La ville (Grad) – Pavlovic, Rakonjac et Babac (1963)

Zivojin Pavlovic, Kokan Rakonjac, Marko Babac – La ville (Grad) – Yougoslavie – 1963 – 80 mn

« [Cette censure] est le résultat d’un manque de connaissance et d’incompréhension, un des meilleurs films que la Yougoslavie ait produit a été jeté à la poubelle » (Aleksandar Petrovic, Festival de Pula 1963)

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La ville est souvent considéré comme la première réalisation de la Vague Noire yougoslave. Ce film collectif n’était pas la première collaboration des trois cinéastes et d’Aleksandar Petkovic (opérateur). Tous alors étaient membres du Ciné-club Belgrade (courts métrages de Pavlovic et Rakonjac relayés ICI sur le blog) et en 1962 ils avaient déjà réalisé Gouttes, eaux, guerriers (relayé ICI sur le blog). Ce dernier était un premier film professionnel qui fit une très bonne impression au Festival de Pula 1962 au point d’y être récompensé par un prix spécial pour le travail de l’opérateur Aleksandar Petkovic.

Produit par la Sutjeska Film, La ville fut jugé au tribunal du district de Sarajevo et fut censuré dès l’année de sa réalisation. C’est le cas unique d’une interdiction officielle dans l’histoire du cinéma yougoslave au cours de laquelle il y a eu plusieurs censures mais elles étaient officieuses, pas menées à travers un jugement judiciaire. Ce film fut considéré comme « morbide … pessimiste … une vision négative de la société de la Yougoslavie socialiste » (Bogdan Tirnanic, Black wave). C’est ainsi qu’il fut mit au placard et n’obtint une levée d’interdiction qu’en 1990, à l’initiative Radoslav Zelenovic le président du Yugoslav Film Archive de l’époque. Le film fut retrouvé dans les services de police de l’Etat. Outre la censure, il y eut des conséquences pour les réalisateurs. D’ailleurs Kokan Rakonjac – décédé prématurément en 1969, il avait épousé l’excellente actrice serbe Milena Dravic, une incontournable du cinéma yougoslave – fut déjà censuré pour Larmes, un court métrage amateur réalisé en 1958 au Ciné-club Belgrade. Tous trois durent faire un pas de côté :

« As authors we had a big problem back then. (…) We were put in the « bunker » (…) we were not allowed to continue working. Zivojin Pavlovic started to work in Slovenia. Kokan started to work an amateur again and to sell his ideas to producers, but it was very complicated for him to continue to work. And i started to work as an editor » (Marko Babac)

 

Film intégral en VO non sous titrée :

(pour le voir avec sous-titres anglais : télécharger les videos ICI, les sous-titres ICI, les synchroniser ICI)

http://www.dailymotion.com/video/x2h10it

http://www.dailymotion.com/video/x2h10nh

Grad est situé dans une grande ville, le film est découpé en trois histoires :

  • « Relation » (Rakonjac) – Un couple se délite.
  • « Cœur » (Babac) – Un directeur de société fragile du cœur rend visite à un ami docteur. Il mène une vie qui le désespère.
  • « L’encerclement » (Pavlovic) – Un vétéran de guerre solitaire arpente des bistrots. Atmosphère de tristesse, en contraste avec les photos de la libération accrochées au mur d’un bistrot. Le vétéran sur le déclin a une vie devenue insignifiant et déprimant. Il se fait tabasser par une bande. Après la libération révolutionnaire qui lui a jadis coûté une main, errant sans but et se dirigeant vers la mort, il laisse derrière lui une rue morbide.

Politiquement, Grad ne constitue pas une critique subversive directe (il y a eu plus offensif au cours des années 60). Nous avons là un portrait sombre de la vie urbaine (solitude, etc) et cette manière nouvelle de traiter de la réalité a été mal perçu, surtout à l’orée des années 60 où le Novi Cinema et sa tendance « vague noire » émergent à peine (pour rappel : la dénomination « vague noire » est venue en 1969 de la part d’un journaliste et membre du parti communiste serbe qui avait rédigé un article incendiaire intitulé « La vague noire dans notre cinema »). A noter tout de même que le film de Bostan Hladnik Danse sous la pluie (1961, relayé ICI sur le blog) développait également un fond désespérant sur le quotidien de la vie urbaine (en opposition aux rêveries des personnages) et à certains égards le couple du segment réalisé par Rakonjac n’est pas très éloigné de celui de la réalisation de Hladnik.

