqué ICI sur le blog, autour notamment de son ultime projet La mémoire aux alouettes, qui n’a jamais pu aboutir et entérinant là le parcours du cinéaste maudit; le scénario – très intéressant – a néanmoins été édité.

Déjà s’envole la fleur maigre est très difficile d’accès (aucune édition DVD !) à part quelques exemplaires VHS pour les rares médiathèques n’ayant pas encore vraiment mis une croix sur ce support, et quelques projections ici et là (et visible en cinémathèques, je suppose).

Il est à signaler que le cinéaste, comme il le précise dans une interview, a fait don de ce film à une association d’un village en Italie du sud. Il estimait qu’il avait davantage sa place « là-bas » qu’en Belgique, pas dupe sur la nature et la place de « la » mémoire qui lui serait donné dans son pays, non seulement d’un point de vue ouvrier mais aussi immigré – et le présent ne lui donne pas tort !  Il jugeait également d’une plus grande importance et nécessité d’en confier la survivance aux jeunes d’Italie du Sud, le film étant plus directement lié à cette Italie et à l’histoire, au vécu des parents émigrés (en Belgique mais aussi en France etc). Un film dont le cinéaste De Santis a même regretté dans les années 60 que ce ne soit pas un italien qui l’ait fait, car ça aurait dû être alors fait par un italien. Sur la mémoire et les réflexions de Paul Meyer là-dessus, je renvoie une fois de plus à la note ICI du blog. Le parcours de Déjà s’envole la fleur maigre dans notre présent peut être éclairé par ces réflexions, comme en écho à la carrière du cinéaste maudite à vie … suite à ce premier long métrage réalisé. Y aurait il une forme de mémoire maudite, tant dans son travail au présent que dans sa transmission?

En parallèle, ne pas oublier le documentaire plus récent de Luca Vullo Dallo Zolfo al carbone, relayé ICI sur le blog.

Miner’s hymn – Bill Morrison (2011)

EXTRAITS – Bill Morrison – Miner’s Hymn – 2011 – 52 mn

Il était question ICI sur le blog du cinéaste expérimental Bill Morrison via une présentation de sa filmographie et le relais de quelques extraits et courts métrages intégraux, dont l’excellent What we built.

Récemment, en m’informant un peu de ses récentes réalisations, je découvrais avec saisissement des extraits de ce long métrage qui m’avait échappé. Intrigué par le sujet, à savoir la communauté minière du Nord-Est de l’Angleterre (Durham surtout), je me pressais de regarder la bande annonce qui m’apparue alors particulièrement intrigante et superbe. A un tel point que je m’y suis re-plongé à plusieurs reprises, et imaginant la projection en salle obscure sur grand écran :

Dans cette bande annonce, figurent nombreuses thématiques de la communauté minière : le travail (bien sûr), l’habitat (un plan superbe d’alignement de maisons tel qu’on retrouve dans le bassin minier Nord Pas de Calais), la vie culturelle (rassemblements du Gala des Mineurs de Durham), la classe ouvrière vue comme une communauté (qui ressort incroyablement de cette bande annonce), la transmission générationnelle (ces enfants qui précèdent en dansant le cortège des parents mineurs, avec une fierté et une gaieté palpables), la lutte des classes (l’affrontement entre mineurs et policiers), l’environnement minier (formidables images d’enfants courant sur les terrils, dont le premier plan semble plus ancien) et, par dessus tout peut-être, les bannières syndicales du National Union of Mineworkers (dans la bande annonce est mise en avant celle représentant Keir Hardie, syndicaliste Ecossais puis artisan de la création et leader du Labour Party – Parti Travailliste – en 1906) …

Image ci-dessous : bannière syndicale de Durham active jusque dans les années 1930 – Y sont figurés James Connolly (marxiste révolutionnaire et syndicaliste de l’IWW), Keir Hardie (leader du Parti Travailliste) , AJ Cook (syndicaliste révolutionnaire), George Harvey (syndicaliste co-fondateur de l’IWW), et Lénine.

leninbanner

Pour un aperçu de l’histoire des bannières syndicales de Durham, une superbe page lui est consacrée ICI sur facebook (beaucoup de photos de bannières …

 

Bref, une multiplicité de composantes de la communauté minière explose à la vue de cette bande annonce vraiment splendide. Elle n’est pas réduite à un pan ou un autre. Et c’est ça qui m’intrigue beaucoup, entre autres aspects. De nombreuses archives ont été sollicitées et aux origines multiples, pas toutes insérées dans le film mais au moins vues par le cinéaste, et ayant donc aussi contribué au montage final : films institutionnels produits par le National Coal Board (charbonnages anglais), films indépendants, films et vidéos militants … Une pratique qui montre bien comment un travail en amont prenant en compte les productions passées d’images peut être matérialisé autrement que par une accumulation d’images. Elle conduit au contraire à des choix d’images découlant de leur existence et prise en compte par le réalisateur, dont le travail final, forcément subjectif, résulte d’une production collective hétérogène.

Il est à noter, ce qui avait été déjà signalé dans la note consacrée à la filmographie de Bill Morrison, que la bande musicale bénéficie là encore d’un apport important, à travers un compositeur de renom, à savoir ici l’islandais Johann Johannsson. Comme d’autres films du cinéaste, la BO fait l’occasion d’édition audio à part entière, et, dans le cas présent, fait l’objet de prestations live et, par exemple, d’une émission radio tel qu’on peut l’écouter ICI. Une fois de plus avec cet opus de Morrison, la BO ne relève pas du hasard et de l’illustration. Elle interagit avec le film tout en ayant son indépendance créative. Un gros travail de brass band s’y développe, en référence à toute une culture musicale minière de cette région du Nord-Est de l’Angleterre où les mineurs eux-mêmes constituaient des brass band.

Photo ci-dessous : Durham Miners Association Brass Band (banderole syndicale du National Union of Mineworkers en arrière plan)

durham brass band

Bill Morrison et Johan Johannsson se limiteraient ils à un usage simplement folklorique de cette tradition musicale, comme de la mémoire de la communauté minière dans son ensemble ? Certainement pas. D’après le résumé du film publié sur le site de l’éditeur DVD (Icarus film – tiens, éditeur aussi de l’excellentissime Joli Mai de Chris Marker), les images re-traitées et montées sont tirées des années 80 (et notamment de la grande lutte de 1984), mais aussi d’une période plus récente avec des vues aériennes matérialisant les temples du consumérisme qui se sont implantés sur d’anciens lieux miniers.

