Maurice Jaubert : musique et cinéma (années 30)

« C’est précisément le rôle du musicien de film de sentir le moment précis où l’image abandonne sa réalité profonde et sollicite le prolongement poétique de la musique. (…) La rupture d’équilibre sensoriel qu’elle produit chez le spectateur doit être soigneusement prévue par le réalisateur, soit, dans un moment spécialement dramatique, qu’il utilise le choc d’une intrusion brutale (un fortissimo d’orchestre enchaîné sur un cri, par exemple), soit qu’il fasse entrer insidieusement le son musical par le truchement du son non musical (le bruit d’un train engendrant un rythme qui lui-même donne naissance à la symphonie proprement dite, des violons dans l’aigu se substituant insensiblement au sifflement du vent, etc.)«  Maurice Jaubert

EXTRAITS –

Il est question ici d’une évocation rapide de Maurice Jaubert, compositeur important du cinéma français des années 30. Maurice Jaubert a considérablement impacté sur l’apport de la musique au cinéma et a contribué ainsi à des grands films.

Je renvoie à une présentation concise et intéressante, ICI sur le forum des images

Hôtel du nord – Marcel Carné – 1938

Ce film injustement réduit à son image de marque « atmosphère, atmosphère » prononcé par Arletty est un chef d’oeuvre. La séquence que je relaie réunit non seulement Henri Jeanson (dialogues) et Louis Jouvet (acteur), duo dont il a été question ICI sur le blog à travers Entrée des artistes, mais aussi le chef de décor Alexandre Trauner, le réalisateur Marcel Carné et, pour ce qui nous intéresse particulièrement là, le compositeur Maurice Jaubert.

L’extrait choisit est l’ultime séquence du film. C’est sciemment que j’ai fait démarré l’extrait à l’entrée en scène de Louis Jouvet (M. Edmond) : écoutons les trois coups de pétard qui sonnent comme un lever de rideau, et comme le départ d’une marche funèbre, du départ vers le dernier soupir de M. Edmond, tandis que le thème musical de Maurice jaubert s’ensuit durant toute la séquence d’adieu à Annabella et à la vie.  Et la séquence, magistrale, s’achève sur un coup de feu et cette fameuse réplique « font chier avec leurs pétards…« …

C’est un thème musical qu’on retrouve également dans L’Atalante (en 1934) et Le quai des brumes, avec le trait commun que ce thème est associé au caractère festif d’un rassemblement (soit le bal du 14 juillet, un bal musette, une fête foraine). L’extrait concernant L’Atalante n’est pas disponible sur internet et les droits d’auteur  d’exploitation ne me permettent pas de publier sur YT l’extrait en question (pour un p’tit historique de l’exploitation et différentes versions de L’Atalante, une note brève ICI). Le même problème est attesté pour Le quai des brumes (cette fois-ci l’exploitant est Studio Canal, même pas fichu de proposer le petit extrait sur la toile, et c’est juste avant le passage du baiser ICI).

 

 A propos du travail et des apports de Maurice Jaubert, quelques témoignages ci-dessous  :

René Clair (metteur en scène) :

Je préparais à ce moment là le film « 14 juillet » et un jour par hasard, mon ami Jean Grémillon, metteur en scène comme moi, mais également musicien distingué, me joue au piano quelques valses de sa composition et dans l’une je trouve l’idée que je cherchais. J’en parle (cela était un peu embarrassant) à Maurice Jaubert et dès nos premières conversations, je m’aperçois que je suis tout à fait d’accord avec ce qu’il pense sur la collaboration de l’auteur du film et du compositeur. Cette homme voyait avec ce sérieux qui le caractérisait, ce que devait être la musique au cinéma ; une musique qui n’était pas au premier plan, qu’il fallait en supplément de l’action, de l’atmosphère du film ; donc notre collaboration pour « 14 juillet » commença et la partie musicale fut construite en somme par une seule chanson, un seul air appelé « la valse du 14 juillet ».