Pour ce qui est de la censure ayant mené à la confiscation du négatif et des copies du film, le livre Liberated Cinema : The yugoslav experience de Daniel J. Goulding relève les raisons officielles du verdict du tribunal. Le tribunal statut que le court-métrage de Rakonjac « dépeint une vision de la vie insignifiante, et l’amour est réduit au physique, à un désir absurde« . De même pour la seconde histoire, « la vie est aussi dépeinte comme insignifiante et le personnage du directeur, Slavko, une personne dans une position très responsable, est montré comme un type très blasé, représentant un capitaliste yougoslave, qui travaille pour les communistes mais dont le cœur malade résulte du service aux communistes« . Enfin, la partie réalisée par Pavlovic « présente une ville yougoslave sous une lumière négative ce qui soulève la question en quoi il vaille la peine d’y vivre (…) si négative que les cafés [« kafanas »] sont pleins d’individus antisociaux où la vie se déroule sous le signe de la sexualité morbide et de la délinquance, à travers laquelle le héros de l’histoire, un invalide d’humeur morne, passe perdu, mélancolique et isolé au bord d’un précipice pessimiste, maladif qui est évidemment le contraire de notre société réelle et qui est associée à une tendance à montrer négativement le développement social de la Yougoslavie, retournant ainsi à l’envers notre réalité sociale et répandant des idées qui sont opposées à notre mouvement social« .

Pour ce qui de la référence au milieu criminel urbain dans la partie de Pavlovic, à noter qu’en 1971 un certain Jovan Jovanovic réalise Jeune et frais comme une rose où cette thématique est abordée de front et présente un milieu criminel qui cette fois-ci développe des accointances avec la police secrète. Ce film fut censuré dès l’année de sa réalisation (censure officieuse) et ne fut redécouvert qu’en 2006 … relayé ICI sur le blog.

Ciné-Club Belgrade – Pavlovic, Rakonjac, Trifkovic (1960-62)

Zivojin Pavlovic, Kokan Rakonjac, Sava Trifkovic – Courts métrages au Ciné-club Belgrade – 1960-62

Dans la foulée des premiers courts métrages professionnels réalisés par Rakonjac et Pavlovic qui ont été relayés ICI sur le blog, voici un exemple de leurs débuts amateurs et celui de Trifkovic, bien que ce dernier n’ait pas continué dans le cinéma (seuls deux courts métrages ont suivi). Ils ont été réalisés dans le cadre du Ciné-club « Belgrade », plus tard renommé Academic Film Center (AFC) et toujours en activité.

Mais avant de relayer plus bas ces petits films muets (ouf, pas besoin de se mettre en quête de sous-titres !), je propose une présentation du Ciné-club Belgrade, un lieu dynamique d’avant garde cinématographique où ont été actifs des cinéastes et critiques contributeurs au Novi Cinema yougoslave des années 60.

CINE-CLUB « BELGRADE »

(présentation appuyée sur des écrits anglophones, dont « Yugoslav ciné-enthusiasm » de Greg DeCuir)

  1. Une culture ciné-club avant la guerre

Après la guerre et la déclaration de la République fédérative populaire de Yougoslavie, la League of Communists of Yugoslavia (parti communiste yougoslave) prit rapidement en main le cinéma et créa dès 1946 le Comité d’Etat du cinéma (State Committee of Cinematography). Des studios de production en découlèrent dans les différents Etats composant la république fédérale, dont le fameux Avala film (Serbie) ou encore Jadran film (Croatie). Dans son livre Liberated Cinema : the Yugoslav experience, Daniel Goulding résume ce contexte cinématographique : « Les films devaient refléter le développement d’un art socialiste distinctif fondé sur les principes du réalisme national (une
variante du réalisme socialiste). » C’est ainsi que les mythes et l’idéologie officielles étaient entretenus par le cinéma, notamment à travers les films de partisans qui composaient une partie importante de la production. Un type de films qui sera mis à mal par des cinéastes de la Vague Noire yougoslave, tel le terrible L’embuscade (1967) de Pavlovic (à découvrir via l’édition DVD de Malavida).

Face au dogmatisme cinématographique devant refléter l’idéologie officielle, plusieurs ciné-clubs donnaient davantage de liberté à l’expression et expérimentation cinématographiques. Or la culture ciné-club, avant son institutionnalisation croissante, était déjà vivace avant la guerre. Le premier ciné-club fut créé à Zagreb en 1928, à travers une section cinéma du Foto Klub Zagreb. En 1931 il représenta même le Royaume de Yougoslavie à la première compétition internationale du film amateur organisée par l’UNICA (Union Internationale du Cinéma), organisation indépendante dont il devint membre dès 1933. Le Klub kinoamatera Zagreb (Ciné-amateur club) est créé en 1935, avec des activités telles que réunions, projections de films amateurs, conférences sur les techniques de production et autres projets éducatifs sur le cinéma. Pendant longtemps ce fut ainsi la seule institution d’enseignement du cinéma en Yougoslavie. A Belgrade fut crée en 1924 le club de cinéphilie « Klub filmofila Beograd » dont les buts étaient de diffuser l’art cinématographique, d’influer sur les goûts du public en écrivant des livres sur le cinéma et de créer des programmes. Il a ouvert la première cinémathèque et réunit jusqu’à 300 membres. Tout en se consacrant exclusivement aux films produits dans le pays, il devint le « Croats and Slovenes Cinephile Club » en 1928, puis le « Jugoslovenski filmski klub » en 1930 pour finalement former en 1932 le « Jugoslovensko filmsko društvo » (Yugoslav Film Society). Ce fut une des premières structures tournées vers un système industriel du cinéma et produisit notamment une fiction intitulée Les aventures du Docteur Gagic d’Aleksandar Eerepov. En général les membres de ces ciné-clubs d’avant guerre étaient des bourgeois, permettant d’assumer les coûts de production par des cotisations ou des dons. La plupart des membres du Ciné-amateur club de Zagreb étaient apolitiques. Mihovil Pansini (un réalisateur expérimental) a relevé que les films produits durant l’avant guerre et ceux du Ciné-club de Zagreb (créé en 1954) dans les années 50 « étaient de « petits hologrammes de réalité » détaillant la manière unique avec laquelle les cinéastes ont parlé d’eux-mêmes plutôt que de la période politique dans laquelle ils vivaient. D’après Turkovic, c’était une nette anticipation de la nouvelle vague d’un cinéma personnel, d’auteur qui a commencé à apparaître dans l’industrie du film yougoslave des années 60 » (Greg DeCuir, « Yugoslav cine-enthusiasm »). Aussi, toute cette culture ciné-club « amateur » a ouvert l’âge professionnel du cinéma yougoslave. Oktavijan Miltic, un des fondateurs du Ciné-amateur club de Zagreb dans les années 30, a réalisé le premier film sonore croate en 1944 (Lisinski).