De fait, ce film très prometteur de Morrison, que je veux voir d’une manière ou d’une autre (!), semble faire rejaillir de ces lieux une mémoire minière. Celle-ci, en Angleterre comme ailleurs sans doute, est souvent ramenée à ses seuls pendants commémoratifs, voire touristiques et « culturels », relevant d’un caractère figé. Or pour faire ce film, Morrison a notamment rencontré Dave Douglass, soit un ancien mineur syndicaliste de Durham (et écrivain), qui lui a ainsi transmis quelques récits de la grève de 1984 et quelques vidéos militantes. Ce même Dave Douglass a fait l’objet d’une interview entreprise et publiée par le site internet « Un Autre Futur », dans le cadre d’un article passionnant intitulé « Au-delà de Thatcher : témoignages militants sur les luttes des mineurs et le syndicalisme britannique d’hier et d’aujourd’hui » (cliquer ICI pour accéder à l’article). Il s’y exprime ainsi à propos de la mémoire minière à Durham :  »

Ils voulaient qu’on quitte ce monde et qu’on meurt en silence mais nous ne le ferons pas. La seule industrie que nous avons aujourd’hui est l’industrie bancaire et la spéculation. Ils ont détruit l’industrie manufacturière, ils ont détruit notre capacité en tant que travailleurs à reprendre le contrôle et à organiser la société par nous-même. Parce que nous avons fait les moyens de production. Et ils nous les ont retiré. Donc, en fait, maintenant, nous ne produisons rien. Les gens sont au chômage, les gens sont désespérément pauvres, on a beaucoup de toxicomanie, de crimes antisociaux, des problèmes de santé, une mortalité infantile élevée, une faible espérance de vie, un faible niveau d’éducation, toutes ces choses. Mon livre s’intitule Ghost dancers [référence à la Danse des Esprits amérindienne] parce qu’il s’agit de la même chose que ce qu’ils ont essayé de faire avec les Amérindiens. Ils n’ont pas seulement vaincu les Indiens d’Amérique. Ils ont voulu leur enlever leur identité, ce qu’ils étaient et même effacer le souvenir de qui ils étaient. Tu sais, mon père était dans la grève de 1926, mon grand-père y était aussi ainsi que dans la grève de 1890 ! (rires) Et quand on était sur le piquet de grève à Doncaster en 1983, il y avait un homme qui avait participé à la grève de 1921 et à celle de 1926. Retraité, mais toujours sur le piquet de grève ! C’est pourquoi ceci est très, très important pour nous. Nous ne sommes pas prêts à oublier le passé, nous ne sommes pas prêts à perdre espoir dans le futur. Nous devons nous battre pour reprendre le contrôle de nos communautés, rétablir le contact avec notre histoire réelle, pas celle des capitaines et des rois, pas l’Union Jack et toutes ces conneries… Mais nos tradition réelles, ces gens qui se sont battus pour nos propres intérêts de classe. Il ne s’agit pas juste de nostalgie, il est question de demain, pas d’hier.

Dave Douglass, interview « Au-delà de Thatcher » (Autre Futur)

Nous rappellerons au passage que la filiation des luttes que souligne le syndicaliste mineur, ici y compris dans son propre parcours familial, est une donnée très importante de films comme Which side are you on de Ken Loach (ICI sur le blog) ou encore Harlan county de Barbara Kopple (ICI sur le blog) et, dans une moindre mesure, la suite vidéo Miners campaign (LA sur le blog).

Des propos de Douglass très importants, auxquels le film renvoie sans doute en partie dans ce qu’il peut générer comme réflexion également autour de la communauté minière et son devenir, notamment pour les personnes issues de cette dernière. L’urgence de la mémoire évoquée par Douglass me rappelle un passage de l’entretien filmé avec le cinéaste belge Paul Meyer, relayé ICI tout récemment sur le blog. Meyer consacrait son ultime film, justement, à la mémoire (intitulé La mémoire aux alouettes), ciblée particulièrement sur les immigrations des mines en Belgique (italienne, marocaine…); dans l’extrait que je re-propose ci-dessous, il expose un constat très pessimiste sur la mémoire telle qu’elle se dessine aujourd’hui, notamment dans le contexte d’une absence syndicale, qui renvoie en fait à l’absence du collectif pour toute dimension mémorielle. On peut ainsi songer non seulement à la classe ouvrière mais aussi aux spécificités mémorielles des immigrations, de la colonisation, des quartiers populaires etc , soit AUX MÉMOIRES – spécificités qui ne répondent pas à des volontés sectaires et/ou « communautaristes » mais à des réalités de vécus dont justement certaines mémoires tendent là aussi à disparaître, sans transmission (voir là-dessus, par exemple, la note consacrée ICI sur le blog à la commémoration de la marche pour l’égalité et contre le racisme) :

Nous en sommes de nouveau à une situation où c’est un peu le chacun pour soi. Et donc par conséquent je ne vois pas qu’il y ait là une possibilité de transmission. Là où il y avait à un certain moment une organisation de la classe ouvrière importante, que ce soit par les partis ou par les syndicats, on pouvait supposer que la transmission d’une expérience, d’une mémoire était rendue plus facile. Parce qu’il y avait une espèce de permanence dans la lutte. Mais je ne vois pas comment maintenant on pourrait arriver à une transmission meilleure. Bien au contraire. Je crois qu’il y a un gouffre entre l’expérience des aînés et l’expérience des jeunes. (…) Les commémorations pour moi, tant pis si je choque les gens, c’est une manière de cacher le travail de la mémoire. C’est une manière de figer la mémoire en un moment, bien défini, qui se répète chaque année, en un lieu bien défini, qui est toujours le même, pour des raisons qui deviennent de plus en plus vagues. (…) Le travail de mémoire c’est un travail quotidien.

Paul Meyer, entretien filmé (2005)

L’ensemble de l’extrait est intéressant, mais le passage retranscrit ci-dessus débute à 7mn 14 :

Dave Douglass, dans l’interview évoquée plus haut, rappelle également de l’importance de l’événement du Gala des Mineurs de Durham et dont la pérennité résulte  aussi, sans doute, d’un travail quotidien, ne se réduisant pas à un moment d’une mémoire figée dans le temps, et symptomatique dans son partage très populaire d’une vitalité mémorielle en lien avec le présent, malgré tout :

Les communautés sont vraiment très, très à genoux et dans des conditions sociales désespérées. Ceci, aujourd’hui, (le Gala des Mineurs de Durham avec un demi-million de personnes) est un acte de défi. Nous sommes presque un demi-million sur ce terrain aujourd’hui pour le Gala des Mineurs de Durham. La plupart des gens ici viennent de communautés de tout le pays. C’est un acte de défi. Ce gala est un défilé traditionnel, qui continue depuis 167 ans, de Bannières de Mineurs avec tous les slogans et principes du syndicalisme et de la lutte de classe, dans toutes ses différentes formes, mené par des fanfares, les femmes, les enfants et les gens de la communauté. Il aurait dû mourir. Le dernier puit est mort en 1992. Et aujourd’hui, c’est la plus grosse manifestation depuis, je pense, 1945. C’est un acte de défi de classe.

Dave Douglass, interview « Au-delà de Thatcher » (Autre futur)

 

Revenons-en plus directement à Miner’s hymn. Ci-dessous, un extrait plus conséquent du film, où les impressions de la bande annonce ce précisent.

Comment ne pas être saisi par l’impact populaire du défilé d’un Gala des mineurs de Durham et, une fois de plus, par les fiertés qui s’y dégagent ? Pas tant dans ce qui pourrait faire les belles lignes des propagandes d’antan en faveur de la production, notamment en France, où le mineur-soldat est sollicité pour la production patriote. Ici la fierté est toute autre, du moins c’est mon impression : celle d’appartenir à une classe ouvrière, sans reléguer au second plan, telles les bannières syndicales le manifestent, la lutte des classes. Sans vouloir idéaliser ici, il y a une dimension très palpable de collectivité ouvrière assumée pleinement et sans honte. Soit à l’opposé de ce qu’affirme Douglass, toujours dans la même interview, où il fait part d’un renversement : « Aujourd’hui, la gauche est anti-classe ouvrière« . Il serait intéressant de sonder l’impact d’une telle réalité vécue sur les ouvriers mais aussi les héritiers de la classe ouvrière anglaise, et notamment des mines, alors que les organisations collectives semblent sur le déclin.

