Eight men out – John Sayles (1988)

« …Mais le peuple américain ne pouvait ignorer que son sport national était aussi corrompu que la plupart des autres domaines de la société américaine. » John Sayles 

EXTRAITS – Eight men out – John Sayles – 1988 – USA

L’histoire vraie du scandale des White Sox. En 1919, cette équipe de base-ball donnée pour favorite perdit délibérément le championnat national pour une sombre histoire de paris truqués.

Bande annonce :

 

John Sayles (dont d’autres films ont été abordés sur le blog) développe ici un film à partir d’une histoire vraie tirée de l’histoire du « sport national » américain et adaptée du livre d’Elito Asinof Eight men out (1963) qui reconstitua le scandale de 1919. Érigé en sport populaire, tel le football dans d’autres contrées, Sayles égratigne quelque peu le monde du Baseball, bien que lui-même très passionné (ai-je appris, mais c’est palpable !). En fait, on peut dire que le cinéaste questionne la popularité d’un sport, et ses apparents dépassements d’une société dans laquelle il évolue, et ce que ça peut générer comme questionnements quand le mythe se fissure.

Ce film pose d’une part un regard tendre quant au Baseball. On sent bien comme l’auteur prend plaisir à mettre en scène, par exemple, quelques brèves mais très belles séquences de jeu; j’y ai moi même apprécié certains passages alors que ce sport m’est totalement inconnu et pour lequel je n’éprouve à priori aucune curiosité d’en savoir plus. D’autre part il pose un regard plus critique et réaliste.

Pour cela Sayles ne développe donc pas qu’une facette emphatique avec le sport, ses joueurs et son public. Déjà, comme à son habitude, il ne donne pas dans la simplicité et tente de resituer la complexité et l’hétérogénéité au sein même du bloc de joueurs ayant généré directement le scandale. Plutôt que d’uniformiser les joueurs, il les traitent en personnes, en humains, et ils ne sont donc pas perçus dans un mouvement monolithique dans leur rapport au Baseball et au scandale. Et à l’image du coach qui quelque part garde pour eux grand respect malgré leur faiblesse humaine (on comprend là, aussi, une certaine complicité de Sayles : quoiqu’il en soit « les meilleurs joueurs de Baseball« ), il ne les exclue pas de la légende aussi facilement que l’histoire et ce qu’elle retiendra d’eux : les « black sox » (soit les corrompus, les mauvais en quelque sorte). Des nuances sont également apportées parce qu’il prend en compte des données historiques établies, tel le directeur du club goujat  qui exploite littéralement ses joueurs de club : nous sommes là encore éloignés des stars actuelles, du monde professionnel tel qu’il est devenu et les joueurs sont sous payés. Parallèlement à ce business légal contrastant avec le niveau de vie des joueurs, le rôle de la mafia est également abordé. On y voit ainsi un certain Arnold Rothstein qui fut un acteur discret mais vraisemblablement réel du scandale; c’est un membre éminent de la Yiddish Connection, qui a formé des hautes figures comme Lucky Luciano ou Lansky; un trio que l’on voit d’ailleurs de manière régulière dans l’intéressante série Boardwalk empire qui au-delà de sa production alléchante et très coûteuse, a le mérite d’approcher la période de la Prohibition avec un côté assez documenté, sans trop d’habituelles concessions aux actions spectaculaires (et j’espère ici ne pas trop m’attirer les foudres de Samuele Bertoni et le réveiller d’outre tombe, lui qui était si hostile aux traitements cinématographiques adulés de la mafia !). Bref, Sayles obscurcit le tableau du Baseball par des réalités pas toujours abordées et qui font partie de la complexité de la situation de 1919, qui ne se résume pas à huit ordures corrompues et tricheuses.

Ouverture du film – VO (10 mn) :

Dès la fin du générique introductif, qui défile comme une adresse à ceux qui désormais sont au ciel (on sent un peu l’hommage, ou du moins la rectification à l’ordre du jour, en quelque sorte), il est question d’un ancrage populaire du Baseball, vécu d’abord depuis la rue et des gamins de quartiers ouvriers, très identifiés à l’équipe des white sox. Petit à petit la narration gagne d’autres sphères; déjà elle circule au sein du public et ses différentes couches de population mais grossomodo homogène dans le vécu de la passion (« le peuple »); puis des parieurs, des journalistes, l’encadrement directif du club et des joueurs. En fait, cette séquence d’ouverture introduit la pluralité des strates composant ce sport. Et c’est une manière pour Sayles d’éviter une vision trop simpliste, comme à son habitude, et de prendre en compte différents degrés. Par rapport à la corruption elle-même, il n’y a pas UN joueur en guise de représentant de tous les autres, soit un moyen également de ne pas tomber dans une sorte de « success story » chère à Hollywood, au détriment du sujet, où le spectateur s’identifierait plus qu’il ne réfléchit, d’autant plus dans un sport si important aux USA. La séquence ici  positionne donc d’emblée le film comme une re-lecture du scandale en en resituant la complexité à partir de différents points de développement narratif : le public (peuple), les joueurs (les exploités), la direction (les exploiteurs), les parieurs (les profiteurs et la mafia), la presse sportive (les médias).

Et oui, Sayles part du Baseball et de cette histoire de 1919 pour également interroger la société. Dans une interview que j’ai relayé sur le blog, le cinéaste précise qu’il perçoit la politique, les problèmes d’une société comme nécessairement existants dans tous ses domaines, y compris le sport qui n’y échappe pas.  Finalement, le sport en porte également les problèmes. D’où, peut-être, une position intéressante de Sayles qui à travers Eight men out voit le sport comme quelque chose, dans le fond, d’éminemment politique, y compris dans ce qu’il peut générer comme illusions auprès du public, et que ce dernier en construit parfois ses propres valeurs. C’est ce choc entre réalité d’un sport et désillusions du public qui est le plus intéressant, en ce qui me concerne, dans ce film. Et on ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être désillusionné. Car Sayles garde un peu de magie de ce sport, notamment dans sa mise en scène et les tensions intérieures et hésitations de joueurs, et on se dit à la fin  : mais jusqu’à quel point on peut y croire… ?

Je laisse le dernier mot au cinéaste, avec ci-dessous un extrait d’une interview :

« Eight Men Out ne parle pas simplement de huit personnes, mais de tas d’autres gens représentant différentes couches de la société. Le film parle de la manière dont les hommes peuvent se corrompre mutuellement, dont ils peuvent perdre leur idéal, leur âme. Je m’y suis intéressé lorsque je me suis demandé, après avoir lu cette histoire, comment huit hommes pouvaient renoncer aux World Series. J’avais lu quelques livres qui évoquaient l’affaire sans donner beaucoup de détails. En 1976, j’ai découvert le livre de Eliot Asinof, beaucoup plus précis, qui a changé ma façon de voir les choses. Le problème n’était plus de savoir que ces gars étaient les mauvais, et comment c’était arrivé, mais pourquoi ils avaient fait cela. Et ils n’étaient pas nécessairement tous mauvais. La situation était très complexe. Les joueurs de cette équipe, en 1919, étaient les plus grandes vedettes médiatiques du pays, ils étaient presque aussi célèbres que Lindbergh. Et le scandale a entraîné un sentiment de trahison. Si on la considère du point de vue d’un jeune Américain de l’époque, cette affaire est de celles qui ont le plus d’impact sur l’adolescence. Même si la corruption et le cynisme étaient monnaie courante en Amérique, la presse répandait encore l’image officielle de l’Americana blanche aux ciels d’azur… Mais le peuple américain ne pouvait ignorer que son sport national était aussi corrompu que la plupart des autres domaines de la société américaine. »

Men with guns – John Sayles (1997)

EXTRAITS – Men with guns – John Sayles – 1997 – 128 mn – USA

« L’ensemble se situe dans un pays d’Amérique latine anonyme. C’est l’histoire de la découverte par un homme de ce qui est vraiment arrivé dans l’histoire politique de sa nation aussi bien qu’à ses étudiants. Il a été filmé au Mexique et la plupart de l’équipe était mexicaine« .

J’insère quelques extraits videos (très) laborieusement établis par mes soins, mais étant donné que les droits du film sont à Sony Pictures, je ne pronostique pas une longue vie à la chaîne YT mise en place pour le blog …

Ouverture du film :

 

Ce film de Sayles a la particularité de se dérouler dans un lieu pas vraiment défini et contextualisé, hormis dans ses grandes lignes. Nous y avons bien entendu l’allusion nette à des contextes latino-américains, mais nous sentons également le dépassement voulu d’un ancrage géographique et la volonté d’aborder ici, de la part de Sayles, certaines de ses thématiques qui lui sont chères à travers un traitement  allégorique. Le particulier, le spécifique du lieu tel que cela a pu se développer dans Lone star ou Sunshine state, est ici mis de côté et une véritable errance est privilégiée en guise de parcours, d’une certaine manière, initiatique et révélateur. C’est ainsi également que les personnages, sauf les principaux, sont en quelque sorte davantage « fonctionnels » (tels les touristes américains dont le positionnement dans le film, à rythme régulier, est fort intéressant et mérite, je pense, un retour spécifique là dessus lors d’une éventuelle prochaine vision). Men with guns se veut une réflexion, une fois de plus, sur les rapports entre les cultures et, surtout, quant à l’Histoire. Plus que de la violence qui s’exprime dans ce contexte latino-américain, il pose l’enjeu du regard et de la compréhension (l’ouverture est assez claire là dessus en posant une ambivalence entre le magique et la science, le mythe et le « rationnel », pas tant pour caricaturer que pour faire émerger l’idée de conceptions différentes). il ne s’agit pas vraiment de pointer, ainsi, une réalité latino-américaine (qui resterait de toute façon bien trop évasive si telle était l’intention de Sayles, qui précise par ailleurs qu’il a réfléchi aussi à des éléments inspirés d’autres coins du monde, notamment en Asie ou en Europe). Un air de constat (très) désenchanté où même les plus « instruits » paraissent ignorants du monde dans lequel ils vivent, où le savoir en fin de compte (d’ordre scientifique, culturel, politique, médiatique etc) est relativisé. Le personnage principal, à ce titre, apprend donc à ouvrir les yeux en se libérant de la position depuis laquelle il vivait le monde, cloisonnante, aveuglante et, il faut le dire, confortable.

Ci-dessous une nouvelle interview de John Sayles que j’ai traduite. Il y évoque notamment, comme pour les interviews autour de ses autres films relayés sur le blog (Matewan, Lone star, Sunshine state), ses intentions de départ lors de la genèse du projet. L’interview, ici, est également un peu plus poussée que les précédentes, mais je met d’ores et déjà en garde vis à vis des spoils qui y traînent. Comme pour les précédents films que j’ai vu, Sayles finit assez fort…

Originale an anglais ICI.

« David L. Ulin : Il y a un certain risque pour un cinéaste américain de faire un film en espagnol avec des sous-titres anglais. Comment l’idée de réaliser Men with guns de cette façon s’est développée ?

John Sayles : L’idée du film a toujours été qu’il serait dans n’importe quelle langue parlée par les gens à l’endroit où nous étions. Ce qui est construit avec cette histoire c’est l’idée qu’un homme, le docteur Fuentes, qui est ignorant de son propre monde, est progressivement étonné quand il sort de la ville que des gens en fait ne parlent pas sa langue, qu’ils en parlent une demi-douzaine d’autres – et il ne peut pas communiquer. L’histoire a toujours été en partie à propos de sa frustration. La moitié du temps, il doit faire interpréter pour lui un petit garçon.

Il n’est jamais sûr s’il obtient la véritable réponse, ou les bonnes informations. Sa frustration n’est pas juste à cause d’une différence de culture ou de classe, mais à cause d’une autre langue, et peut-être même d’une façon différente de voir le monde. Ainsi, l’histoire est basée sur des choses qui se passent dans le monde entier, pas seulement en Amérique latine. Certainement que je pourrais avoir fait une histoire très semblable en Yougoslavie, en Afrique, en Union soviétique ou même aux États-Unis, dans une période différente. Mais pour le moment, ça prenait de sens en se passer en Amérique latine. Il n’est jamais dit vraiment dans le film où il est exactement, juste qu’il est quelque part où les blancs se regroupent dans les villes et les indigènes vivent dans la campagne, et ils n’ont pas beaucoup à faire les uns avec les autres d’une façon positive.