Lisinski (1944, le premier film sonore croate) :

(réalisé par un cinéaste issu de la culture ciné-club, co-fondateur du premier ciné-club de Zagreb)

      2. Ciné-club après la guerre

Yvo Zgalin – La libération de Zagreb (1945) :

Dès 1946, le parti communiste yougoslave s’est tourné vers l’amateurisme en dispensant une formation technique dans divers domaines afin de rendre accessible les technologies aux citoyens et d’éduquer la population. En découlait notamment la « Belgrade Society of Photo Amateurs », une structure qui comprenait le développement de films amateurs. En 1949 est créée l’organisation la « Yugoslav League of Photo/Ciné-amateurs » qui regroupa peu à peu plusieurs structures dont des ciné clubs. Tout en restant un espace de liberté, le Ciné-amateur club de Zagreb commençait à réaliser des documentaires dont les thèmes étaient proches de l’idéologie officielle, à défaut de s’orienter explicitement sur le réalisme socialiste national. Mais peu de documentation et semble t il aucuns films ne sont restés de cette période d’immédiat après guerre. Le « Photo/Ciné-amateur Belgrade » est fondé en 1950, intégrant la Yugoslav League of Photo/Ciné-amateurs. Pour en être membre il fallait passer des tests qui incluaient la connaissance de la production, la théorie du cinéma ou encore la projection de films. Globalement c’était l’aspect technique qui était privilégié.

   3. Naissance de Ciné-club Belgrade et Ciné-Club Zagreb :

Le « Kino-Klub Begroad » (Ciné-club Belgrade) est créé le 7 mai 1951, en tant que branche du Photo/ciné-amateur Belgrade. Outre la projection de films, il produit un premier court métrage (une fiction) la même année : L’histoire des chaussures de foot, réalisé par Dusko Knezevic. Le premier festival de film du Ciné-club de Belgrade se tient en 1953, où pour la première fois le public peut découvrir ses réalisations. Une dynamique également effective à Zagreb où est créé le « Ciné-club Zagreb », suivi la même année par l’organisation du premier festival du film amateur de Zagreb. En 1953, un certain Dusan Makavejev (futur artisan de la Vague Noire qui connaîtra une carrière internationale) rejoint le Ciné-club Belgrade.

Dusan Makavejev – Antonio’s Broken Mirror, 1957 :

(parmi les premiers films de Makavejev, au Ciné-club Belgrade)

Ce film fut présenté dans une compétition spéciale du Festival de Cannes 1957. Makavejev, Marko Babac et sa compagne ainsi que deux autres membres du Ciné-club eurent une autorisation spéciale pour s’y rendre. Le court métrage y gagna une grande reconnaissance. Mais la petite amie de Babac profita de ce voyage pour ne pas revenir en Yougoslavie, ce qui engendra enquête au sein du ciné-club et même dans la famille de Babac.

En 1953 le Ciné-club Zagreb est rejoint par Mihovil Pansini, dont il deviendra président en 1962. C’est un cinéaste avant-gardiste passé maître dans le cinéma amateur de cette période, tandis qu’il sera aussi un des cofondateurs du Genre Film Festival (GEFF), soit un festival de film expérimental se tenant à Zagreb à partir de 1963 et dont le nom initial faillit être « Antifilm and new tendencies« . Pansini avait également une grande activité théorique et critique du cinéma.

