Fous à délier – Festival Résistances 2018

Festival Résistances – 3ème partie

Après les thèmes « Paysanneries, champs de lutte » (ICI sur le blog) et « La victoire des nantis » (ICI), place à un troisième focus video sur la 22ème édition du festival Résistances qui se déroule chaque année à Foix en Ariège. Cette fois-ci je me suis contenté d’une seule video où sont croisés des extraits de films, de projections-rencontres et d’une conférence pas pressée, l’idée ayant été de donner un aperçu des débats en écho aux films non seulement pour leur contenu mais aussi pour certaines formes adoptées. Je pense notamment à la réalisation collective Nous, les intranquilles du groupe cinéma du centre Antonin Artaud (Reims) puisque la démarche de création fait écho à la démocratie et à l’horizontalité souvent évoquées dans les débats. Je précise que je n’ai pas participé au déroulement du festival Résistances et que ma caméra s’est contentée d’enregistrer une partie de l’événement. Apportant de l’importance à la diffusion et aux traces des rencontres-échanges (contextualisation des films, présentation de démarches filmiques, réflexions thématiques en lien avec les films etc), j’ai souhaité en mémoriser une partie en video.

FOUS A DÉLIER

Pour approfondir la création filmique qui se fait collectivement avec des « usagers » de la psychiatrie, j’encourage à visionner le documentaire Plusieurs fois la commune car bien que non projeté à Résistances (j’en avais découvert une version aux Etats Généraux de Lussas 2012) il témoigne aussi d’une fabrication collective menée, entre autres, par des patients. J’invite également à lire ICI l’interview avec deux co-auteurs du film où j’ai trouvé particulièrement intéressant que le processus de création cinématographique ne soit pas réduit à un procédé thérapeutique, établissant par là une dimension d’égalité dans la fabrication de films que l’on soit « usager » de l’institution psychiatrique ou non, ne limitant pas le sujet au seul domaine médical et touchant à l’engagement politique. Soit sortir d’une forme de ségrégation qui contamine aussi la culture et le cinéma.

Plusieurs fois la commune, film collectif

(cliquer sur la video pour accéder au visionnage sur Vimeo)

« C’est un film d’atelier bien sûr, mais n’importe quelle personne qui fait un film a un atelier de fabrication. Je n’aime pas les catégorisations. Il y a un océan péjoratif derrière la catégorie « films d’ateliers ». Ce qu’on entend en général, c’est l’idée d’un groupe de personnes qui se réunit, pas forcément à des fins cinématographiques mais curatives, pédagogiques, généralement des fins de flicage social, et que là-dessus, un auteur vient avec son supplément d’âme donner la parole à des gueux. En revanche je n’ai aucun mal à assumer un film qui dit que son objet est de s’interroger en permanence, avec sa naïveté et sa lourdeur. »

Julien Chollat-Namy (interview publiée sur Critikat)

Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme – Sophie Robert (2011)

Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme – Sophie Robert – 2011 – 52 mn

[MISE A JOUR DU 25 JANVIER 2014]

Et voilà, Sophie Robert a tout de même gagné le procès en appel à Douai, dont le verdict s’est tenu le 16 janvier 2014, quasi 2 ans après la censure prononcée en janvier 2012 au TGI de Lille.

Le documentaire Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme est désormais autorisé à la diffusion puisque le jugement reconnaît que le parti pris de la cinéaste a droit de s’exprimer, tandis qu’il n’a pas dénaturé les propos des psychanalystes. Extrait du jugement : « Les psychanalystes ont cependant (…) librement accepté que leur image et leur voix soient reproduites par extraits et sans contrôle sur l’œuvre finale et ne peuvent donc reprocher à un réalisateur d’exprimer son opinion personnelle, même s’ils n’ont pas eu connaissance dès l’origine de cette intention, qui a d’ailleurs pu naître en cours de réalisation. Il s’agit là du principe fondamental de respect de la liberté d’expression des auteurs notamment cinématographiques, comme des journalistes d’investigation. Dès lors, seule la preuve d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil pourrait constituer un abus de ce droit si était rapportée la preuve de la volonté délibérée de la réalisatrice de nuire aux personnes filmées, par une dénaturation manifeste de leurs propos et/ou une présentation tendant à les ridiculiser. »

Bravo à la cinéaste qui n’a pas lâché prise, malgré le « mur » que constitue certains dogmes psychanalytiques et la justice qui a donné raison à ses détracteurs pendant deux ans. Un film qui a ce mérite de poser un débat là où il n’y a que peu de remise en cause. Espérons que sa libre diffusion aujourd’hui acquise favorise le débat public sans tabous, quitte à remuer les sphères dogmatiques de la psychanalyse et ses approches contestables, notamment à teneur misogyne. Un mur psychanalytique à briser, tant il peut renforcer aussi des positions qui lui sont traditionnellement opposées, cataloguées « à droite ».