DLU : Vous mettez en évidence cette idée du couple américain réapparaissant partout dans le film. Leur relation avec le docteur Fuentes est parallèle à ses interactions avec les Indiens.

C’est un peu de la réfraction. Jusqu’à un certain degré, les Américains font un voyage parallèle. Ils se montrent géographiquement aux mêmes endroits que docteur Fuentes. La première fois qu’ils le rencontrent, il est sur la défensive par rapport à son pays. Il est toujours positif. Et à chaque fois que nous les rencontrons, il est une personne très différente, mais eux sont exactement les mêmes. Ce sont les touristes américains « téflon ».

DLU : Ils ne voient  jamais ce qui se passe vraiment.

Parce qu’il ne se passe rien pour eux. Ils peuvent avoir lu à propos des atrocités, d’un point de vue factuel ils pourraient vraiment en savoir plus du pays que le docteur Fuentes, mais cela ne signifie pas qu’ils vont le ressentir. Tandis que le docteur ne peut pas s’empêcher de le ressentir. C’est son pays, ses étudiants.

DLU : Vous dites que cette histoire pourrait avoir eu lieu n’importe où, en Amérique latine ou en Yougoslavie. Qu’est-ce qui vous a attiré à l’origine ?

L’idée de base était sur quelqu’un pensant qu’il avait fait quelque chose avec ses meilleures intentions, quelque chose qui était supposé être bon pour les gens dans le monde, mais ça s’est révélé être un désastre, quelque chose qui a tué les gens. Comment traitez-vous ça? Qu’arrive-t-il quand une personne ou une culture commence à examiner sa propre vie, sa politique étrangère ? Supposons que vous êtes un chrétien et que vous avez grandi en entendant parler des merveilleux missionnaires. Mais ensuite vous commencez à réfléchir, peut-être que ce n’était pas une si grande idée que d’aller au Mexique et brûler tous leurs temples et détruire leur histoire écrite, et  torturer les peuples s’ils ne se convertissaient pas au Christianisme. Peut-être, vous pourriez penser, que c’était un peu oppressif; peut-être il qu’il y avait une autre manière d’intervenir. L’idée pour ce film est venue de quelque chose j’ai entendu pendant la Guerre du Golfe. Un journal a fait un sondage où plus de 65 pour cent des personnes interrogées ont dit qu’elles ne voulaient pas vraiment de plus d’informations des médias sur la Guerre du Golfe. Elles aimaient bien ça qu’elles aient été censurés, que l’armée fut responsable de ce qu’elles entendaient. Elles ont voulu entendre les bonnes nouvelles, que nous étions en train de gagner. Elles ne voulaient rien entendre de négatif, de mauvais qui pouvait leur faire se demander en premier lieu pourquoi nous nous sommes engagés dans le conflit. Non pas qu’ils n’aient pas pensé que quelque chose de négatif se déroulait. Ils ont juste dit, nous ne voulons pas savoir. J’ai été intéressé par cette sorte d’ignorance volontaire. Quand d’abord nous avons parlé du film aux Américains, qui avaient du mal avec cela, nous avons utilisé l’analogie de Kathie Lee : oui, je suis sûr qu’elle n’a pas su que ces entreprises utilisaient les travailleurs immigrés et leur payaient des salaires minimaux, mais elle devrait l’avoir su. Elle n’a juste pas posé de questions quand elle le pouvait. Et c’est beaucoup de ce que le personnage principal du film est : un libéral vivant dans une société conservatrice. Il peut avoir le cœur tendre comparé à beaucoup de monde, mais c’est tout de même le médecin civil du chef de l’armée. 

DLU :  Sans doute qu’il ressemble plus à quelqu’un qui se considère lui-même comme un homme bon, quelqu’un qui fonctionne de ses meilleures intentions à bien des égards.

Oui. Mais il est médecin. Et un des stéréotypes négatifs du médecin, qui est souvent réel, est que c’est quelqu’un de très sûr de sa connaissance et de très sûr que sa spécialité est le remède. Le docteur Fuentes dans une certaine mesure vient de là. Il a l’impression qu’il fait une bonne chose pour cette petite culture pauvre, mais ça ne vient pas d’une compréhension de leur culture, ça vient d’une estime pour la sienne propre.

DLU  Bravo lui dit : « Vous êtes l’homme le plus instruit que j’ ai rencontré, mais aussi le plus ignorant. »

Et il l’est. Les deux. Ignorant n’est pas pareil que stupide.

DLU Dans un sens, le film est sur l’évolution du docteur depuis l’ignorance politique, ou la naïveté, à une sorte de conscience politique.

Oui, et il ne peut pas en revenir une fois qu’il l’a. Il ne peut plus être ce médecin civil désormais. 

DLU À la fin, cependant il a vraiment son héritage.

Il en obtient une une partie, mais très, très petite partie. Cerca del Cielo n’est aucunement un paradis quand finalement vous le voyez. C’est une bande d’Indiens pauvres à la limite de la subsistance, et son héritage dure seulement aussi longtemps qu’il y a des trucs dans son sac médical. Donc c’est un très petit héritage. Mais cela vaut quelque chose.

DLU Beaucoup de vos films ont, au cœur, l’idée qu’une fois que vous apprenez quelque chose, vous ne pouvez plus en revenir. Certainement, c’est vrai du docteur Fuentes. Est-ce que ceci est fondamental de comment vous regardez les histoires, ou juste une heureuse coïncidence ?

Eh bien, c’est un joli classique. Dans la mythologie nordique, Odin obtient la connaissance, mais Raven prend un de ses yeux comme paiement. Ainsi, oui, il connaît beaucoup, mais il peut seulement voir d’un oeil, donc sa vision du monde est biaisée. Une fois que vous connaissez quelque chose, je pense vraiment que c’est très, très difficile d’agir de la façon que vous faisiez auparavant. Probablement que le film le plus intéressant que j’ai vu traitant de ceci est Short cuts de Robert Altman. J’avais lu la plupart de ces histoires de Raymond Carver à un moment ou un autre, mais c’est seulement quand elles ont été toutes réunies que je me rends compte que chacune de ces histoires est à propos du fardeau de la connaissance. Ce n’est pas inhabituel, mais je pense que c’est intéressant pour les Américains qui vivent dans une culture des médias. Le divertissement moderne, et j’inclus les informations dans le divertissement, permet l’opportunité de connaître énormément, mais il banalise aussi le truc, et il fait que ça donne l’impression de se qui se passe pour quelqu’un d’autre, l’impression de quelque chose qui n’est pas réel.

DLU Si les informations sont le divertissement, pensez-vous que c’est encore plus essentiel pour l’art, le cinéma et la littérature d’aborder la réalité de ce qui se passe ?

Je pense, parfois, que oui. Par exemple, Steven Spielberg a fait une chose vraiment intéressante dans La liste de Schindler, où il y avait cette petite fille en rouge tandis que tous les autres étaient en noir et blanc. Tout à coup vous vous rendez compte qu’il y a une personne, un personnage que je veux suivre. Vous pouvez l’isoler et alors, soudainement, l’horrible atrocité semble plus personnelle.

Je pense que ce que la fiction peut souvent faire est d’obtenir plus émotionnellement la vérité en rendant quelque chose plus dramatique, donc vous ne pouvez pas zapper, donc vous devenez vraiment impliqué personnellement dans un ou des personnages, et vous commencez à sentir que ce sont des personnes que vous connaissez, au lieu de penser que ce que vous voyez est arrivé à des gens d’un pays lointain, il y a longtemps, où vous n’irez jamais.

DLU Vous a écrit le premier projet du scénario pour Men with guns en espagnol.

En très mauvais espagnol.

DLU Quel effet cela fait-il d’écrire dans une langue qui n’est pas la votre ?

Ce film va être sous-titré partout dans le monde, parce qu’il y a cinq ou six langues très différentes. Même au Mexique, où il a été tourné, il sera sous-titré. Ayant vu beaucoup de films sous-titrés, la chose qui me dérange le plus est quand je sens rater ce que les personnages disent vraiment, quand les sous-titres ont été résumés en quelque chose de très simple. Ainsi plus qu’avoir écrit le premier projet en espagnol, j’ai écrit tous les projets en sous-titres. J’étais très conscient de la brièveté de ce que les personnes ont dit, de la simplicité de ce qu’elles ont dit, de ne pas avoir la conversation des personnes en même temps que nous puissions avoir les sous-titres corrects.

DLU Ainsi pas vraiment de longs propos.

Eh bien, s’il y a de longues paroles, il y a assez de pauses et elles sont composées au plus court, de phrases non-complexes. Vraiment, par rapport à ça mes dialogues habituels sont un peu plus indirects, beaucoup plus baroques et complexes, et un peu plus métaphoriques. Très souvent, je pense, la parole est utilisée comme la musique; ça n’est pas important ce qu’ils racontent, mais comment ils le disent, ou même ils parlent de tout ça. Mais dans ce film, c’est très direct. C’est presque comme un catéchisme catholique. Le docteur Fuentes pose les questions et très souvent il a une réponse – en général pas celle qu’il veut entendre. Il doit travailler dur pour avoir la réponse, parce qu’il ne comprend pas comme une personne locale. 

DLU Comment avez-vous procédé avec les dialectes indiens ?

Pour les dialectes indiens, nous leur avons donné le dialogue en espagnol et leur avons demandé de traduire, et ensuite de les pratiquer par leurs amis et parents, oralement. Damian Delgado parle le Nahuatl- qui est une langue aztèque – mais pas souvent; c’est vraiment la langue de ses parents. Ainsi quand il a traduit les lignes de Domingo en Nahuatl, nous lui avons demandé de les présenter à ses parents et je devais juste prendre leur parole pour cela. Émotionnellement, ça a certainement été joué de la manière que j’ai voulu. Comme quand les types de San Cristobal font la scène à propos de s’ils vont se sacrifier pour leur village, toute l’émotion était là.

DLU c’est une des scènes les plus puissantes dans le film. Vous ne vous rendez pas compte qu’ils parlent en réalité de leur propre sacrifice jusqu’à …

Le type finalement dit : « Et moi, Moisés Ibarra » et vous réalisez, »Attend une minute.« 

DLU Donc vous avez tourné cette scène sans savoir, exactement, ce qui était dit ?

Je disais aux acteurs, vous devez me dire si vous faites une erreur. Et de temps en temps ils le faisaient. Mais en général, c’était excellent. Par exemple, au début du film, la femme parle à la petite fille en Kuna, qui est une langue indienne Panaméenne d’une petite île qui n’a jamais été conformément sous l’autorité espagnole. Elle semble presque comme une langue polynésienne. Mais la petite fille a dû apprendre le Kuna phonétiquement de la femme qui joue sa mère. Alors la femme, qui était un très bon professeur, a dit « Maintenant commence à te rappeler ce que tu dis. Ne prononce pas juste les mots après moi ! » Donc la petite fille avait en réalité peu de ressenti et d’inflexion dans ce qu’elle disait, mais elle parlait une langue étrangère.

DLU S’il n’y a rien d’autre, toutes ces langues font de Men with guns un effort plus collaboratif que nombreux autres de vos projets. Comment cela se différenciait de votre manière habituelle de travailler ?