Mihovil Pansini – Brodovi ne pristaju (« Les navires à quai« ), 1955 :

(un de ses premiers films amateurs réalisés au Ciné-club Zagreb)

Au cours des années 50 le ciné-club Belgrade atteint 200 membres.  En 1955 la Yugoslav League Photo/Ciné, structure qui chapeautait toutes les organisations de photographie et cinéma, avait haussé les exigences et mandaté un référent observant les domaines qui devaient être le plus tenus en compte au ciné-club, parmi lesquels la pratique, théorie et culture filmiques ou encore le matériel de projection. Un certain Marko Babac, en tant que membre du ciné club Belgrade,  écrit Handbook for Ciné-amateurs en guise de manuel imprimé pour les cinéastes amateurs. Le Ciné-club Belgrade devenait alors une institution d’enseignement de plus en plus rigoureuse et pour y être admis il fallait respecter des standards. Que ce soit à Belgrade ou Zagreb, les ciné-clubs faisaient émerger une nouvelle génération de cinéastes professionnels qui allaient en partie constituer le Novi Film yougoslave apparaissant dans les années 60. Parfois ces ciné-clubs étaient plus qu’une source contribuant à générer le nouveau cinéma yougoslave, tel le Ciné-club Belgrade qui a donné lieu à de premiers longs métrages d’un même trio de membres (Pavlovic, Rakonjac et Babac) : Gouttes, eaux, guerriers en 1962 et La ville en 1963.

COURTS MÉTRAGES DE PAVLOVIC – RAKONJAC – TRIFKOVIC (1960-62)

Peu à peu le Ciné-Club Belgrade – tout comme le Ciné-club Zagreb – s’est signalé comme un lieu d’alternative à la culture florissante mais de plus en plus institutionnalisée et hiérarchisée des ciné-clubs, rendant compliqué les expérimentations. En voici un exemple à partir des courts métrages réalisées en 1960-62 par Pavlovic, Rakonjac et Trifkovic. Officieusement ces trois films composaient une trilogie, d’où des échos sur le fond et dans les parti pris déclinés. A noter également la participation d’Aleksandar Petkovic (photographie), soit un membre du ciné-club Belgrade qui par la suite est devenu un directeur de photographie important du cinéma yougoslave (dans des films de la Vague noire et des plus commerciaux).

RAKONJAC – Le mur – 1961 – 8 mn :

En 1959, déjà dans le cadre du Ciné-club Belgrade, Kokan Rakonjac avait réalisé un court métrage intitulé Larmes. Il fut interdit car il n’y montrait pas des partisans comme cela devait être, apparaissant de manière sentimentale. Ici, une angoisse existentielle contamine le film.

 

PAVLOVIC – Triptyque de la matière et de la mort – 1960 – 9 mn :

(l’excellent morceau du Velvet Underground qui accompagne ici le film était absent à l’origine)

Le titre vient de la trilogie visée avec les deux autres cinéastes. « Vision onirique d’une femme seule dans la détresse, errance dans un paysage désolé où elle rencontre finalement sa disparition. » (Pravo Ljudski Festival, un cinéma de Sarajevo). Une importance du paysage désolé qu’on retrouve dans son premier film professionnel Eaux vives qui compose une partie du film collectif Gouttes, Eaux, Guerriers.  Ça deviendra une composante importante de ses longs métrages de fiction, tel Le réveil du rat ou encore Quand je serai mort et livide. Une thématique sombre ici, avec la solitude du personnage féminin poignardé et sur le point de mourir. Là encore, un élément qu’on retrouvera plus tard dans les films de Pavlovic où les rapports humains sont souvent très sombres.

TRIFKOVIC – Distant Purple Hands – 1962 – 10 mn

Les gouttes, les eaux, les guerriers – Pavlovic, Babac, Rakonjac (1962)

Zivojin Pavlovic, Marko Babac, Kokan Rakonjac (FILM COLLECTIF) – Les gouttes, les eaux, les guerriers (Kapi, vode, ratnici) – Yougoslavie – 1962 – 53 mn

Ce moyen métrage collectif produit par la Sutjeska Film (Sarajevo) est structuré en trois petits films. Il a été récompensé d’un Prix Spécial au Festival de Pula 1962. Il réunit trois cinéastes à leurs débuts puisqu’il s’agit là de leur premier film professionnel. Ainsi le précise Pavlovic dans une interview de 1984 : « A cette époque un concours a été lancé au niveau de l’Etat pour l’attribution de fonds destinés à la réalisation de moyens métrages. Quatre projets ont été retenus, dont le mien. Oto Denes a décidé de réaliser son film séparément. Par contre, Kokan Rakonjac, Marko Babac et moi avons décidé d’adopter la suggestion de notre cameraman Aleksandar Petrovic (qui a également photographié mes deux films suivants Le retour et L’ennemi, ainsi que L’odeur du corps) et de créer un film collectif (…). Le film a suscité pas mal d’intérêt au Festival de Pula 1962 et c’est ainsi que nous sommes devenus professionnels tous les trois » (interview par N. Pajkic et D. Tucakovic). Par la suite, Babac ne réalisera qu’un long métrage et poursuivra surtout comme monteur. Rakonjac décédera en 1969 après avoir réalisé six films prometteurs; il était aussi l’époux de Milena Dravic, une grande actrice du cinéma yougoslave qui était en train d’émerger à cette époque (dans des films de la Vague Noire notamment). Quant à Aleksandar Petrovic, il a donné lieu à une longue carrière cinématographique dans la photographie, y compris sur des films de la Vague Noire. Outre Pavlovic, il a travaillé sur des films de Rakonjac (tels Le traître en 1964, Divlje-« les graines sauvages » en 1965) ou encore de Dusan Makavejev et Alexandar Petrovic.