A défaut d’avoir vu Miner’s hymn, exception faite des deux extraits relayés dans cette note, je propose de conclure sur un dernier parallèle. Il concerne cette fois-ci, ça peut paraître bizarre au premier abord, la série télévisée américaine Treme. Créée par David Simon, l’auteur également de The Wire (Sur écoute), la série porte une thématique semblable dans le cadre de la Nouvelle Orléans post ouragan Katrina : reconstruire par le collectif (et sa multiplicité !), en lien avec la tradition et la mémoire, face à des institutions et libéralisme contribuant au chaos des habitants. Des scènes de musique sont très importantes dans le lien mémoriel et de résistance qu’elles insufflent au propos, ainsi des passages de fanfare fort marquants, tel les enterrements. Un extrait d’épisode ci-dessous voit même l’instrument levé, en guise de poing levé, pourrait – on dire, soudant une collectivité et ses résistances. Un autre extrait proposé, lui, porte la dimension importante des indiens et des costumes (même si à mon goût l’un des personnages principaux est un poil caricaturé par rapport à ça dans la série …). Folklore commémoratif, ou  événementiel ?

Dave Douglass, lui, fait part de l’importance d’une forme de tradition dans le Gala des Mineurs de Durham qui dispose de ses brass band.  Nous n’oublierons pas qu’il compare la résistance des mineurs à celle des Améridiens face au colonialisme, qui veut les indiens sans leur identité, en tentant de les acculturer totalement au-delà du seul massacre physique, Pour ce qui est de la vidéo ci-dessous du Gala des Mineurs de 2011, et pour rebondir en lien avec la série Treme, nous noterons qu’il y a des bannières syndicales en lieu et place des costumes des indiens, en plus du brass band. Ces bannières font l’objet d’un véritable travail de restauration, de re-création et témoignent également d’un sacré savoir faire. Des créateurs de bannières se distinguent notamment, si on s’intéresse de plus près à leurs fabrications.

Gala de Durham 2011 : dès les premières secondes, une bannière syndicale semblable à celle des extraits de Miner’s hymn.

On ne peut bien entendu faire abstraction d’un inévitable folklore et mécanisme événementiel qui s’exprime, mais la vitalité mémorielle reste palpable. Une note d’espoir, quand on songe à la mise à mort d’une classe ouvrière et de ses héritiers, et pas seulement en Angleterre. Songeons ainsi, par exemple, à Charleroi en Belgique. La vidéo/clip ci-dessous revient sur son « renouveau » en cours et la dernière image véhicule un écriteau « Orléans »,rappelant peut être que là aussi, tout comme les ouragans Thatcher et Katrina, un autre ouragan s’est abattu dans un lieu du Borinage belge, dégageant des airs de Nouvelle Orléans.

 

Folklore, nostalgie, le film de Morrison ? Un effacement s’opère en parallèle à des inégalités toujours, elles, belles et bien présentes et non disparues. Bill Morrison semble avoir opéré un lien avec le présent. Ce dernier se glorifie souvent des nettoyages du passé au profit des nouveaux credos « civilisationnels » et de ses temples consuméristes, où la mémoire est une donnée marchande, et une simple façade.

Il y a plusieurs mois, la note consacrée au documentaire indépendant Morts à cent pour cent de Jean Lefaux (ICI sur le blog), film (quasi) disparu du patrimoine audiovisuel Nord Pas de Calais, faisait part d’une mémoire enfouie et souvent ignorée. Celle de mineurs silicosés vomissant l’exploitation charbonnière et rappelant, à leur manière, que la seule nostalgie ne devait pas entretenir la mémoire minière. Qu’il y avait un côté sombre à ne pas oublier, à transmettre, et concernant toujours les générations du présent. Je repensais à ce film quand je tombais sur une un monument de la mémoire minière très particulier d’une ville du Nord Pas de Calais et appelé le « chevalement-potence »  : outre le rappel de la mine qui tue, le monument porte le dessin d’un mineur combattant un serpent, soit un lien direct avec une illustration syndicale du NUM en Angleterre, qu’on retrouve notamment sur une bannière. Après le temps de l’exploitation d’hommes et femmes et son représentant capitaliste-serpent contre lequel il fallait lutter, des mémoires minières semblent devoir faire face à des difficultés communes par delà les frontières, ne coïncidant pas à de seules problématiques relevant, ici et là, de la nostalgie : « le combat continue ». Le film de Morrison, sans être un film militant, semble être à cet égard d’un apport important, parmi d’autres films plus ou moins récents, plus ou moins disparus, plus ou moins oubliés.

Illustration sur le « chevalement-potence » de Calonne Ricouart (Pas de Calais) :

illustration chevalet potence

 

Illustration d’une bannière du NUM (Angleterre) :

illustration mines angletterre

 

Pour conclure, je renvoie à l’interview ICI en anglais du cinéaste à propos du film, où il évoque notamment sa brève rencontre avec Douglass.

Image ci-dessous : restauration de bannière présente au Gala de Durham de 2011

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Entretien filmé avec Paul Meyer (2005) / Ce pain quotidien et Circuit de la mort au Borinage (Paul Meyer)

« Cette notion de fausse mémoire m’est apparue au fil du temps et je me permets cette affirmation qui n’est pas de moi : «La mémoire des dominés est celle des dominants. » Lorsqu’on me parle de « devoir de mémoire », je me demande toujours de laquelle on parle. La mémoire des dominants désincarne, vide le sens. Ne restent que les « sentiments ». Je souhaite évoquer tout cela de manière indirecte, parce que si l’on balance des slogans, non seulement on ne parle pas à tout le monde, mais on brouille la mémoire et on contribue à son enterrement. Malgré les difficultés financières, je ne renonce pas. Le producteur belge est parti avec la caisse, le producteur italien a fait faillite. Reste Agat Film, le producteur français qui ne peut pas tout. Je dois engager des procédures pour récupérer la matière déjà tournée et les droits sans lesquels elle est inutile. Cela risque d’être long et les chances de terminer le film sont minces. Les mineurs âgés disparaissent, les acteurs vieillissent. Il faudrait faire un film qui raconte l’histoire de ce film, terminé ou non. Ce serait plein d’enseignements sur le fait que, pour certains, le cinéma est vraiment une marchandise. » Paul Meyer, interview pour l’Humanité (2005)

Paul Meyer est un cinéaste belge incontournable et décédé en 2007. C’est tout à fait par hasard que j’ai découvert tout récemment l’excellent entretien filmé relayé plus bas, et publié sur you tube sans montage en mai 2013 (dans l’anonymat, et une certaine indifférence étant donné le faible nombre de « vues »).

Avant d’en venir à cet entretien, qui le véritable objet de cette note tant il est intéressant à découvrir, voici un petit retour sur Paul Meyer, notamment pour qui ignore sa filmographie.

Il est surtout réputé pour la réalisation du long métrage Déjà s’envole la fleur maigre (1960), qui fut à l’origine une commande du Ministère de l’Instruction Publique; Meyer et son équipe étaient censés réalisés un court métrage documentaire illustrant  la bonne intégration des enfants de travailleurs immigrés dans le Borinage. Un aspect commanditaire qui, d’une certaine manière, n’est pas sans rappeler la commande de la Ligue de l’Enseignement auprès de René Vautier qui était censé réalisé en 1950 un film mettant en valeur la mission éducative de la France dans ses colonies : ça donnera Afrique 50 (1950)dont voici ci-dessous la bande annonce d’une réédition DVD (accompagnée d’un livret) proposée par la coopérative audiovisuelle Les Mutins de Pangée.