J’avais juste une paire de personnes en plus pour discuter après chaque prise, celles qui se concentraient sur les accents et les erreurs. Parfois je corrigeais si quelqu’un loupait une ligne, mais parfois pas. Je regardais l’émotion et si les personnages accrochaient l’un à l’autre. Cela, vraiment, était une bonne manière de fonctionner, avec quelqu’un d’autre observant les autres détails. Si quelqu’un saute une ligne, d’habitude je l’entends tout de suite parce que je l’ai écrit. C’est dans ma tête. S’ils oublient un mot ou transposent quelque chose, ou la paraphrase un peu, je dis d’habitude : « Il y a une raison à ce que ce soit écrit de cette façon.« 

DLU Etait-ce un défi particulier de diriger dans une langue que vous ne parlez pas principalement ? En termes de communication avec les acteurs ou d’explication d’idées ?

Non. j’ai à peu près travaillé  en espagnol avec tout le monde, à part pour le directeur de la photographie, qui est polonais. L’anglais est peut-être sa cinquième langue. Il ne parle pas même l’espagnol, donc je parlais l’anglais avec lui.

DLU Une des choses les plus agréables, en terme de texture, du film c’est la langue kaléidoscopique. Ça me dérangeait toujours, enfant, de regarder des films où les Nazis parlaient en anglais avec des accents allemands.

Gorky Park était un de mes favoris, où tous les russes étaient britanniques à part William Hurt. Il devait être un Américain. Mais c’est une chose dure à faire. Les sous-titres sont très ardus à lire pour quelques personnes. Ainsi économiquement, c’est une décision difficile pour un film à gros budget. Voici un film qui coûte 2,5 millions de dollars et nous le pensons comme un film mondial. Les États-Unis sont seulement un des marchés – un bon marché, mais seulement un des marchés pour ce film. Je dirais que le seul moment où la langue nous a vraiment nécessité de prendre du temps supplémentaire c’était quand nous travaillions dans une zone où la plupart des figurants ne parlaient pas l’espagnol. Je fournissais des informations à l’interprète tandis que nous regardions les dépenses supplémentaires, leur racontant l’histoire, leur disant ce que nous voulions qu’ils fassent, pour l’action de fond ou quoi que ce soit d’autre. L’interprète l’interprétait dans n’importe quelle langue qu’ils parlaient. 

(…)

DLU Dans Men with guns, il semble que sont non seulement vous assumez le politique sur une culture, mais sa langue artistique, aussi. Il y a un élément dans ce film de réalisme magique – certainement au niveau de la femme indienne et sa fille, qui sont dans et hors du film, comme une sorte de chœur. Dans quelle mesure c’était intentionnel et quel était votre but en mêlant la fantaisie et la réalité de cette façon ?

J’étais intéressé par des cultures différentes et des façons différentes de regarder le monde, et quand elles se rencontrent, les difficultés extrêmes pour les comprendre et avoir une interaction positive. Comme l’histoire de l’aumônier Portillo et le village qui se sacrifie lui-même. Il part en fuyant et cela le hante, mais il manque l’essentiel sur un certain point, qui est qu’il n’est pas un lâche par la fuite, mais que sa foi est une sorte de foi très différente de la leur. Bien que les villageois aient pris les attributs extérieurs du Christianisme, ils ont encore l’ancienne religion du temps qu’ils avaient avant que les Chrétiens ne soient venus, et cette religion est liée à la terre. Ce n’est pas transportable. Et la religion de l’Aumônier Portillo, d’autre part – il pourrait être un bon Catholique dans une cabine téléphonique, dans un avion, au Guatemala, en France, à Madrid. S’il fait ce qu’un bon Catholique est censé faire, il est un bon Catholique. Mais eux, leur lien religieux est à la terre. Ils ne peuvent pas être des bonnes personnes de leur religion s’ils sont loin de leur terre. Ces éléments physiques composent leurs croyances religieuses, leurs dieux et leurs ancêtres sont liés à cette terre, ils sont enterrés dans cette terre. Et s’ils la perdaient, ils auront perdu leur passé et leur avenir. Si l’Aumônier Portillo s’éloigne de ce village, c’est juste parce qu’il n’est pas supposé se faire tuer et être un martyr si ce n’est pour rien. La terre n’est pas importante : Dieu est important. Mais Dieu et la terre sont inséparables à ces gens. Ainsi avec le réalisme magique de la mère et de la fille au début du film, une des choses que j’ai voulu avoir là est que c’est une façon différente de voir le monde – ce n’est pas nécessairement pratique. Voici une femme qui peut dire qu’il y a un docteur qui arrive, qui peut dire qu’il va rester, mais elle ne peut pas prévoir une mine à trois pieds devant elle.

DLU Ou prévoit même la raison qui fait que le docteur va rester …

C’est parce qu’il est sur le point de mourir. Mais oui, il y a une vie spirituelle qu’elle a que les autres personnes n’ont pas vraiment ; que les occidentaux n’ont pas, que l’homme de science – comme il s’appelle lui-même – qui croit au progrès n’a pas. J’ai voulu ainsi avoir les deux faces de cette équation. Oui, le docteur est volontairement ignorant. Mais les personnes dans ces villages sont aussi volontairement ignorantes. Il y a ce prix que vous payez pour garder votre culture intacte, pour l’empêcher d’être diluée. Il y a des villages dans le Chiapas où vous ne pouvez pas prendre une photo, où s’ils vous voient avec un appareil photo, vous êtes chassés de là. Où oui, ils font entrer le prêtre catholique deux fois par an, mais alors ils le sortent avant les couchers de soleil. Les prêtres peuvent faire deux ou trois mariages et naissances, et bien que les gens soient catholiques, ils n’aiment pas trop les prêtres traînant autour. Ils gardent leur culture très, très pure. Ils ne tolèrent pas les gens qui parlent l’anglais, ou les gens qui s’habillent dans des vêtements Occidentaux. Regardez les Amish. Regardez les Juifs Hassidiques. Mais le prix que vous payez pour cet isolement est que vous n’avez pas de puissance dans le monde plus global. Quand ils viennent et disent : « Nous avons un morceau de papier ici qui dit que nous possédons la terre » vous ne pouvez pas lire leur langue. Et si vous apprenez vraiment la langue, alors vous êtes frappé d’ostracisme de votre propre groupe et ils n’ont plus confiance.

DLU Vous faites remarquer dans le film que l’expérience initiale du docteur sur les personnes indiennes c’est comme sur les personnes militaires et comme sur les personnes dans la rue.

La première séquence du film c’est un blanc qui est à totalement chez lui dans une ville moderne en verre et plastique, et ensuite il y a ces Indiens assis sur un trottoir faisant la manche qui sont totalement perdus.

DLU La section de la ville où ils habitent est appelée Los Perdidos.

Ouais. Les gens perdus. Mais dans le dernier plan du film le docteur est assis sur le sol dans un lieu où il est totalement perdu et où il ne pourrait jamais survivre, où les Indiens sont ceux qui sont à l’aise et à la maison.

DLU Il y a un élément allégorique dans les personnages que vous rassemblez dans ce film. Vous avez le docteur, le soldat, le prêtre.

Au début du film la femme indienne raconte une histoire. C’est une histoire mystique aussi bien qu’une histoire pragmatique. Et oui, elle devient un personnage dans l’histoire et sa fille devient un personnage aussi. Mais c’est une histoire qui  comme elle la raconte est presque magique : Il était une fois un docteur.

DLU C’est presque comme Le magicien d’Oz. Le docteur prend des personnes en chemin. Comme Tin man, l’Epouvantail …

Mais eux n’obtiennent pas tous ce qu’ils veulent.

DLU Peut-être. Cependant, il y a un mécanisme par lequel ils sont tous rachetés. Le prêtre est racheté en sauvant les autres, ce qui l’absout d’avoir abandonné le village. Et le docteur, il est racheté aussi, même c’est d’une petite manière, provisoire.

Il ne le sait pas, cependant.

DLU Non.

Je pense le petit garçon, même si à la prochaine chose qui crame, même si … Si les guérilleros viennent, il va dire, puis-je venir avec vous ? Si l’armée passe, il va dire, puis-je venir avec vous ? Si quelqu’un dit je vais à la civilisation parce que j’ai faim, il dit : je viens  avec vous. Il aime que Cerca de Cielo existe. C’est un enfant avec une histoire – mais il ne va pas traîner là s’il ne peut pas manger. Une personne pour qui Cerca de Cielo est vraiment un paradis est Graciela. Parce qu’elle a probablement vécu dans un lieu qui n’était pas beaucoup plus riche ou mieux loti que celui-ci et son village a été détruit.

DLU Au moins elle est loin de l’armée.

C’est ça. Tout ce qu’elle voulait vraiment c’était un endroit où il n’y a aucun homme avec des armes à feu, et elle l’a trouvé. Et elle est celle qui sourit à la fin. Domingo est méprisant : « Il doit avoir un autre endroit plus haut qui est meilleur » et le petit garçon continue à dire, « C’est là où les hommes mangent le ciel et chient des nuages ! » Mais elle, c’est la seule qui peut vraiment respirer et son mal de ventre est parti.

DLU Au cours de votre carrière, depuis Pride of the bimbos jusqu’à Men with guns, vous avez écrit à propos de choses au-delà votre propre expérience. Pourquoi ?

C’est une chose philosophique de base, qui est que, pour moi, la communication devrait relever de la compréhension, pas de la territorialité. Dès l’instant que vous dites je suis d’une région ou d’un quartier, et que je vais connaître des choses qu’un étranger ne va jamais pouvoir connaître et comprendre, ensuite à quoi ça sert ? Si vous n’êtes pas qualifiés pour écrire de ça, qu’est ce qui vous fait penser que vous êtes qualifiés pour l’observer et le comprendre ? Si vous êtes qualifiés pour l’observer et le comprendre, vous êtes capables d’écrire sur ça. Ce n’est pas un grand saut de regarder vers une autre culture et dire « Voici ce que je comprends, voici les choses qui sont communes à tout le monde ».

DLU Un appel universel.

Ouais. Je ne dis pas qu’il est facile de faire ce genre de chose, vous devez vraiment prêter attention. Mais nous allons dire qu’aucune sorte de compréhension n’est possible, alors que quelqu’un écrivant sur une culture qui n’est pas nécessairement la sienne est possible. Dans le cas contraire, vous commencez à confiner et à dire les noirs ne peuvent pas écrire des blancs et les blancs ne peuvent pas écrire des noirs, et les hommes ne peuvent pas écrire des  femmes et les femmes ne peuvent pas écrire des hommes. Bien, pourquoi un vieux de 30 ans pourrait écrire d’un vieux de 40 ans ? Ou d’un vieux de 20 ans juste parce qu’il les a eu une fois ? Certainement, il y a l’impérialisme culturel parmi les auteurs, ce n’est pas juste les entreprises. Vous devez toujours en être conscients. À travers quels yeux suis-je en train de voir ? Et qui est mon public ? J’estime que j’ai une responsabilité de ne pas être juste un auteur de fiction, mais aussi un journaliste. Et un bon journaliste cite bien les gens. Nous mettons toujours en route le dernier projet par le biais de la population locale et disons « Dites-nous les détails. Nous pouvons avoir des choses générales, mais comment attrapez-vous un poisson-chat ? » Et ils disent, « Eh bien, vous ne pouvez pas attraper un poisson-chat par ici en août ! » Donc vous changez le fait du poisson-chat, ou vous changez le mois où vous les attrapez. Vous changez ces détails autant que vous pouvez pour essayer d’être au plus proche de la réalité, et ça pourrait être quelque chose qui semble très petit, mais quelqu’un dit «  Dans notre culture, vous ne diriez juste pas ça ! « 

DLU Votre travail n’a jamais été commercial, exactement, mais avec Men with guns vous prenez vraiment un risque. Qu’en est-il des aspects sans but lucratif de ce film ? Vous attendez-vous à ce que ce soit une vente difficile ?