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Les cinéastes étaient alors membres du Ciné-club « Belgrade », une structure très dynamique où ils ont fait leur débuts, en particulier Marko Babac qui s’y trouvait depuis l’âge de 16 ans. Plusieurs cinéastes importants ayant émergé dans les années 60 ont connu un début de parcours très lié aux ciné-clubs yougoslaves. Le blog reviendra prochainement sur ce lieu à travers d’autres courts métrages réalisés dans ce cadre.

Film intégral en VO non sous-titrée, avec dans l’ordre :

  • Pavlovic – Les eaux vives (situé en 1943, sans dialogues)
  • Babac – Les guerriers (deux patients dans une chambre d’hôpital)
  • Rakonjac – Les gouttes (un alcoolique et sa petite amie). Participation de Makavejev

 

Ce film collectif est donc l’occasion de découvrir les débuts de jeunes cinéastes. Malheureusement cette version trouvée sur internet ne dispose pas de sous titres et complique le visionnage, hormis la partie réalisée par Pavlovic qui n’a pas de dialogues. Une vision inquiétante de la réalité s’exprime, comme annonciatrice d’une tendance en germe dans le Novi Film yougoslave. Pavlovic y révèle déjà un attrait pour des lieux à la marge, tout comme un de ses courts métrages amateurs intitulé Triptyque de la matière et de la mort (1960). Pour cette réalisation Les eaux vives, il obtient aussi un prix spécial au Festival de Pula 1692 (en plus du prix spécial pour l’ensemble du film collectif). Un prix spécial supplémentaire qui fut également donné à Petkovic pour l’ensemble de sa contribution.

L’année suivante (1963) la même équipe a réalisé un deuxième film, intitulé La ville (relayé ICI sur le blog). Mais il ne passa pas la censure. Considéré comme une menace pour la société socialiste, il fut officiellement interdit à la distribution jusque 1990. Une censure qui s’accompagna de sérieux obstacles pour chacun du trio, les empêchant de travailler dans le cinéma. Ainsi Pavlovic partait quelques temps en Slovénie (comme à d’autres moments de sa carrière où ses réalisations le confrontèrent à des difficultés en Serbie), Rakonjac retrouvait le cinéma amateur où le Ciné-club « Belgrade » allait produire ses premiers longs métrages et Babac s’orienta dans le montage.

L’ennemi – Zivojin Pavlovic (1965)

L’ennemi – Zivojin Pavlovic – 1965 – 80 mn

« L’ennemi bénéficie d’une structure narrative solide. Je l’ai revu il n’y a pas longtemps et il me semble que le film tient toujours, justement, grâce à ses qualités narratives. Je crois même qu’il devient meilleur en prenant de l’âge. (…) Un an après la fin du tournage, L’ennemi a été présenté à Pesaro. Bien que le film ait pratiquement été ignoré des structures officielles du festival, à son retour de Pesaro, Makavejev m’a raconté que Godard avait remarqué mon film et qu’il l’avait vu en compagnie de Bertolucci. Plus tard Bertolucci a réalisé La stratégie de l’araignée qui trait tout comme L’ennemi du double. Je n’ai pas assisté au festival, mais Makavejev m’a raconté que Godard l’avait abordé pour des renseignements sur le réalisateur de ce film. » (Zivojin Pavlovic, interview de 1984)

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Ex-soldat et ouvrier dans une imprimerie d’Etat (« Yugopress »), Slobodan Antic est partagé entre ses idéaux et son attirance pour la fille du directeur de l’imprimerie. Un homme identique se met à le suivre et peu à peu sa vie professionnelle et romantique devient de plus en plus confuse. L’affrontement ne tourne pas en sa faveur. 

Le film entier en VO non sous-titrée :

Parfois considéré à tort comme le premier long métrage réalisé par Zivojin Pavlovic, c’est en fait son premier à sortir sur les écrans. Il avait déjà réalisé Le retour en 1963 mais la sortie fut différée en 1966 car il dégageait une image « trop noire » avec le monde criminel de Belgrade et suivait un ancien détenu ne trouvant aucune aide dans la société. C’est ainsi que son second métrage n’est pas produit par une société serbe mais par la Viba Film, une structure d’Etat slovène créée en 1956 et établie à Ljubljana. Parmi l’équipe du film, il est à signaler la présence d’Aleksandar Pektovic comme chef opérateur. C’était un membre important du Cine-Club Belgrade où a également démarré Pavlovic qui y a réalisé son premier court métrage (voir ICI sur le blog pour ces débuts en Ciné-club, ICI une association Petkovic/Pavlovic sur un film collectif de 1962). Petkovic a travaillé avec des cinéastes comme Makavejev ou Aleksandar Petrovic. A ne pas confondre avec ce dernier qui a émergé à la même période, devenant un des plus célèbres artisans de la Vague Noire yougoslave (par exemple, réalisateur de J’ai même rencontré des tziganes heureux en 1967). Quant à Velimir « Bata » Zivojenovic dans le double rôle principal, c’est un grand acteur du cinéma yougoslave (décédé en 2016). Il participera à nombreux films de partisans dont La bataille de la Neretva en 1969 qui eut un écho international, soit un type de cinéma officiel dont la Vague Noire se détache ou qu’elle traite avec une composante critique dégagée du récit héroïque. Zivojenovic a été récompensé de l’Arena d’or à l’édition 1965 du Festival de Pula (Croatie) pour ce film et pour Tri d’Aleksandar Petrovic. Il a aussi tourné parmi les films les plus réussis d’Aleksandar Petrovic (J’ai même rencontré des tziganes heureux, Tri, Il pleut dans mon village, Le Maître et Marguerite). Je n’évoque pas ici son parcours politique, plus récent.