Julien Duvivier (metteur en scène) :

La musique dans les films est un peu la parente pauvre. On la considère en général comme un élément sonore destiné à occuper les oreilles, lorsque pèse pour de rares instants la dictature des mots ; et c’est sans doute pour cette raison que la critique et derrière elle le public ne s’attarde guère à discuter la qualité d’une partition musicale d’un film. J’ai toujours pensé que la musique était un des éléments essentiels du spectacle cinématographique. J’ai toujours apporté beaucoup de soins dans le choix du compositeur et dans notre collaboration.

C’est à René Clair que je dois d’avoir rencontré Maurice Jaubert, Je le vis un matin arriver au studio « François 1er » dans la poussière et le vacarme des décors que nous plantions pour le film « Carnet de bal ». Je recherchais un thème musical, celui-ci devait être en accord avec le fond dramatique du film ; une mélancolique confrontation entre le présent et les espoirs déchus du passé. J’expliquais mon sujet en quelques mots à Maurice Jaubert. Je désirais quelque chose comme la valse triste de Sibelius, une musique poignante et évocatrice. Le lendemain même, Jaubert m’apporta la valse que le film et surtout le disque ont rendue célèbre. Cette valse, on ne peut l’entendre sans être plongé tout vif dans un monde féerique, qui plus encore que l’image, ressuscite toute la tristesse des amours passés.

Marcel Carné (metteur en scène) :

Il venait constamment au tournage, ce qui est rare pour un musicien. Il disait s’imprégner de l’atmosphère du film. Il demandait qu’on lui projette les « rushes » (ce sont les scènes « brutes » tournées le jour même sans montage). Il venait le plus souvent possible, puis il commençait à prendre les minutages des séquences du film. A ce moment là, il travaillait de son côté jusqu’au jour où il me jouait au piano certains des thèmes qu’il avait imaginés. Jaubert apportait dans son travail un sérieux, une gravité indéniable comme dans « Quai des brumes ».

Jacques Prévert (scénariste, dialoguiste) :

Il faisait la petite bouche et la sourde oreille, un garçon tellement doué. Il travaillait comme un ouvrier. Les metteurs en scène l’appelaient pour travailler avec lui. Sa musique devenait de plus en plus belle. Une musique pleine d’amour, de tendresse, de compassion pour les plaisirs et les malheurs du monde ; pleine de révoltes aussi pour la misère des hommes. Parce qu’il comprenait le cinéma, le cinéma devenait plus sûr de lui… alors, ceux qui méprisaient le cinéma, ceux pour qui le cinéma n’était pas un art, s’intéressaient quand même à lui, car bien que n’étant pas un art, le cinéma c’est tout de même, ce qui n’est pas à négliger, une industrie. Ils se résignèrent alors en haussant les épaules et en soupirant, en proposant à leur tour de la musique de films, de la musique de droit d’auteur.

Jean Lodz (metteur en scène) :

J’avais eu l’idée de faire plusieurs films documentaires sur les fleuves de France. Evidemment, je m’étais attaqué au premier qui était sous la main… la Seine. Une fois le film terminé, je repris contact avec lui, car les conversations que nous avions eus auparavant me fit penser immédiatement que nous possédions pas mal d’affinités. Il visionna le film et il composa une musique de film qui est certainement une de ses plus belles, une suite orchestrale qui rehaussa la qualité propre de mes images.

 

Pour finir, quelques liens video et audio disponibles comprenant des passages musicaux de Maurice Jaubert :

L’atalante – Jean Vigo – 1934

 

– Zéro de conduite – Jean Vigo – 1933

 

Le quai des brumes – Marcel Carné – 1938

La séquence finale du film constitue une grande contribution musicale, qui est nuancée par rapport au thème d’entame semblable, en lien avec la fin tragique du film, avec un prolongement de l’idée de destin (thématique du sombre destin qu’on retrouve régulièrement dans le film noir aux Etats Unis dans les années 40-50). Mais cette séquence n’est malheureusement pas présente sur le net.

 

Le million (1931) et Quatorze juillet (1933) – René Clair –  Interprétation de Marc Perrone

 

La fin du jour – Julien Duvivier – 1939

On remarquera que la musique ne survient qu’en toute fin, laissant place au préalable à l’image et au monologue (dialogues de Charles Spaak). Le film Panique (1946) de Duvivier est relayé ICI sur le blog.

4 réflexions sur “Maurice Jaubert : musique et cinéma (années 30)

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