Tous nos films ont eu une vente difficile, en un sens. Généralement, nos films marchent par le bouche à oreille. La statistique est quelque chose comme un pour cent d’américains allant au cinéma regarde des films sous-titrés chaque année, et je dirais probablement qu’entre cinq et dix pour cent allant au cinéma voient des films indépendants. Donc je ne pense pas que nous avons fait quelque chose que notre public principal, qui continue à être des gens enclins à aller regarder quelque chose qu’ils ont entendu être un film intéressant, n’achètera pas.  Les gens pourraient le rattraper par la vidéo; cela a été vrai de tous nos films. Je pense que celui-ci a probablement moins de chances de franchir la diffusion que Lone Star avait atteint, où il avait en réalité commencé à obtenir quelques dates de diffusion dans des centres commerciaux et des grandes salles. Mais encore une fois Men with guns est un film à 2,5 millions de dollars et si vous pensez aux États-Unis comme un des marchés pour ça, tant que vous ne commencez pas à acheter à la grande T.V des publicités, vous avez une bonne chance en fait d’avoir votre remboursement. Et de pouvoir le distribuer dans le monde. »

Sunshine state – John Sayles (2002) // Treme (série TV)

« Mais je fais bien sentir, comme dans LimboLone star et Sunshine state, qu’il y a un lieu très spécifique et vous pouvez extrapoler de ce lieu très spécifique, et voir ce qui arrive à un autre lieu très spécifique; alors vous pouvez avoir cette impression : cela arrive où je vis, ou le comportement humain est quelque chose que je peux reconnaître. L’allégorie signifie juste que cela signifie pour quelque chose de plus grand. La fable signifie que les personnages sont davantage des archétypes. S’ils signifient pour quelque chose d’autre, ils sont aussi une personne, qui est unique et qui vient d’un lieu spécifique ». John Sayles

EXTRAITS – Sunshine state – John Sayles – 2002 – 125 mn – USA

« La Floride, The Sunshine State, attire tous ceux qui cherchent le soleil. Plantation Island, une petite île jusque-là préservée, est la proie de promoteurs immobiliers qui veulent en faire un endroit de villégiature pour gens aisés. Marly y gère un modeste motel. Coincée entre sa vie de famille étouffante et l’échec de son mariage, elle a bien envie de le céder à un investisseur qui veut bâtir un centre commercial. Le nouvel homme de sa vie, Jack, s’est d’ailleurs rendu sur place pour procéder à la transformation de l’île. A quelques kilomètres de là, Desiree est de retour après de longues années. Chassée parce qu’elle était tombée enceinte alors qu’elle n’avait que quinze ans, elle est aujourd’hui mariée. Elle découvre que sa petite ville natale est aussi la cible des bétonneurs. Chacune à leur façon, ces deux femmes vont lutter contre ce qui menace leur univers et leurs racines. »

Extrait de début de film – Promoteur : « la nature en laisse ! » :

Sous-titré :

 

Une fois de plus, comme pour Matewan (ICI) et surtout Lone star (ICI), John Sayles creuse des personnages échappant au survol caricatural, et en relation étroite avec les thématiques du film très travaillées, chargées en complexité et nuances, sans perdre le point de vue (très) critique. De manière générale, le film s’attaque aux changements en cours contaminant les lieux, ainsi le type d’opérations urbanistiques qui se développent via les entreprises et la mise en place de monopoles. En filigrane, sont déclinées la culture managée par le capitalisme, la folklorisation de l’Histoire (ici les pirates boucaniers par exemple, en tant que cliché), la relégation de la mémoire vivante en ghetto, l’expulsion (déguisée) des habitants … et, par ce biais, une certaine homogénéisation des lieux qui ne portent plus rien de leur histoire et de leur mémoire véritables, dans leur diversité. Le film constitue ainsi une grosse réflexion sur la métamorphose du lieu et sa contamination par la modernité entrepreneuriale, notamment dans ses développements touristiques. Les personnages, en fin de compte, par leur intéraction avec le lieu (et ça qui est superbement traité je trouve !), ont une certaine forme d’emprise de ce qu’il devient (ou pas). Sur ce dernier point, est questionné une fois de plus le rapport des personnages avec le passé (familial, historique etc) tout en questionnant les choix individuels vis à vis de celui-ci. Un tableau encore une fois très riche par la diversité des personnages,y compris d’une même communauté et aux choix différents (ainsi les deux afro-américains justifiant des orientations différentes dans leur manière d’impacter sur le lieu : l’un dans une forme d’acceptation-collaboration du devenir entreprise, l’autre en résistance). Le final est par ailleurs tout à fait réussi et lourd de sens … mais je ne spoile pas.  En ce qui me concerne, une claque finale semblable à Lone star, en quelque sorte. Ah, et puis précision intéressante pour les fans de la série Les Sopranos, dont je suis, nous retrouvons dans le film l’actrice Edie Falco !!

Extrait 2 (VOSTFR) :

 

D’une certaine manière, sans vouloir pousser dans la comparaison, je songe à la série T.V américaine Treme de David Simon, l’auteur de The Wire. La série décline une grande diversité de personnages, approfondis et finalement constituant l’élément moteur de la série. Là aussi sont posés les rapports à l’Histoire et la mémoire et la culture et au lieu, tandis qu’il est régulièrement question d’institutions et de business rongeant les réalités historiques et les individus. Il est question également de nombreuses communautés, ainsi que de diverses classes sociales, soit une similitude des univers de Sayles, où est décliné un collectif dans sa diversité. L’importance des personnages comme élément central, sans véritable « action », de dynamique événementielle, ont semble-t-il causé énormément de « tort » à la série en terme d’audimat et de succès populaire. Là encore, on pourrait songer à la filmographie de Sayles qui ne relève pas du succès de divertissement, et dont la sobriété, y compris dans des sujets comme Matewan, contribue à une approche profonde de ses thématiques sans le fard de la cosmétique esthétique et/ou spectaculaire, surtout en ces temps où la catégorie « cinéma indépendant américain » génère de nombreux traitements standardisés. Produits qui malheureusement passent plus facilement l’océan Atlantique pour parvenir sur nos grands écrans, que les réalisations de Sayles… Pour clore quant à Treme, son échec commercial voue la série à s’achever plus rapidement, soit avec une saison ultime réduisant le nombre d’épisodes.

Ci-dessous, trois extraits tirés de Treme qui m’ont particulièrement marqués, précédés d’une citation que je trouve en écho, dans une certaine mesure, au travail de John Sayles, dont le rendu du « melting pot » est très nuancé… et violent, à l’image en tout cas du final de Sunshine State.

« … mais ce qui a marché, c’est l’organisation des citoyens, au jour le jour, à petite échelle. Peu à peu, ils sont revenus dans leurs quartiers détruits, parce qu’ils ne voulaient pas vivre ailleurs et ils se sont cramponnés à leur sens de la communauté, à leurs traditions et à leur passé pour relancer la ville et recomposer son tissu social. (…) Tout ce qui fait la grandeur de cette ville est lié à notre mythologie du melting-pot, à la capacité d’une société à se réinventer en absorbant diverses cultures. A les mélanger pour créer quelque chose de neuf. Pour renaître, La Nouvelle-Orléans s’est appuyée sur sa culture, la musique notamment, mais elle n’en a pas fait un musée, les traditions changent et se transforment, des nouveaux groupes sociaux viennent enrichir le mélange sans que le passé se dérobe pour autant. La Nouvelle-Orléans est bien plus liée à son histoire que ne l’est l’Amérique en général. » David Simon 

 

Maintenant que j’ai pu glissé au moins une fois sur son blog un (modeste) relais de Treme, sans me risquer à une revue écrite de cette série (et de sa précédente The wire), je reviens à John Sayles. Comme pour Lone Star, je me suis exercé à la traduction de larges extraits d’interview de Sayles, sauf que cette fois-ci j’en glisse deux. Bien entendu, il y a quelques approximations de traduction de ma part…

1) Interview avec Anthony Arnove

Sayles et la productrice Maggie Renzi (une collaboratrice régulière de sa filmographie), sont interviwées par Anthony Arnove. Ce dernier a co-écrit, aux côtés d’Howard Zinn (l’auteur d’Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours), Voices of a people’s history of the United States (2004). L’intérêt de Grove pour la réalisation présente, et, sans doute, pour les nombreuses thématiques développées par le cinéma de Sayles, à travers des personnages profonds contribuant à une complexification de l’Histoire, n’est pas une simple coïncidence. Une autre histoire des USA et de ses développements présents est en question …

Interview originale en anglais accessible ICI. 

« Anthony Arnove : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée pour Sunshine state ?

John Sayles : j‘avais commencé à planifier de réaliser un ensemble de films en Floride. J’étais en reconnaissance à la Côte du Golfe de la Floride, cherchant des endroits pour un film basé sur une nouvelle que j’avais écrite il y a quelques années, à propos de chasseurs de trésor. Et je n’ai pas pu trouvé la Floride dont je m’étais souvenu, bien que cela faisait seulement 12 ans depuis le dernier été où j’étais allé là-bas. J’ai été stupéfié de voir combien la Floride avait changé. Le tourisme démodé, de mauvais goût venait de disparaître et avait été remplacé par le tourisme d’entreprise. Toutes les petites villes de la Floride avaient maintenant 7-11s, Dennys, et d’autres chaînes comme ça. L’essentiel de la Côte du Golfe a été couverte de villages d’appartements en copropriété et d’enclaves résidentielles protégées.

J’ai commencé à réfléchir sur ce que ces changements signifient pour une communauté et j’ai commencé à réfléchir à la Floride dont je me rappelais. En cherchant par le biais du guide Lonely Planet pour la Floride, je suis tombé par hasard sur l’histoire de la Plage Américaine sur Amelia Island, au nord de Jacksonville. C’était une plage noire qui a commencé dans les années 1930 et c’était un endroit où les noirs pouvaient sans avoir affaire à la ségrégation. J’avais entendu parlé de la Plage Américaine auparavant et je connaissais des personnes dont les parents et les grands-parents se rendaient là. Donc je l’ai visité et il m’a donné l’impression d’un superbe élément central pour une histoire. Le film raconte un certain nombre d’histoires de personnes, en parallèle et en croisement l’une par rapport à l’autre, un peu comme mon film City hope en quelque sorte. Nous avons travaillé avec des personnes merveilleuses sur ce projet, comprenant Angela Bassett, Edie Falco des Soprano’s, Mary Steenburgen, Miguel Ferrer, Timothy Hutton, et Jane Alexander.

Extrait 3 :

 

Maggie Renzi : Sunshine state est l’histoire de ces deux femmes, chacune d’entre elle fille dans une famille différente, qui refuse de quitter leur communauté. C’est à propos de Mary Steenburgen et sa lutte pour garder la foi, et de son mariage. Les personnages sont immédiatement attachants. Vous avez ce grand ensemble de personnes dans cette collectivité et vous vous souciez d’eux. Vous vous souciez vraiment de si Edie Falco et Tim Hutton resteront ensemble. Votre attachement n’est pas pour l’histoire, mais pour les personnes.

A.A : Voyez-vous le film comme un commentaire sur les changements qui arrivent ailleurs aux États-Unis ?

J.S : Absolument. Parce que la Floride a toujours été au sommet pour les usurpations, beaucoup de choses sont arrivées là en premier. C’est un état avec nombreuses personnes qui viennent d’autres endroits. Donc les racines communautaires ne viennent pas de très profondément dans quelques cas, tandis que dans d’autres cas elles viennent de très loin.
Pour moi, la Floride a toujours représenté le triomphe de publicité, faisant croire aux gens en quelque chose avant même qu’ils ne l’aient vu. La densité de population de Floride était relativement basse jusqu’à ce que des gens aient commencé la publicité immobilière là. Des gens ont acheté des terrains qui n’existaient pas encore. C’était littéralement de l’eau qui a été draguée en utilisant l’argent des personnes envoyé pour acheter des parcelles de terre.

A.A : Faites-vous également un commentaire sur les influences des entreprises dans la culture, avec la concentration importante des grands médias ?

J.S : Bien sûr. Vous voyez davantage d’homogénéisation et d’influence d’entreprise dans chaque activité – particulièrement dans le divertissement. La diversité est défiée par la concentration de ces conglomérats internationaux.

