La ley de Herodes (La loi d’Herode) – Luis Estrada (1999)

« O te chingas o te jodes » 

EN ENTIER / EXTRAITS – La ley de Herodes (La loi d’Hérode) – Luis Estrada – 1999 – 123 mn – Mexique

« En 1949, durant la présidence de Miguel Alemán, le maire corrompu de San Pedro de los Saguaros est lynché et décapité par les indigènes qui habitent le lieu. En cette période électorale le gouverneur n’est pas disposé à voir sa position mise en danger par un scandale politique. C’est pourquoi il ordonne à son secrétaire de gouvernement, le licenciado López, qu’un nouveau maire soit nommé à San Pedro. López décide que le mieux indiqué soit Juan Vargas, un membre fidèle et inoffensif du parti qui ne sera sûrement pas aussi corrompu que son prédécesseur. Dans sa prise de fonctions, il interprétera librement la loi… « 

Bande annonce :

La ley de Herodes est une nouvelle de l’écrivain mexicain Jorge Ibargüengoitia, publiée en 1967. La satire et l’humour noir sont des traits qui sont régulièrement attribués à ses écrits. Luis Estrada décide donc d’adapter la nouvelle en guise de première opus d’une trilogie portant sur le Mexique – suivront en effet Un mundo marvilloso (2006) et El infierno (2010). La ley de Herodes est considéré comme un chef d’oeuvre du cinéma mexicain contemporain et bénéficie au Mexique d’une aura populaire indéniable, au grand dam de ses dirigeants successifs, sans doute. Nous y retrouvons un certain Damian Alcazar, excellent acteur, que j’avais récemment découvert dans Men with guns de John Sayles (ICI sur le blog).

Bien que financé en partie par le gouvernement Mexicain, le film aura connu à sa sortie une censure d’Etat. Le PRI  – traditionnellement au pouvoir, « le parti de la révolution » – était alors dans sa 71ème année de gouvernance et n’a été alors, d’après mes sources, quasiment pas critiqué nommément dans le cinéma mexicain. Or, bien que disposant d’un financement gouvernemental partiel, des opérateurs gouvernementaux ont tenté de limiter la diffusion dans quelques salles de la ville de Mexico et l’ont retiré du Festival du Film International d’Acapulco. Il est à signaler également que le gouvernement a fait pression, en tant qu’organe de financement, pour retarder la sortie et faire en sorte qu’il ne soit vu qu’après les élections, ou alors pour un changement de fin qui serait moins cynique à l’égard du pouvoir, à travers l’évolution du personnage principal. A l’approche des élections, le PRI craignait donc là un impact du film trop important, et c’est donc dire ici à quel point La ley de herodes d’Estrada dégage une véritable force critique, parallèlement à son allure de comédie féroce et divertissante. Le film fait un carton au box office une fois que le gouvernement abandonne la (mauvaise) publicité et qu’il est diffusé dans tout le pays. Quelques mois après, en 2000, le PRI connait une défaite électorale historique…

Film entier en VO non sous titrée :

 

En France le film dispose d’un anonymat généralisé, et c’est fort dommage. Il m’a été impossible de trouver le film avec des sous titres français et pour cause : il est INÉDIT en salles en France (!), et il n’existe aucune édition DVD comportant des sous titres français (à ma connaissance). Je glisse néanmoins, plus bas, quelques extraits d’une version sous titrée anglais que j’ai pu acquérir lors d’une ballade auprès d’un torrent. Pour les non hispanophones de mon genre, c’est toujours plus abordable. Au niveau diffusion des suites de la trilogie, il semblerait que cela se soit (un peu) mieux passé en France puisque par exemple l’Étrange Festival 2011 a diffusé El infierno. Mais La ley de Herodes reste toujours aussi méconnu et inaccessible, et c’est frustrant, d’autant plus que nous sommes pourtant si prompts à avaler les inepties ou vues « visionnaires » de nos chères informations françaises quant aux « réalités » de ces pays lointains. D’ailleurs, un mexicain m’a dit une fois de ce film qu’il nous en apprend plus de la réalité politique du Mexique que des décennies de traitement médiatique. Nous avons donc là l’occasion de découvrir une des perles du cinéma mexicain contemporain et c’est d’autant plus intéressant qu’il jouit d’un prestige populaire évident et de multiples complicités parmi le public mexicain. Et même si des choses m’échappent, comme pour sans doute de nombreuses personnes n’ayant jamais vécu au Mexique, il reste assez jubilatoire, ne serait ce que par son humour corrosif quant à des traits de la politique, -outre les spécificités et identifications locales (ah, le prêtre !!!)-, que l’on pourrait qualifier… d’universelles ?!