 

Ces deux films partageront le lot commun d’une longue censure d’Etat. Dans le cas de Déjà s’envole la fleur maigre, la censure passe officiellement par le non respect de la commande initiale (et accusation de détournement de fonds publics), et n’est jamais ouvertement politique (dans le cas d’Afrique 50 c’est le décret 1934 du ministre des colonies Pierre Laval qui est utilisé pour la censure et l’emprisonnement de René Vautier : « Toute prise de vue dans une colonie d’Afrique Occidentale française doit être soumise à l’autorisation du lieutenant gouverneur de la colonie concernée« ) . Le film de Meyer sera diffusé en France (et donc redécouvert) en 1994, grâce au critique et cinéphile belge Patrick Leboutte. Il y aurait beaucoup à dire sur les quelques proximités de parcours de René Vautier et Paul Meyer, à l’image de ces deux premiers films importants des cinéastes, tous deux censurés. Tout comme Paul Meyer a énormément posé sa caméra sur la classe ouvrière, et plus précisément les travailleurs immigrés (italiens, espagnols…), René Vautier rappelle par exemple dans son livre Caméra citoyenne (1998) : « En voulant braquer ma caméra sur les luttes des travailleurs – des travailleurs en France, des travailleurs coloniaux, des travailleurs immigrés, etc. – j’ai rencontré quelques problèmes : 39 arrestations, 17 inculpations, 5 condamnations, 54 mois de prison, 6 séjours à l’hôpital, 11 fractures, 4 expulsions, 5 caméras détruites par matraques, balles ou grenades, 7.000 mètres de pellicules saisis, 60.000 mètres de pellicule détruits à la hache ou à la cisaille … sans compter les dizaines de films pour lesquels je dois me battre en justice pour récupérer le droit de les montrer . »Bref, une certaine proximité de « cinéastes maudits » qu’illustre ICI une programmation de projections qui fut organisée à la salle de cinéma Nova de Bruxelles en 2007 (l’année du décès de Paul Meyer) en présence de René Vautier et du cinéaste belge.

Si le film de Meyer est régulièrement décrit, tel un slogan, comme un film « néoréaliste » (ou précurseur de néoréalisme), c’est à juste titre que Louisette Faréniaux, dans un texte intitulé « Guerre d’Algérie au cinéma » et publié dans la revue Murmure de 2003 (Lille), fait plutôt le lien avec la fiction documentée d’un film tel que Rendez vous des quais de Paul Carpita, qui fut lui aussi censuré par ailleurs. Un passage intéressant du livre La communication audiovisuelle : entre réalité et fiction (Klein, Tixhon) revient sur l’articulation fiction et réalité dans le travail audiovisuel de Paul Meyer qui « après s’être documenté sur une réalité sélectionnée, choisit de provoquer la rencontre de différents individus pour faire « éclore » le réel. (…) l’ambition de rendre compte du réel via la scénarisation amène assurément un intéressant éclairage sur les rapports entre réel et fiction. Dans cette perspective, le réel ne constitue en aucun cas un « déjà là » qu’il suffit de saisir mais apparaît comme le résultat d’un travail d’investigation et de scénarisation des journalistes. Il n’est alors plus question de masquer la présence de la caméra et l’influence du réalisateur, mais au contraire d’user de cette action avec efficience. » (passage intégral du livre ICI, p. 33-36). Pour un retour conséquent sur Déjà s’envole la fleur maigre, à défaut d’extraits (le film ne bénéficie d’aucune édition DVD, et, peu vivant en Belgique, il a été légué à une association de jeunes en Italie), je renvoie à l’interview écrite ICI de 2006 (endettement, censure etc) et pour un retour sur la filmographie/mise sous silence de Paul Meyer, je renvoie au très bon texte ICI de Patrick Leboutte, rédigé en 1990.

 

Le site d’archives audiovisuelles de la télévision belge SONUMA (véhiculant ici et là quelques pépites, pour le meilleur … et le pire) dispose de deux réalisations télé de Paul Meyer. Cliquer sur les titres surlignés ci-dessous pour accéder au visionnage :

Juan Jimenez (de la série télévisée Ce pain quotidien) – 1966 –  EXTRAIT de 10 mn (sur 22 mn)  – Belgique/Espagne

Meyer réalise la série télévisée Ce pain quotidien de 1962 à 1966, où il se focalise sur les travailleurs immigrés et belges (des mines, mais aussi de la métallurgie par exemple). Dans une interview réalisée pour L’Humanité en 2005, Meyer fait part de la censure télévisée autour de cette série : « En Belgique, il n’y a pas de censure, mais il y a des censeurs. J’ai bien connu leurs procédés, notamment avec le Pain quotidien, série que j’ai réalisée, entre 1962 et 1968, sur les travailleurs belges et les travailleurs étrangers pour la télévision francophone et flamande. »  Lors de la diffusion de Juan Jimenez en 2007 au ciné Nova à Bruxelles (si je ne me trompe), avec la contribution de la Cinémathèque belge, le cinéaste le re-découvrait avec le public, avouant ne plus s’en rappeler.

– Le circuit de la mort au Borinage – 1961- 11 mn

« Les usines sont désaffectées, les puits fermés, et les anciens mineurs malades, victimes de silicose. La région doit affronter un véritable désastre économique aux conséquences sociales dramatiques. Un mineur exprime sa rage devant les démolitions du matériel qui parfois est neuf.  L’avenir est sombre pour les Borains, qui craignent que le facteur économique passe avant l’humain. »

Cette réalisation est marquante et si on discute par exemple avec les (quelques) anciens mineurs encore en vie du côté du Nord Pas de Calais, il est fréquent d’avoir quelques échos à ce reportage de Meyer, ainsi par exemple sur le matériel, parfois neuf, gâché (qui serait en masse sous terre, du côté des anciens puits du Nord Pas de Calais). L’optimisme affiché de dirigeants est terrible (tout comme celui aujourd’hui dans les termes de la « revalorisation » touristique et culturelle des territoires, tel à Marcinelle et son musée-tourisme alors que tout autour respire l’oubli, l’abandon et la disparition hormis les commémorations ponctuelles), et là encore le reportage brille par le contraste engendré avec les friches en progression qui apparaissent à l’image et avec les propos d’anciens mineurs.

 

ENTRETIEN FILME avec Paul Meyer (2005)

Je ne sais pas vraiment d’où déboule cet entretien que j’ai eu la surprise de découvrir. Il y a Jean Claude Riga qui a réalisé deux films à partir d’entretiens filmés avec Paul Meyer, que je n’ai pas encore vus, mais dont j’ai appris qu’ils se distingueraient par une grande sobriété, laissant large place à la seule parole du cinéaste. Je suppose donc que cet entretien est issu de rushes de jean Claude Riga (?).