« Comment se fait-il qu’un russe, Lev Nikolayevitch [Tolstoï], semble nous parler du monde irréel des contes, tandis qu’un autre, Fiodor [Dostoïevski], nous fascine de plus en plus avec sa vérité ? »

Zivojin Pavlovic

Image du film – Le double

double

 

L’ennemi est une adaptation du roman Le Double de Dostoïevski. Bien que relativement conventionnel par rapport à à l’esthétique de la suite de sa filmographie, ce film témoigne déjà d’un attachement au réalisme noir. Notamment lorsqu’il s’attarde sur la marge du lieu de travail (tel la fin funeste de deux noyés), par des rapports humains peu glorieux et autres éléments contrariant le tableau. Certaines séquences de plein air  – mes préférées – annoncent la prédilection pour les lieux désolés à venir (quoique le premier court métrage de Pavlovic Tryptique sur la matière et la mort révèle déjà ce penchant en 1960), y compris dans les films d’autres cinéastes yougoslaves du Novi Film (nom originel de la Vague Noire yougoslave, davantage une tendance cinématographique qu’un mouvement).

Extrait – Antic tombe sur un camarade bourré

 

Le prochain film de Pavlovic sera Le Réveil des rats (relayé ICI sur le blog). 

Encore une fois, la version proposée sur internet est de qualité image et sonore médiocre (il y a même un léger décalage). Par contre le crépitement du support n’est pas pour déplaire. Pour ce qui est du sous titrage, la combine est de télécharger le film et d’y joindre des sous-titres (en général anglais) qui ont tendance à exister pour ces films yougoslaves de la Vague Noire. Des conditions de visionnage médiocres mais qui permettent de découvrir toujours un peu plus cette période du cinéma yougoslave …

Le réveil des rats – Zivojin Pavlovic (1967)

Zivojin Pavlovic – Le réveil des rats – 1967 – 80 mn 

Ce film a été produit par la Filmka Radna Zajednika (FRZ, « Communauté de Travail Cinématographique ») établie à Zagreb. C’est la première réalisation Pavlovic hors d’une société de production d’Etat dans une période que le cinéaste décrit ainsi : « Au début, la Communauté de Travail Cinématographique [FRZ] représentaient un moyen de production plus flexible, ce qui était une réaction vis à vis de l’énorme système bureaucratique et administratif qui encombrait les maisons de production à cette époque. Dans ces maisons les projets traînaient très longtemps parce que les processus des prises de décisions étaient particulièrement compliquées avec d’interminables analyses du contenu et du coût du film et avec d’énormes dépenses inutiles qui ne faisaient qu’augmenter le budget du film. On sentait le besoin de casser ce « moule » et d’entamer une production avec moins de personnel, une production qui serait basée davantage sur l’enthousiasme et la foi, et moins sur les manipulations d’ordre spéculatif et financier. » (Pavlovic, interview de 1984 par Nebojsa Pajkic et Dinko Tucakovic). Constat que partage d’autres cinéastes de l’époque, dont par exemple un certain Varoslav Mimica qui était directeur du grand studio de production Jadran Film (Zagreb) mais qu’il avait quitté au bout de deux ans à cause de la lourdeur bureaucratique pour la réalisation des films.

Le réveil des rats a remporté en 1967 l’Ours d’argent de meilleure réalisation à la Berlinale et l’Arena d’argent du meilleur réalisateur au festival du film de Pula (Yougoslavie/Croatie). La même année Pavlovic a également réalisé Quand je serai mort et livide, édité en DVD par Malavida et évoqué ICI sur le blog. Ils forment une trilogie avec L’embuscade, sorti en 1969. L’ensemble est produit dans le cadre dans la FRZ mais suite aux problèmes causés par ce dernier opus non distribué pendant plus de 20 ans, cette société indépendante n’a plus voulu travailler avec Pavlovic. C’est pourquoi il rejoignit ensuite le studio slovène Viba Film, établi à Ljubljana. Ce qu’il avait déjà fait en 1965 pour réaliser L’ennemi (relayé ICI sur le blog) qui obtint les fonds de ce même studio slovène suite aux soucis posés par son véritable premier long métrage intitulé Le Retour (réalisé en 1964 mais sorti en 1966).