J’ai expérimenté cela comme auteur de roman. Il y a de moins en moins de maisons d’édition où vous pouvez publier votre travail. Les personnes que je connais dans la télévision disent qu’il y a  seulement cinq endroits où vous pouvez maintenant vendre votre travail, et finalement vous travaillez pour Rupert Murdoch. Vous voyez cela aussi avec les médias d’information, où il y a de moins en moins de chaînes de journaux. A la radio, des grosses sociétés ont accaparé d’énormes réseaux. Cette consolidation est connectée à la dérégulation qui est arrivée sous les présidents Reagan et Bush, et qui s’est poursuivie. 

Dans l’industrie cinématographique, le film indépendant existe toujours . Vous avez toujours quelques cinés indés. Mais tout l’argent est fait dans les chaînes de cinémas et les grands studios. C’est peu comme possession trois petits restaurants dans une communauté contre une possession de McDonalds. Mais il est arrivé que des films indés aient fait une percée dans le marché qui a déjà été établi.

A.A : Quelle est ta philosophie de collaboration ?

M.G : Mon travail est de servir la vision de John, de trouver ce qu’il veut et d’essayer que ça arrive. Mais au fil des ans s’est développée une deuxième obligation : rendre l’expérience de travail sur le film la meilleure possible – pour moi, les personnes y travaillant et John. C’est un aspect que tant de personnes, surtout les producteurs, ne prennent pas en compte. S’ils le font, alors je ne comprend pas pourquoi il y a tant d’histoires horribles sur le travail dans l’industrie cinématographique. Ça a été si enrichissant de rencontrer les personnes qui ont travaillé avec nous sur les films au fil des années. Elles parlent si tendrement du travail avec John. 

(…)

A.A : Avez-vous des autres projets qui ont été mis sur l’étagère avec l’espoir de les filmer ?

J.S : En plus du film écossais, j’ai une épopée que j’ai écrite sur l’insurrection des Philippines qui a attendu pendant plusieurs années [ça sera le film Amigo, réalisé en 2010]. L’insurrection des Philippines était le premier Viêtnam américain. C’est arrivé au tournant du siècle, directement après la guerre hispano-américaine. Les Philippins avaient combattu les espagnols pendant de nombreuses années et ensuite les Américains sont entrés en ligne de compte. Dans une bataille presque simulée, les espagnols cédaient aux États-Unis, parce qu’ils avaient peur du peuple philippin, qu’ils avaient abusé et torturé littéralement depuis de nombreuses années. Et les États-Unis ne partaient pas. 

Le film se concentre sur un groupe de soldats américains noirs qui rejoignent l’armée, pensant que ça pourrait aider à faire avancer le sort de leur race. Et pendant qu’ils se battent dans les Philippines, étant appelés « nègre » par leurs commandants et par d’autres soldats, les noirs restés à la maison voient le repositionnement des libertés qui ont été gagnées pendant la période de Reconstruction. La plupart des lois de ségrégation, l’ascension de Jim Crow surviennent dans cette période 1880-1900. Ainsi eux sont censés se battre pour la liberté, et à la maison ils perdent la plupart de leurs droits.

A.A : Craignez-vous que des films comme les vôtres, lesquels sont constitués de scénarios ambiguës et complexes – et souvent politiques -, soient plus difficiles à réaliser dans l’environnement actuel, avec Hollywood faisant flotter consciemment le drapeau ?

J.S : Ceci a toujours été en question. En termes de culture populaire, ce que les films font probablement le mieux est de simplifier les choses, de faire des choses héroïques. Dans les films, si souvent, la réalité est polarisée. Vous avez les bons et les mauvais. Il y avait un court âge d’or de l’ambiguïté dans le film lors des années 1960 et 1970, mais ensuite avec les années 1980, nous avons eu tous ces films dans le moule d’Arnold Schwarzenegger. Le bon n’est pas juste bon, il est surhumain. Le mauvais doit être un archi méchant et il n’y a aucun entre deux. La plupart des studios essayent de deviner ce que les gens veulent voir, et pensent que s’ils font quelques films cocardiers, ils auront du succès. »

 

2) Interview pour Indiewire (originale ICI)

Indiewire : Hier et aujourd’hui, je pense que vous êtes un des rares cinéastes qui traitent des questions de classe en Amérique. Pouvez-vous en parler ?

John Sayles : Les Anglais sont hantés par la classe. Mais aux États-Unis, parce que nous sommes socialement plus mobiles, et que l’argent vous déplace vers le haut de la classe plus rapidement que cela ne se fait en Grande-Bretagne, les gens pensent que ce n’est pas si réel. Cependant, il y a toujours la classe d’une manière énorme, et il lui arrive d’être d’une très grande démarcation. C’est une chose rarement traitée dans les films américains. Il y a ce livre Fear of falling, et sa thèse est que nous voulons tous nous penser comme classe moyenne et rien de plus bas. Il y a cette grande crainte de chute au-dessous et si vous avez peur de tomber, vous êtes très conscients de classes au-dessous de vous. Donc les Américains sont très conscients des classes, ils n’aiment juste pas y penser.

Il est donc rare de trouver des films qui traitent de l’Histoire comme vous le faites.

La chose qui est difficile à propos nos films c’est que la plupart d’entre eux sont dans la simplification. (…) Mais l’histoire est complexe et ce n’est pas noir et blanc. Il est difficile de trouver une situation où il y a juste des bons et des mauvais. Habituellement, quand l’Histoire est utilisée dans les films américains, ça ressemble à The Patriot [film de Mel Gibson].

(…)

Pouvez-vous parler de ce thème récurrent dans votre travail, de Secaucus 7 à Sunshine state, des personnages qui ont essentiellement eu leurs rêves brisés ?

L’Amérique est un pays basé sur les gagnants et les perdants. Les jeunes enfants dans City hope sont entourés des panneaux publicitaires leur disant qu’ils devraient avoir ces choses, et qu’ils sont un perdant s’ils n’ont pas ces choses. Dans la culture américaine, vous avez là quelqu’un qui est pauvre et qui va être frotté à ça quotidiennement. Qu’est-ce que « Survivor » ? Il y a un gagnant et tous les autres vont être le perdant. Comment vous traitez ça : ce qui ne pourrait même pas sembler être un échec dans une autre culture soit un grand échec ici ?

Il semble que certains de vos films récents se soient trouvés plus allégoriques ou semblables à la fable.

Eh bien, peut-être dans Men with guns parce qu’il n’y a pas de lieu spécifique. Mais je fais bien sentir comme dans Limbo, Lone star et Sunshine state qu’il y a un lieu très spécifique et que vous pouvez extrapoler de ce lieu très spécifique et voir ce qui arrive à un lieu très spécifique et vous pouvez avoir cette impression : cela arrive où je vis, ou le comportement humain est quelque chose que je peux reconnaître. L’allégorie signifie juste que ceci signifie pour quelque chose de plus grand. La fable signifie que les personnages sont plus des archétypes. S’ils signifient pour quelque chose d’autre, ils sont aussi une personne, qui est unique et qui vient d’un lieu spécifique. 

Considérez-vous vos films comme activement politiques ?

Nos films sont politiques en ce qu’ils traitent de comment les gens s’affectent et comment les gouvernements affectent les gens et comment les gens affectent les gouvernements, mais ils ne sont pas idéologiques. Je dirais qu’ils reconnaissent juste qu’il y a de la politique impliquée dans beaucoup de choses. Il y des politiques impliquées dans le sport, cela peut être racial, sexuel ou économique, mais elles sont là , elles sont affectés par l’histoire elles sont changées constamment. » 

Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles (1987)

« À la fin des années soixante, j’ai fait beaucoup d’auto-stop. J’ai traversé les régions minières de la Virginie occidentale et du Kentucky. C’était l’époque où deux dirigeants se disputaient le contrôle du syndicat des mineurs : un vieux bonhomme corrompu, Tony Boyle, et un nouveau venu, Jock Lablonsky. Boyle finit par faire assassiner Lablonsky, sa femme et sa fille. Les mineurs qui me prenaient en stop me parlaient de leur syndicat et se référaient invariablement à une période encore plus sombre, celle du massacre de Matewan. Quand j’ai commencé à faire des recherches pour mon second roman, Union Dues, je suis retombé sur cet épisode, qui m’est apparu révélateur de toute une époque. Les « guerres du charbon », furent vécues à un niveau si personnel que cela m’a donné l’idée de faire un film sur les événements de Matewan, qui puisse enfin décrire de manière accessible et émouvante les éléments et principes à la base de ce que l’Amérique est devenue et de ce qu’elle aurait dû être : l’individualisme contre le collectivisme, l’héritage personnel et politique du racisme, l’utopie de l’immigrant se heurtant à une dure réalité, le capitalisme de monopole confronté au prolétariat le plus violent, un homme de loi sanglé de deux revolvers, affrontant une poignée de briseurs de grève armés. Que pouvait-on demander de plus à une histoire ? Je me suis dit que ce ferait un bon film : plusieurs protagonistes, leurs antagonistes, et leur confrontation armée, comme dans le western. De la même façon que les éléments de science-fiction [dans Brother] permettaient de révéler un monde où le public ne mettrait jamais les pieds, les similarités avec un western classique permettraient de présenter une page de notre histoire syndicale qui autrement le rebuterait. »  » John Sayles

EXTRAITS – Matewan (La révolte sanglante) – John Sayles – 133 mn – USA

« Le récit des grèves minières de 1920 dans la petite ville de Mingo County, en Virginie. Un chapitre méconnu de l’histoire sociale américaine. »

Bande – annonce :

 

J’ai entamé ces derniers temps un cycle John Sayles dont Lone star (1996) a été évoqué ICI sur le blog. Je précise par ailleurs que la diffusion de la filmographie de Sayles est un peu moins craignos que je ne le pensais puisque par exemple le Festival International du Film d’Amiens 2003 lui a consacré une rétrospective : EN CLIQUANT ICI on a la présentation de tous les films alors projetés ET SURTOUT une introduction du cinéaste pas mal du tout !

En tout cas, dans la présente note, c’est l’occasion à travers Matewan de non seulement poursuivre la petite plongée dans l’oeuvre de Sayles, mais aussi de continuer, dans la foulée de l’actualité Pathé « retrouvée » Ambridge, Pensylvannie (ICI sur blog), sur la thématique du syndicalisme et ses luttes dans les industries aux USA, d’avant seconde guerre mondiale.

Nous retrouvons dans le film Chris Cooper, déjà personnage principal du plus récent Lone Star, et c’est une très agréable surprise que d’y rencontrer également Will Oldham (dit Bonnie Prince Billy), le grand chanteur-compositeur, ici à l’âge de 17 ans et vraiment excellent dans son interprétation de Dany – et j’écris cela sans aucun favoritisme ou aveuglement lié à sa carrière musicale !

Le film, comme le précise la longue citation en intro et tirée d’une interview dont je n’ai pas réellement retrouvée la source exacte, constitue un retour sur un moment important de l’histoire américaine : le départ d’un cycle de « batailles du charbon » opposant syndicats et milices/police dans une grande violence – ainsi la Bataille de Blair Mountain (nom de la Compagnie minière) suivant les événements du présent film… qui n’est QUE le prélude à un chapitre de l’histoire sociale américaine.

Les années 20 et 30 ont bon nombre de luttes, avec quelques victoires et acquis, et beaucoup de répression, tandis que c’est également le visage du syndicalisme qui prend d’autres formes. Et pas que dans les mines, si on songe également aux industries telles que l’automobile et la sidérurgie, où bien qu’encore majoritaire, la fameuse AFL (American Federation of Labor) est concurrencée par des syndicats fédérés à l’IWW créé au début du 20ème siècle (voir le documentaire The Wobblies ICI sur le blog) et au CIO créé en 1935. Un certain corporatisme tend donc à s’effacer dans ces nouvelles expressions du syndicalisme, avec également une forme plus révolutionnaire, tant dans les revendications que dans ses valeurs et fonctionnements par exemple, telle par exemple qu’une ouverture aux noirs proclamée par l’IWW. Il ne faudrait non plus que je caricature ici l’histoire syndicale des USA et sans doute y a t il à nuancer et approfondir, notamment du point de vue des nombreuses grèves des années 30 touchant de nombreux lieux de travail industriel. Bref, pour cette contextualisation, je renvoie donc à un récit de grève de 1927 (soit une décennie où se déroule Matewan !) qui a été traduit ICI par un collectif anarchiste de Caen; un récit qui permet de bien situer la période en  plus de rendre compte de la violence sociale alors présente, notamment par la répression s’abattant sur les grévistes.