Réalisé en 2005, l’entretien se situe donc durant le dernier projet de film de Paul Meyer, et dont le scénario a fait l’objet d’une publication livre, reprenant le titre du film en cours : La mémoire aux alouettes (que je découvrirai prochainement par la lecture afin de m’en faire une idée plus précise !) Malheureusement, le film ne fut jamais mené à bien : amorcé en 2000, le producteur italien tomba en faillite, tandis que l’absence de financements récurrent pour ce projet était sans doute lié à l’objet même du film, en plus de la « mauvaise réputation » de Meyer : les mémoires de la mine, et notamment des immigrations (ainsi italienne, mais aussi marocaine), avec une particularité de mouvance dans l’espace et le temps. Un projet tout à fait passionnant tel que Meyer l’évoque dans l’entretien filmé ici. Par ailleurs, Meyer revient bien entendu sur son premier long métrage, mais aussi son premier court métrage important (Klinkaart), sur la thématique de la transmission bien présente dans sa filmographie…  Bref, je récapitule ci-dessous les sujets grossomodo abordés dans les différentes parties de l’interview.

Partie 1 : genèse de Déjà s’envole la fleur maigre, retour sur la censure…

 

Partie 2 : contexte minier au moment du tournage de Déjà s’envole la fleur maigre, thématique de la transmission, son expérience cinématographique avant le tournage et l’équipe de réalisation du film (« preuve que le cinéma est à la portée de tout le monde« )

 

Partie 3 : Thématique de la transmission dans sa filmographie, retour sur La mémoire aux alouettes et la thématique de la mémoire. 

PASSAGE TRES CAPTIVANT et important à partir de la 5ème mn où, depuis la citation du mineur Giuseppe (« si tous les pauvres avaient leur mémoire et si cette mémoire était transmise de père en fils, il n’y aurait plus de pauvres« ), Meyer revient sur le thème de la mémoire vivante opposée à la mémoire figée, de commémoration. Un moment clé je pense du projet, de la filmographie du cinéaste et de toute approche de la mémoire. Avec notamment  d’une part la distinction entre le travail de mémoire (la mémoire vivante) et la mémoire-souvenir (dans la partie 4 de l’interview); d’autre part la non transmission de l’expérience qui appelle à recommencer à zéro plutôt que de « s’accumuler jusqu’à éclater« . Un aspect de la mémoire qui est valable au-delà de la classe ouvrière, comme il le précise, et on pourrait par exemple penser aux mémoires (le pluriel est important aussi) des colonisés. Dans le même temps, il évoque une certaine condition humaine. Enfin, la notion de traces (écrites mais aussi orales etc) qu’il met en avant dans le travail de mémoire m’a particulièrement intéressé, tout en rappelant que quelque part, le travail fait autour des traces sera ce qui restera aux générations qui n’ont pas eu l’expérience d’un vécu passé (des parents etc) et la transmission de celui-ci. Un  travail de mémoire dont l’importance donnée ici par Meyer est fulgurante, tandis qu « une génération s’en va avec sa mémoire« ).

 

Partie 4 : illusions de la mémoire, travail formel et présence des mémoires et place du spectateur dans le film La mémoire aux alouettes

La réflexion autour du travail formel est très riche, montrant par ailleurs une fois de plus que le cinéma politique de Meyer ne peut être rapproché d’un cinéma didactique, bien qu’engagé (à sa manière).

 

Partie 5 : place du sentiment, immigrations, legs du film Déjà s’envole la fleur maigre, diffusion du film en Italie en présence du cinéaste De Santis et humour autour de son caractère « néoréaliste », tentative de mener à bien le film La mémoire aux alouettes malgré les contraintes.

Un propos important : « Chaque fois que l’émotion pouvait s’installer chez le spectateur, la scène s’arrêtait. (…) Nous n’avons jamais voulu développer le sentiment jusqu’à son extrême.  On a toujours arrêter le sentiment. Et pourquoi ? A partir du moment où il y a sentiment et rien que le sentiment, ça ne fonctionne plus,  l’esprit critique n’est plus là. Or il est important que l’esprit critique persiste, parce que s’il n’y a pas d’esprit critique, il n’y a plus de dialogue entre l’écran et le spectateur. »

Dans cette partie, il y a également ce moment où Meyer raconte la réaction de De Santis devant la projection de Déjà s’envole la fleur maigre (et qui aurait oublié des années plus tard cette réaction première) : « c’était à nous de faire ce film« . Toute proportion gardée et se rappelant bien ici que les films ont deux sujets (et contextes) différents, je ne saurais que trop sentir un parallèle au cinéma de René Vautier dont Algérie en flammes (1958) put être fait par un Algérien. Dans les deux cas, prenant en compte la limite de la comparaison, nous pouvons mesurer à quel point un film s’articule à une histoire malgré la provenance d’un cinéaste qui lui est à priori « étrangère », et comment ce film constitue finalement un élément actif de cette histoire et d’une mémoire (encore de nos jours, du moins potentiellement). Meyer, après tout, a jugé que Déjà s’envole la fleur maigre avait davantage sa place dans une association italienne (de jeune génération) qu’en Belgique où, et c’est symptomatique, « l’usage [du film] est parcimonieux« . A l’image aussi du relatif oubli dans lequel est plongée la filmographie du cinéaste de nos jours, malgré les quelques « hommages » ici et là. Le positif est que c’est irrécupérable, d’où sans doute l’amnésie volontaire, en quelque sorte. Et puis, à l’instar d’un film comme Octobre à Paris (1961) de Panijel, une certaine forme d’autocensure est possible face aux thématiques du cinéaste, notamment du point de vue de la mémoire qui ne s’y veut pas récupérable et, au contraire, sans cesse vive, en travail. La paresse ne situe pas toujours là où on la croit.

The Molly Maguires (Traître sur commande) – Martin Ritt (1970)

The Molly Maguires (titre français : Traître sur commande) – Martin Ritt – 1970 – USA – 120 mn

Le film est visible en entier ICI en streaming (mais maudite VF).

Tandis que durant les années 70, Hollywood  témoigne de deux réalisations s’intéressant au syndicalisme ouvrier à travers Blue collar (ICI sur le blog) et F.I.S.T (LA sur le blog), Martin Ritt inaugure la décennie en déclinant également une rareté hollywoodienne et en s’attaquant à l’histoire vraie des Molly Maguires. Ces derniers sont les membres d’une société secrète irlandaise, présents au 19ème siècle dans les mines de charbon de Pensylvannie aux USA où l’immigration irlandaise dans certaines mines de charbon est très importante. Ils agissaient par des sabotages de la production et des assauts physiques contre les dirigeants. A l’origine, les Molly Maguire s’est établie en Irlande contre les propriétaires dans le vaste contexte du métayage. L’histoire vraie portée à l’écran est renforcée par la représentation de John Kehoe ou  encore de  James McParlan qui fut en effet  un détective privé ayant lutté contre les Molly Maguires. Pour un historique des Molly Maguires, se rapporter à cet article wikipedia (en anglais).

The Irish balladers – « Sons of Molly Maguire » :

Martin Ritt a donc pris ici le parti de revenir sur l’existence des Molly Maguires tout en esquissant les réalités ouvrières dans les mines de charbon. Fidèlement à Hollywood, le film privilégie cependant l’aspect « histoire pour un bon film » avec ses exigences narratives et les rapports entre personnages, au détriment d’un investissement mieux ancré socialement, tel le fait par exemple l’incontournable Le sel de la terre du cinéaste blacklisté Herbert Biberman (ICI sur le blog). Il est à signaler que Martin Ritt a été soupçonné de communisme et blacklisté durant le Maccarthysme, ce qui lui valut l’interdiction d’exercer à la télévision. Par la suite, il a réalisé pour Hollywood des oeuvres aux sujets engagés, et j’aurai l’occasion de revenir pour le blog sur d’autres de ses films, dont Le Prête nom (1976) qui traite justement de la période du Maccarthysme, et un autre traitant d’une figure féminine du syndicalisme ouvrier aux USA.