Parmi les acteurs du film, il est à signaler la participation de Pavle Vujisic. C’est (en général) un second rôle familier du cinéma yougoslave à partir des années 50 et qu’on retrouve jusqu’aux premiers films d’Emir Kusturica (Te souviens-tu de Dolly Bell ? et Papa est en voyage d’affaires).

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Film visible en VO (non sous titré) :

Velimir Bamberg est un homme célibataire autrefois engagé politiquement en tant que partisan de Staline. Cachant désormais ce passé suite à la rupture Tito-Staline (Yougoslavie-URSS), désillusionné et retiré de l’engagement politique, il vit une morne existence dans un milieu précaire de Belgrade. Sa sœur étant fort malade, il tente de trouver suffisamment d’argent pour l’envoyer en bord de mer. Le bord de mer est d’ailleurs souvent référencé comme un point de fuite vis à vis du malsain du quotidien. Il se met à la recherche d’argent auprès d’amis qui ne peuvent guère l’aider si ce n’est en le renvoyant à des annonces d’emploi ironiques, témoin de l’atmosphère ambiante. Son passé le rattrape aussi lorsqu’un ancien camarade, Lale, lui fait du chantage : photographe porno, il incite Velimir à faire de la contrebande de ses photos en échange de quoi il ne vendra pas la mèche sur son passé. Lale a été interné quelques années sans balancer Velimir alors que ce dernier rédigeait des tracts pro Staline; c’est en les distribuant que Lale a été pris et a dû renoncer à sa carrière d’entraîneur de boxe. Cet épisode renvoie à la répression politique et au support inconditionnel de Tito, toujours présents après la rupture de 1948. Velimir tombe amoureux d’une voisine et s’illusionne lorsqu’ils entament une liaison, y voyant une sortie de son quotidien. Celle-ci ne s’intéresse qu’à son argent et lorsque Velimir arnaque une connaissance, la femme fuit avec la somme. En vendant le costume d’un ami décédé et avec un don d’une amie de sa sœur, Velimir parvient quand même à l’envoyer en bord de mer. L’ancien camarade stalinien est chopé pour son trafic de photos mais ne dénonce toujours pas Velimir malgré les soupçons. Il est descendu alors qu’il prend la fuite. Velimir revient à son existence, renouant avec la chorale de début de film.

Pavlovic était un des artisans de la Vague Noire yougoslave et Le réveil des rats se présente comme un de ses premiers long métrage à dresser un tableau pessimiste de la société yougoslave. L’histoire se déroule dans les bas fonds de Belgrade et se concentre sur des marginaux, le film parfois donne même l’impression de se rapprocher d’une comédie noire. Pavlovic y annonce des obsessions qu’il définira plus tard comme « une poétique de la méchanceté » et « une esthétique du dégoûtant » et qu’on retrouve avec force dans l’opus suivant de la trilogie : Quand je serai mort et livide. Ici les individus marginaux vivent avec peine par la débrouille (contrebande de photos pornos, prostitution …) tandis que les rapports humains relèvent de coups bas (chantage, escroquerie) ou de trahison (vol). Un monde où le cinéaste filme le désespoir terminer en beuverie (une séquence vers la fin du film). Le mauvais sort s’abat également, tel l’ami qui tombe mort alors qu’il était sur le point de dépanner de l’argent à Velimir (là, ça frise la farce noire !). Tout en évitant le pathos, le film évoque une vie de chien où règne le chacun pour soi, sans solidarité ou presque. Les chantages qui apparaissent noircissent un peu plus le tableau en renvoyant à un arrière fond politique menaçant : le passé de Velimir renvoie à la répression politique (ne pas dévier du titisme, punir le soutien passé à Staline) mais ce dernier fait aussi chanter un homosexuel avec des photos compromettantes, suggérant le tabou de l’homosexualité à une époque où elle est marginalisée et réprimée (l’emprisonnement menaçait jusque dans les années 50). La Yougoslavie de Tito produit ou entretient de la marginalité et en choisissant de dépeindre avec réalisme une société des laissés pour compte, le film déroge à un cinéma censé être glorieux ou optimiste.

Extrait – Du cinéma de la Metro-Goldwyn-Mayer aux rats

Découvrir ce film grâce à une version internet de qualité médiocre et un sous titrage anglais téléchargé a encore été l’occasion de regretter qu’il n’y ait pas un accès plus facile et qualitatif aux filmographies des cinéastes de cette période. Evidemment nombreux aspects échappent (je pense par exemple à la place de la musique dans le film et dont les paroles ne sont jamais intégrées dans les sous-titres anglais) et trouver des écrits en éclairage est intéressant (quelques textes circulent sur le net), mais Le réveil des rats a de quoi réveiller la curiosité pour ce cinéma yougoslave.