Au-delà il s’agit aussi, bien entendu, des personnes autistes et de leurs suivis adaptés. Un autre débat devrait voir le jour, en lien avec les conceptions sectaires de l’autisme : quelle place réserve t on aux personnes autistes dans nos sociétés ? Sont elles acceptées malgré la différence, parfois sujette à délires théoriques, pas très éloignées des moqueries de nos  instincts d’ « âge bête » ?

Tout en laissant à disposition le contenu de la note ci-dessous (mise à jour en octobre 2013), je propose là le lien de visionnage OFFICIEL du film (euh… payant), accompagné d’un retour complet sur le film et la censure.

 

[mise à jour d’octobre 2013] 

Page  facebook de soutien au film en cliquant ICI  (infos procès en appel etc)

Le Mur, sous-titré « La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » est un documentaire réalisé par Sophie Robert qui vise à dresser un état des lieux de la psychanalyse. Certains psychanalystes interviewés dans le film ont porté plainte contre la réalisatrice pour que la diffusion du documentaire soit interdite.

La justice a interdit, jeudi 26 janvier 2012, le documentaire. Ce film est une charge vis à vis du traitement de l’autisme en France par la psychanalyse, et dénonce notamment la culpabilisation des mères qui y est opérée. Trois des psys qui apparaissent dans le documentaire avaient saisi la justice pour « atteinte à l’image et à la réputation », estimant que le montage dénaturait leur propos. La justice leur a donné raison et impose à la réalisatrice de retirer de son documentaire les interventions des plaignants. Ce qui revient, de fait, à interdire sa diffusion. « A ce prix-là, n’importe quel documentaire monté peut être interdit », déplora alors l’avocat de Sophie Robert, qui a fait appel.

La censure ne doit pas faire passer au second plan le film en lui-même et comment la psychanalyse peut peser sur la perception et le traitement de l’autisme en France. Par ailleurs, tel en témoigne la censure, ça met en évidence la difficulté de la critique de la psychanalyse, notamment dans ses credos sexistes.  » Je pensais que mon travail serait compliqué puisque les psychanalystes ne sont jamais d’accord entre eux, mais j’ai constaté que la caisse à outils appliquée à l’autisme l’est aussi dans toutes les pathologies : un schéma fondateur unique de toxicité maternelle, avec l’idée que le langage et la conscience de soi se créent en séparant l’enfant de sa mère, que l’enfant est un substitut du phallus, etc. Dans la série, j’expliquerai en détail et de façon contextualisée ces choses évoquées de manière condensée dans Le Mur. Ce titre s’est imposé à moi sur la fin. Je me suis heurtée à un mur idéologique derrière lequel les psychanalystes se sont retranchés. Mais aussi la société française, qui considère qu’il n’y a pas de débat possible sur certains sujets. On ne peut pas débattre de la psychanalyse, y compris entre psychanalystes ! Ce n’est vraiment pas l’image que j’avais de la psychanalyse. Heureusement que j’ai filmé les gens, sinon je ne l’aurais pas cru. Je peux vous assurer que la suite est du même acabit. » Sophie Robert, entretien du 23 novembre 2011 (en entier ICI)

Le film devrait au moins permettre le débat, à contre courant des dogmes, des non remises en causes et ce qu’ils impliquent pour certains enfants et leurs familles. En attendant qu’il puisse se tenir, le verdict du procès en appel est pour le 8 novembre 2013… une question de jours. La cinéaste, en cas de victoire (après quasiment un an de censure), devrait en principe permettre un streaming (gratuit) du film via une Web TV.

Extrait:

 

Une décision de justice qui a également obligé le collectif de soutien « Support the wall – Autism » à retirer d’internet non seulement l’intégralité du documentaire mais aussi TOUS les extraits.

Pour les détails de la censuré opérée également sur internet, cliquer ICI

Ci-dessous, une vidéo relayant des réactions contre la censure du film où des centaines de manifestants ont eu le courage de dénoncer à Paris et Lille le dogmatisme psychanalytique sur l’ autisme en France et soutenir le film Le mur :

 

Un article d Anton Suwalki, publié sur Contrepoints :

« C’est très tardivement que j’ai appris l’existence du film de Sophie Robert « Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », qu’une frange de psychanalystes veut faire interdire. Cette tentative de censure est aussi scandaleuse qu’inquiétante pour tous ceux qui pensent que les controverses se règlent par la confrontation d’idées, et non pas devant les tribunaux.