The Molly Maguires connut à sa sortie un échec commercial, malgré un budget assez conséquent (on le devine en tout cas aux superbes décors !) et la présence d’acteurs comme Sean Connery dont la prestation est ici relativement sobre et à contre courant de ses compositions hollywoodiennes classiques (et il réédita à travers sa performance pour Offence de Sydney Lumet deux ans plus tard). Sans doute que cet échec est du en partie à la relative absence du spectaculaire et à l’action qui n’est pas menée tambour battant, même si, encore une fois, le développement narratif pour une « bonne histoire » est favorisé.

Bande annonce de 1970 – Nous y percevons bien le côté aguicheur de la sortie du film, mettant en valeur l’action et le spectacle. Il reste à imaginer la déception du public dans la foulée de cette bande annonce « prometteuse », bien que le long préambule muet fut retiré de la version sortie originellement. Il fut réinséré à l’occasion de la version restaurée et notamment projetée sur les écrans en France en 2009 :

La bande annonce de la re-sortie (années 2000) est un brin moins aguicheuse et inclut des passages du préambule sans dialogues. Le film reste dénaturé par cette bande annonce qui persiste dans le ton spectacle-action :

Le film est aujourd’hui visible avec son long préambule qui affiche sa volonté de ton réaliste, soit ancré dans la réalité de l’exploitation minière. Le poids de la reconstitution y est certain et la représentation du quotidien en dehors du travail est quelque peu schématisée par moments; soit dans les parties composées de dialogues et incarnées davantage par les personnages (tel les séquences de bar par exemple, donnant dans l’archétype), car le travail sur le lieu est d’une toute autre facture !  Malheureusement, suite à une tentative de publier l’ouverture sur la chaine YT de citylightscinema (sans doute vouée à disparaître prochainement…), j’ai constaté une fois de plus l’impossibilité d’un tel partage d’extrait de film. Je renvoie donc au lien streaming posté plus haut, et à défaut de la dite séquence ci-dessous, voici l’ouverture de There will be blood (2007) de Paul Thomas Anderson qui présente une certaine similitude avec l’entame de The Molly Maguires.

Une autre séquence de The Molly Maguires est très marquante par son sens du détail et dans la force du tableau, soit celle située vers la 67ème minute du film, précédant une action de sabotage de la production qui s’en trouve justifiée. Quelques minutes, là encore, sans dialogues et représentant l’exploitation minière à travers le motif de la circulation du wagon récoltant le produit des hommes et enfants.

De manière générale, le film dégage une grande noirceur. La relation Kehoe/McParlan est ambiguë car elle ne donne pas dans le manichéisme. C’est en fait une relation clé du film qui contribue à l’enjeu des modalités réactives face à un ordre dominant : le constat de l’exploitation et de l’injustice quotidienne est partagé par les deux protagonistes, mais chacun conçoit sa « morale » face à cela et de l’usage fondé ou non de la violence.  Cette dernière est largement questionnée et je ne peux m’empêcher de voir The Molly Maguires comme un pendant à Matewan de John Sayles (ICI sur le blog). Il va de soi que la trahison gagne dans le film en terme de progression sociale individuelle mais qu’elle accompagne aussi la misère révoltante de l’exploitation minière. A l’image des choix narratifs, le film positionne surtout une réflexion individuelle plutôt que collective. Enfin, au-delà des moyens de résistance mis en balance par le film, je trouve qu’il se distingue par un constat assez net de l’exploitation minière, ici incontestablement perçue comme  une activité qui tue au quotidien, que ce soit par les conditions miséreuses, les accidents ou, chose rarement abordée à ma connaissance dans le cinéma autour de la mine, la silicose. Ritt ne décline à aucun moment une héroisation du travail de la mine et en privilégie une vision exclusivement sombre, sans néanmoins tomber dans le misérabilisme à la Zola. C’est au demeurant rarissime, qui plus est ici à Hollywood (!), que le travail du mineur soit ainsi dépourvu de fonction de fascination vis à vis de la masse qui s’y emploie, la dé-marquant aussi, par exemple, de la notion du mineur-soldat et ses valeurs de sacrifice pour la famille et la patrie. On pourrait presque dire que le film rompt avec la « race des mineurs » et son idéalisation-manipulation, celle-là même que généraient régulièrement, par exemple, les discours de Maurice Thorez en France. Mais Ritt ne coupe pas pour autant avec la notion de classe ouvrière, ici représentée par la communauté minière.

Le sel de la terre – Herbert Biberman (1954) // Maccarthysme

EN ENTIER – Le sel de la terre – Herbert Biberman – VO – 92 mn – 1954 – USA

« Une femme de mineur de Silver City évoque les jours douloureux vécus au moment des grèves déclenchées pour obtenir un habitat meilleur et des mesures de sécurité indispensables dans le travail de la mine. Esperanza avait alors trente-cinq ans et attendait son troisième enfant. Elle souffrait de voir son mari, Ramon Quintero, plus préoccupé de revendications syndicales que des désirs de sa femme et de ses enfants. La grève éclate. Esperanza comprend l’importance de la lutte entreprise, et se joignant aux autres femmes de mineurs, elle prend la relève des hommes dont le piquet de grève est dissout par la loi  » Taft-Hartley « .

Le cinéaste Herbert Biberman, adhérent du Parti Communiste, fait partie des dix d’Hollywood mis sur liste noire (blacklist) en 1947, en plein Maccarthysme, suite à leur passage devant l’HUAC (Commission des activités antiaméricaines) et leur refus de parler (du moins un temps, puisque certains finissent par craquer). Parmi les dix, figuraient également, entre autres, Edward Dmytryk (Adieu ma belle) et Dalton Trumbo (Johnny s’en va-t-en guerre). A ma connaissance, deux fictions reviennent sur le Maccarthysme dans le cinéma :

Guilty by  suspicion (titre français : La liste noire), d’Irwin Winkler (1991) et dont on retiendra particulièrement la séquence finale (audition devant l’HUAC) avec un De Niro des grands jours. De manière générale, le film insiste surtout sur les conséquences pour les vies individuelles (et familiales), avec notamment des impossibilités de travail, et la trahison et le climat malsain qui règne entre collègues/amis du milieu. Bande annonce ci dessous et film VISIBLE EN ENTIER ICI (euh, en maudite VF) :

 

One of the Hollywood ten (titre français : Hollywood liste rouge), de Karl Francis (2000) et qui porte justement sur Herbert Biberman durant le Maccarthysme et la réalisation du Sel de la terre comme blacklisté, soit la contextualisation du présent film relayé sur le blog. Bande annonce ci-dessous et FILM EN ENTIER VISIBLE ICI (euh, en maudite en VF aussi) :

 

Un court documentaire a également été réalisé en 1950 par John Berry, qui vise à dénoncer le Maccarthysme et la liste noire mise en place à Hollywood, en y donnant la parole aux Dix d’Hollywood. John Berry finit par être blacklisté lui-même et, faute de pouvoir continuer à travailler dans le cinéma, s’exile en France.