Séquence d’ouverture (sans dialogues) :

Magistrale, ses deux premiers plans renvoient par les éléments les composant à une triangulaire qui peut se résumer ainsi : la politique par la violence et la corruption. La couleur est annoncée ! Par ailleurs, l’homme en fuite de cette ouverture fait beaucoup penser à Quinlan (Orson Welles) de La soif du mal (Touch of evil). La mise en scène elle-même n’y est pas étrangère, mais on pourrait penser également aux frères Coen par la suite du film.

En tout cas, c’est donc peut être là, dans cette séquence d’ouverture,  une indication quant à la suite : un film qui établirait volontairement des liens avec quelques films de l’histoire du cinéma (?). Ça m’a intrigué au point de fouiner sur des articles mexicains et il y aurait notamment quelques filiations établies avec le cinéma mexicain lui-même… mais pas en guise d’hommage ! D’après l’article d’une mexicaine accessible ICI et assez intéressant, il y aurait dans La ley de Herodes des références ironiques à des credos de représentation ayant cours dans des films mexicains de l’âge d’or (période d’après guerre jusqu’à la fin des années 50). Soit une espèce de dynamique que l’on peut retrouver chez les frères Coen dont les références à des films et périodes de l’histoire du cinéma ont souvent des allures ironiques;  je pense ici, par exemple, à leur excellent Sang pour sang (1984) où les codes du film noir y sont repris avec une ironie jouissive. Pour La ley de Herodes, les cinéastes Emilio Fernández et Gabriel Figueroa seraient donc particulièrement évoqués, ainsi une scène où leurs noms sont même carrément cités. La conclusion de l’article mexicain (référencé plus haut) est par ailleurs très mordant : écrit en 2013, l’auteure rappelle que la réélection d’un président candidat du PRI au Mexique 13 ans après le film est on ne peut plus proche du verdict final de La ley de Herodes. Cette « moralité » finale que le PRI avait même tenté de censurer en 1999…

Deux extraits réunis en une video, sous titrés anglais : 

Le film ne manque en tout cas ni renvois à la réalité politique mexicaine, ni subtilités dans le tableau mais pour lequel, comme moi, on peut succomber dès les premières couches perçues et pas seulement dans une optique de « qu’est ce que la réalité politique mexicaine ? ». Sans doute un film à revoir. Mais sans oublier, en attendant de pouvoir bénéficier de sous titres en français, de poursuivre la trilogie…  comme on peut. Après la politique mexicaine et ses rouages, qui dépasse le seul PRI dans le film (c’est important de préciser), je suis curieux de voir les deux opus suivants.

Je conclue cette note par une précision concernant l’expression « o te chingas o te jodes« . Ce sont deux verbes (argot) signifiant la même chose, mais « chingar » provient d’un vocabulaire davantage mexicain, tandis que « joder » provient d’un espagnol plus large. Sans oublier le jeu de mots induit par la prononciation espagnole qui fait de « te jodes » une apparence d’ « HERODES », soit un mot culte (romain) moqué par un mot d’argot qui sonne identique. Bon, c’est un hispanophone qui m’a expliqué cela, je n’ai pas fait le lien par moi-même, hein ! ll y a en tout cas toute une dynamique autour de cette expression dans le film – fort drôle et acide – et exprimant bien, telle qu’elle est développée dans le film, les nombreux potentiels de lecture de ce Loi d’Hérode (sans oublier cependant que l’expression elle-même n’est pas inventée par le film, ni par la nouvelle initiale de Jorge Ibargüengoitia.).

Post scriptum :

En parallèle à ce film de 1999, ne pas hésiter à (re)voir Mexico, the frozen revolution (Mexico, la révolution congelée) de Raymundo Gleyzer (relayé ICI sur le blog). Nous pouvons y sentir des résonances, notamment à propos de la continuité du pouvoir, au-delà de contextes propres à leurs époques de réalisation et de la différence de traitement (documentaire / fiction etc ).

ley herodes

 

3 réflexions sur “La ley de Herodes (La loi d’Herode) – Luis Estrada (1999)

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