Le peu de réaction des médias face à l’action intentée en justice contre Sophie Robert a inspiré à l’ami Jean-Louis Racca, de l’Observatoire zététique, deux billets sur le blog qu’il vient de créer pour la circonstance : comment expliquer par exemple que Charlie Hebdo, qu’on croyait pouvoir classer parmi les journaux impertinents, à défaut d’être subversif, ne trouve rien à redire à la tentative de censure, y voyant au contraire le moyen d’ « ouvrir l’horizon de cette guerre de tranchées (que se mènent pro & anti-psychanalyse ) » ?

Même si j’étais en désaccord avec le contenu du Mur, je soutiendrais Sophie Robert, question de principes. Mais j’ai bien sûr visionné le film pour me faire ma propre idée sur les accusations de malhonnêteté et de manipulation, voire,pour Caroline Eliacheff, « une pure escroquerie qui serait risible si le sujet n’était aussi grave ».

Toujours selon Eliacheff, la manipulation proviendrait du montage, « l’une de ses techniques a consisté à refaire hors champ une question concernant l’autisme en donnant comme réponse des phrases tronquées extraites d’un autre contexte ».

« Propos sortis de leur contexte », la bonne vieille tarte à la crème des gens qui se lâchent et regrettent après coup leur franchise momentanée. Il est pourtant extrêmement difficile de croire que les psychanalystes interviewés aient été roulés dans la farine. La question de l’autisme n’est en effet qu’un des angles d’un documentaire en plusieurs parties que Sophie Robert comptait réaliser. Même si les questions ont été reformulées au montage, elles collent tout-à-fait aux réponses des personnes interviewées. La thèse de la manipulation est donc une fable éliachevienne.

De son côté, Aldo Naouri prétend : « Cependant, dans le cadre de l’interview que j’ai accordée en confiance à la réalisatrice Sophie Robert, il n’a été à aucun moment question d’autisme dès lors que mes propos, bien plus nuancés qu’ils ne paraissent, étaient destinés à s’inscrire dans un documentaire sur la psychanalyse pour ARTE et non pas sur « la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ». Pourtant, il parle bien d’autisme, et répond bien à des questions sur l’autisme, non ?

Certes, les psychanalystes ne sont pas à leur avantage dans le film, mais à qui la faute ? La thèse de la caricature ne tient pas davantage la route, car malheureusement, les psychanalystes interrogés sont assez grands pour se caricaturer tout seuls. Les réponses sont d’une grande spontanéité, non soutirées, parfaitement construites par leurs auteurs, et de plus en parfaite adéquation avec les thèses défendues par les principaux auteurs de la psychanalyse sur le sujet. Et pour tout dire, on se demande quels propos plus nuancés absents après montage du film, pourraient contrebalancer les thèses de Bettelheim, Freud ou Lacan parfaitement assumées par les interviewés, ou des interprétations biologiques qui confinent au ridicule. Ou quels propos cachés par Sophie Robert pourraient rendre moins insoutenables les fientes lacaniennes de l’esprit lâchées par une certaine Geneviève Loison ?

Restent à savoir pour quelles raisons des psychiatres-psychanalystes s’insurgent contre un documentaire qui restitue assez fidèlement leurs propos et leurs idées sur la question. S’ils se sont lâchés, c’est peut-être parce qu’au départ, le documentaire devait être pour ARTE. Dans la ligne bobo cucul-turelle de cette chaîne, on aurait pu imaginer les mêmes propos enrobés d’un discours bienveillant propre à endormir le spectateur moyen. Mais dans un film réalisé par Sophie Robert, et produit suite au refus des télévisions par une association connue pour son hostilité aux méthodes psychanalytiques, les rois du divan sont nus, et les préjugés misogynes d’un autre âge érigés en théories abracadabrantes apparaissent pour ce qu’ils sont réellement. »

Trans : Beware – WTF (2012) // Moati – Mes questions sur les trans (2011) // Vlà les T! (2012) // Interview de Lalla Kowska Régnier