Quand je serai mort et livide – Zivojin Pavlovic (1967)

EXTRAITS – Zivojin Pavlovic – Quand je serai mort et livide – 1967 – 73 mn

« Saisonnier, employé sur un chantier où il y vit de rapines avec sa petite amie Lilica, Jimmy Barka doit reprendre la route à l’automne. Ne retrouvant pas de travail, ils commencent alors une longue errance parsemée de petits larcins et d’escroqueries foireuses. Encouragé par une chanteuse de cabaret, Jimmy décide de partir à Belgrade où il espère remporter un concours de jeunes chanteurs… »

Le blog a déjà relayé par le passé des films du Nouveau cinema yougoslave des années 60, ou dit « Vague Noire ». Il a notamment été question de films de Aleksandra Petrovic, Dusan Makavejev (films de sa période yougoslave d’avant exil, moins connus), Zelimir Zilnik ou encore de Karpo Godina.

Zivojin Pavlovic est un autre réalisateur majeur de cette période du cinéma yougoslave marquée par une génération de cinéastes à contre courant du cinéma national, tant d’un point de vue formel (similitudes avec les nouvelles vagues en Europe) que sur  les thèmes et le fond (personnages et réalités contrastant avec la société yougoslave telle qu’elle est officiellement).

La formidable maison d’édition et de distribution Malavida films nous permet déjà depuis quelques années de (re)découvrir des films des cinémas de l’Est (polonais, tchèque, slovaque). Plus récemment, alors que d’autres excellentes nouveautés voient maintenant le jour (le cinéma hongrois des années 60, Alice de Svankmajer !), elle s’est également mise à la sortie DVD de films de la Vague Noire yougoslave. C’est une initiative fort réjouissante étant donné l’accès extrêmement compliqué aux films yougoslaves, nous devant dans le meilleur des cas nous contenter de qualités médiocres sous titrées en anglais (mais merci la toile !). En tout cas Malavida a inauguré cette série yougoslave par deux réalisations de Zivojin Pavlovic : Embuscade (1969) et Quand je serai mort et livide (1967). Je n’ai pas pu (encore ?) me procurer les DVD mais nul doute qu’un livret conséquent, comme toujours, accompagne chaque film. Faute de porte monnaie au point, je me suis contenté pour l’heure de visionner Quand je serai mort et livide en qualité médiocre et sous titrée en anglais.

Ouverture du film (cliquer ICI) 

L’ouverture du film (extrait sous titré de Malavida) donne bien le ton du film. Personnage marginal, évoluant dans un décor réel et contexte social morne. Il y est même question de fuite mais le final boucle la boucle sur le même lieu. Comme un échec à la tentative d’échapper à sa condition. Nul espoir ici.

Le film se déroule comme un road movie, une errance à travers une Yougoslavie déprimante. D’une certaine manière film s’inscrit en filiation avec le néoréalisme. Personnages à la dérive, lieux à la marge (je pensais parfois aux lieux périphériques du sous prolétariat des films de Pasolini) et scènes tournées dans le réel sans figurants (ainsi par exemple lors d’une sortie de bus, des personnes découvrent la présence de la caméra et la regardent). Une séquence de poursuite de Jimmy Barca pourrait faire penser au Voleur de bicyclette de De Sica.

Extrait – « Au voleur !« 

 

Le film est composé de plusieurs scènes musicales et toutes se déroulent sans dispositif de tournage superficiel. La musique baigne dans sa réalité, comme la réalisation de Pavlovic. On y retrouve même, dans une séquence, le témoignage d’une hostilité certaine à l’égard des tziganes et de leur folklore musical. C’est d’ailleurs l’occasion d’y relever une fois de plus, c’est à dire comme dans d’autres films de la Vague Noire tel La litanie des gens heureux (1971) de Godina, combien le mythe officiel de la fraternité entre les peuples est quelque peu biaisée dans la réalité.

Certes la musique incarne un temps l’espoir de sortie pour Jimmy Barca, mais c’est là une combine de plus, juste une illusion. Il n’en a pas la pratique et l’article faisant ses éloges est le fruit d’un service requis auprès d’une connaissance. La séquence d’une audition musicale à Belgrade ne peut donc être que cruelle à cet égard. Il est à noter que cette audition est bien ancrée dans son temps avec une scène musicale à tendance pop et hippie. Y apparaît même un certain Pedrag Jovanovic, surnommé plus tard Peda D’Boy et future star évoluant dans le groupe yougoslave D’Boys. Ce film de Pavlovic serait la première image filmée du chanteur, alors âgé de 17 ans. Il reprend ici le morceau I’m a believer composé par Neil Diamond. Le groupe The Monkees en fait un single en 1966 et c’est devenu un énorme succès aux USA et ailleurs.

 

Outre sa filiation avec le néoréalisme, le film dénote donc un franche pessimisme en suivant un personnage à la marge, irrécupérable d’une certaine manière, et hostile à la routine de la société yougoslave qui de toute façon ne semble pas emballer grand monde. L’ouverture du film donnait le ton là-dessus, et une grève d’ouvriers un peu plus loin entérine un quotidien peu enthousiasmant. Pour ce qui est du personnage principal il aurait inspiré John Schlesinger pour son Macadam cowboy (1969).