Au demeurant, Matewan ne laisse rien au hasard, et Sayles ne trahit pas l’époque de l’histoire (euh, pas inventée dans ses grandes lignes !). Ainsi par exemple l’allusion à l’IWW où on apprend que des mineurs y ont été syndiqués;  affirmant qu’ « [il]était un grand syndicat« , on peut en déduire du caractère passé qu’il y a alors une certaine forme de répression en amont (et c’était effectivement le cas). Mieux, on pourrait supposer que la volonté constante de Joe de rassembler tous les travailleurs par delà les critères de nationalité et de couleur soit due, en partie, à son expérience IWW où l’unité prévalait à toute exclusion basée sur de tels critères, afin de favoriser un syndicalisme unitaire de masse tout en privilégiant une forme de démocratie directe et égalitaire. La place des femmes n’est pas abordée ici, mais cet aspect est évoqué dans Le sel de la terre de Herbert Biberman (1953) ou encore dans le décidément indispensable Harlan County (1976) de Barbara Kopple.

L’aspect documenté du film est également du, bien entendu, à des faits avérés et notamment cette séquence finale de fusillade entreprise par les mineurs locaux, soit « le massacre de Matewan » : un fameux instant « western » du film, mais qui n’est pas tourné en mode très spectaculaire, gardant une ligne relativement sobre, même si bon, ça démarre quand même très fort !

Les intentions de Sayles sont homogènes dans le film, avec un bon équilibre quant à l’éclairage historique, sans traitement spectacle ou pathos, et sans non plus des personnages caricaturaux ! Comme pour Lone star, j’ai trouvé les personnages bien travaillés dans leur rapport à la problématique historique et sociale. Cela contraste aussi, pour le milieu syndical et mineur en lutte, y compris dans ses dimensions humaines, d’une vision que peut en donner un livre comme Germinal de Zola (par ailleurs adapté en film-succès avec ses « stars » du cinéma français) où « Les grévistes en marche évoquent pour lui « la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour mordre (…), la même cohue effroyable de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes ». Le comble est atteint quand il montre les femmes « toutes sanglantes dans le reflet d’incendie, suantes et échevelées de cette cuisine de sabbat » ou encore « agitées d’une fureur meurtrière, les dents et les ongles dehors, aboyant comme des chiennes ». Ces images sont celles de l’opposant farouche à la « Commune » quinze ans plus tôt ; de celui pour qui les barbares furent ceux qui détruisirent la colonne Vendôme et les Tuileries, et non ceux qui massacrèrent plus de 30 000 communards. Pour celui que les Alpes séparaient de Maurice Barrès (ce qui nous le rendrait plutôt sympathique), le bon ouvrier reste le Versaillais qu’il nous décrit dans « La Débâcle » : « La calme figure de paysan illettré, son respect de la propriété et son besoin d’ordre, le paysan sage désireux de paix pour que l’on recommençât à travailler, à gagner, l’âme même de la France, la vieille raison française, l’épargne, le travail ». (…) Par contre, il y eut un Broutchoux et d’autres qui luttèrent pour un syndicalisme réellement révolutionnaire.. » (Joao-Manuel Gama, pour la BD Broutchoux dans une « note insérée par les éditeurs dans la ré-edition de 1993 à l’occasion de la sortie du film Germinal », ICI en bas de la page )

Matewan ne joue pas ici sur une violence-spectacle, ni sur un certain registre barbare qui posséderaient – intrinsèquement – les mineurs en lutte et le peuple « d’en bas ». La question de la violence est posée à multiples reprises, en prise avec la réflexion syndicale émergente (l’unité, la grève générale…), en réaction à une violence qui découle de  la compagnie minière (conditions de travail, contrôle, expulsions…) et ses bras armés (milice privée). Pour la milice privée, d’ailleurs, il s’agit d’une milice avérée historiquement : les Baldwin felts, qui s’est distinguée notamment en 1913-1914 lors d’une grande grève menée par l’UNWA contre les trois principales compagnies minières du Colorado, durant laquelle la dite milice a tué une vingtaine de personnes dont onze enfants. Ce fut le massacre de Ludlow, en 1914. Cette milice reste très active, notamment en Virginie de l’Ouest, et c’est elle qu’on retrouve enrôlée dans la ville de Matewan. C’est donc la figure du « Vigilante man » qui est également traitée dans le film, chantée par Guthrie et abordée ICI sur le blog.

Ludlow massacre – Woody Guthrie

Petit retour de 1O mn sur le massacre de Ludlow :

 

Je glisse ci-dessous un extrait de 5mn d’une interview (en VO) avec John Sayles où il parle de Matewan. Il y évoque la nouvelle Bataille de Black Mountain qui se déroule de nos jours (voir ICI un article du Monde), ainsi que la milice Baldwin-Felts   :

Pour ce qui est de la Bataille de Blair Mountain de 1921, et qui suit donc le Massacre de Matewan, voici des extraits d’un documentaire  :

 

Je pourrai évoquer également la figure du traître dans Matewan, qui n’est pas (seulement) de l’ordre de la distraction et du rebondissement narratif; c’est quelque chose qui touche effectivement les syndicats, de plus en plus, dans les années 20-30, et ça n’est pas sans conséquence, vraisemblablement, sur la manière dont vont se lancer certaines grèves et sit-in en 1937 dans l’industrie automobile (General Motors plus précisément), soit en relative indépendance vis à vis des grands syndicats, de plus en plus surveillés et espionnés de l’intérieur, tandis que des accointances avec les (supposés) ennemis ne sont pas rares.

Je termine cette note par la bande originale du film : comme pour d’autres films axés sur la thématique des mines et luttes ouvrières, le chant et ses appropriations collectives, tout comme ses résonances avec la mémoire et les luttes ouvrières, a sa grande importance. Ici, Sayles a privilégié nettement l’artiste folk Hazel Dickens (et déjà vue dans le documentaire Harlan County de Barabara Kopple !). Née dans une famille de mineurs de l’Ouest de la Virginie (où se déroule le film), elle a développé, entre autres, un répertoire en lien avec les mines et les luttes, tout comme féministe. Les morceaux ainsi insérés dans Matewan sont particulièrement en phase avec le film. Ils relèvent également d’un certain genre musical traditionnellement associé à des thématiques générées par le film et, bien sûr, la voix de Dickens très particulière en ajoute une dimension frissonnante. Mais attention, les chants ne sont pas une simple superposition à l’image, car ils sont parfois diégétisés, ainsi la superbe séquence des funérailles par exemple (Hills of Galilee) :

 

L’ouverture du film, après le générique, reprend un grand morceau d’Hazel Dickens écrit dans les années 50, et intitulé « Fire in the hole » : « le feu dans le trou ». Soit une expression du monde de la mine (qu’elle a connu depuis petite en vivant avec des mineurs), et dont un petit historique est retracé ICI.

« Fire in the hole » – Hazel Dickens

« You can tell them in the country, tell them in the town
Miners down in Mingo laid their shovels down
we won’t pull another pillar, load another ton 
or lift another finger until the union we have won

Stand up boys, let the bosses know
Turn your buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

Daddy died a miner and grandpa he did too,
I’ll bet this coal will kill me before my working days is through
And a hole this dark and dirty an early grave I find
And I plan to make a union for the ones I leave behind

Stand up boys, let the bosses know
Turn you buckets over, turn your lanterns low
There’s fire in our hearts and fire in our soul
but there ain’t gonna be no fire in the hole

There ain’t gonna be no fire in the hole »

 

« Noi vogliamo l’uguaglianza »

Chant de lutte italien, qui dans le film a sa fonction internationaliste tout en mettant en valeur la rencontre des immigrations. Il est d’ailleurs une scène où la musique marque le point de rencontre des trois populations, tandis que les afro-américains et les italiens sont au départ exclus de la démarche syndicale et ne sont perçus que comme des brise-grève : celle où la musique rassemble deux musiciens blancs et un italien, puis un noir. L’idée, ici, est de composer ensemble. Sayles a repris cette thématique dans Lone star.

 

Et de nouveau Hills of Galilee, en meilleure qualité sonore :

Lone Star – John Sayles (1996)

Lone star – John Sayles – 130 mn – 1996 – USA

« Dans une petite ville texane proche de la frontière avec le Mexique, on retrouve l’étoile et les ossements du shérif Charlie Wade mystérieusement disparu plus de 30 ans plus tôt. Il a été assassiné par balles. C’est l’occasion pour le shérif Sam Deeds de se replonger dans le passé de la ville, et le sien : son père Buddy Deeds était proche de Charlie Wade. À cette trame sont liées diverses intrigues secondaires, impliquant par exemple le nouveau commandant noir de la base militaire et son fils. L’ensemble dessine une histoire des relations entre les différentes communautés de la ville et de leur rapport à la frontière si proche. »

Bande – annonce (VO) :

Ne pas s’étonner de la qualité médiocre de la bande – annonce, c’est à peu près le seul lien video que nous trouvons quant à ce film de John Sayles; d’ailleurs TOUS les films de ce dernier sont quasi absents de la diffusion en France (DVD, internet etc), tandis que ses sorties en salles y sont (très) rares… et discrètes.  Pourtant, sur internet ou ailleurs, on lira ou entendra à propos de Sayles qu’il est « le père du cinéma indépendant américain ». En l’occurrence je me méfie des ces formules, et puis combien de pères compte alors ce cinéma indépendant, si j’en crois la répétition d’une telle formule pour d’autres cinéastes. Une mauvaise habitude qui en ajoute un peu plus à la méconnaissance en France, ou plutôt à l’inaccessibilité, du cinéma indépendant américain, en dehors des « perles » qu’on nous assomme de temps à autre, sans oublier d’y joindre dans la publici… ,euh dans la critique, des accroches comme « le nouveau bijou du cinéma indépendant américain » ou « la dernière perle du cinéma indépendant américain ». Bon, sur ce dernier point ce n’est pas propre à la France (et à l’Europe) et sans doute qu’un retour au livre de Peter Biskind serait judicieux (Sexe, Mensonges et Hollywood, 2006); histoire d’y saisir au moins comment et pourquoi de tels accompagnements publicitaires autour du « film indé », en plus de ses tendances superficielles, comment il perd indépendance d’esprit au profit des dollars escomptés, et tandis qu’il faille continuer de lui flatter l’état d’esprit « subversif » et « libre » de sa création.  Une critique dit que le livre de Biskind distingue la cinéphilie française (analyse critique) de la cinéphilie américaine (dollars) : l’énormité de la chose m’a beaucoup fait rire, comme si en France nous n’avions pas nos propres réseaux de copinage-fric (avec la prétention artistique,-ou de contestation-, les moyens étant aussi, euh, un peu dérisoires) pour faire avaler de nouveaux grands auteurs (parfois subversifs) et alimenter une production aussi ennuyeuse et médiocre que pénible (et surtout pas véritablement engagée-critique-réflexive), à monnayer à l’entrée de la salle ?

Bref, plutôt que de lancer des formules toutes faites de cinéma « indépendant » et  « sans tabou » (tiens, en vlà un ICI de grand tabou évoqué par le cinéma indépendant américain) et tout le tralala, revenons en à l’un de ses auteurs qui perdure et persiste,  parmi d’autres comme Solondz ou Tzwigoff. Le cinéma indépendant américain est ainsi plus sympa à « visiter » que de se vautrer sur les trouvailles médiatiques et critiques qu’on nous tend de temps à autre (sans remettre en cause ici tout film indépendant qui nous parvient par la sphère médiatique – c’est le type de réception travaillé en amont qui me dérange, avec un conditionnement critique et publicitaire).