EN ENTIER – 7 mn

Un documentaire-reportage assez récent, diffusé sur France 5 et réalisé par Serge Moati en 2011, a suscité des réactions hostiles de la part de trans. Mes questions sur les trans a occasionné une diffusion dans un créneau de grande écoute et pointe quelques aberrations. Et puis, c’est toujours ça, comme on dit souvent lorsque le traitement audiovisuel « grand public » est quasi absent sur certains sujets (il est visible en entier ICI sur dailymotion). Néanmoins il est plus que contestable dans son fond, tandis que les personnes trans continuent de se faire infantiliser, traitées de « malades », non libres de leurs choix etc, dans un fonctionnement médical, juridique, etc bref institutionnel, qui relève de la transphobie. Je vois là un problème principal dans ce reportage : bien qu’il ait visé à y associer les premières personnes concernées, il a été réalisé sous la mainmise d’un seul individu, qui plus est qui se dit « fasciné » par la communauté trans… Voilà qui ouvre toutes les dérives possibles, où « délire » et vision personnelle sont potentiellement capables de nuire à la représentation des trans par eux-mêmes : de ce qu’ils et elles vivent face à un fonctionnement qui leur est ouvertement hostile, où la notion de personne disparaît au profit d’objets valant tous les discours et représentations possibles. Pour un compte-rendu exhaustif autour du film, je vous recommande vivement cette page sur Yagg.com (avec liens etc) ainsi qu’au long mais très percutant et intéressant texte d’Hélène Hazera intitulé « Basta avec vos phantasmes sur les trans« 

Sur la prise en main des représentations, des images à l’encontre des dominations, des médias, des politiques, des fonctionnements de pouvoir, etc je renvoie à deux autres posts de blog, à savoir ICI (les précaires et l’image) et LA (Un racisme à peine voilé,  Les indigènes de la République, les représentations et la prise en main de la parole pour affirmer une existence).

Ce qui nous amène au film qui nous intéresse ici : Beware. C’est un court métrage réalisé par une association de cinéma militant créée en 2011, intitulée « What the Film! ». Les deux réalisateurs sont Samuel B. Atman et Bruce. Ce film attaque de front la transphobie, avec humour et subtilité. Il contribue par ce biais au lancement d’une campagne. Je ne peux que vous renvoyer au site du film qui se trouve ICI. J’en reprend un extrait de la présentation du court-métrage:

« Beware est un film volontairement transphobe [1] : en reproduisant un discours qui fait des trans des personnes malades qui menacent la société, nous avons voulu montrer à quel point les thèses soutenues par la plupart des institutions médicales dans le monde sont d’un autre âge. En France par exemple les personnes trans doivent encore renoncer à leur liberté de penser et d’être car c’est le corps médical qui a la toute puissance de les déclarer aptes, ou non, à avancer dans leurs parcours de transition. Les personnes trans sont ainsi infantilisées, souvent humiliées, et ne sont tout simplement pas considérées comme des personnes libre de choisir pour elles-mêmes.

Nous avons pensé le film comme un support divertissant à un discours militant : à l’heure où le DSM [2] va être révisé, ce spot est le moyen d’informer le grand public de la main mise de la psychiatrie sur les personnes trans à travers le monde. De fait, en France comme dans la plupart des pays les parcours trans sont toujours soumis à l’arbitraire des psychiatres. Ce spot a donc pour vocation de sensibiliser sur cet aspect en particulier, sans pour autant oublier que les personnes trans sont aussi traitées de façon méprisante par la majorité des institutions (étatiques, juridiques, médicales).

1. Le retrait du « trouble de l’identité sexuelle » des manuels internationaux de diagnostic : DSM IV et CIM 10. »

 

Une autre campagne a eu lieu récemment, intitulée Voilà les T! Visant à informer et prévenir, elle s’adresse aux trans et porte en sous titre « Les trans’ prennent la parole », ce qui est essentiel. La comédienne joue impeccablement bien des aspects de la réalité des institutions que dénoncent souvent les trans « engagés », entendre par ce dernier terme la nécessité vitale de résister et exister face à une société transphobe, avant le « militantisme » supplémentaire qui répond davantage à une vision plus large de la société et les convictions qui dépassent l’engagement premier, celui qui découle d’un vécu. Les aspects ici abordés témoignent d’une urgence certaine et d’un climat institutionnel hostile et dangereux. La série de vidéos est accessible sur Dailymotion, axées sur des thématiques – cliquer ci-dessous sur les mots en surbrillance orangée :

1 – Voilà les T! Introduction, avec présentation des intervenants et la seule comédienne du dispositif filmique.

