Kuxa Kanema : o nascimento do cinemao – Margarida Cardoso (2003)

Margarida Cardoso – Kuxa Kanema : la naissance du cinéma – Mozambique/Portugal – 2003 – 52 mn

« There is always confrontation between the revolutionary process and the cultural process »

(Ruy Guerra au Ministre de l’information du Mozambique en 1980) 

Le Mozambique obtient son indépendance en 1975, dès lors gouverné par le parti marxiste léniniste le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique). Sous l’impulsion du président Machel Samora, parmi les premières mesures émergea la volonté de construire un véritable cinéma national par la création en 1976 de l’Institut National du Film (INC, futur INAC). Dit « Kuxa Kanema » qui signifie « Naissance du cinéma », il fut d’abord conçu comme la tenue d’actualités dans un contexte d’absence de réseau national de télévision et les images devaient être prises en main par le peuple pour le peuple. Ainsi des cinéastes latino-américains (brésiliens et cubains principalement) et quelques autres ont été sollicités afin de former des mozambicains. Les films réalisés étaient diffusés jusque dans les campagnes reculées grâce à des unités mobiles matériellement soutenues par l’URSS. Avec l’éclatement de la guerre civile entretenue par les voisins Afrique du Sud et Rhodésie, puis le décès de Machel Samora en 1986 sonnant la fin de la période socialiste, le projet périclita, Kuxa Kanema sombrait et ses films sont tombés dans l’oubli. Entre temps, la télévision avait pris le relais.

 

Film intégral en VO sous-titrée anglais :

(avec petit décalage entre son et image)

La qualité de la video sur YT est assez médiocre mais le film a été édité en DVD par ICARUS. C’est un documentaire intéressant qui a le mérite de déterrer un cinéma en germe fait d’espoirs et de déceptions, et dont le parallèle avec l’histoire récente du Mozambique est habilement amené. Pour cela, en plus d’extraits de films, il s’appuie sur des témoignages de mozambicains ayant participé à l’aventure et de cinéastes ayant apporté leur aide (dont Ruy Guerra, cinéaste phare du cine novo brésilien).

Parmi les points les plus frappants, il y a le questionnement de l’articulation de la culture à l’idéologique, au politique et au pouvoir, à travers ici un constat amer puisque le didactisme du parti a vraisemblablement enrayé le potentiel du projet initial. Car cette potentialité est très présente avec par exemple le principe de diffusion dans les villages, des images en témoignent superbement. On pourrait presque penser au cinéaste russe Alexandre Medvedkine qui sillonnait le vaste pays avec son ciné-train. Ces projections et le fait même de former le mozambicain et mozambicaine « lambda » au cinéma donnaient à ce cinéma en train de naître une forte dimension populaire. C’est d’ailleurs dans ce cadre que furent sollicités des cinéastes afin que le peuple puisse accéder à l’outil cinéma et le développer par lui-même. A cet égard, le passage sur la venue de Jean-Luc Godard est particulièrement éloquent. Celui-ci participa à la genèse d’un projet filmique qu’il intitula « Naissance (d’un image) d’une Nation » et qui donnait beaucoup de liberté à la création autonome de paysans et paysannes mozambicains. Formés techniquement et éveillés au potentiel du cinéma (tel l’anecdote de la paysanne confrontée à son image), le projet visait à les orienter vers l’autonomie du traitement de leurs sujets. Cela était également fait dans la perspective d’une future TV mozambicaine. Mais ce « projet fou« (un ministre de l’époque) suscita des controverses et fut refusé par le gouvernement, le didactisme du cinéma en germe était prioritaire.

Un témoignage de Jean-Luc Godard sur sa venue au Mozambique :

Pour un retour négatif sur la venue de Godard au Mozambique, je renvoie à l’article publié ICI sur Africiné et qui mentionne aussi la production de l’INAC avec l’apport de Ruy Guerra. 

En tout cas c’est un aspect didactique qui est nettement privilégié dans le documentaire, avec la vision d’un cinéma fortement articulé au pouvoir et bridé. Il est aussi question de la genèse du film de fiction que le pouvoir voulait focaliser sur la révolution armée face au colonialisme portugais. Et à cet égard la mention de la venue de cinéastes yougoslaves est symptomatique. Une anecdote de tournage évoque en effet leur contribution, très influencée du film de partisans en vogue dans le cinéma yougoslave. Or, de cinéma yougoslave – certes pas le plus proche de l’idéologie officielle – ces derniers temps il en a souvent été question sur le blog. Une de ses permanences c’est la construction d’un mythe national et à ce sujet il faut absolument découvrir le superbe documentaire Cinéma Komunisto de Mila Turajlic (présenté ICI sur le blog). Dans ce cadre, le film de partisans était un genre à part entière et véhiculait l’idéologie du parti en s’appuyant sur la glorification des partisans et la justification de l’optimisme révolutionnaire qui s’en suivait (bien que parfois mis à mal par le novi cinema ou la « vague noire » yougoslave, tels L’embuscade étiqueté « anti-socialiste » et réalisé par Zivojin Pavlovic ou son segment « L’encerclement » du film collectif Grad/La ville, le seul film à avoir été officiellement interdit dans la Yougoslavie de Tito – relayé ICI sur le blog). Il y a donc là une similitude frappante entre ces ces débuts de la fiction du cinéma mozambicain et le cinéma de la Yougoslavie où il fut également une priorité dès les premiers moments de la république.

Le cinéma était donc pris en main par la république du Mozambique socialiste mais le documentaire témoigne d’un potentiel étouffé, par ailleurs brisé par le contexte puisque la Mozambique était aussi cernée par des Etats hostiles (dont l’Afrique du Sud apartheid) et la guerre ravageait le pays (les films ne pouvaient plus être diffusés dans les villages par exemple). Finalement, cinéma mozambicain et Mozambique socialiste ont connu un sort funeste et l’espoir de 1975 a sombré, celui-là même qui apparaît en début de documentaire dans un discours de Samora et qui rythme régulièrement le film.

Ainsi ce cinéma mozambicain et ses films empoussiérés demeurent un témoignage d’une histoire, celle des onze années de post indépendance, de la révolution socialiste et de ses espoirs. Aujourd’hui, malgré la révolution inaboutie, malgré le triomphe de la télévision qui a supplanté le cinéma  et sa diffusion dans les campagnes (choix du gouvernement mozambicain), les films sont toujours là. Dans la poussière d’un institut au bord de la ruine, mémoire de la Mozambique de Samora (la République Populaire de Mozambique) et d’un cinéma qui n’est plus. En fait, il est tentant d’y ressentir une métaphore proche de celle qui a été exprimée avec encore une plus grande force dans le documentaire de Mila Turajlic (évoqué plus haut) : le cinéma comme métaphore d’un pays. Aux lambeaux du grand studio Avala « cité du cinéma » de la Yougoslavie fait écho la faillite de l’INC.

Une réflexion sur “Kuxa Kanema : o nascimento do cinemao – Margarida Cardoso (2003)

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