John Sayles, donc, réalise des films depuis les années 80 (et il plutôt épargné par l’industrie indépendante telle que la dessine Peter Biskind). C’est une bonne occasion, à travers Lone star, de se mesurer une première fois à son cinéma. Ce fut d’ailleurs un des rares films projetés en France à sa sortie, et ceci explique peut être sa présence EN ENTIER (et en VOSTFR !) sur le site streaming.net (cliquer ICI pour le regarder, et sans oublier la météo, car c’est 2H30 !). Autrement, un rare « papier » en français (internet-ement parlant), est accessible ICI sur les Inrocks.

C’est un film aux thématiques profondément traitées (Histoire et histoire, mémoire, frontière, liberté…), en abordant et la vie collective et la  vie personnelle. Cette articulation est menée de façon assez déroutante parfois, car je trouve qu’elle en met un coup dur au processus collectif (désespérant), et qui est finalement assez évacué par le film (un tantinet caricatural ?). Les personnages sont en revanche très bien travaillés, et c’est d’eux que les réflexions les plus importantes viennent à l’esprit, même quand elles sont en lien avec le collectif. Sayles s’intéresse surtout à l’individu, pris dans l’histoire et confronté aux frontières, dans toutes leurs variantes possibles (géographique, sociale, raciale etc). La deuxième partie de Lone star percute par les changements intervenus. (Sayles manie l’ambivalence, notamment au niveau des perceptions des frontières depuis là où on est) et par les interrogations qui viennent hanter certains personnages quant au cheminement de leurs vies. La séquence finale est d’une grande importance quant aux choix individuels mis dans la perspective d’une certaine forme de liberté, surtout avec ses ultimes plans, aussi brefs que superbes …  Je ne suis pas prêt d’oublier le grand écran final, par ailleurs perçu en amont dans le film.

En guise de comparaison, du moins pour ce qui relève de la frontière, nous pouvons nous rapporter au terrible Los Bastardos d’Amat Escalant, qui se déroule également autour de la frontière mexicano-américaine, et en ciblant sur l’immigration dite clandestine. Sa démarche est une forme de révélation finale, très marquante, de la violence irréversible amenée par le fossé-frontière, touchant les individus et appelée à dévorer la société dans son ensemble. Plutôt que de s’émanciper de la frontière (là aussi pas que géographique et sous tendant d’autres barrières) par le prisme individuel, Escalant y suppose la nécessité d’affronter la frontière (barrière) depuis un angle collectif.  Si son dernier film, présenté à Cannes en 2013, semble s’être attiré quelques foudres pour une violence qui y serait gratuite ou juste provocatrice, en ce qui concerne Los bastardos il est intéressant qu’elle soit la marque du film (certes comment l’oublier ?!) sans que l’on retienne les clivages révélés dans tout le processus menant à l’explosion finale (irréversible). Leçon ? « La violence arrive, toujours et encore plus, parce qu’elle est là sans que vous la voyez ». Voilà peut être l’intention de son dernier opus ?

 

Dans une longue interview accordée en 1996 à la revue américaine Cineaste (ICI), John Sayles revient longuement sur le film et notamment sur ce qui y a trait à la frontière et à l’Histoire/histoire. Je propose donc ci-dessous une  traduction en français des trois quarts de l’entrevue. Non seulement les films de John Sayles sont quasi TOUS inaccessibles en France, mais on peut également constater à quel point les textes et interviews francophones autour de son oeuvre sont assez rares en général (à ma connaissance en tout cas), et inexistant sur la toile. Cela méritait bien un petit effort de traduction, bien qu’approximative, de la présente interview (attention, quelques spoilers sont glissés !) :

« Revue Cineaste : Les frontières – géographique, sociale, ethnique et personnel – sont un thème central de votre film. Dans quelle mesure des films de frontière précédents comme La soif du Mal, Police frontière, ou La ballade de Gregorio Cortez, ont influencé votre approche ?

John Sayles : J’étais très conscient des frontières et la façon dont elles peuvent être géographiques ou superficielles. Dans le film il y a des limites entre les gens, qu’ils choisissent d’honorer ou pas. Cela peut être cette frontière forcée entre le Mexique et les États-Unis, mais aussi une frontière de classe, race, appartenance ethnique, ou même de rang militaire. Il y a une scène importante où le personnage de Joe Morton, un colonel d’armée dit « je veux savoir ce que vous pensez », et la militaire engagée dit « Vraiment ? ». Elle doit dire cela parce que les engagés n’ont pas à dire ce qu’ils pensent aux colonels, à moins d’avoir une dispense spéciale. D’autre part, une fois que vous traversez la frontière, vous pouvez découvrir des choses que vous ne voulez pas connaître. Vous pouvez découvrir que les rues de l’Amérique ne sont pas pavées avec l’or. Vous pouvez découvrir ce que le personnage de Joe Morton découvre, qui est que la militaire n’est pas une engagée enthousiaste et naïve, que cette personne lui disant des choses le font se questionner sur lui-même. Son personnage perd la foi – bien que ce ne soit pas dans l’église, il est dans l’armée – de ce qu’il a fait de sa vie entière.

Quand vous traversez la frontière et entrez dans une sorte de nouveau territoire, vous n’avez pas nécessairement la puissance que vous aviez de votre côté. Quand Sam Deeds passe la frontière, le mexicain lui dit « Vous êtes juste un gringo avec beaucoup de questions, je n’ai pas à vous répondre. Cet insigne ne signifie rien ici. » Je pense que c’est une des raisons qui fait que les gens, vis à vis des frontières peuvent déclarer quelque chose comme : « au Sud de cette ligne, je suis quelqu’un d’important et j’y ai dirigé des choses. » Ou cela peut être aussi littéral que « Ceci est ma terre et si vous y venez  je peux tirer sur vous. »

Beaucoup de l »imagerie du film a été prise du film Alamo [de John Wayne]. Le barman, par exemple, qui dit « Ce bar, c’est le dernier combat, Buddy. » Ou quand Sam va au Mexique, et que le mexicain trace une ligne dans le sable, ça se réfère à un passage célèbre d’Alamo, celui où Travis trace une ligne. Bien sûr, le Mexicain trace la ligne avec une bouteille de Coca Cola, mais c’est toujours une ligne tracée dans le sable. Pendant la Guerre du Golfe, George Bush a utilisé la même image de tracer une ligne dans le sable.

Dans les autres films que vous avez mentionné, je dirais de Police frontière de Tony Richardson qu’il portait davantage sur la drogue et l’identité. C’était aussi un peu plus romantique, avec Jack Nicholson policier à la frontière tombant amoureux de la fille mexicaine qu’il a vue de l’autre côté. (…) Et Lone star n’est pas un thriller. Il implique un mystère autour du meurtre, mais personne n’utilise, jamais, une arme à feu sur le personnage de Chris Cooper, et donc ce n’est pas un thriller de ce point de vue.

La soif du Mal [Orson Welles] a été juste influent dans l’idée de la légende. Le personnage d’Orson Welles est une légende dans son propre temps, mais la première fois que vous le voyez, c’est un personnage monstrueux. Il constitue une sorte de légende qui n’est pas mort à temps, il a traîné et maintenant il va en ruiner l’héritage.  Quant à La ballade de Gregorio Cortez [Robert M. Young], tant le film que la chanson, aussi bien que les corridos [ballades mexicaines] en général, ils ont été importants pour moi. Il y a des douzaines de chansons et beaucoup d’entre elles qui ont un rapport avec des gens qui étaient probablement d’assez mauvais types, mais parce qu’ils ont combattu les rinches, que les gens habitant la frontière appellent les Texas Rangers, ils sont devenus des héros. Vers le début de mes recherches, j’ai lu un livre appelé Avec son pistolet dans la Main

…D’Americo Paredes

Exact. J’ai lu aussi un roman inachevé de lui qui a été publié récemment. Et rien qu’avec le retour et la découverte d’encore plus de corridos, et la lecture de leurs paroles, ils furent très utiles pour moi dans la compréhension de cette longue histoire du conflit à la frontière.

Comment expliquez vous votre intérêt continuel pour les latinos et cultures hispano-américaines ?

Mon sentiment, essentiellement, est que j’ai fait beaucoup de films autour de la culture américaine et, pour moi, ce n’est pas du révisionnisme que d’ inclure la culture mexico-américaine ou la culture afro-américaine ou n’importe laquelle d’autres nombreux groupes différents. Si vous parlez de l’histoire des États-Unis, vous parlez toujours de ces choses, du « get – go ». Comme quand Sam Deeds dit « Ils étaient ici d’abord », et qu’ensuite l’autre type lui rappelle : « Ouais, mais les Indiens d’Amérique étaient là auparavant. » Donc je ne les vois pas comme spéciaux. Pour moi, ils sont juste une partie de l’image, juste une partie de la composition. J’ai vécu en de nombreux lieux aux États-Unis et les fortes chances que tôt ou tard vous allez vivre dans un voisinage où les gens ne parlent pas nécessairement l’anglais, je pense que c’est est une des choses qui fait des États-Unis un endroit intéressant pour vivre. D’où je viens, en fait, c’est à peu près l’opposé de l’idée de Pat Buchanan et de cette monoculture qui est envahie. La culture anglophone est juste une culture parmi de nombreuses autres. C’est devenu la culture dominante ou une sous-culture dans certaines zones, mais une sous-culture comme toutes les autres. La culture américaine n’est pas monolingue ou monoraciale. Ça a toujours été un mélange. Comme le dit un personnage : « We got this whole damn menudo down here. »

Lone Star, du coup, représente – t – il votre vision des États-Unis comme une société de plus en plus multiculturelle, et avec de plus en plus de couples biculturels ?

Je dirais non à la première partie, et oui à la deuxième. Comme j’ai dit avant, ça n’est pas de plus en plus multiculturel, car ça a toujours été ainsi. Si vous retournez une pierre, vous pouvez découvrir, par exemple, que peut-être un tiers, ou plus, d’Afro-américains sont aussi des Indiens d’Amérique, et qu’un pourcentage beaucoup plus haut d’Afro-américains sont aussi des Américains blancs. Vous savez, comme ils ont eu l’habitude de faire à la Nouvelle-Orléans ? Si vous êtes 1/64ème noirs, vous êtes noirs et cela n’a pas d’importance à quoi vous ressemblez. Je pense vraiment qu’il y a plus de couples interraciaux de nos jours. Une des choses intéressantes que j’ai remarquées pendant la Guerre du Golfe, voyant tant de personnes interviewées à la TV, était le grand nombre de couples interraciaux, dont deux d’entre qui étaient dans l’armée. Il y avait aussi beaucoup d’officiers noirs interviewés, y compris Colin Powell et des gens comme ça, à qui on a demandé  « Que pensez-vous de cette guerre ? », et ils disaient, « Eh bien, c’est mon travail d’y aller. » On pourrait leur demander « Pourquoi êtes vous dans l’armée ? », et ils diraient : « c’est le meilleur travail avec lequel m’en sortir. » J’ai été fasciné par l’idée que l’Armée des Etats-Unis, qui avait toujours été un bastion de ségrégation et le racisme, en est arrivée au point où, bien que ce ne soit pas l’endroit le plus libéral dans le monde, elle soit devenu davantage libérale que le secteur privé. Comme personne noire, vous avez une meilleure chance d’obtenir un travail là et d’avancer si vous travaillez bien, que si vous en faites tout autant dans le secteur privé.

L’histoire est un thème central de Lone star et vos transitions sans coupures, dans quelques scènes, entre le passé et présent semblent représenter le poids continu du passé.