2 – La transition

3- Les infections

4- Sexualités

5- Les médecins spécialistes

6- Ne pas rester seul face au système de santé

Je conseille aussi l’approche  des écrits de Françoise Sironi, entre autres psychothérapeute. Elle a publié notamment Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres. De manière générale  « Ses recherches en Psychologie clinique et en Psychopathologie portent sur les sujets suivants : Psychopathologie des violences collectives, psychothérapie et traumatismes intentionnels, psychologie des auteurs de violences collectives et leur suivi psychothérapique, maltraitance par les théories et les pratiques cliniques et sociales inadéquates, approche géopolitique de l’identité, métissages et métamorphoses de l’identité, transsexualité et identités transgenres. » (Wikipedia). Une très bonne émission sur France-Culture accessible ICI, où elle revient notamment sur les ravages de la « normose » ! Elle remet en cause beaucoup de fonctionnements bien qu’elle pèche sur un point, lorsqu’elle évoque le médical AVANT les droits, ainsi dans un texte que je cite : « Les théories et les pratiques cliniques que nous créons, doivent obligatoirement être adaptées aux problématiques de nos patients, et non l’inverse. C’est pourquoi, nous sommes tenus d’élaborer, sans relâche, de nouveaux outils et dispositifs thérapeutiques qui soient réellement en adéquation avec les problématiques des sujets dont nous nous occupons. C’est un défi passionnant, surtout lorsque les cliniciens et les personnes concernées sont associés, et oeuvrent ensemble en bonne intelligence et dans une réelle réciprocité. » Les « nouveaux outils » laissent entendre que le problème à résoudre est avant tout médical, et non une question de droit. Le combat des trans’ devrait en principe remettre la priorité du droit, tandis que des apports d’une Françoise Sironi laissent penser qu’une certaine vigilance puisse s’exercer sur le terrain quant aux traitements transphobes et ne respectant pas les personnes. 

 

Mais pour finir, je conclue donc avec une interview excellente de Lalla Kowska Régnier, qui est notamment à l’initiative du Manifeste Trans’ Notre corps nous appartient (2007)accessible ICI, tandis qu’elle intervient dans le court métrage et la campagne Voilà les T! Publiée ICI sur le site l’émilie, je glisse le contenu en entier ci-dessous afin d’en favoriser la lecture tant je trouve les propos très importants. En cas de souci de publication, « volée » car sans accord demandé au préalable, je n’en laisserai qu’une partie du contenu ici même, en vous invitant néanmoins à lire sur le site source l’interview ! ! 

« La pensée queer, blanchiment postmoderne »

L’émiliE: Tu disais qu’être trans c’est se libérer du féminin et du masculin, comment es-tu aujourd’hui?

Lalla: Je dirais assez fem, oui une fem version trans hétéra. Mais avec talons non obligatoires et de pas plus de 7 cm. C’est dans ces accessoires de la féminité que je me sens moi. Et peut-être qu’un jour, si je devais me convertir au monothéisme, ce sera avec un voile que je toucherai à ma puissance. Et je continue à penser qu’être trans c’est d’abord une question d’être soi en s’inscrivant dans un sexe social qui n’est pas celui assigné à notre naissance. En cela, je suis binaire. Et peu importe que ce sexe social corresponde au genre communément assorti, il y a beaucoup de femmes trans butch et d’hommes trans efféminés.

Tu poses un regard critique sur le militantisme et tu préfères parler d’engagement. Pourquoi?
C’est compliqué un peu de répondre, car j’imagine que mes propos pourraient être repris par des gens qui méprisent toute forme d’engagement et de militantisme. Ce que je pense c’est que le militantisme – comme à peu près tous les espaces de pouvoir censés « représenter » les gens, comme la politique, le journalisme mainstream, les experteurs, les banquiers et tout ceux qui de près ou de loin nourrissent nos oligarchies modernes (des hauts fonctionnaires d’Etat aux « fils et filles de » dans les arts et la culture) – devrait être régi par un contrat de durée déterminée. Sinon, le risque d’embourbement est très élevé et ce qui est dénoncé et subi se trouve alors renforcé.
Quand je vois des gens apparaître dans l’espace politique avec juste un post-it « subversif » sur le front, je trouve ça incompréhensible.
Aujourd’hui par exemple, si je suis très proche du Parti des Indigènes de la République, outre ma propre histoire familiale, c’est aussi que les gens qui l’animent depuis sept ans sont engagés par et dans leur corps social, dans leur vie, avant d’être des militants pour « la cause » qui couraient après un diplôme ès contestation. Le PIR est un modèle d’autonomie des luttes et des résistances à soutenir. 

