Le réveil des rats – Zivojin Pavlovic (1967)

Zivojin Pavlovic – Le réveil des rats – 1967 – 80 mn 

Ce film a été produit par la Filmka Radna Zajednika (FRZ, « Communauté de Travail Cinématographique ») établie à Zagreb. C’est la première réalisation Pavlovic hors d’une société de production d’Etat dans une période que le cinéaste décrit ainsi : « Au début, la Communauté de Travail Cinématographique [FRZ] représentaient un moyen de production plus flexible, ce qui était une réaction vis à vis de l’énorme système bureaucratique et administratif qui encombrait les maisons de production à cette époque. Dans ces maisons les projets traînaient très longtemps parce que les processus des prises de décisions étaient particulièrement compliquées avec d’interminables analyses du contenu et du coût du film et avec d’énormes dépenses inutiles qui ne faisaient qu’augmenter le budget du film. On sentait le besoin de casser ce « moule » et d’entamer une production avec moins de personnel, une production qui serait basée davantage sur l’enthousiasme et la foi, et moins sur les manipulations d’ordre spéculatif et financier. » (Pavlovic, interview de 1984 par Nebojsa Pajkic et Dinko Tucakovic). Constat que partage d’autres cinéastes de l’époque, dont par exemple un certain Varoslav Mimica qui était directeur du grand studio de production Jadran Film (Zagreb) mais qu’il avait quitté au bout de deux ans à cause de la lourdeur bureaucratique pour la réalisation des films.

Le réveil des rats a remporté en 1967 l’Ours d’argent de meilleure réalisation à la Berlinale et l’Arena d’argent du meilleur réalisateur au festival du film de Pula (Yougoslavie/Croatie). La même année Pavlovic a également réalisé Quand je serai mort et livide, édité en DVD par Malavida et évoqué ICI sur le blog. Ils forment une trilogie avec L’embuscade, sorti en 1969. L’ensemble est produit dans le cadre dans la FRZ mais suite aux problèmes causés par ce dernier opus non distribué pendant plus de 20 ans, cette société indépendante n’a plus voulu travailler avec Pavlovic. C’est pourquoi il rejoignit ensuite le studio slovène Viba Film, établi à Ljubljana. Ce qu’il avait déjà fait en 1965 pour réaliser L’ennemi (relayé ICI sur le blog) qui obtint les fonds de ce même studio slovène suite aux soucis posés par son véritable premier long métrage intitulé Le Retour (réalisé en 1964 mais sorti en 1966).

Parmi les acteurs du film, il est à signaler la participation de Pavle Vujisic. C’est (en général) un second rôle familier du cinéma yougoslave à partir des années 50 et qu’on retrouve jusqu’aux premiers films d’Emir Kusturica (Te souviens-tu de Dolly Bell ? et Papa est en voyage d’affaires).

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Film visible en VO (non sous titré) :

Velimir Bamberg est un homme célibataire autrefois engagé politiquement en tant que partisan de Staline. Cachant désormais ce passé suite à la rupture Tito-Staline (Yougoslavie-URSS), désillusionné et retiré de l’engagement politique, il vit une morne existence dans un milieu précaire de Belgrade. Sa sœur étant fort malade, il tente de trouver suffisamment d’argent pour l’envoyer en bord de mer. Le bord de mer est d’ailleurs souvent référencé comme un point de fuite vis à vis du malsain du quotidien. Il se met à la recherche d’argent auprès d’amis qui ne peuvent guère l’aider si ce n’est en le renvoyant à des annonces d’emploi ironiques, témoin de l’atmosphère ambiante. Son passé le rattrape aussi lorsqu’un ancien camarade, Lale, lui fait du chantage : photographe porno, il incite Velimir à faire de la contrebande de ses photos en échange de quoi il ne vendra pas la mèche sur son passé. Lale a été interné quelques années sans balancer Velimir alors que ce dernier rédigeait des tracts pro Staline; c’est en les distribuant que Lale a été pris et a dû renoncer à sa carrière d’entraîneur de boxe. Cet épisode renvoie à la répression politique et au support inconditionnel de Tito, toujours présents après la rupture de 1948. Velimir tombe amoureux d’une voisine et s’illusionne lorsqu’ils entament une liaison, y voyant une sortie de son quotidien. Celle-ci ne s’intéresse qu’à son argent et lorsque Velimir arnaque une connaissance, la femme fuit avec la somme. En vendant le costume d’un ami décédé et avec un don d’une amie de sa sœur, Velimir parvient quand même à l’envoyer en bord de mer. L’ancien camarade stalinien est chopé pour son trafic de photos mais ne dénonce toujours pas Velimir malgré les soupçons. Il est descendu alors qu’il prend la fuite. Velimir revient à son existence, renouant avec la chorale de début de film.

Pavlovic était un des artisans de la Vague Noire yougoslave et Le réveil des rats se présente comme un de ses premiers long métrage à dresser un tableau pessimiste de la société yougoslave. L’histoire se déroule dans les bas fonds de Belgrade et se concentre sur des marginaux, le film parfois donne même l’impression de se rapprocher d’une comédie noire. Pavlovic y annonce des obsessions qu’il définira plus tard comme « une poétique de la méchanceté » et « une esthétique du dégoûtant » et qu’on retrouve avec force dans l’opus suivant de la trilogie : Quand je serai mort et livide. Ici les individus marginaux vivent avec peine par la débrouille (contrebande de photos pornos, prostitution …) tandis que les rapports humains relèvent de coups bas (chantage, escroquerie) ou de trahison (vol). Un monde où le cinéaste filme le désespoir terminer en beuverie (une séquence vers la fin du film). Le mauvais sort s’abat également, tel l’ami qui tombe mort alors qu’il était sur le point de dépanner de l’argent à Velimir (là, ça frise la farce noire !). Tout en évitant le pathos, le film évoque une vie de chien où règne le chacun pour soi, sans solidarité ou presque. Les chantages qui apparaissent noircissent un peu plus le tableau en renvoyant à un arrière fond politique menaçant : le passé de Velimir renvoie à la répression politique (ne pas dévier du titisme, punir le soutien passé à Staline) mais ce dernier fait aussi chanter un homosexuel avec des photos compromettantes, suggérant le tabou de l’homosexualité à une époque où elle est marginalisée et réprimée (l’emprisonnement menaçait jusque dans les années 50). La Yougoslavie de Tito produit ou entretient de la marginalité et en choisissant de dépeindre avec réalisme une société des laissés pour compte, le film déroge à un cinéma censé être glorieux ou optimiste.

Extrait – Du cinéma de la Metro-Goldwyn-Mayer aux rats

Découvrir ce film grâce à une version internet de qualité médiocre et un sous titrage anglais téléchargé a encore été l’occasion de regretter qu’il n’y ait pas un accès plus facile et qualitatif aux filmographies des cinéastes de cette période. Evidemment nombreux aspects échappent (je pense par exemple à la place de la musique dans le film et dont les paroles ne sont jamais intégrées dans les sous-titres anglais) et trouver des écrits en éclairage est intéressant (quelques textes circulent sur le net), mais Le réveil des rats a de quoi réveiller la curiosité pour ce cinéma yougoslave.