Offre d’emploi – Jean Eustache (1980)

EN ENTIER (en 2 parties) – 20 mn

Un film, que j’ai découvert récemment, pas très éloigné de La comédie du travail de Luc Moullet (évoqué ICI SUR LE BLOG), du moins surtout pour ce qui concerne les rapports chômeur et employeur/ANPE. Sans dégager le burlesque de Moullet, Eustache ici réalise un film fort sur la déshumanisation et décortique lui aussi un certain absurde. Une routine des rapports sociaux aussi froide qu’effrayante. Un bon condensé de 20 minutes. Je renvoie également à la fiction de Maurice Dugowson F comme Fairbanks, où la place de l’imaginaire interpelle quant au « réalisme » social et les rapports déshumains qu’il engendre.

Ce court métrage a été réalisé dans le cadre du film à sketches Contes modernes : A propos du travail, commande pour la télévision (les autres cinéastes : Paul Seban, Claude Ventura, Gérard Marx).

Shangols : « Voilà le dernier film de Jean Eustache, celui qu’il a réalisé juste avant de se faire sauter le carafon, et c’est vrai que quand on le regarde on a quelques tendances suicidaires qui jaillissent. Dans la lignée d’Une sale Histoire, ce court-métrage pratique un humour tellement pince-sans-rire qu’il en devient privé d’humour, ce qui est remarquable. C’est juste de la colère, ou plutôt du désespoir, mais qui a encore le dernier sursaut de la critique politique. On suit le cheminement d’un homme qui postule pour un emploi, et Eustache dissèque soigneusement chaque étape de la chose : on souligne la petite annonce dans le journal, on a un premier entretien, on écrit la lettre de motivation, qui se retrouve entre les mains d’une graphologue, etc. Offre d’Emploi est assez mystérieux, sûrement trop court pour qu’Eustache parvienne à aller au bout de la critique acerbe qu’on sent poindre. Visiblement le projet est de démonter la déshumanisation complète des rapports entre offre et demande dans le monde de l’entreprise. A force de scruter avec des méthodes artificielles la psychologie des demandeurs, le processus devient monstrueux, privé d’affect. Le dernier plan, montrant un premier de la classe vanter les mérites de l’analyse sémantique des entretiens d’embauche, fait froid dans le dos. Le monde décrit ici est glacial, totalement désabusé, et Eustache met bien le doigt sur la monstruosité des rapports professionnels si aboutie aujourd’hui. La mise en scène est sèche mais inspirée (alternance de gros plans qui enferment les personnages chacun dans leur univers, un magnifique travelling lattéral lors du premier rendez-vous qui dévoile subtilement le malheur de ces chômeurs en attente), le ricanement est omniprésent, mais on aurait aimé que pour son adieu au monde, Eustache ait la possibilité d’aller plus loin, de montrer cet engrenage de dément jusqu’à son aboutissement. »