Act Up c’est de l’histoire ancienne?
J’aimerais bien.
Mais voilà typiquement l’exemple d’un groupe qui n’a pas su s’arrêter et a fabriqué des fonctionnaires de la colère. Et par exemple les derniers communiqués de la commission trans sont scandaleux. Laissant entendre que les personnes trans sont des assistées ou encore en adoptant une stratégie à minima de demande de changement de numéro de sécurité sociale au lieu d’exiger le changement d’état civil. 
Plus largement, il reste a déplier cette histoire en fait: comment le groupe s’est maintenu en vie, a fait allégeance à Pierre Bergé, l’homme qui enferma Yves Saint Laurent dans sa douloureuse mélancolie et qui avorta l’émergence d’un mouvement autonome des jeunes des banlieues  (la marche pour l’Égalité en 1983) en créant SOS Racisme. Comment ce groupe a pu avoir une présidente hétérosexuelle et séronégative capable de considérer que la parole d’un pédé séropositif dans un débat sur la prévention n’était pas légitime. Comment une partie des militants de la première, deuxième ou troisième heure se sent autorisée à verrouiller aujourd’hui encore la mémoire du groupe. Comment en est-on arrivé là?
Militer à Act Up il y a 20 ans a été une expérience hyper dense pour beaucoup d’entre nous,  personnellement il m’a fallu tout ce temps pour m’alléger un peu des blessures que la vie en groupe avait laissées. C’est à la mort de Philippe Labbey (1) cet été que j’ai réalisé que je m’accrochais encore à des illusions. Cette histoire d’Act Up-Paris manque, celle des militants qui après la mort de Cleews Vellay (2) pensaient qu’il fallait passer à d’autres modes d’actions et qui se sont retrouvés pris dans un étau à quatre mâchoires: Didier Lestrade, Guillaume  Dustan, les idéologues normaliens (la revue Vacarme) et Act Up qui continuait. 

Le manifeste que tu as initié en 2007 (intitulé notre corps nous appartient) reste fondamental pour les féministes encore aujourd’hui. Comment l’expliques-tu?
En fait ce manifeste, initié avec Jihan Ferjani et Elsa Dorlin, est un hommage et une filliation directs au manifeste des 343 salopes tant il est évident que les problématiques trans sont des problématiques féministes. Ce que nous vivons aujourd’hui – la mise sous tutelle psychiatrique par les médecins bourreaux de la Sofect, la soumission au bon vouloir des magistrats aux affaires familiales pour pouvoir exercer notre citoyenneté en ayant des papiers adaptés, la dépendance à des médecins juges quand ceux-ci devraient juste être des partenaires de santé et de bien être –  correspond très exactement à ce contre quoi les femmes bios on dû (et doivent encore) se battre. Mais pour moi ce manifeste est un peu un échec, une féministe « historique », signataire des 343, a même refusé de le signer et de le faire circuler     (ce qui à mon sens est le plus grave), nous reprochant un « glissement sémantique ». Du coup, j’étais vraiment fière quand il a été publié sur le site du collectif Les Mots Sont Importants et dans la revue NQF.
Et c’est rigolo de voir que les même journaux, comme les Inrocks, qui n’ont pas diffusé ce texte, ont trouvé plus d’intérêt à un autre manifeste sur les question trans, quelques années plus tard, mais rédigé cette fois ci par un homme bio gay.

Je crois que le blocage de certaines féministes bios est le même que celui qu’elles ont avec les paroles de femmes musulmanes voilées ou encore des travailleuses du sexe. Comme si elles ne pouvaient imaginer d’autres formes d’incorporation possibles que la leur. C’est vraiment dommage. Je pense que le miroir que nous (femmes et hommes trans, mais aussi les femmes indigènes et les travailleuses du sexe) tendons aux féministes blanches et bourgeoises est pourtant muni de plusieurs facettes et leur permettrait de faire le deuil d’une approche bien peu subtile des mécaniques d’oppression et ainsi de retrouver une énergie émancipatrice. Combien de fois je me suis entendu dire, « mais comment avoir envie de passer dans le camp des oppressées » (sur un ton comme si je volais leurs cassettes à bijoux) ? Si vraiment vous pensez que ça se passe aussi facilement que ça, pourquoi alors de votre côté ne pas passer du côté des dominants ? La testostérone, ça se trouve assez facilement.