EN ENTIER – The Hollywood Ten – John Berry – VO – 1950 – 15 mn

 

Le maccarthysme a été indirectement traité par d’autres films, et il y aura toujours occasion d’y revenir ailleurs sur le blog.

Pour en revenir au Sel de la terre, il a été réalisé grâce à la création d’une compagnie de production indépendante par Biberman et des collègues du cinéma blacklistés également : Independent Production Corporations (IPC). Malgré les obstacles de terrain et d’après tournage, le film est abouti.

Au-delà de son contexte, Le sel de la terre est un film incontournable, tant pour son sujet que pour sa forme. Tourné sur un credo proche du néo-réalisme, avec des acteurs non professionnels (ici de véritables mineurs ayant eu expérience de grèves), Le sel de la terre par d’une histoire vraie de mineurs du Nouveau Mexique. Le parti pris est également de prendre en main la narration par le biais d’une femme de mineur.  De la simple lutte pour de meilleures conditions de vie, le film évolue en fait vers des réflexions et engagements quant à l’égalité entre blancs et mexicains, mais aussi entre hommes et femmes, ces dernières quittant le confinement (habituel) qui leur est donnée dans le milieu ouvrier et lors des luttes sociales (y compris dans le cinéma). L’émergence des femmes est suivie dans sa progression, depuis le silence et l’invisibilité initiales, à la prise en main de la lutte. Biberman, avec ce film, décline donc plusieurs niveaux d’émancipation (ouvriers, immigrés, femmes). Pour ce qui est de femmes dans le syndicalisme américain, voir également ICI sur le blog en lien avec quelques luttes des années 1930 aux USA.

Le sel de la terre est censuré aux USA jusque 1965…

 

 

 

Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles (1987)

« À la fin des années soixante, j’ai fait beaucoup d’auto-stop. J’ai traversé les régions minières de la Virginie occidentale et du Kentucky. C’était l’époque où deux dirigeants se disputaient le contrôle du syndicat des mineurs : un vieux bonhomme corrompu, Tony Boyle, et un nouveau venu, Jock Lablonsky. Boyle finit par faire assassiner Lablonsky, sa femme et sa fille. Les mineurs qui me prenaient en stop me parlaient de leur syndicat et se référaient invariablement à une période encore plus sombre, celle du massacre de Matewan. Quand j’ai commencé à faire des recherches pour mon second roman, Union Dues, je suis retombé sur cet épisode, qui m’est apparu révélateur de toute une époque. Les « guerres du charbon », furent vécues à un niveau si personnel que cela m’a donné l’idée de faire un film sur les événements de Matewan, qui puisse enfin décrire de manière accessible et émouvante les éléments et principes à la base de ce que l’Amérique est devenue et de ce qu’elle aurait dû être : l’individualisme contre le collectivisme, l’héritage personnel et politique du racisme, l’utopie de l’immigrant se heurtant à une dure réalité, le capitalisme de monopole confronté au prolétariat le plus violent, un homme de loi sanglé de deux revolvers, affrontant une poignée de briseurs de grève armés. Que pouvait-on demander de plus à une histoire ? Je me suis dit que ce ferait un bon film : plusieurs protagonistes, leurs antagonistes, et leur confrontation armée, comme dans le western. De la même façon que les éléments de science-fiction [dans Brother] permettaient de révéler un monde où le public ne mettrait jamais les pieds, les similarités avec un western classique permettraient de présenter une page de notre histoire syndicale qui autrement le rebuterait. »  » John Sayles

EXTRAITS – Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles – 133 mn – USA

« Le récit des grèves minières de 1920 dans la petite ville de Mingo County, en Virginie. Un chapitre méconnu de l’histoire sociale américaine. »

Bande – annonce :

 

J’ai entamé ces derniers temps un cycle John Sayles dont Lone star (1996) a été évoqué ICI sur le blog. Je précise par ailleurs que la diffusion de la filmographie de Sayles est un peu moins craignos que je ne le pensais puisque par exemple le Festival International du Film d’Amiens 2003 lui a consacré une rétrospective : EN CLIQUANT ICI on a la présentation de tous les films alors projetés ET SURTOUT une introduction du cinéaste pas mal du tout !

En tout cas, dans la présente note, c’est l’occasion à travers Matewan de non seulement poursuivre la petite plongée dans l’oeuvre de Sayles, mais aussi de continuer, dans la foulée de l’actualité Pathé « retrouvée » Ambridge, Pensylvannie (ICI sur blog), sur la thématique du syndicalisme et ses luttes dans les industries aux USA, d’avant seconde guerre mondiale.

Nous retrouvons dans le film Chris Cooper, déjà personnage principal du plus récent Lone Star, et c’est une très agréable surprise que d’y rencontrer également Will Oldham (dit Bonnie Prince Billy), le grand chanteur-compositeur, ici à l’âge de 17 ans et vraiment excellent dans son interprétation de Dany – et j’écris cela sans aucun favoritisme ou aveuglement lié à sa carrière musicale !

Le film, comme le précise la longue citation en intro et tirée d’une interview dont je n’ai pas réellement retrouvée la source exacte, constitue un retour sur un moment important de l’histoire américaine : le départ d’un cycle de « batailles du charbon » opposant syndicats et milices/police dans une grande violence – ainsi la Bataille de Blair Mountain (nom de la Compagnie minière) suivant les événements du présent film… qui n’est QUE le prélude à un chapitre de l’histoire sociale américaine.

Les années 20 et 30 ont bon nombre de luttes, avec quelques victoires et acquis, et beaucoup de répression, tandis que c’est également le visage du syndicalisme qui prend d’autres formes. Et pas que dans les mines, si on songe également aux industries telles que l’automobile et la sidérurgie, où bien qu’encore majoritaire, la fameuse AFL (American Federation of Labor) est concurrencée par des syndicats fédérés à l’IWW créé au début du 20ème siècle (voir le documentaire The Wobblies ICI sur le blog) et au CIO créé en 1935. Un certain corporatisme tend donc à s’effacer dans ces nouvelles expressions du syndicalisme, avec également une forme plus révolutionnaire, tant dans les revendications que dans ses valeurs et fonctionnements par exemple, telle par exemple qu’une ouverture aux noirs proclamée par l’IWW. Il ne faudrait non plus que je caricature ici l’histoire syndicale des USA et sans doute y a t il à nuancer et approfondir, notamment du point de vue des nombreuses grèves des années 30 touchant de nombreux lieux de travail industriel. Bref, pour cette contextualisation, je renvoie donc à un récit de grève de 1927 (soit une décennie où se déroule Matewan !) qui a été traduit ICI par un collectif anarchiste de Caen; un récit qui permet de bien situer la période en  plus de rendre compte de la violence sociale alors présente, notamment par la répression s’abattant sur les grévistes.

Au demeurant, Matewan ne laisse rien au hasard, et Sayles ne trahit pas l’époque de l’histoire (euh, pas inventée dans ses grandes lignes !). Ainsi par exemple l’allusion à l’IWW où on apprend que des mineurs y ont été syndiqués;  affirmant qu’ « [il]était un grand syndicat« , on peut en déduire du caractère passé qu’il y a alors une certaine forme de répression en amont (et c’était effectivement le cas). Mieux, on pourrait supposer que la volonté constante de Joe de rassembler tous les travailleurs par delà les critères de nationalité et de couleur soit due, en partie, à son expérience IWW où l’unité prévalait à toute exclusion basée sur de tels critères, afin de favoriser un syndicalisme unitaire de masse tout en privilégiant une forme de démocratie directe et égalitaire. La place des femmes n’est pas abordée ici, mais cet aspect est évoqué dans Le sel de la terre de Herbert Biberman (1953) ou encore dans le décidément indispensable Harlan County (1976) de Barbara Kopple.

