Personne ne rira – Hynek Bocan (1965)

Hynek Bocan – Personne ne va rire – Tchécoslovaquie – 1965 – 90 mn

Un jeune professeur historien de l’art évite de dire des vérités sur les travaux qu’on lui soumet. Mais il se retrouve dans une situation inconfortable suite à un petit mensonge qui déclenche une série d’incidences sur sa vie professionnelle et privée. 

Ce premier long métrage de Hynek Bocan, alors un des plus jeunes réalisateurs de la nouvelle vague tchèque, fut récompensé du Grand Prix de Mannheim 1965 avant de sortir début 1966 en Tchécoslovaquie. Comme nombre de ses pairs, Bocan a étudié à la FAMU (jusque 1961), fameuse école de cinéma située à Prague, puis a été assistant réalisateur dans des films tournés par les studios Barrandov. Ainsi il travailla notamment avec Jan Nemec sur l’incontournable Les diamants de la nuit (1965) ou encore sur Pouta (1961), une des premières réalisations de Karel Kachyna. Personne ne va rire est une adaptation d’une nouvelle du recueil Risibles amours de l’écrivain tchèque Milan Kundera et que Bocan a eu comme professeur d’histoire de la littérature à la FAMU.

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Le film est produit par les Studio Barrandov, soit un des hauts lieux cinématographiques de la Tchécoslovaquie, un complexe parmi les plus grands et les plus anciens en Europe. Créés en 1931 et agrandis sous l’occupation nazie, les Studios Barrandov sont nationalisés après la guerre et demeurent propriété d’Etat jusque 1990 (avec améliorations d’équipement etc). Plusieurs films de la nouvelle vague tchèque y sont tournés dans les années 60 (films de Nemec, Chytilova, Forman, Juracek, Menzel …) ainsi que des adaptations de contes, des comédies côtoyant la science fiction etc tandis que des tournages internationaux s’y déroulent dès les années 80. Suite à la privatisation d’après la révolution de velours (1989) et une situation financière difficile, les studios se sont davantage tournés vers la scène internationale avec des films tels que Mission impossible (De Palma), Les frères Grimm (Gilliam), Hellboy (Del Toro) ou encore Snowpiercer (Joon-Ho).

Parmi l’équipe du film il est à signaler Pavel Juracek qui a co-écrit le scénario. Egalement formé à la FAMU et réalisateur, c’est surtout comme scénariste qu’il a contribué à la nouvelle génération du cinéma tchèque. Il a notamment co-scénarisé Les petites marguerites de Vera Chytilova (1966) ou encore Fin d’août à l’hôtel Ozone de Jan Schmidt (1967). Au niveau des acteurs, à mentionner Jan Kacer dans le rôle principal (Klima) puisqu’il a joué dans plus de 60 films du cinéma tchèque dont l’excellent La vallée des abeilles (1968) de Frantisek Vlacil. Enfin, un mot aussi quant à William Bukovy, l’auteur de la musique du film particulièrement réussie. Compositeur slovaque d’origine juive, il a beaucoup été sollicité pour des spots publicitaires, films d’animation et documentaires ainsi que pour quelques longs métrages de fiction dont les films slovaques Les années du Christ (1967) de Juraj Jakubisko et Le boxeur et la mort (1962) de Peter Solan pour lequel Bukovy a été récompensé par le Prix Darius Milhaud au Festival de San Francisco 1963.

Ouverture de Personne ne va rire – La thématique du film est donnée :

(sans dialogues)

La séquence d’ouverture est un petit délice qui sur un ton absurde introduit l’uniformité, à laquelle d’ailleurs collabore aussi Klima par une forme de lâcheté (il n’ose pas dire des vérités). En 1966, Bocan justifiait ainsi le choix de la nouvelle de Kundera (traduction approximative depuis le tchèque) :

« Je l’ai aimée parce que les éléments légers, la forme anecdotique parlent de choses sérieuses. C’est un film sérieux même si je garde une perspective comique. Dans l’histoire, je me suis intéressé principalement au fait que certaines personnes sans qu’ils en aient le droit moral se sentent obligées d’intervenir dans la vie privée des individus qui défient leur manière de vivre. Ils le font souvent au nom de la morale socialiste, mais il n’y a rien de plus bourgeois moderne. »

Extrait – Klara s’amuse de la surveillance du voisinage

(sans dialogues)

 

Ainsi le fond politique est traité avec une apparente légèreté, le plus souvent avec un humour qui donne un élan divertissant au film. Les quelques drôleries fantaisistes du film (tel l’extrait ci-dessus), le traitement régulièrement absurde ou encore un humour noir évoquent avec subtilité la conformité à l’ordre communiste, auquel n’échappe pas ici un intellectuel. Ce dernier n’assume pas son mensonge initial, une lâcheté persévérante qui provoque un enchaînement de conséquences nuisant à son entourage (la secrétaire de l’école, la petite amie Klara). Finalement le reproche d’imitation fait à l’égard du travail de recherche Zatureck sonne comme une (im)posture puisque son attitude dans la vie pratique montre qu’il veut apparaître comme les autres, c’est à dire fidèle à l’ordre et ne déviant pas de la trajectoire. En assumant pas ce qu’il est ou fait ou pense, il reste soumis au mimétisme induit par la société.

Un autre extrait en musique :

 

D’ailleurs Personne ne va rire révèle aussi quelques séquences particulièrement glaçantes, à l’image de celle où une réunion d’un comité local expose la vie professionnelle et privée de Klima et le juge en cumulant preuves et témoignages, ceux des voisins aidant. Le lendemain les voisins le saluent dans la rue comme si de rien et même avec un peu plus d’enthousiasme. Ainsi voilà Klima véritablement intégré dans la collectivité, tous à la même enseigne totalitaire.

Extrait – Explications au comité de voisinage

(avec sous-titrage français de l’extrait)

D’après un article tchèque portant sur le film, il aurait eu une réception critique négative dans le pays. Bien sûr d’autres films de la nouvelle vague tchèque ont abordé le totalitarisme, sans doute une approche qui est la plus privilégiée dans nos regards depuis « l’ouest ».  Mais cette génération du cinéma tchèque et slovaque ne se résume pas à ce seul fond politique tandis que d’autres films de la période pas forcément catégorisés « nouvelle vague tchèque » sont tout aussi intéressants à découvrir. Les éditions Malavida permettent d’en découvrir un certain nombre (avec des sous-titres français, des livrets de contextualisation et tout ça) mais internet permet également, avec les moyens du bord, d’élargir cette découverte. Et parfois on peut être agréablement surpris, voire plus.

Film intégral en VO non sous-titrée :

(pour voir le film avec sous-titrage anglais : télécharger la video ICI, les sous-titres ICI, les synchroniser ICI)