La transphobie la plus violente vient des homos, dis-tu. Tu leur fais  peur? Tu les déranges?
Bon c’est un peu comme avec ces féministes. Il y a toujours sous-jacent quelque chose du rappel à l’ordre, à l’ordre du « vrai », et d’une certaine idée de la nature (en tant que petite sorcière dédiée à l’Immanence je m’inscris évidemment dans une forme de naturalisme). 
Étais-je un vrai mec? Suis-je une vraie femme? Suis-je un faux travelo? Une vraie hétéra? Étais-je un vrai pédé? Et quid de mes relations amoureuses et amicales d’alors? Et celles d’aujourd’hui? Qui sont mes amants? C’est quoi ce désir anomal que je suscite?
Qu’est-ce que sont ces corps qui me dégoûtent de mon fétiche libidineux? Ce pénis à cette femme? Ce vagin à cet homme? C’est là l’insupportable, l’indépassable pour les straights, homos ou hétéros. Je pense que précisément parce qu’on va dé/reconnecter le désir au sexe génital (et heureusement, il n’est pas obligatoire d’être trans ou trans lover pour ça), on va  permettre à l’essence désirante de circuler un peu plus dilatée, un peu plus de biais. Je crois que la pierre d’achoppement – et le pont avec les identités bisexuelles, est surtout là. Nos corps effraient et/ou fascinent. Comme celui des femmes voilées. 
Plus spécifiquement sur les homos qui se sont montrés violents avec moi, je crois qu’il y avait sentiment de trahison (« mais je désirais ce petit mec moi! Mais qu’est-ce que je désirais?! »), et sûrement un rappel parfois d’une proximité de vie enfantine (les jeux à la poupée pour les garçons ou aux petites voitures pour les filles) qui bouscule ce qu’ils sont. Et pour être précise, j’ai surtout ressenti cette violence dans des endroits très situés : le milieu militant LGBT/queer où par exemple avant c’était « la JC » et quand j’ai annoncé ma transition, étrangement l’usage du pronom « il » s’est imposé à mes interlocuteurs; et puis le monde de la nuit où trop souvent on affiche queer comme le hype plus ultra de la soirée réussie, mais où on se fout bien de savoir si les Dj vont aussi mixer à l’ump. Le fait de rappeler dans ces espaces « élus » qu’être gay ne les empêchaient de faire partie de la maison des hommes et des oppresseurs, ce que j’appelle l’hétérhomopatriarcat (3) en a froissé plus d’un. Le fait de dénoncer leur copine Caroline Fourest pour ce qu’elle est, une islamophobe cachée derrière une laïciste frelatée, et enfin d’affirmer aussi une forme d’identité indigène en même temps que mon « être-femme » a fini par épuiser les autres.

Les transidentités ne sont pas uniquement questionnables par le biais du genre. La pensée queer a-t-elle des limites?
Je pense vraiment que ce travail de questionnement reste à faire, même s’il a été entamé ici où là, à Lyon avec Chrysalide, à Lille avec C’est pas mon Genre, à Marseille avec l’Observatoire des transidentités, à Bordeaux avec Mutatis Mutandis, ou plus loin au Canada, avec les travaux de Viviane Namasté, mais c’est encore trop souvent à travers le prisme queertranspédégouine que ça se fait. Par exemple, pour revenir à mon expérience, ma transition n’a pas été seulement d’aller vers moi en m’incarnant socialement en tant que femme mais aussi de renouer avec mon algérianité.  J’ai aussi envie de questionner ça, que nous développions nos propres généalogies.
Et puis je crois vraiment qu’il faut arrêter avec la confusion genre et sexe social. Oui je suis une femme avec un pénis (si tant est que ça en soit un) et mon sexe n’est pas masculin, mais de naissance.  Je le sens d’ailleurs très féminin puisque c’est le mien et il ne le sera pas plus quand j’aurai subi ma vaginoplastie. L’essentiel, (l’essocialement?) c’est que je suis une femme. 
Et puis je suis désormais convaincue que masculin et féminin sont des notions trop volatiles pour être utilisées à ce point politiquement. Je comprends bien qu’en se focalisant sur masculin/féminin, on peut faire une longue carrière littéraire  mais honnêtement je ne vois pas l’intérêt. Tout un chacun, homme ou femme, bio ou trans, homo ou hétéro, blanc ou indigène, sommes traversés de masculin et de féminin, et ce constat est sans fin puisque ce que chacun de nous met dans ces termes diffère de l’autre, selon les temps et selon les lieux. On va continuer à couper les cheveux jusqu’à ? Mais par contre, du coup, on oublie de pointer les endroits où se jouent effectivement les oppressions et notamment les rapports d’oppression de sexe sociaux. En fait, on ne peut plus dire sexe comme on ne peut plus dire race. C’est plus facile alors pour les sexistes et les racistes.