Ça relève d’une conclusion évidente parce qu’il n’y a même pas la séparation par l’usage de la dissolution, qui est une coupe douce. Le but d’une coupe ou d’une dissolution est de dire que ceci est une frontière et les choses des côtés opposés de la limite doivent être, d’une certaine manière, différentes. J’ai voulu effacer cette frontière et montrer que ces personnes réagissent toujours aux choses du passé. Il y a une préoccupation de l’histoire dans le film, avec Sam Deeds voulant découvrir l’histoire personnelle de son père, ou le grand-père regardant derrière soi, du côté des racines des Seminoles noires. Pilar est un professeur d’histoire engagée vers un objectif, incluant cette réunion à propos de comment ils vont enseigner l’histoire dans les manuels. Même le personnage de Joe Morton traite de l’histoire, celle des relations entre noirs et blancs. Quand il se demande « suis-je juste un mercenaire ? », c’est non seulement à cause de ses sentiments personnels, mais c’est aussi, d’une certaine manière, une question historique, l’interrogeant : « puis-je être un soldat noir dans l’Armée des Etats-Unis, et ne pas être un mercenaire tel un de ces Seminoles noirs ayant fait la guerre aux Indiens pour les Blancs ? »

Beaucoup de personnages importants de Lone Star – Sam, Delmore, Chet, Pilar et Bunny – sont étudiés depuis la relation à une figure du père, et même on perçoit la ville et le comté eux-mêmes par rapport à leurs shérifs. Comment est-ce que ça établit un lien à votre traitement du thème de l’histoire et à la tradition hispanique patriarcale du caudillo, la figure de l’homme fort ?

Ce qui était fortement en tête, c’était de prendre une histoire et être capable de se déplacer dans les deux directions, de prendre quelque chose qui est de l’ordre du particulier et être capable de l’élargir au politique – prendre une histoire comme Sam Deeds et ce qu’il fait avec son enquête, recherchant dans ce qui est essentiellement sa propre histoire familiale. Elle vous dit quelque chose de la communauté entière, mais parfois ça devient une métaphore pour son histoire personnelle. Pour moi, très souvent, la meilleure métaphore de l’histoire ce sont les pères et les fils. En héritant de votre histoire culturelle, vos haines et vos alliances et toutes sortes de trucs de ce genre, c’est que vous êtes supposés en hériter de votre père dans le cadre d’une société patriarcale. Tant la société Anglo-Saxone du Texas que la société espagnole traditionnelle étaient des sociétés patriarcales, particulièrement à la frontière qui avait une histoire de rancheros [propriétaires de ranchs], avec ses « Don » par ci et « Don » par là, qui avait ces grandes expansions avec les peons travaillant pour eux. C’était vraiment comme une pyramide, tandis que dans d’autres coins du Mexique c’était beaucoup plus influencé par les hiérarchies indiennes qui ne ressemblent pas à la pyramide, où les hommes et les femmes ont des rôles séparés mais où c’est un peu plus circulaire. Il peut y avoir un chef de village mais ça peut changer chaque année, donc c’est davantage de la propriété commune plutôt qu’un type possédant la terre et dont le fils aîné va posséder à son tour, qui sera transmis de cette manière.

Il était également important pour moi d’inclure l’histoire de Pilar et sa mère. Je pense que les gens prennent généralement le parent de même sexe comme leur modèle d’émulation et don ici on a Pilar découvrant son histoire familiale très, très lentement. Elle ne peut même pas savoir que sa mère est née au Mexique. Sa mère peut avoir dit, « Mes proches sont là-bas, mais je suis née ici, » ou « j’ai épousé ton père et il était citoyen. » Qui sait quelle légende elle lui a raconté. Sa mère est très fermée à ce propos, parce que dans la culture où elle vit, il y a une certaine honte à être une mojado, une wetback. 

La mère de Pilar représente une attitude mexico-américaine conservatrice concernant les questions d’immigration contemporaines. Je suppose que vous l’avez fait très délibérément.

Ouais, non seulement pour en montrer la cause mais aussi pour montrer que, quand nous parlons de frontières et de lignes entre les personnes, très souvent quand elles passent ces frontières, elles veulent claquer la porte derrière elles. Elles peuvent avoir frappé à cette porte elles-mêmes, mais parce qu’elles ont intériorisé le système et qu’elles lui ont donné de la valeur, il y a des changements d’attitude une fois qu’elles sont de l’autre côté de la frontière. L’armée est un exemple parfait de cela. Vous pouvez commencer à dire « les officiers sont stupides », mais une fois que vous êtes devenu officier, vous changez probablement d’avis et vous ne dites certainement pas « Maintenant que je suis ici, je vais supprimer le grade. » Cela a été la tragédie de la révolution mexicaine – vous avez Porfirio Diaz, qui fait ces terribles choses, et après qu’ils se débarrassent de ce vieux type, quelqu’un d’autre devient, de nouveau, le caudillo. Cela a été répété maintes fois dans les cultures latino-américaines, où les révolutions se sont juste métamorphosées en changement de caudillos.

SPOILER :

Avez vous des remarques quant au fait que Sam et Pilar, le dernier couple qu’on voit dans le film, ont traversé leurs frontières et, si vous voulez bien traiter d’une question liée, leurs enfants seront-ils nés avec « une queue de cochon » ? [référence au motif incestueux du roman de Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude]

[Rires] Eh bien, leurs enfants ne seront pas nés avec une queue de cochon parce que, comme Pilar le dit : « je ne peux plus tomber enceinte. » Une des choses que j’ai voulues faire avec ça, c’est d’interroger : « bien, quelle est en réalité cette règle ? » Je suis intéressé par la différence entre quand les individus font des choses pour des raisons bien pratiques, émotionnelles humaines, et quand ils suivent juste les règles. Ainsi voici Sam et Pilar – ils ont été élevés séparément, ils sont devenus adultes maintenant, il n’est aucunement question d’un frère plus âgé ou d’une soeur plus vieille, dans une sorte de position de pouvoir sur l’autre, et c’est donc une relation assez égale. Ils ne vont pas avoir d’enfants, donc ils ne vont pas transmettre des défauts de naissance affreux. Alors quelle est cette règle en question ? Elle dit : « si c’est pour ce que la règle dit, je ne peux plus avoir d’enfants. » Ce qui les fait laisser tomber la règle, c’est aussi la réalisation que : « bien, nous avons cette chance de faire quelque chose qui va être vu comme très antisocial, mais c’est bon pour nous, » et ils choisissent de traverser la frontière d’un point de vue moral. Mais c’est seulement une adaptation individuelle, et si c’était beaucoup de mon point de vue avec la fin, elle ne va pas changer la société. Ils se trouvent devant le nécessite de quitter la société dans laquelle ils sont, ils ne peuvent pas rester dans cette ville. Vous pouvez être absolument pas raciste, vous pouvez vous marier avec une personne noire, mais si vous êtes au milieu d’ émeutes du Watts, cela ne va pas vous aider. Cette adaptation individuelle que vous avez réalisé n’a pas changé la situation sociale, ou ne l’a pas changé assez pour que  la société et ce qu’elle fait honorent votre changement. Les couples interraciaux que je connais sont prudents sur là où ils vont. Si c’est un couple noir et blanc, par exemple, il y a des endroits avec les blancs où ils ne vont pas et il y a des endroits avec les noirs où ils ne vont pas. Seuls les bords de ces sociétés sont un lieu pour eux et leurs enfants. Au cœur de ces sociétés, parfois, ils ne sont juste pas les bienvenus.

Je sais que Lone star est un produit texan de bière. Pourquoi choisir Lone star pour le titre de votre film ?

Eh bien, pour la même raison, je pense, que Lone star l’a choisi comme nom de leur bière. Le Texas est le Texas. Le Texas a choisi l’étoile solitaire parce qu’ils étaient un individu ayant voulu devenir la partie d’un groupe. Une fois qu’ils ont en fini avec le Mexique ils ont dit « Eh bien, nous sommes une république », et le choix d’une étoile solitaire pour leur drapeau était un geste prétendu envers les États-Unis. Je l’ai associé au personnage de Sam Deeds, qui est un individu étant souvent debout à l’extérieur du groupe, le regardant, et qu’on suppose finalement le rejoindre, mais dans ce cas il ne se décide pas à le faire. Vous le sentez à la fin du film, non il ne va pas poser une nouvelle candidature au poste de shérif.

Auriez-vous des remarques sur Wesley Birdsong, le marchand du bord de route en figure amérindienne ?

Pendant que je travaillais sur les autres personnes au plus bas de cette frontière, j’ai réalisé, eh bien, que je ne pouvais pas laisser ce type à l’écart. Ce que j’ai trouvé intéressant dans cette zone du Texas est que bien que les réserves couvrent beaucoup de terrain, il n’y ait pas une place importante d’un combat politique qui perdure entre les réserves et l’Etat, comme il y a dans le Dakota, le Montana ou le Wyoming. Au Texas, ils ont vraiment été relégués aux réserves qui sont à l’écart des chemins et de notre esprit, de telle manière que les Indiens d’Amérique des réserves que vous rencontrez soient très probablement largement dépassés dans la population générale et donc quelque peu isolés.

Est-ce que le marchand amérindien est un Kickapoo [tribu amérindienne parlant une langue algonquienne] et est-ce qu’il était un vétéran de la Guerre de Corée ?

Ouais, il serait un Kickapoo de là-bas. Je n’ai pas creusé dans leur histoire pour le film, mais ce sont des gens qui ont été partout, y compris des deux côtés de la frontière. C’est une tribu très disséminée maintenant, avec environ quatre avant-postes différents, s’étirant du Midwest au Kansas, en Oklahoma, au Texas, au Mexique. L’idée est qu’il fut un ami de Buddy Deeds, qui était un vétéran de la Guerre de Corée, donc Wesley peut ou pas avoir été un vétéran. Il n’est pas inhabituel d’entrer dans une réserve indienne et de constater que la plupart des types ont été dans l’armée juste pour avoir quelque chose à faire. Il y a un nombre incroyable de postes de VFW dans les Réserves indiennes.

Pour moi, ce qui est important c’est quand Wesley déclare  « j’ai essayé de vivre à la réserve mais je ne pouvais pas supporter la politique. » Les Réserves sont extrêmement politiques, avec un corps à corps très dur, et ce qu’il a décidé, encore une fois, c’est de faire une adaptation individuelle. C’est comme où vous le voyez,  ainsi il dit : « entre nulle part et pas grand chose ailleurs. » Il est extrêmement isolé et il arrive à ça, mais c’est là où le choix peut vous mener. Le choix pour échapper à la politique, pour échapper à l’histoire, pour échapper à cette lutte et faire cette chose antisociale, peut vous laisser énormément isolé.

Il garde son sang-froid et il semble assez content, donc il est le haut de ce genre d’isolement, tandis que Bunny, l’ex-femme de Sam Deeds, est l’opposée de cela. Elle est une espèce de fantôme des Noëls à venir  [du conte Un chant de Noël de Charles Dickens], elle est la personne qui n’a pas échappé à son histoire familiale. C’est quelqu’un qui constitue un avertissement pour Sam. Dans vingt ans elle continuera à être dans cette pièce, parlant tel « j’ai aimé mon papa, j’ai détesté mon papa. » Il sera mort depuis cinq années et enterré, qu’elle vivra toujours dans son ombre et elle ne va jamais réussir à en sortir.  Elle est presque comme une régression tel à ce qui serait arrivé au personnage de Mary McDonnell dans Passion fish si elle n’était pas revenue au monde des relations humaines. Sa relation personnelle la plus forte, autre que celle avec son père, est en train d’être avec les Cowboys de Dallas [base ball], qui vont toujours être là pour elle. Ils sont cycliques et, en quelque sorte, extérieurs à l’histoire. Donc elle s’est échappée de cette façon. J’utilisais souvent la métaphore, dans Brother from Another PlanetPassion Fish, et City of Hope , de la télévision comme une drogue. Quelques personnes sont devenues dépendantes à l’alcool ou au crack, mais pour d’autres le monde de la fantaisie, le monde des feuilletons mélos ou le football ou quoi que ce soit d’autre, devient une drogue électronique constante qui vous est accessible. »