L’aspect documenté du film est également du, bien entendu, à des faits avérés et notamment cette séquence finale de fusillade entreprise par les mineurs locaux, soit « le massacre de Matewan » : un fameux instant « western » du film, mais qui n’est pas tourné en mode très spectaculaire, gardant une ligne relativement sobre, même si bon, ça démarre quand même très fort !

Les intentions de Sayles sont homogènes dans le film, avec un bon équilibre quant à l’éclairage historique, sans traitement spectacle ou pathos, et sans non plus des personnages caricaturaux ! Comme pour Lone star, j’ai trouvé les personnages bien travaillés dans leur rapport à la problématique historique et sociale. Cela contraste aussi, pour le milieu syndical et mineur en lutte, y compris dans ses dimensions humaines, d’une vision que peut en donner un livre comme Germinal de Zola (par ailleurs adapté en film-succès avec ses « stars » du cinéma français) où « Les grévistes en marche évoquent pour lui « la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour mordre (…), la même cohue effroyable de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes ». Le comble est atteint quand il montre les femmes « toutes sanglantes dans le reflet d’incendie, suantes et échevelées de cette cuisine de sabbat » ou encore « agitées d’une fureur meurtrière, les dents et les ongles dehors, aboyant comme des chiennes ». Ces images sont celles de l’opposant farouche à la « Commune » quinze ans plus tôt ; de celui pour qui les barbares furent ceux qui détruisirent la colonne Vendôme et les Tuileries, et non ceux qui massacrèrent plus de 30 000 communards. Pour celui que les Alpes séparaient de Maurice Barrès (ce qui nous le rendrait plutôt sympathique), le bon ouvrier reste le Versaillais qu’il nous décrit dans « La Débâcle » : « La calme figure de paysan illettré, son respect de la propriété et son besoin d’ordre, le paysan sage désireux de paix pour que l’on recommençât à travailler, à gagner, l’âme même de la France, la vieille raison française, l’épargne, le travail ». (…) Par contre, il y eut un Broutchoux et d’autres qui luttèrent pour un syndicalisme réellement révolutionnaire.. » (Joao-Manuel Gama, pour la BD Broutchoux dans une « note insérée par les éditeurs dans la ré-edition de 1993 à l’occasion de la sortie du film Germinal », ICI en bas de la page )

Matewan ne joue pas ici sur une violence-spectacle, ni sur un certain registre barbare qui posséderaient – intrinsèquement – les mineurs en lutte et le peuple « d’en bas ». La question de la violence est posée à multiples reprises, en prise avec la réflexion syndicale émergente (l’unité, la grève générale…), en réaction à une violence qui découle de  la compagnie minière (conditions de travail, contrôle, expulsions…) et ses bras armés (milice privée). Pour la milice privée, d’ailleurs, il s’agit d’une milice avérée historiquement : les Baldwin felts, qui s’est distinguée notamment en 1913-1914 lors d’une grande grève menée par l’UNWA contre les trois principales compagnies minières du Colorado, durant laquelle la dite milice a tué une vingtaine de personnes dont onze enfants. Ce fut le massacre de Ludlow, en 1914. Cette milice reste très active, notamment en Virginie de l’Ouest, et c’est elle qu’on retrouve enrôlée dans la ville de Matewan. C’est donc la figure du « Vigilante man » qui est également traitée dans le film, chantée par Guthrie et abordée ICI sur le blog.

Ludlow massacre – Woody Guthrie

Petit retour de 1O mn sur le massacre de Ludlow :

 

Je glisse ci-dessous un extrait de 5mn d’une interview (en VO) avec John Sayles où il parle de Matewan. Il y évoque la nouvelle Bataille de Black Mountain qui se déroule de nos jours (voir ICI un article du Monde), ainsi que la milice Baldwin-Felts   :

Pour ce qui est de la Bataille de Blair Mountain de 1921, et qui suit donc le Massacre de Matewan, voici des extraits d’un documentaire  :

 

Je pourrai évoquer également la figure du traître dans Matewan, qui n’est pas (seulement) de l’ordre de la distraction et du rebondissement narratif; c’est quelque chose qui touche effectivement les syndicats, de plus en plus, dans les années 20-30, et ça n’est pas sans conséquence, vraisemblablement, sur la manière dont vont se lancer certaines grèves et sit-in en 1937 dans l’industrie automobile (General Motors plus précisément), soit en relative indépendance vis à vis des grands syndicats, de plus en plus surveillés et espionnés de l’intérieur, tandis que des accointances avec les (supposés) ennemis ne sont pas rares.

Je termine cette note par la bande originale du film : comme pour d’autres films axés sur la thématique des mines et luttes ouvrières, le chant et ses appropriations collectives, tout comme ses résonances avec la mémoire et les luttes ouvrières, a sa grande importance. Ici, Sayles a privilégié nettement l’artiste folk Hazel Dickens (et déjà vue dans le documentaire Harlan County de Barabara Kopple !). Née dans une famille de mineurs de l’Ouest de la Virginie (où se déroule le film), elle a développé, entre autres, un répertoire en lien avec les mines et les luttes, tout comme féministe. Les morceaux ainsi insérés dans Matewan sont particulièrement en phase avec le film. Ils relèvent également d’un certain genre musical traditionnellement associé à des thématiques générées par le film et, bien sûr, la voix de Dickens très particulière en ajoute une dimension frissonnante. Mais attention, les chants ne sont pas une simple superposition à l’image, car ils sont parfois diégétisés, ainsi la superbe séquence des funérailles par exemple (Hills of Galilee) :

 

L’ouverture du film, après le générique, reprend un grand morceau d’Hazel Dickens écrit dans les années 50, et intitulé « Fire in the hole » : « le feu dans le trou ». Soit une expression du monde de la mine (qu’elle a connu depuis petite en vivant avec des mineurs), et dont un petit historique est retracé ICI.

« Fire in the hole » – Hazel Dickens

« You can tell them in the country, tell them in the town
Miners down in Mingo laid their shovels down
we won’t pull another pillar, load another ton 
or lift another finger until the union we have won

Stand up boys, let the bosses know
Turn your buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

Daddy died a miner and grandpa he did too,
I’ll bet this coal will kill me before my working days is through
And a hole this dark and dirty an early grave I find
And I plan to make a union for the ones I leave behind

Stand up boys, let the bosses know
Turn you buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

There ain’t gonna be no fire in the hole »

 

« Noi vogliamo l’uguaglianza »

Chant de lutte italien, qui dans le film a sa fonction internationaliste tout en mettant en valeur la rencontre des immigrations. Il est d’ailleurs une scène où la musique marque le point de rencontre des trois populations, tandis que les afro-américains et les italiens sont au départ exclus de la démarche syndicale et ne sont perçus que comme des brise-grève : celle où la musique rassemble deux musiciens blancs et un italien, puis un noir. L’idée, ici, est de composer ensemble. Sayles a repris cette thématique dans Lone star.

 

Et de nouveau Hills of Galilee, en meilleure qualité sonore :