Pour moi queer limite dès lors que ça qualifie. Je crois que le problème, c’est son mauvais usage français républicain et universaliste : là où nous devrions avoir une multitude de corps machines désirantes, capables de former des alliances ici, d’autres ailleurs, et encore à un autre moment ; quand nous devrions avancer en soi et continuer avec les autres, on nous propose un vaste néant identitaire, ce qui après tout peut être une forme de grâce, mais qui à force de nager dans les sphères postlumineuses de la pensée avec comme seul revendication le badge « subversif » de tout à l’heure sur le front (attention les gars, j’arrive et je suis subversive, mais quelle blague…) dématérialise complètement les rapports d’oppression sociale. Je trouve les postures de celles qui écrivent qu’il faut se « libérer » des identités (par exemple trans ou lesbiennes) bien luxueuses, parce que pour la très grande majorité des trans, des lesbiennes ou des femmes indigènes nous savons assez l’hostilité du monde dans lequel nous évoluons pour nous débarrasser par la magie de la performativité des oppressions subies. 
Et puis je suis aussi  circonspecte sur l’émergence de nouvelles identités « transqueer », de celles et ceux qui vont affirmer leur transidentité en refusant le « diktat » de l’hormonothérapie et ou de la chirurgie. (Je ne parle pas ici des personnes trans qui, pour des raisons de santé, se voient contraintes à ne pas prendre d’hormones, mais bien des personnes qui refusent l’hormonothérapie ou la chirurgie). Peut-être est ce à mon tour de reprocher un glissement sémantique, mais il me semble qu’il y a là une acrobatie qui mérite d’être critiquée. D’abord parce que pour les personnes trans, il est inimaginable de survivre (socialement ou physiquement) sans l’hormonothérapie ou la chirurgie. Qu’il y dans nos démarches quelque chose de l’ordre de l’instinct de survie, d’animal. Ensuite parce que pour moi, ce discours, en plus de nous renvoyer dans le coin du savoir, avec le bonnet d’âne sur lequel il est inscrit « binaire » sur une oreille et « essentialiste » sur l’autre, sert mot pour mot les arguments des psychiatres et médecins des hôpitaux du service public français qui n’entendent qu’une chose : freiner par tous les moyens nos transitions.
Pour moi, il ne fait aucun doute que la pensée « queer » en France n’est rien d’autre qu’une vaste opération civilisatrice et de blanchiment post moderne. En fait, si je n’avais pas autant de respect et de solidarité pour la lutte du peuple palestinien, j’oserais dire que les trans sont en quelque sort les Palestiniens des queers : des identités niées, bafouées, usurpées et exploitées.
Pour moi, la pensée queer est un cheval de Troie du blantriarcat.

(1) Fin d’Act Up-Paris par Philippe Labbey

(2) http://www.actupparis.org/spip.php?article2672

(3) http://lmsi.net/Le-coq-et-le-tas-de-fumier

©  Jules Faure – http://cargocollective.com/julesfaure « 

Marat-Sade – Peter Brook (1967)

Royaume-Uni – EN ENTIER – VOSTF (option « CC » de la vidéo) – 120 mn

Interné à l’asile psychiatrique de Charenton, le Marquis de Sade reconstruit avec les « fous » de l’établissement l’assassinat du révolutionnaire Marat par Charlotte Corday…

Family life – Ken Loach (1971)

Royaume-Uni – EN ENTIER – VOSTF – 105 mn – En 10 parties

CHEF D’OEUVRE  !

La vie est devenue insupportable pour Janice, brimée par des parents qui l’étouffent et la forcent à subir un avortement. Contrainte d’avorter, déçue par son ami, Janice s’enfonce dans la schizophrénie, se retrouve de plus en plus souvent à l’hôpital et dégringole un peu plus à chaque fois. Aidée au début par le Dr Donaldson, un jeune médecin novateur, Janice subit après son départ un traitement aux électrochocs qui fait d’elle une poupée sans défense entre les mains de cliniciens…

Family life est le troisième long métrage de Ken Loach. Il y décrit lucidement l’opression et la répression qui peuvent exister au sein de la famille et l’institution médicale (en l’occurence, psychiatrique…). Au travers de l’histoire de Janice, Ken Loach dresse aussi un rapide portrait de médecins tentant de pratiquer « l’antipsychiatrie ».